Œuvres de Saint-Amant/Ode à LL. SS. MM. de la Grand’-Bretagne


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ODE

À Leurs Serenissimes Majestez de la Grand’Bretagne.



Dieux ! en quel aymable sejour,
En quel lieu de gloire et d’amour
M’ont conduit Zephire et Neptune !
Suis-je en ce doux climat des astres adoré,
Où, bien loin de toute infortune,
Les cieux font refleurir le beau siecle doré !

Ce plaisant fleuve, que je voy
Se couler si bien après soy,
Fend-il les champs de l’Angleterre ?
Pressay-je ce terroir aux herbages espais
Qui voit toute l’Europe en guerre
Cependant qu’il jouit d’une eternelle pais ?

Ouy, c’est ce païs bien-heureux
Qu’avec des regards amoureux
Le reste du monde contemple ;
C’est cette isle fameuse où tant d’avanturiers
Et tant de beautez sans exemple
Joignirent autresfois les myrthes aux lauriers.

Icy, predisaut maint destin
Un homme engendré d’un lutin[1]
Sema de merveilleux oracles
Icy fut esprouvé l’arc des loyaux amans ;

Bref, c’est la source des miracles
Dont se sont enrichis les plus nobles romans.

Mais ny ce parfait Amadis,
Supreme honneur du temps jadis,
Ny cette admirable Oriane,
Ne pourroient aujourd’huy faire comparaison,
Sans une vanité profane,
Avec ce couple sainct qui regne en leur maison.

Le soleil n’a rien veu de tel ;
Il n’est point de sage mortel
Qui ne le revere en son ame,
Et qui n’avoue aussi que le vainqueur des dieux
N’embrasa jamais de sa flame
Deux plus dignes objets ni plus cheris des dieux.

Pour moy, faisant reflexion
Sur la fidelle passion
Où leur chaste cœur s’abandonne,
Et voyant tant de gloire en leurs feux esclater,
Je croy que leur triple couronne
Vaut moins que celle-la qu’Amour leur fait porter.

Ô roy qui marches sans esgal,
Ô reyne qu’un nœud conjugal
Sous un si beau sort apparie ;
Prodiges d’amitié, de vertus et d’appas !
Grand Charles, divine Marie.
Qu’on seroit criminel de ne vous louer pas !

Certes, tout le temoigne bien,
Puis qu’en la nature il n’est rien
Qui ne celebre vos merites,
Que le plus insensible en a du sentiment
Et que vos graces sont escrites
En vives lettres d’or au front du firmament.

Cet arbre qui par un bon-heur
À Hotland parfois à l’honneur
De vous fournir de siege et d’ombre,
Meu d’un certain esprit qui, le faisant branler,
Esgayoit son fueillage sombre,
Tout ravy, l’autre jour me sembloit en parler.

C’estoit sur le poinct que la nuit,
Poursuivant l’astre qu’elle fuit,
Recommence à tendre ses voiles,
Et que les vers luisans, vrais flambeaux des guerets,
Brillant à l’envy des estoiles,
Esclairent aux fourmis à derober Cerès.

J’estois sorty seul pour resver,
Taschant à part moy d’eslever
Quelque ouvrage à vostre louange,
Quand sous cet arbre heureux, où mes pas s’adressoient,
Touché d’une douceur estrange,
Je vy paroistre en rond des vierges qui dançoient.

À leur riche habit degoutant
Je les jugeay tout à l’instant
Pour les nymphes de la Tamise,
Qui, pour voir cette place où vous aviez esté,
Sous une licence permise,
Dans son lit de roseaux leur pere avoient quitté.

Saisy de crainte et de respect
À l’abord d’un si grave aspect,
Je devins comme une statue ;
Mais enfin mon desir, puissant et curieux,
Gagnant mon ame combatue,
Sur ma timidité resta victorieux.

