Œuvres de Saint-Amant/Le Palais de la Volupté

LE PALAIS DE LA VOLUPTÉ[1]

Sur une maison de plaisance que Monseigneur le Duc de Rets a fait bastir dans la forest de Prinçay[2].


Icy la mesme symmettrie
A mis toute son industrie
Pour faire en ce bois escarté
Le palais de la Volupté.
Jamais le vague dieu de l’onde,
Ny celuy des clartez du monde,
N’entreprirent rien de plus beau,
Quand, sans trident et sans flambeau,
D’une volonté mutuelle,
Ils mirent en main la truelle,
Et sous des habits de maçons,
Employerent en cent façons
Tous les beaux traits que la nature
Admire dans l’architecture,
Pour loger ce prince troyen
Qui depuis les paya de rien.

Arriere ces masses énormes
Où s’entre confondent les formes,
Où l’ordre n’est point observé,
Où l’on ne roit rien d’achevé ;
Il n’en est point icy de mesme ;
Tout y suit la raison supresme,
Et le dessein en chasque part
S’y rapporte aux règles de l’art.
L’invention en est nouvelle.
Et ne vient que d’une cervelle
Qui fût tout avec tant de poids,
Et prend de tout si bien le chois
Qu’elle met en claire évidence,
Que sa grandeur et sa prudence
Sont aussi dignes, sans mentir,
De régner comme debastir.
Cet esprit que ma muse adore,
Qui de son amitié m’honore
Et que j’estime comme un Dieu,
A fait ce palais en ce lieu,
Où fréquente la solitude,
Tant pour la chasse et pour l’estude.
Que pour tous tes autres plaisirs
Qui s’accordent à ses désirs,
La salle grande et somptueuse
Autant qu’elle est majestueuse,
Se dedie au roy des forests.
Au bon Pan, qui dans un marests
Vit sa maistresse en vain aimée
En fresles roseaux transformée ;
De quoy pour chanter son tourment
Il fit à l’heure un instrument
Qui ne dit mot quand on le toucha
Si l’on ne le porte à la bouche,
Essayant ainsi d’appaiser

Son ardeur par quelque baiser.
Là dedans encore on revête,
Diane au front doux et sévère,
Non pas pour cette chasteté
Dont son humeur fait vanité,
Quoy qu’avec Hypolite on croye
Qu’elle s’en donnoit à cœur joje,
Mais parce qu’elle ayme d’amour
À chasser en ce beau séjour.
Ceux de qui lame et les oreilles
Trouvent des douceurs coni pareilles
Aux plaisans et confus accors
Que font ensemble et chiens et cors
Entremeslez de voix humaines,
Quand, par les bois ou par les plaines,
Ou par les monts ou par les vaux.
Et les hommes et les chevaux
Poursuivent cerf, chevreuil ou lièvre
À qui la peur donne la fièvre,
Ceux, dis-je, qui ne craignent point
Le plaisir à la peine joint,
Tel qu’il l’est en cet exercice
Qu’on nomme un aymable caprice,
Y sont bien venus en tout temps.
Et n’en partent point mal-contens.
Le demon des tours de finesse,
Qui dès sa plus simple jeunesse
Attrappa jadis tous les dieux,
Et sur la terre et dans les deux ;
L’inventeur du jeu de la chance,
Où les trois dez, menans la dance,
Taschent, au sortir d’un cornet,
À vous mettre une bource au net ;
Le patron des maquerellages,
Le suborneur des pucellages,

Le chef des illustres menteurs,
C’est à dire des orateurs,
Dont souvent la soûle éloquence
Rend les sujets de conséquence ;
Mercure, dis-je, aux doux propos,
Aux yeux perçans, au corps dispos,
Qui par une routte inconnue
Vole à son gré dessus la nue,
Ailé comme un esmerillon,
Préside au premier pavillon.
En cet endroit, sans tromperie,
Et sur tout sans criaillerie,
Peuvent s’esbattre nuict et jour,
Gagnans et perdans tour à tour
Sous le bon plaisir de fortune,
À l’un douce, à l’autre importune,
Ceux qui pensent que Paradis,
C’est ramener quinze sur dis.
Le second, c’est où l’on conserve
L’auguste portrait de Minerve,
De cette sage deïté,
Qui, gardant sa virginité,
Est cependant mère Féconde
De divers enfans mis au monde,
Les uns par les habilles mains
Des plus industrieux humains.
Les autres en la mesme guise
Que l’on chante qu’elle y fut mise,
Lorsque son père en accoucha
Par le cerveau, qu’on luy trencha ;
Ce sont les arts et les sciences,
Que, malgré nos impatiences,
Autrefois elle nous apprit,
Tant du corps comme de l’esprit.
Là ceux qui pensent ne point vivre

