Œuvres de Vadé/L’âne et son maître

Garnier (p. 130-132).

IV

L’ÂNE ET SON MAÎTRE.

L’âne et son maître ! A-t-on jamais parlé
Avec aussi peu d’art ? Ce titre-là m’assomme.
Pour moi, dans mon intitulé
J’aurais mis la bête après l’homme.
Vous l’auriez fait ? Moi, je ne le fais pas.
Pour s’exprimer chacun a sa manière ;
Mais à quoi bon cet altercas ?
Cette fois n’est pas la première.
Où l’âne sur l’homme a le pas.
Dieu veuille, hélas ! qu’elle soit la dernière.

Sur son grisou maître George monté,
Cheminait un jour à son aise.

Il eût encore mieux été
Dans bon carosse ou bonne chaise ;
Mais par faute de ce moyen
Il s’en tenait à sa monture,
Qui, tranquille dans son allure,
Sans aller vite, allait fort bien ;
En chemin il prend un caprice
À maître George. Eh ! quoi, dit-il !
Ce baudet-ci ne prend point d’exercice.
Toujours le pas ! tandis que j’en vois mil
Trotter, fringuer, galoper même.
Qui l’empêche d’en faire autant ?
De l’y forcer ne suis-je pas à même ?
— Allons, drôle, vite, à l’instant
Que l’on galope… — Ah ! lui répond la bête,
Mon maître ; vous exigez trop,
Je vous jure, foi d’âne honnête,
De vous culebuter si je vais le galop.
Moi, galoper ! je n’en suis point capable,
Je sais marcher, vous porter, c’est assez,
Et vous êtes trop raisonnable
Pour attendre de moi des services forcés. »
À cette juste remontrance
George en courroux pique des deux.
Fouet de claquer, de pincer encor mieux.
Ainsi pressé messer Baudet s’élance.
Double le trot, ta ta ta, ta ta ta !
La poudre vole. À trente pas de là
On eût vu la bête de somme
Se reposant, les quatre fers en l’air,
Montée à son tour sur notre homme.

Qui de poussière et de honte couvert,
Le releva, non sans dommage :
Lors rendu sage à ses dépens
Il conclut qu’en fait de talens,
De loi, de coutume et d’usage,
Il ne faut point forcer les gens.