Œuvres posthumes (Verlaine)/Souvenirs/Jeanne Tresportz

Œuvres posthumesMesseinPremier volume (p. 177-179).

JEANNE TRESPORTZ


Elle est toute petite, toute blonde, comme toute irisée et c’est d’un air mignon au possible qu’elle porte presque sur l’oreille sa toque imperceptible, d’où semble s’envoler un oiseau blanc et noir, mi-mouette et mi-colombelle. Et précisément, elle-même tient de l’oiseau jusqu’au miracle. Elle marche : c’est un oiseau qui marche ; parle-t-elle ? c’est un oiseau qui parlerait. Mais n’allez pas lui attribuer, sur ces aspects, la frivolité non plus que la gracilité de l’oiseau. Il y a du sérieux et de la carrure dans cette tête jolie, et sa conversation, pour n’être en rien pédante, sent bon d’une lieue l’esprit le plus fin poussé en pleine terre de rationnelle érudition. Méchante, non. Mais ne vous y fiez pas. L’épigramme, quand par trop provoquée, sort prompte et point très douce de ces lèvres charmantes. Le regret, d’ordinaire plaisamment modeste, sait, alors qu’il le faut, luire d’une gentille mais virtuelle vraiment malice. Même on connaît d’elle des pages que le gros mot de talent n’accablerait pas, mais qui valent mille fois mieux qu’un lourd compliment et sont exquisement légères et spirituelles. Bonne, certes. Et courageuse ! Pauvre elle est et restera, parce que, contentement de vivre pour bien faire passe richesse et voilà ou jamais le cas de le dire. C’est vers des buts particulièrement recommandables et pour des fins dignes de toutes louanges, que se dirigent les pas si lestes et vocalise l’organe si preste qui faisaient naguère l’objet d’une juste assimilation.

Femme à l’extrême, ce n’est pas qu’elle ait peur du sexe laid. Le contraire ne serait pas tout à fait vrai uniquement pourtant, parce que rien n’est absolu sur ce globe terraqué. De tout cela il ressort que, puisqu’elle est très bien, eh bien, dans les quelques et très rares rapports qu’elle peut avoir avec ou envers des hommes, elle sait garder toute mesure et peut tout pousser à l’extrême.

Mademoiselle, je vous remercie bien. Je n’avais à tracer de vous qu’une silhouette et je pense que c’est fait. Quant à ce qui est de faire un portrait tout du long, cela demanderait du temps et le vôtre est si précieux qu’il me faudrait assumer de tels motifs, en vérité, que j’y vais réfléchir considérablement.