Œuvres de Saint-Amant/Epistre heroi-comique à M le duc d’Orléans

EPISTRE HEROI-COMIQUE

À Monseigneur le Duc d’Orléans, lors que Son Altesse estoit au siege de Gravelines.


Tandis, Gaston, qu’un beau desir de gloire
Te porte aux coups, t’anime et te fait boire,
Chaud comme braize et parmi cent perils
D’un noir breuvage enclos dans des barils
Non de merrain, mais d’un metal qui tonne,
Qui fume, esclaire, siffle, crache et donne
Au plus hardy quelque atteinte d’effroy,
S’il n’a le cœur aussi ferme que toy ;
Tandis qu’armé tu fais reduire en cendres
Le dur pourpoint des bastions de Flandres,
Et que tu vois secouer le jarret
À maint soudart comme à quelque gorret,
Qui crie au meurtre et se demeine en diable,
Quand le tranchant d’un fer impitoyable
Le sacrifie à l’honneur d’un festin,
Et pour la gueule esgorge son destin ;
Bref, cependant que de ta large bource
Tu fais couler ainsi que d’une source
Un long ruisseau de qui les flots dorez
Charment la soif des drilles alterez,
Ton gros Virgile, ayant au poing le verre,
Fait mille vœux au demon de la guerre
Pour ton salut et ta prosperité,
Et jour et nuict s’empifre à ta santé.
Ha ! royal Duc, si sur tes riches armes
Quelqu’autre Alcine experte aux plus grand charmes,

Avoit redit des mots assez puissans
Pour te sauver des boulets mugissans ;
Si par sa main ton corps à toute espreuve
Avoit esté plongé dans quelque fleuve
Qui l’eust pu rendre invulnerable aux coups,
Que mon sommeil en seroit bien plus doux !
Mais la terreur de quelque aigre nouvelle
Tousjours m’agite et me tient en cervelle,
Et la Gazette, aux ailes de papier,
Jamais ne vole autour de mon clapier,
Qu’en la voyant je ne me la figure
Un triste oiseau de mal-heureuse augure,
Qu’un chant fatal je ne craigne d’ouir,
Et ne me trouble au lieu de m’esjouir.
Vrayement, Achille et toute la cohorte
Des vieux guerriers fabriquez de la sorte
Bien à leur aise entroient dans les estours,
Ou d’une place alloient morguer les tours ;
Vrayment Cesar, Alexandre et Pompée,
Qui se faisoient tout blanc de leur espée
Dans les assauts, pour un rempart esmus,
En ce temps-cy se verroient bien camus.
Je voudrois bien que devant Gravelines,
Avec leurs traits, leur dars, leurs javelines,
Ces beaux messieurs, en leur peau retournez,
Comme nos preux vinssent montrer le nez.
Que diroient-ils en oyant cette foudre,
De qui l’effort met les villes en poudre ?
Sauf ton respect, GASTON, je ne croy pas
Que leur valeur, branchant à chaque pas,
N’en fist glisser quelque secrete haleine
Qui d’un vil trou jaunist l’obscure laine,
Ou que du moins un pasle estonnement
Dessus leur front n’apparust laschement.
Quand je relis ce long et fameux siege

Où le faux Grec prit le Troyen au piege ;
Quand a mes yeux Tyr vient à repaser,
Où tant d’engins l’assaillant fit dresser ;
Quand Alexie[1] on me rameine en livre,
Et tant d’exploits que la plume a fait vivre,
Il m’est advis qu’au prix de nos combats
Je ne voy rien que joustes et qu’esbats,
Que jeux d’enfans, chocqs de marionnettes
Qui chantent clair leurs petites somettes ;
Que l’on me berse, ou qu’après maint rebus
On m’estourdit d’un conte de bibus.
Tous ces beliers, ces bruyans catapultes,
Dont les creneaux redoutoient les insultes.
N’estoient que fleurs mis en comparaison
Des fruits mortels de cette aspre saison.
Les abricots, les grenades, les prunes,
Que maintenant autour des demy-lunes
On sert à Mars, sur sa table de fer,
En des bassins apportez de l’enfer,
Sont bien d’un goust plus friand à la Parque
Que les morceaux qu’un Vegece remarque
Dans les banquets dont on la regalloit
Lors que la fleche ou le caillou voloit.
En ce temps-là, ces braves que je choque
Estoient un siecle à prendre une bicoque :
Car, en effet, quoy qu’Homere en ait dit,
Ce mur sacré que Priam deffendit,
Cet Ilion, ce grand sujet d’histoire,
Qui par le feu vit esteindre sa gloire,
Onc ne fut digne en son haut appareil
De dechausser le chasteau de Corbeil.
En ce temps-là, dame Mathematique
N’avoit point mis dans le monde en pratique

