Œuvres posthumes (Verlaine)/Souvenirs/Mes souvenirs de la commune

Œuvres posthumesMesseinPremier volume (p. 311-313).

MES SOUVENIRS DE LA COMMUNE


Dès le matin les affiches blanches, s’il vous plaît, du « Comité Central de la Garde Nationale » avaient averti la population parisienne de cette nouvelle victoire de la « vraie démocratie » ; proclamations vraiment point trop mal tournées, et signées — enfin ! — de noms absolument nouveaux, tels que Camélinat, etc. On y lisait des choses véritablement raisonnables à côté d’insanités presque réjouissantes. Pour mon compte, je fus emballé, tout jeune que j’étais pour ainsi dire encore et frais émoulu, entre deux poèmes parnassiens, ô qu’impassibles ! — des réunions publiques, et naïves d’ailleurs, des temps tout proches de l’Empire. Et puis c’était franc, nullement logomachique et d’une langue très suffisante dans l’espèce. Bref, j’approuvai, du fond de mes lectures révolutionnaires plutôt hébertistes et proudhonniennes, cette révolution tenant de Chaumette, de Babœuf et de Blanqui. Et puis quelle réhabilitation de la Garde Nationale enfin sérieuse et redoutable, après Daumier et tant de vaudevilles Louis-Philippe et faux-toupet !

C’est au moment où nous enterrions le pauvre Charles Hugo qu’avait lieu le drame de la rue des Roziers. À la sortie du cimetière, la triste nouvelle tintait déjà dans l’air assombri. En même temps, les barricades ébauchées le matin devenaient formidables et s’armaient de canons, de mitrailleuses et se hérissaient de baïonnettes au bout de fusils chargés. Les passants chuchotaient des paroles d’alarmes et filaient vite. Les boutiques se fermaient et maints cafés n’étaient qu’entrebâillés. Ça sentait la poudre et ça fleurait le sang. En même temps des incidents comiques se produisaient. Pour ma part, j’assistai, non certes à la frousse, mais à l’indignation un peu puérile d’un de mes bons amis, poète de grand mérite. À propos du meurtre évidemment déplorable du général Lecomte et de Clément Thomas, ce ne fut pas une fois, ni deux, mais cinquante, mais cent fois qu’il me répéta, alors que moi je trouvais tout ça, même la fusillade de Montmartre, très bien (horresco referens !) : « Mais c’est affreux ! mais c’est l’affaire Bréa, mais, mais… » sans compter les grotesqueries de costume, les disparates d’uniformes, et les commandements à rebours et les manœuvres à l’envers de cette garde nationale à peine dégrossie de l’atelier et du troquet. Et quelle emphase, du reste gentille au fond, dans le langage de ces braves gens imbus de leurs bêtes et méchants journaux mal digérés en eux !

La nuit tombe sur la ville haletante. On entend des crosses de fusil tombant sur le pavé… Parisiens, donrmez !