Lors, m’aprochant de ces beautez,
Ou plustost de ces deitez,

Je fus tout yeux et tout oreilles ;
J’admiray leur maintien, leur taille et leur façon ;
Mais dessus toutes ces merveilles,
Je demeuray charmé d’entendre leur chançon.

Et combien que mon souvenir
En ait sceu fort peu retenir,
Tant s’en faut qu’il la sçache entiere,
Je sçay bien toutefois que vos sainctes amours
En estoient l’illustre matiere,
Et que vous seulement en formiez le discours.

Je sçay bien qu’on n’ouyt jamais
Sur la montagne à deux sommets
Des paroles mieux ordonnées,
Et que jamais son prince, en qui loge le soing
De vanter les grands hymenées,
Pour un plus doux concert ne mit l’archet au poing.

Tantost, publiant les vertus
Dont vos esprits sont revestus,
Elles faisoient crever l’envie ;
Tantost elles chantoient les plaisirs innocens
Que vous goustez en cette vie,
Et tantost vos ardeurs brilloient en leurs accens.

Là, s’estendant sur vos attraits,
Elles animoient deux portraits
À qui tout œil doit rendre hommage :
L’auguste front de l’un representoit un dieu,
Et l’autre estoit la vraye image
De la majesté mesme assise en un beau lieu.

De quel air estoit là depeint
Le vif esclat de vostre teint,
Princesse d’immortelle race !
Que n’y disoit-on point de vos yeux nompareils,

Et de voir comme en vostre face
La neige se conserve auprez de deux soleils !

Mais en quel sublime degré
Leur voix louoit-elle à mon gré
La vostre, où tant de grace abonde,
La vostre dont le son a des charmes si dous,
Que nul que l’echo seul au monde
Ne s’oseroit offrir de chanter après vous !

Bref, de tant de rares tresors
Qui font vostre ame et vostre corps,
Qu’oublierent-elles à dire ?
Encore que ma plume avecque verité,
Dans ces vers pourroit faire lire
Que vous en possedez plus d’une infinité.

Tous les rossignols d’alentour,
Qu’on oit se plaindre et nuit et jour
D’une lascive tirannie,
Coupans l’air de leur aile aux mouvemens soudains,
Pour jouir de cette harmonie,
Se venoient là percher sur les testes des dains.

Ce demon tranquille et secret.
Qui cheminant d’un pas discret
Assoupit toute violence,
De leurs divins accors estoit si bien seduit
Qu’il faisoit voir que le silence
Peut en quelque façon estre amoureux du bruit.

Mainte estoile, tombant des cieux
Et disparoissant de mes yeux
Comme une chose evanouye,
Sembloit descendre en terre avecque le dessein
D’y changer sa veue en ouye
Pour ecouter la voix qui parlait de leur sein.

Les cygales et les grillons,
Traversant en paix les sillons,
Près d’elles taschoient à se rendre.
Et les plus rudes vents, de merveille comblez.
Dans le plaisir de les entendre,
Souffloient moins qu’il ne faut pour agiter les blez.

Cependant, ô roy sans esgal !
Ô reyne qu’un nœud conjugal
Sous un si beau sort apparie !
Tout ce qui venoit là de l’aube ou du couchant
Tesmoignoit que, sans flaterie,
C’estoit pour le discours plustost que pour le chant.

C’estoit pour complaire au desir
D’ouir reciter à loisir
Vos perfections admirables,
Apprenant qu’en l’estat qui vous fait reverer
On vous diroit incomparables,
N’estoit que l’un à l’autre on vous peut comparer.

Ô clair ornement de nos jours !
Couple sacré, le vray recours
De toutes les vertus ensemble,
Vueille l’esprit fatal qui regit les humains
D’un sceptre sous qui l’enfer tremble,
Laisser cent ans le vostre en vos royales mains !

Vueille continuer le ciel
À vous faire gouster le miel
Des heureux presens de Lucine !
Et puissent ces doux fruits de vos affections
Monstrer comme de leur racine
ll ne peut provenir que d’illustres scions.

  1. L’enchanteur Merlin.