Les derniers cours de sa dure leçon.
On se rossoit, mais sans trop de façon ;
L’art de tuer estoit bien plus commode :
Chaque mutin en usoit à sa mode,
Et la fureur, qui fait arme de tout,
Prenant tantost des pieux bruslez au bout,
Tantost des fleaux[2], des pierres ou des haches,
Tantost des plats en guise de rondaches,
Selon l’urgence ou le point debatu,
Mettoit au jour sa guerriere vertu.
Mais aujourd’hui la finesse homicide
Fait qu’un pagnotte ose attendre un Alcide,
Qu’il en triomphe, et, d’un rot de mousquet
Le terrassant, l’envoya au bourniquet.
Soit à jamais aux flames condamnée
L’inique main du second Salmonée,
Que l’Allemagne en nos siecles porta,
Et dont l’orgueil le tonnerre imita
Bien mieux que l’autre avec sa poix raisine,
Avec le bruit d’une horrible machine,
D’un char de bronze à deux fois deux chevaux,
Où, se flottant d’inutiles travaux,
Il pretendoit en sa folle arrogance,
En son impie et vaine extravagance,
Jetter ainsi de la poussiere aux yeux
À l’immortel qui tonne dans les cieux.
Ô ! que le monde est une estrange beste !
Que d’arts maudits il tire de sa teste,
Et qu’à son gré le sage en parle bien !
Pour faire l’homme on ne sçait qu’un moyen,
Et l’on en sçait mille pour le defaire,
Tant l’homme mesme est à l’homme contraire,

Tant il s’en veut, et tant l’homme, en un mot,
À son dam propre est un habile sot !
Faloit-il donc qu’un monstre[3] en sa celulle
Nous preparast une telle pilulle !
Ô ciel ! ô dieux ! ne suffisait-il pas
Qu’on eust ouvert le chemin du trespas
Avec l’acier qu’en lames on alonge,
Qu’au sang humain la mort abbreuve et plonge !
Encore un coup, n’estoit-ce pas assez
Que la fureur des hommes insensez
S’armast d’un fer dont par un soin barbare
Nostre coste s’enrichit et se pare,
Sans qu’un demon nous vint à mettre en jeu
L’effet cruel de ces tuyaux à feu !
Par ces outils il n’est point de campagne
Qu’en estrillant ou l’Empire ou I’Espagne,
Quelque heros, quelque preux resolu
N’ait quelque tappe ou ne nous soit tollu[4].
Nous pourrions bien t’en nommer plus de quatre
Que le destin eut très-grand tort d’abatre,
Si dans ces vers il nous estoit permis
D’employer l’encre à pleurer nos amis.
Or, après tout, quelque danger extresme
Que je me forme en ta personne mesme,
Quelque hazard que tu puisses courir
Autour des murs que tu dois conquerir,
Prince, une gloire en beauté sans pareille,
Un vent d’honneur me sifflant à l’oreille,
Flatte ma crainte, et me dit toutesfois
Qu’un heritier du grand Gaston de Fois,
Qu’un digne fils du plus noble monarque

