Œuvres de Saint-Amant/Que dira-t-on de moy si je ne dis rien d’elle ?


Œuvres complètes de Saint-Amant, Texte établi par Charles-Louis LivetP. JannetTome 1 (p. 262-266).

ÉLÉGIE.


Que dira-t-on de moy si je ne dis rien d’elle ?
Si mes yeux ayant veu cet unique modelle
Des plus majestueux et plus brillans appas
Mon cœur lâche et muet ne le temoigne pas ?
Bien, j’en parleray donc ; mais, ô dieux ! qu’en diray-je ?
Car de luy faire un teint qui surpasse la neige
Quand elle vient couvrir les monts de sa blancheur,
D’y mesler mainte rose en sa pure fraischeur,
De luy parer le front de deux estoiles vives,
D’honorer ses cheveux de mille ames captives,
De former d’un rubis la porte de sa vois,
De chanter que d’un pin qui regne dans les bois
Nature luy donna la beauté de la taille ;
Bref, sur un tel sujet ne dire rien qui vaille,
Et dire cependant ce qu’on peut de subtil.
Si ce n’est mesme chose, helas ! que s’en faut-il ?
Parlons donc, pour le moins, de l’ardeur agréable,
Du tourment amoureux, du plaisir incroyable
Que j’eus à son abord, bien qu’à peine un moment
Me laissa possesseur de ce contentement ;
Mais ce que j’entreprens est-il moins dificile ?
Le feu perpétuel qui flambe en la Sicile
Est-il plus violent quand il va jusqu’aux cieux
Que celuy que l’amour m’a versé par les yeux ?
Et parmy tout cela, dans ces divines plaines

Où les heureux esprits sont payez de leurs peines,
Treuve-t’on rien d’esgal au bien que j’ay gousté
Devant ce bel objet dont je suis enchanté ?
Trois ans s’estoient coulez depuis que ma franchise,
Après avoir rompu les chaisnes de Belise
Et fait sauver mon cœur esclave en sa prison,
Avoit remis mes sens au train de la raison ;
Je m’en glorifiois mesme avec insolence,
Quand cet archer ailé, de qui la vigilance
Est tousjours en embusche afin de r’atraper
Ceux qui de ses liens se pensent eschaper,
Me tendant un filet, s’en vint à l’impourveue
Jetter sur moy la main au detour d’une rue,
Où plein d’estonnement je me vis arresté,
Où ravy j’adoray cette illustre beauté,
Qui comme une autre Flore apparoissant couverte
Des tresors du printemps et d’une robe verte,
Et se monstrant debout sur le pas de son huis,
Me combla pour jamais de mille doux ennuis.
Ô destin ! m’escriay-je en voyant ces merveilles,
Ce precieux amas de graces nompareilles,
En quel piege mortel, à force d’estre beau,
M’as-tu conduit icy pour choir dans le tombeau !
Je n’eus pas le loisir d’achever cette plainte,
Que, me laissant navré d’une profonde atteinte,
Elle se retira plus viste qu’un esclair
Qui nous vient esblouir et qui se pert en l’air ;
Et combien que ce fut par une semble allée
Qu’elle prit son chemin ou plustost sa vollée,
Le glorieux esclat de ses divins attraits
Illumine le lieu long-temps encore après.
Mais, une obscurité s’emparant de mon ame,
Malgré cette lumiere et celle de ma flame,
Aussitost me frapa d’un tel aveuglement
Et mit un tel desordre en mon entendement

Par le cruel effet d’une si pronte absence,
Dont le coup m’outrageoit avec tant de licence,
Que je fus plus d’une heure avant que de sçavoir
Ce que j’avois à faire en ce nouveau devoir.
Tantost je m’ingerois, j’entens de la pensée,
De courir après elle, et, la teste baissée,
M’en aller dans sa chambre à ses beaux yeux m’offrir ;
Mais mon sage respect ne le pouvoit souffrir ;
Tantost je portois l’œil en haut à sa fenestre
Pour voir si, comme un jour qui ne fait que de naistre,
Au travers de la vitre opposée à mon bien,
De cet astre caché je n’appercevrois rien ;
Et, me voyant frustré de cette chere attente,
Le sein enfle de dueil, la face mal contente,
Après avoir enfin remarqué la maison
Où gist de ma douleur la seule guerison,
Après m’estre informé, d’une voix curieuse,
Du beau nom et du rang de ma victorieuse.
Afin d’en concevoir ma perte ou mon salut,
Je me laissay porter où mon destin voulut.
En ce resveur estat je fay toute la ville,
Heurtant l’un, choquant l’autre, et d’une ame incivile,
Sans saluer amy, dame, ny cordon bleu,
Sur l’eau, pour quelque temps, je promene mon feu.
Les passans du Pont-Neuf, considerans ma mine,
Dans l’estourdissement qui sur mes sens domine,
Pensent que je sois yvre, et, me montrans au doigt,
Jugent du plus caché par ce que l’on en voit.
Las ! je l’estois aussi, mais qu’aucun ne m’en blâme :
Je l’estois d’avoir beu d’un breuvage de flame
Qui se prend par les yeux et qui va droit au cœur,
Où l’amour l’introduit en guise de liqueur.
Delà, favorisé de mon heureux genie,
Qui m’assista toujours durant cette manie,
Au coucher de Phebus je fus tout estonné

Que je revy l’aspect du pourprix fortuné
Où comme en son Olimpe habite ma déesse.
Je m’arreste aussitost ; humble, je le carresse,
Puis à maint long soupir ayant lasché le cours,
Je luy tiens à part moy cet aymable discours :
Gentil effect de l’art, pompeuse architecture,
Qui receles en toy l’honneur de la nature,
Beau rocher où se voit le plus beau diamant
Que jamais le soleil ait fait en s’animant,
Céleste tabernacle, amoureux domicile,
Ton glorieux accez me sera-t’il facile ?
Et sans que mon espoir ait trop de vanité,
Puis-je croire qu’un jour cette divinité,
Qui fait dans ton enclos sa belle résidence,
Souffre enfin que ma bouche y mette en évidence,
Devant son clair autel, la violente ardeur
Dont ma foy se dispose à servir sa grandeur ?
Mes vœux atteindront-ils au bonheur de luy plaire ?
Oseray-je prétendre à quelque doux salaire,
Que je borne au souhait de sa compassion,
Quand elle connoistra ma pure affection,
Parmy les mouvemens que dans nos cœurs excite
L’impetueux effort d’un penser illicite,
Et parmy les ennuis qui me sont préparez,
Outre les maux presens et les maux endurez !
Ouy, les maux endurez : je les veux mettre en conte,
Car combien que leur terme à peu de chose monte,
Ils m’ont semblé dejà si longs et si cuisans,
Qu’ils me font reputer les heures pour des ans.
Au bout de ces propos, enfans d’un beau martire,
Devers l’hôtel de Rets à pas forcez je tire,
Et, trouvant mon cher duc, mon maistre sans pareil,
Qui fait à son plaisir mon sort pasle ou vermeil,
Je luy dis à l’écart le tourment qui m’oppresse,
Et comme il semble à voir que par une maistresse

Le doux tiran des cœurs luy vueille disputer
Le sceptre de mon ame, et sur luy l’emporter.
Mais, le courtois qu’il est, tant s’en faut qu’il s’en fasche :
Il dit qu’il en est aise, et que sa main le lasche
Avec condition que, regnans à moitié,
Elle aura mon amour et luy mon amitié.