Œuvres de Saint-Amant/La Pluye

Œuvres complètes de Saint-Amant, Texte établi par Charles-Louis LivetP. JannetTome 1 (p. 92-94).
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LA PLUYE.

À Monsieur Deslandes-Payen[1], conseiller en la cour de Parlement de Paris.


Enfin, la haute Providence
Qui gouverne à son gré le temps,
Travaillant à nostre abondance,
Rendra les laboureurs contens.
Sus, que tout le monde s’enfuye !
Je voy de loing venir la pluye,
Le ciel est noir de bout en bout,
Et ses influences benignes
Vont tant verser d’eau sur les vignes,
Que nous n’en boirons point du tout.

L’ardeur grilloit toutes les herbes,
Et tel les voyoit consumer

Qui n’eust pas creu tirer des gerbes
Assez de grain pour en semer ;
Bref, la terre en cette contrée,
D’une beante soif outrée,
N’avoit souffert rien de pareil
Depuis qu’une audace trop vaine
Porta le beau fils de Climene
Sur le brillant char du Soleil.

Mais les dieux, mettant bas les armes
Que leur font prendre nos pechez,
Veulent temoigner par des larmes
Que les nostres les ont touchez.
Déjà l’humide Iris estale
Son beau demy-cercle d’opale
Dedans le vague champ de l’air,
Et, pressant mainte epaisse nue,
Fait obscurcir à sa venue
Le temps qui se monstroit si clair.

Ces pauvres sources epuisées
Qui ne couloient plus qu’en langueur,
En tressaillent comme fusées
D’une incomparable vigueur ;
Je pense, à les voir si hautaines,
Que les eaux de mille fontaines
Ont ramassé dedans ces lieux
Ce qui leur restoit de puissance,
Pour aller, par reconnoissance,
Au devant de celles des cieux.

Payen, sauvons-nous dans ta sale,
Voilà le nuage crevé.
Ô comme à grands flots il devale !
Déjà tout en est abbreuvé.
Mon Dieu ! quel plaisir incroyable !
Que l’eau fait un bruit agreable,

Tombant sur ces fueillages verds !
Et que je charmerois l’oreille,
Si cette douceur nompareille
Se pouvoit trouver en mes vers !

Çà ! que l’on m’apporte une coupe,
Du vin frais : il en est saison.
Puis que Cerès boit à la troupe,
Il faut bien luy faire raison ;
Mais non pas avec ce breuvage
De qui le goust fade et sauvage
Ne sçauroit plaire qu’aux sablons
Ou qu’à quelque jeune pucelle
Qui ne bust que de l’eau comme elle,
Afin d’avoir les cheveux blons.

Regarde à l’abry de ces saules
Un pelerin qui se tapit :
Le degoust perce ses espaules,
Mais il n’en a point de dépit.
Contemple un peu dans cette allée
Thibaut, à la mine haslée,
Marcher froidement par compas :
Le bonhomme sent telle joye,
Qu’encore que cette eau le noye,
Si ne s’en ostera-t-il pas.

Voy de là dans cette campagne
Ces vignerons, tous transportez,
Sauter comme genets d’Espagne,
Se demenans de tous costez ;
Entens d’icy tes domestiques
Entrecouper leurs chants rustiques
D’un frequent battement de mains ;
Tous les cœurs s’en espanouissent,
Et les bestes s’en resjouyssent
Aussi bien comme les humains.


  1. Pierre Payen-Deslandes fut le 49e prieur de la Charité, dans le Nivernois. Il succéda, juillet 1646, au cardinal de Lyon, frère de Richelieu. Il mourut en 1664, après avoir resigné en faveur de Jacques Martineau d’Hornoir. Payen-Deslandes étoit doyen des conseillers de la grand’chambre du parlement de Paris. — Dans la Fronde, il proposa (7 février 1651) de défendre aux cardinaux l’administration des affaires, et sa proposition fut suivie de l’arrêt qui proscrivoit Mazarin et les siens. Le 27 avril, il osoit seul accepter au parlement la protestation de la princesse de Condé contre la détention des princes. (V. Œuvres de Maître Adam, éditées par M. Ferd. Wagnier.) — Scarron (Œuvres, Paris, 1700, p. 149) adresse une longue épître et de grands éloges à M. Deslandes-Payen.