Qui de la France ait gouverné la barque,
Pour luire au monde et se rendre fameux,
Est obligé de chamailler comme eux.
Ensuy-les donc, frotte nos adversaires ;
Ruïne-moy ce grand nid de corsaires,
Ce vain Donquerque, et ne t’arreste pas
Aux simples mets de cet autre repas :
Car ayant pris Gravelines la belle,
Qu’on vante tant et qui fait la rebelle,
Il ne peut estre à ton auguste faim
Qu’un desjeuner de raves et de pain.
Desjà je voy cette ville rendue,
Desjà je tiens la Flandre pour perdue ;
Et les Melos, les Picolominis,
Disent desjà : Ha ! nous voilà honnis !
Tout l’univers ne parle d’autre chose
Que des exploits où ton bras se dispose.
Tes soins, ton cœur, ta generosité,
Ta table, où luit la somptuosité,
Table splendide à tout venant ouverte,
Ton ordre exact, ton œil tousjours alerte,
Ta diligence aux desseins courageux,
À se saisir d’un poste avantageux,
À prendre un fort, à construire une ligne,
À faire tant que pas un ne rechigne
Quand on dit marche, ou qu’il est question
De se loger au haut d’un bastion ;
Tes mœurs enfin, tes fatigues, tes veilles,
Ton doux accueil, et mille autres merveilles
Qu’on sçait de toy, font icy tant de bruit,
Que quand desjà, dans la plus calme nuit,
Tous les canons que l’arsenac t’appreste
Celebreroient ta divine conqueste,
Et de trois pas nous viendroient esblouir,
Au diable l’un qui les pourroit ouir !

Nostre Pont-Neuf, qui pourtant a de l’age,
Et sous qui gronde, au detriment du Tage,
La riche Seine, agreable en son cours,
De tes vertus s’entretient tous les jours ;
Là, son aveugle, à gueule ouverte et torse,
À voix hautaine et de toute sa force,
Se gorgiase à dire des chansons
Où ton bon-heur trotte en mille façons ;
Là, sa moitié, qui n’est pas mieux pourveue
D’habits, d’attraits, de grace ny de veue,
Le secondant, plantée auprès de luy,
Verse au badaut de la joie à plein muy ;
Bref, ce beau couple, en rimant saincte Barbe,
Dit que dans peu tu prendras à la barbe
De l’Espagnol et du brave Sienois
Ce qui t’oblige à porter le harnois.
Le grand portrait de ton auguste pere,
Sçachant par là comme tout te prospere,
Et que son fils est son imitateur,
N’est point lassé d’estre leur auditeur ;
Ains au contraire, à ce qu’on en raconte,
Souventesfois Sa Majesté de fonte[5]
S’en emeut d’aise, en sousrit doucement,
Et semble dire en ce ravissement :

« Voylà, gaston, voylà, ma geniture,
Le noble estat, la superbe posture
Où de long-temps je desirois te voir.
Ce que tu fais s’accorde à ton devoir,
Et bien qu’un sort, bien qu’une noire envie
Ait presque esteint la splendeur de ta vie,
J’ay tousjours creu que tu luirois un jour
Comme un flambeau digne de mon amour.

Mon esperance enfin n’est point trompée ;
Aux hauts projets ton ame est occupée ;
Ton sang bouillonne et ton bras vigoureux
Va foudroyer l’ennemy malheureux.
C’est là, c’est là le degré legitime
Par où l’on monte au faiste de l’estime ;
C’est le chemin qu’autresfois j’ay tenu
Pour parvenir où je suis parvenu.
Les durs combats, d’eternelle memoire,
Qui dans ce lieu font revivre ma gloire ;
Les chefs doutez, l’orgueil que sans mercy
D’un pied vainqueur je foule encor icy,
Et tant d’exploits, tant d’illustres exemples,
Sont à tes yeux des preuves assez amples
De cette belle et claire verité
Que je consacre à ma posterité.
« Ha ! qu’à mon goust un prince de ta taille
À bonne grace au front d’une bataille !
Qu’un fer brillant luy sied bien à la main
Contre l’lbere ou contre le Germain !
Il m’est advis queje m’y trouve encore ;
ll m’est advis que le soleil redore
Mon noble glaive au milieu des dangers,
Et qu’à l’aspect d’un fier gros d’estrangers
Qui m’ose attendre, et qu’à la mort je voue,
Un gay zephire à mes plumes se joue ;
Que mon coursier aux trompettes respont,
Et que la charge on sonne sur ce pont.
« Sus donc avant ! pousse ton entreprise ;
Fay qu’en l’ardeur dont ton ame est esprise
Tout corresponde au rang d’un fils de roy.
Estre à cheval jour et nuit comme moy,
Coucher armé, tenir un si bel ordre
Que les jaloux n’y treuvent rien à mordre,

