Œuvres littéraires de Napoléon Bonaparte/Lettres de Famille/35

Texte établi par Tancrède MartelAlbert Savine (Tome 1p. 255-258).

XXXV

À SA SŒUR, LA PRINCESSE PAULINE BORGHÈSE, DUCHESSE DE GUASTALLA[1].

Paris, 1er mars 1809.

Ma sœur, étant dans l’intention de porter le duché de Guastalla à plus d’un million cent cinquante mille francs de revenu, j’ai ordonné qu’il y fût joint :

1o des terres du revenu de 300 000 francs prises dans le grand-duché de Berg ;

2o des terres du revenu de 150 000 francs prises dans l’État de l’Ost-Frise ;

3o des terres du revenu de 200 000 francs prises dans le comté de Hanau ;

4o des terres du revenu de 150 000 francs prises en Westphalie.

Ce qui fera une augmentation de 800 000 francs de revenu au duché de Guastalla. Ces 800 000 francs joints aux 200 000 fr. de rente que vous avez sur le grand livre, et aux 180 000 francs provenant soit des biens allodiaux du duché de Guastalla, soit du produit des salines, porteront les revenus du duché à 1 180 000 francs.

Vous jouirez de cette augmentation de revenu à dater du 1er janvier 1809, ce qui vous mettra à même de maintenir votre rang, et de laisser au prince Borghèse ses autres revenus. Mais j’ai en même temps ordonné que les 480 000 francs dont vous jouissez sur ma cassette fussent réduits à 150 000 fr. Je désire qu’au moyen de cette disposition, la maison de Neuilly entre dans la dotation du duché de Guastalla. — J’ai chargé M. Estève[2] de vous payer le revenu du grand-duché de Berg à compter du 1er janvier 1808, ce qui vous fera disponible une somme de 150 000 fr. Ainsi cela vous assurera pour l’année 1809 un revenu de treize cent mille francs pour vous seule.

Le prince Borghèse jouira alors d’un revenu

de 
150 000  fr.  de Lucedio,
de 
75 000   sur les salines,
de 
300 000   sur le gr.-livre,
et de 
300 000   de sa place.
 
   
Total 
825 000  fr.   
Indépendamment de 275 000   qu’il peut retirer de Rome,
il aura 
1 100 000  fr.  de revenu.


Je désire que vous voyiez dans ces dispositions une preuve de l’affection que je vous porte. Vous pouvez faire venir M. Daru[3] qui vous donnera tous les renseignements dont vous aurez besoin. Votre affectionné frère,

Napoléon
.

  1. Marie-Pauline Bonaparte, seconde sœur de Napoléon, née à Ajaccio le 20 octobre 1780, mariée au général de division Leclerc en 1801 (mort à Saint-Domingue le 2 novembre 1802) ; remariée le 6 novembre 1803 au prince Camille Borghèse ; duchesse et princesse de Guastalla en 1805, elle accompagna Napoléon à l’île d’Elbe en 1814. Stendhal l’a appelée la plus belle femme de son temps ; et Canova, qui lui doit une Léda célèbre, était du même avis. Théodore de Banville, dans un des plus beaux sonnets de son recueil des Princesses, la nomme « le précieux joyau de la famille corse. » Elle fut successivement demandée en mariage par le vice-amiral Truguet et par le brave Junot, alors simple lieutenant, avant d’épouser Leclerc. Le député Fréron l’a courtisée, et l’on a d’elle quelques lettres passionnées qu’elle lui adressa en 1796. (Voyez Bonaparte et son temps, par Th. Iung, tome 3e.) Morte à Florence le 9 juin 1825. Inhumée dans l’église Sainte-Marie-Majeure à Rome.
  2. Le comte Estève, trésorier général de la Couronne.
  3. Pierre Daru, comte de l’Empire, né à Montpellier en 1767, lieutenant d’artillerie en 1784, commissaire des guerres, secrétaire du comte de Périgord (gouverneur du Languedoc), commissaire-ordonnateur en 1792, chef de division au ministère de la guerre en 1796, ordonnateur en chef en 1799, il devint en 1801 secrétaire général du ministère de la guerre. Napoléon le fit intendant général de sa maison et de la Grande Armée en 1804, conseiller d’État, ministre d’État en 1811 et ministre directeur de l’administration de la guerre en 1813. Mort membre de l’Académie française en 1829. Traducteur et historien.