... le Cœur populaire (1920)/Idylle
- Idylle
IModifier
- « Môm’, c’ que t’ es chouatt’ ! Môm’, c’ que t’ es belle !
- Je sais pas c’ que t’ as d’pis quéqu’s temps,
- c’est sans dout’ l’effet du Printemps
- et qu’ tu viens d’avoir tes quinze ans,
- mais c’ qu’y a d’ sûr... t’ es pus la même.
- J’ t’ai vue qu’ tu jouais à la marelle,
- au diabolo ou au ballon,
- y n’y a pas h’encor si longtemps ;
- t’ étais eun’ « sal’ quill’ » pour les gas,
- moche et maigr’ comme un échalas,
- et quand qu’ t’ allais aux commissions
- on t’ coursait pour t’ passer à beigne !
- Mais, depis p’t-êt’ mêm’ pas deux s’maines,
- voilà qu’ tu t’es mise à éclore
- comm’ qui dirait un bouton d’or ;
- t’ es sangée,... c’est la nuit et l’ jour ;
- preusent t’ es forcie et t’ es ronde,
- t’ as pris d’ la fesse et des nichons
- et, pus on s’avance en saison,
- pus tu d’viens meugnonne et gironde.
- Et j’ suis pas l’ seul à l’arr’marquer ;
- allum’ voir un coup en errière,
- les flics, les boscos, les rombières
- qui s’arr’tourn’nt su’ toi dans l’ faubourg.
- T’ as d’ gross’s joues pleines
- à bell’s couleurs,
- comm’ ces mignards en porcelaine
- qu’on vend au bazar dans les boîtes ;
- t’ as eun’ fin’ tit’ gueulett’ de chatte
- rouge et fraîch’ comm’ un petit cœur.
- Mais surtout, Môm’, t’ as d’ bell’s grand’s mires
- qu’ont l’air d’éclairer tout Paris ;
- ô Môm’..., je sais pas comment dire...,
- quand qu’ tu tiens leurs beaux cils levés,
- ça fait penser aux marguerites
- qui vous regardent dans les prés.
- Oh ! voui pour sûr qu’ t’ es pus pareille
- et qu’ t’es d’venue eun’ rich’ goss’line
- qui sent l’amour et la santé ;
- n’avec ton costum’ de « Claudine »,
- n’avec ton p’tit blair effronté
- qui t’ donne un air de t’ foutr’ du monde,
- ta têt’ nue..., tes bell’s boucles blondes,
- tu fais scandal’, tu fais soleil !
- Aussi tu l’ sens... tu cross’s, tu crânes ;
- tu vous fusill’s en plein visage
- de tes beaux n’œils démesurés,
- et, dans la foul’ qui t’ fait passage
- et qui t’envoie des boniments,
- tu vas ben tranquill’ comme eun’ reine,
- tétons droits et les reins cambrés.
IIModifier
- Dis, Môm’, tu viens-t’y avec moi ?
- On est en Mai, fait putôt chouette ;
- les Bistrots sortent leurs fusains,
- les « hollandais » gueul’nt dans leurs cages ;
- la tête en bas le cul à l’air,
- les grouillots jouent su’ les crottoirs
- et les cadors font du bouzin
- en se visitant la rosette.
- Dis, Môm’, tu viens jusqu’aux fortifs ?
- On s’allong’ra su’ le gazon
- et, si on pousse au « Robinson »,
- on f’ra eun’ partie d’ balançoires,
- on s’ bécot’ra sous la tonnelle,
- on bouff’ra des frit’s ou des crêpes
- et on boira l’apéritif !
- Dis, Môm’, tu veux-t’y et’ ma poule ?
- J’ s’rai ton « p’tit homm’ », tu sais, j’ suis gas ;
- j’ te défendrai, j’ te battrai pas,
- et pis, si un jour on s’ dispute,
- jamais j’ te dirai : choléra,
- fumier, poison, putain ou vache,
- comme on s’appell’ quand on s’aim’ pus.
- Môm’ ! j’ vourais dormir avec toi.
- Si tu veux, on s’ louera eun’ tôle,
- un bath garno chez un bougna ;
- tu plaqu’ras tes Vieux, moi les miens,
- et on la f’ra aux bohémiens,
- on s’ra maqués au marida.
- J’ turbin’rai pour toi, s’il le faut !
- Jamais je n’ te mettrai su’ l’ tas :
- et, si j’ peux pas trouver d’ boulot,
- j’ grinch’rai, j’ truqu’rai, j’ f’rai... j’ sais pas quoi
- j’ la f’rai à la dure au besoin !
- (Au jour d’aujord’hui faut du pèze
- et n’ doit pas gn’y avoir des caresses
- et d’ la Femm’ que pour les rupins !)
- Dis, Môm’, tu l’ouvres pas souvent ;
- d’pis qu’on s’ ballade y a qu’ moi qui cause :
- ton beau p’tit blair aux naseaux roses
- r’mue seul, se gonfl’, souffle et pilpate
- comme un goujon chopé vivant.
- Vrai, Môm’, tu l’ouvres pas souvent !
- Quiens, nous y v’là à la barrière....