Gagner les cœurs, secourir les blessez,

Voir par ton soin les bons recompensez,
Prendre conseil, executer toy-mesme,
Avoir recours à l’arbitre supresme,
Et de l’honneur suivre le beau sentier,
En peu de mots, c’est faire son mestier.
« Quand au surplus, puisque le ciel ordonne
Que du beau chef qui porte ma couronne,
Et dont l’esclat est si tendre et si fort,
Ton cœur loyal soit le ferme support,
Sers-luy de pere, embrasse sa deffance,
Ayde si bien à son aymable enfance
Qu’il brille un jour sur les roys les meilleurs,
Comme ses lys font sur les autres fleurs.
Aide à sa mere, à cette auguste reine,
À soustenir la charge souveraine ;
Seconde-la dans ses nobles projets ;
Que ses vertus te soient autant d’objets
À t’enflamer au bien de cet empire ;
Jamais ton ame autre ardeur ne respire,
Jamais soucy, jamais autre dessein
N’entre en ta teste et ne vive en ton sein.
Tu sçais assez ce que peut la concorde,
Sans qu’en ce lieu je touche cette corde ;
Tu sçais assez qu’elle est dans les estats
Le seul bouclier contre les attentats :
Voilà pourquoy je te la recommande.
C’est un sujet digne de ma demande,
Et qui fera que, comblé de bonheur,
Du cher Louis tu maintiendras l’honneur.
Dieu ! qu’il me plaist ! que son front a de grace !
Jamais icy ce bel astre ne passe
Suivy d’un autre admirable en clarté,
Que de douceur je ne sois transporté.

Aux beaux rayons de ses yeux pleins de charmes
Souvent les miens d’aise jettent des larmes ;
Je m’en esbranle, et, tout tel que je suis,
Pour le flatter je fais ce que je puis. »

Ainsi par fois semble en sa grande image
Parler ce prince à qui tout fit hommage,
Et son Bayard, quand il vient à finir,
Semble se mettre en humeur de hanir.
En fin, Gaston, pour reprendre mon theme,
Je te diray que tout Paris, qui t’ayme
Plus qu’un friand un bon melon d’Anjou,
Ou qu’une belle un precieux bijou,
Ne songe plus qu’à trouver quelque voye
De tesmoigner son excessive joye,
Lors qu’un courrier crotté jusques au cu
Fera sçavoir que ton bras a vaincu,
Que tout est pris, que cette demoiselle
Qui maint brave homme a fait mourir pour elle
Est renversée, ouvre enfin les genous,
Bref chantera que la beste est à nous.
Dejà l’on tient l’affaire si certaine
Que l’on ne voit coureur de pretantaine
Piquer mazette, en tourmenter le flanc
D’un esperon yvre et rouge de sang,
Que le bourgeois tout aussi tost ne die,
Heures au poing : Viste, qu’on psalmodie !
Gaston, sans doute, est maistre du rempart,
Et ce nazin vient icy de sa part.
Je le croy mesme, et le terme s’approche,
De brimbaler la venerable cloche
De Nostre-Dame, appellent d’un haut ton
Toute la ville à l’honneur de Gaston.
En ce dessein elle promet merveille :
ll ne sera sourdaut qu’elle n’esveille

Ni pié tortu qui sous son grand batail[6]
N’aille tout droit vers le sacré portail.
Le roy, la reyne et le senat auguste
Rendront pompeux un Te Deum si juste,
Et chaque temple, en son particulier,
Dira le sien d’un plaisir singulier.
Mais entre tous desjà je m’imagine
Ô noble Duc de celeste origine !
Que ton soucy, ta princesse, ton cœur,
Ravie en soy de ton destin vainqueur,
Ayant changé la priere en louange,
Benit le ciel avec une voix d’ange,
Et que desjà, consolant Luxambourg,
Fleur des palais et de nostre fauxbourg,
Elle fait voir dans ce bel edifice
Sa vraye amour par un feu d’artifice,
Qui, bien que rare et montant jusqu’aux cieux,
Ne luira point au prix de ses beaux yeux.
Ton autre bien, la royalle pucelle[7],
Ce cher tresor dont la moindre estincelle
Vaut plus que l’astre au beau front argentin
Qui fait l’honneur du soir et du matin ;
Ta fille, dis-je, en vertus sans seconde,
Comme en attraits incomparable au monde,
Fera briller, ainsi que ta moitié,
Nostre heur, ta gloire et sa vive amitié.
Qui depeindroit combien tes aventures
Leur font souffrir de cruelles tortures ?
Qui pourroit dire avec combien d’ennuits
En ton absence elles passent les nuits ?
Tout les émeut, et ton propre courage

