Œuvres posthumes (Verlaine)/Souvenirs/Enfance chrétienne

Œuvres posthumesMesseinPremier volume (p. 209-213).

ENFANCE CHRÉTIENNE


Et tout d’abord salut à la pauvre chapelle de Sainte-Agnès, dans la vieille et bonne et belle ville d’Arras ! Elle fut paroisse après que la Révolution eut démoli la plupart des églises et l’était encore lorsque mes parents s’y marièrent. D’elle date, par conséquent, ce que j’appellerai ma conception mystique et c’est pourquoi je commence par l’honorer en tout respect attendri. Pauvre d’architecture et d’ornement, c’est comme une église de village, en raccourci, crépie à la chaux, garnie de deux ou trois naïfs tableaux et de quelques statuettes sans mérite. De minces voix d’orphelines, depuis qu’elle est redevenue la chapelle d’une congrégation enseignante, y retentissent en fins cantiques, et de frais saluts, aux fêtes, enflamment et fleurissent son humble autel. Je fus baptisé à Metz, où je suis né. Je n’ai gardé aucun souvenir de l’église où cette cérémonie eut lieu, ayant quitté Metz très jeune et j’en ai même oublié le vocable. Mais c’est un de mes plus chers projets, de m’informer, à la première occasion, de tous les détails relatifs à cette phase de ma vie chrétienne, pour pouvoir, qui sait par ces temps-ci ? un jour de confession ou de martyre, répondre à qui de droit, avec l’accent, sinon avec le geste d’un Louis IX, se réclamant du seul baptistère de Poissy : « Paul de Saint un tel ou de telle Notre-Dame. »

Et de Metz ecclésiastique, nulle remembrance que celle, bien vague, de la bizarre cathédrale au bord de l’eau, dont j’ai encore les vitraux très harmonieux dans les yeux, malgré tous les pleurs qu’ils ont versés, malgré toutes les choses étranges, coupables ou non, auxquelles ils ont mêlé depuis leurs regards plutôt ingénus. Et, Metz, deux fois mon pays, par la naissance et par l’espérance, adieu sans doute !

Montpellier, de pompeuses processions sous des draps tendus. J’y apprends mes prières. J’y suis bien sage et plus près du bon Dieu que jamais de ma vie.

J’avais sept ans quand je vins à Paris. Juste l’âge du crapaud des Châtiments, tué au 4 décembre. J’étais, ce jour-là, sur les boulevards, lora du fameux massacre, avec ma mère qui s’y promenait en curieuse, comme tout le monde, et nous n’avons été ni elle ni moi, ni passablement de gens, maisons-allandrousés. Il esl vrai que le Coup d’État ne m’a pas rapporté autant d’argent de copie qu’à M. Auguste Vaquerie, de qui j’admire fort, entre parenthèses, le si amusant Tragaldabas et cette adaptation des plus réussies de Calderon, les Funérailles de l’Honneur, mais qui n’est pas mort du tout percé de balles, sur le perron de Tortoni non plus. Mais me voici bien loin de mon sujet qui est de passer en revue les divers tabernacles, ô mon Dieu, où l’on nous adore en esprit et en vérité, avec lesquels ma vie m’a mis en quelque rapport, — tant ce Paris est profane !

Mon tout premier souvenir parisien, sous le rapport des fréquentations d’églises, est pour l’épouvantable Sainte-Marie des Batignolles et pour la Trinité en bois de la rue de Clichy où j’assiste à des froides ou moites messes basses, concurremment avec la chappelle des catéchismes de la rue de Douai, qui est donc quoi devenue, depuis le temps ? Ma famille me conduit à la première et ma pension un peu plus tard aux deux autres. Guère de dévotion, moi. Je m’ennuie simplement, sans plus rien comprendre à ce qui se passe que la majorité d’ailleurs des assistants, j’ai tout lieu de le craindre. Ah ! des Te Deum pour la fête de l’Empereur dans le chœur de Sainte-Marie, à côté de mon père, capitaine du génie en retraite, convoqué. Des services funèbres de connaissances. Le rite gallican, chantres en chapes, arpentant le chœur de haut en bas, un serpent. Les barrettes n’allaient-elles pas encore en cône ? Des surplis sans manches, avec des bandes plissées au petit fer voletant derrière. Je remarque que les prêtres portent leurs cheveux longs et très pommadés ou bien alors assez en désordre. Ma première communion faite avec d’affreux gamins, pourtant moins pires que ceux d’à présent que je connais bien aussi, pour des raisons. Menteurs, gourmands, méchants et sensuellement vicieux autant que cet âge poussé au pire, dans son impuissance d’autant plus excitée par la corruption, est susceptible de l’être, mes compagnons à la sainte Table ! Je fus, j’ose le croire, l’un des meilleurs communiants de cette malédifiante fournée de polissons. J’espère, toutefois, que quelques autres ne commirent pas non plus un sacrilège, en ce plus beau jour de notre vie ; le pénitent de Sainte-Hélène n’a jamais dit plus juste. Et je m’accuse, s’il le faut, de venir là déjouer le mauvais rôle dans la parabole, s’évoquant, du Pharisien et du Publicain, Pharisien lilliputien de publicains-mouches. C’est vrai, pour expliquer mes avantages moraux et spirituels de ce moment reculé, que j’étais un enfant aimant et doux, aimant ma mère si merveilleusement vertueuse et bonne, l’aimant à l’adoration, aimant aussi mon père, un homme parfait qui m’aima tant. Peu après, quel mauvais sujet je fis, incroyant et tout pour pendant si longtemps, ô Miséricorde divine qui m’avez enfin puni !