- Viens Môm’, descendons dans l’ fossé,
- donn’-moi la main pour pas glisser
- (c’est plein d’ charogn’s et d’ tessons d’ verre) ;
- là-bas, j’ guigne un coin pour s’asseoir,
- n’avec un buisson où s’ cacher ;
- là on peut camper jusqu’au soir,
- personn’ vienra nous y sercher. ==III==
- Dis, Môm’, maintenant y faut m’ montrer
- tes beaux petits rondins bombés.....
- Donne... ah ! ben vrai, c’ qu’y sont gentils !
- (c’est pas ces gros tétons d’ borgeoise
- qui dégoulin’nt jusqu’au nombril !)
- Ben dis donc ! Moi j’ veux les p’loter ;
- euss ont deux bell’s petit’s framboises
- qui donn’nt envie d’ les boulotter !
- Dis, Môm’..., sans trich’, j’ suis-t’y l’ preumier ?
- Dans l’ quartier ou dans ta maison,
- les collidors, les escaïers,
- personne il a voulu... t’ coincer !
- Ni vot’ voisin... le vieux garçon,
- ni l’ merlan, le bouif, l’épicier
- ni tes frangins,... ni... ton daron ?
- Ça n’arriv’ pas toujours... ben sûr ;
- mais j’en conobl’ qu’ est si tassés
- dans leurs piaul’s en boît’s à homard,
- qu’ les Sam’dis d’ paie, quand y rentr’nt mûrs,
- gn’y a des fois qu’y s’ gour’nt de plumard !
- Nibé, Môme !... Alorss... t’ es ma « neuve » ?
- Ben, j’en r’viens pas..., j’en suis comm’ saoul,
- j’ peux pus cracher..., j’ai l’ sang qui m’ bout ;
- tu parl’s si pour toi j’ai la gaule !
- Quiens, pos’ ta têt’ su’ mon épaule,
- tu m’aim’s, tu m’aim’s, dis, répèt’-le ?
- Môm’, j’ vourais t’ manger, j’ vourais t’ boire.
- Donn’ ta tit’ langu’, donn’ ta tit’ gueule
- qu’ est pas pu gross’ qu’un bigarreau.
- J’ te fais mal ? Pardon... je l’ f’rai pus...
- Tu sais,... si j’ m’aurais pas r’tenu,
- j’aurais mordu d’dans tout à fait !
- Dis, Môm’, tu veux ? On s’ piqu’ra l’ bras
- et on mêl’ra nos sangs ensemble ;
- pis, on s’ f’ra tatouer tous les deux
- dessus nos palpitants en feu ;
- sous l’ tien v’là les mots qu’ tu mettras :
- NINI AIM’ PAULO POUR LA VIE
- ET JAMAIS A NE L’OUBLIERA.
- Mais prends gard’, Môm’, m’ fais pas d’ paillons,
- pass’ qu’alors si jamais j’ te paume,
- a pès’ra pas lourd la bell’ Môme !
- Tu vois mon lingu’ ? N’ te fais pas d’ mousse ;
- avant d’ crever ton amoureux,
- j’ lard’rai ta bell’ petit’ frimousse ;
- comm’ ça... tu f’ras pus d’ malheureux !
- Môm’, tu m’affol’s ! Môm’, je t’adore !
- Un baiser, Môm’, dis,... un baiser ?
- De quoi ? Tu veux pus t’ laisser faire ?
- Ah ! vvvache...tu vas pas m’ fair’ poser !
- T’ y pass’ras comme à ton baptême ;
- j’ te veux,... j’ te tiens,... j’ t’aurai quand même,
- et n’ gueul’ pas ou j’ vas t’écraser....
- Ah ! Môme à moi,... je t’aim’, je t’aime !
- . . . . . . . . . . . . . . . . . .
IVModifier
- Dis, Môm’, maint’nant qu’ t’ es « affranchie »,
- tu m’ rest’ras toujours, tu le jures ?
- Mais, rappell’-toi qu’ c’est pour la vie !
- C’est drôl’ !... malgré tout j’ suis pas sûr,
- j’ suis jaloux, j’ai eun’ boul’ qui m’ serre ;
- (t’es trop bath pour mézig, vois-tu.)
- Quiens, en c’ moment, malgré l’ plaisir,
- si j’ me méfiais pas qu’ tu m’ charries,
- ben, j’ laiss’rais pisser ma misère
- comme un loupiot qu’on a battu !
- V’là la neuille,... on allum’ les gaz ;
- faut nous s’couer, Môme, allons-nous-en.
- Et gare à la preumière occase,
- de n’ pas t’ trotter comme un bécan !
- Enfin... en attendant ça y est !
- On est rivés, on est mariés,
- on peut rien fair’ contre l’Amour....
- Tu viens ? R’montons vers le faubourg
- en nous bécotant l’ long d’ la route....
- J’ai envie d’ gueuler à tout l’ monde,
- en passant le long des boutiques :
- — « Tenez, sieurs dam’s, de d’pis ce soir
- c’te p’tit’ Môm’ que v’là c’est ma Blonde ;
- c’est moi qu’ j’ai eu ses p’tits nichons.... »
- Et l’ preumier qui viendra y voir,
- je l’ descendrai comme eun’ bourrique
- ou je l’ saign’rai comme un cochon !