De leurs pensers est le plus rude orage ;
Leur espoir craint et tremble à touts propos,
Et ton travail les prive de repos.
Mais la victoire, et riante et soudaine,
Graces au ciel, les va tirer de peine ;
Desja ta main de la palme jouit,
Et leur tristesse en l’air s’esvanouit.
J’entr’oy d’icy mille belles harangues
Qu’à ton retour les plus disertes langues
Te batiront par toutes les citez
Où pour nous voir tes pas seront portez.
La, d’une trongne honorable et civile,
Maint magistrat, enflé d’un corps de ville
Et revestu comme en un jour pascal,
Mettra ton los en son point vertical ;
L’un te plaira, l’autre te fera rire ;
L’autre, esgaré sur la mer du bien dire,
Et ne sçachant en quel havre surgir,
Te fera mesme et suer et rougir ;
Voire, en chemin tu ne verras hostesse
Se presenter à ta royale altesse,
Qui, bredouillant maint terme saugrenu,
Ne t’en fagotte un compliment cornu ;
Et je ne sache aucun curé champestre
Qui de caquet ne te vueille repaistre,
Ni gros consul, ni petit eschevin,
Qui pour le moins ne t’apporte du vin.
Hé donc ! bons dieux ! lie ! bons dieux ! que sera-ce
Lors que Paris (tousjours en mesme place)
Tu reverra de gloire environné,
Et de lauriers dignement couronné !
Que d’allegresse et de cris agreables !
Que de saints en respect incroyables !
Que de regars ! que d’applaudissemens !
Que de rumeurs et de tremoussemens !

Je ne croy pas que tout Paris ne sorte
Hors de Paris par une seule porte,
Dans le dessein de t’aller recevoir,
De t’honorer, te bénir et te voir.
Je laisse à part les honneurs militaires
Qu’on te rendra comme à toy tributaires ;
Je laisse à part ton triomphe attendu
Et la ferveur de l’accueil qui t’est du ;
Mais je diray qu’en contemplant ta pompe
Quelque ame sage, ou mon esprit se trompe,
Tiendra peut-estre (à ta gloire s’entend)
Ce beau discours que ma plume t’estend :

Si tous les grands, à la vertu dociles,
Sçavoient au vray combien leur sont faciles
Tous les moyens de se faire admirer,
Que d’avantage ils en pourroient tirer !
Il ne leur faut qu’un acte magnanime
Pour s’en promettre une histoire sublime ;
Un brave mot dit avecques chaleur,
Un air, un signe, une ombre de valeur
Jusques au ciel fait resplendir leurs gestes,
Destourne d’eux cent orages funestes,
Et d’un renom vert, florissant et beau,
Pousse leur vie au delà du tombeau ;
En taus endroits, pour peu d’effort qu’ils facent
Des autres feux les clartés ils effacent ;
Pour peu de soin qu’ils ayent de leur devoir,
Pour peu d’honneur qu’ils tesmoignent avoir,
Leur dignité, leur esclat, leur puissance,
Les nobles dons d’une haute naissance,
Leur font en terre aisement acquérir
Les rares biens que l’homme doit cherir.
Ouay ! qu’est-ce-cy ? la morale m’emporte :
De mon sujet il semble que je sorte,