S’ils n’ont le nez dans quelque livre,
Messieurs les doctes seulement,
Se trouvent en leur élément.
Au troisiesme, on voit en sa gloire
Celuy qui se plaist tant à boire,
Ce dieu de pampre couronné
Qui s’enyvra dès qu’il fut né ;
Ce fameux prince des crevailles,
Ce guerrier de qui les batailles
Se donnent en plein cabaret
Sous un drappeau blanc et clairet,
Ce bon Denis[3], à qui ma muse
Aucun éloge ne refuse,
Ny jamais n’en refusera
Tant que sa verve durera.
Là, tous les honnestes yvrongnes,
Aux cœurs sans fard, aux nobles trongnes.
Tous les gosiers voluptueux,
Tous les desbauchez vertueux,
Qui parmy leurs propos de table
Joignent l’utile au délectable,
Sont receus et traitiez aussi
Comme des enfans sans soucy.
Et pour le dernier où se trouvent
Mille tableaux qui nous esmeuvent
À faire ce crime innocent
À quoy la nature consent,
C’est à la cause des pensées
D’où naissent toutes les ar***[4].
C’est à celle qui sur les flots,
Le divin germe estant esclos,
Vogua dans un berceau de nacre,

C’est à Venus qu’il se consacra,
À Venus, qui s’apprit deslors
Dans la mer au bransle du corps,
Qu’elle exerça depuis sur terre,
Menant une si rude guerre
Aux plus vigoureux bra***,
Que jusques à celuy de Mars,
Il luy falut rendre les armes,
Et recourir cent fois aux larmes
Pour quelque treve en obtenir,
Puis qu’il ne pouvoit la finir.
Là, ceux que Priape convie
Au plus cher plaisir de la vie,
Où l’on espreuve un doux trespas,
Encore qu’on ne meure pas,
Trouvent, sans prendre cette peine
Qui souvent en amour est vaine,
Dequoy saouler leurs appétits,
Autant les grands que les petits.
— Que ces empaleurs de Gomorre,
Ces bon*** que mon cœur abhorre.
Ces infâmes pescheurs d’est***.
Ces soldats lasches et poltrons,
Qui, denuez de toute audace,
N’osent assaillir qu’une place
Qui, sans tour et sans parapet,
Ne se deffend qu’à coups de pet ;
Que ces tentes extravagantes,
Ces fous aux humeurs arrogantes,
Qui sans révérence des Dieux
Se plaisent a morguer les doux,
Pestans avec mille blasphèmes
Contre tout, voire contr’eux mesmes
Seulement pour estre compris

Au nombre de nos forts esprits ;
Que ces misérables avares
À leur endroit mesme barbares,
Qui bien moins hommes qu’animaux
Se donnent tous les jours les maux
Que dans les biens dont ils se privent
Ils craignent qui ne leur arrivent,
Et se laissent mourir de faim
De peur de n’avoir plus de pain ;
Que ces mines de secrétaires,
Ces graves discoureurs d’affaires,
Qui, sans adveu du potentat,
Trenchent des ministres d’estat ;
Que ces vieilles rattes-pourries,
Ces âmes qui ne sont nourries
Que d’un chagrin contredisant
À tout ce qu’on fait de plaisant ;
Que les ennemis des sciences,
Que les perfides consciences,
Que les yvrongnes querelleux,
Ny les ignorans scrupuleux,
Ne viennent point, pour nos supplices
Troubler en ce lieu les délices
Que l’on y gouste tous les jours ;
Bref, pour accomplir ce discours,
Que le petit noble rustique
Avec son habit à l’antique,
Son corps mal fait, son sot maintien,
Et son ridicule entretien,
Ne se présente en nulle sorte
À cette vénérable porte,
Qu’il ferait sauter hors des gonds,
S’il ne veut que par mille bonds
On luy fasse dans une berne

Dancer la volte à la moderne,
Ou que, pour avoir trop vescu,
Cent coups d’espingle dans le cu
Luy soyent octroyez par des pages
Plus mes chants que des chats sauvages,
Ou qu’en fin les plus torts valets
Aillent luy donner le relais.

  1. On trouve beaucoup de ces descriptions allégoriques dans les auteurs du temps. Tristan a décrit la maisons d’Astrée ou le palais des Amours. On a du P. Lemoine le Palais de la Fortune, le Palais des Fleurs de lys, le Palais du Sommeil, etc. ; de Habert, le Temple de la Mort, etc.
  2. À quelques lieues de Nantes ; il en reste encore quelques débris.
  3. Denis, Διονυςος, nom grec de Bacchus.
  4. Arsées.