Et mon caprice un peu trop glorieux
Trenche du docte et fait le serieux ?
Achevons donc cette epistre fantasque,
Il en est temps, puisque sans pot ni casque.
Mon œil te voit, au moins l’œil du penser,
Dans Luxembourg un chacun caresser.
Que de plaisirs le soir de ta venue !
Tout l’arsenac en pette et esternue[8],
Et le bourgeois, s’escrimant des ergots,
Enceint de chant les flames de fagots.
De tous costez les masses retentissant,
De tous costez les verres s’engloutissent ;
Gaston resonne, et ce nom entonné
Rend par son ton maint flacon estonné.
Laissons le vin ; dejà comme il me semble,
Au bord de l’eau tout le peuple s’assemble,
Pareil en nombre à ses grains areneux,
Pour voir monter cent dragons lumineux,
Qui, se crevans en paisibles estoiles,
De l’air serain dorent les sombres voiles,
Et test après tombent tranquillement
Sur le liquide ou le sec element,
Ou quelquefois fout leur chutte embrasée
Au beau milieu de la tourbe amusée,
Dont maint badin, qui craint pourtant sa peau,
Rit d’en voir une empaumer un chapeau.
Dans les transports de tant de testes yvres
Je feray tout, je brusleray mes livres,
Ou mes cottrets, pleins d’une gaye ardeur,
Feront en rue esclater ta grandeur !
Et les cayers de mon Moyse mesme,
Qui d’Apollon briguent le diadesme,

Courront fortune et se verront de loin
Si le denier me manque en ce besoin.
De peu de chose aussi bien ils me servent,
Et si mes soins en coffre les conservent
C’est seulement pour plaire à ton desir,
Quand de les voir tu prendras le loisir,
Les entendus n’en font pas peu de conte ;
Ils disent tous qu’enfin c’est une honte
Qu’un tel ouvrage, après un si grand bruit,
Au gros autheur ne rapporte aucun fruit,
Et dès qu’un autre un benefice attrappe,
Pour moy soudain leur despit gronde et jappe,
Leur front s’allume, et qui les en croiroit,
Bien-tost la crosse à mon poin s’offriroit[9].
Je ne dis pas que ma main le merite.
Quoy que par elle ait esté l’œuvre escritte,
Et qu’un vers saint semblerait inferer
Qu’au bien d’eglise on eust droict d’aspirer ;
Mais, ô bon Dieu ! combien en voit-on d’autres
Pourveus de mitre et d’amples patenostres,
Vivre entre nous avec auctorité
Qui l’ont peut-estre aussi peu merité !
À tout le moins chacun dit à ma mine
Qu’un long habit de serge ou d’estamine
Ne sierroit point tant mal dessus mon corps.
Soit faux, soit vray, je suis de tous accors.
Au reste, Prince à qui l’honneur commande,
Ce que j’en dy n’est pas que je caymande :
J’ay trop de cœur, je ne gueuzay jamais,
Et m’en rapporte au grand prelat de Mets[10].

D’un seul bien-fait ma Clion te supplie,
Et pour cas le genouil elle plie :
C’est que de grâce il te plaise ordonner
Aux plats limeurs qui t’iront lanterner,
À ton retour, de carmes ridicules,
Bernes, soufflets, taloches et bacules,
Ou pour le moins croquignoles sur front,
Pour réparer la vergongne et l’affront
Que ces faquins aux viles cornemuses
Font au noble art des neuf honnestes Muses,
Et j’en seray mille fois plus content
Que d’un brevet ou d’un acquit patent,
Ou de l’affaire au bon Goulas[11] commise,
Lors qu’un matin en prenant ta chemise,
Tu luy crias : « Expédiez le Gros !
« Je l’ayme bien, car il ayme les bros. »

  1. Le fameux siège d’Alesia, sous César.
  2. Regnier a fait aussi le mot fléau monosyllabe. En Anjou, on a conservé cette prononciation.
  3. Le moine Schwartz ou Le Noir, à qui la tradition attribue l’invention de la poudre.
  4. Enlevé. — Du latin tollere.
  5. Le roi de bronze Henri iv.
  6. Pièce de fer suspendue au milieu d’une cloche pour faire sonner. (Furetière.)
  7. Mademoiselle de Montpensier.
  8. De semblables hiatus sont extrêmement rares dans Saint-Amant, dont la versification est toujours si soignée.
  9. Saint-Amant, dit Tallem. des Réaux, « a prétendu pour son Moïse une abbaye et même un évêché, lui qui n’entendroit pas son breviaire. »
  10. Saint-Amant, dit encore Tallem. des Réaux, « s’attacha à M. de Metz ». — L’évêque de Metz était alors Georges d’Aubusson de la Feuillade.
  11. Le sieur de Goules étoit secrétaire des commandements de Monsieur, frère du Roi, avec 4,800 liv. de gages. Mlle de Montpensier ne l’aimoit, dit-elle, ni ne l’estimoit. Un jour qu’elle reçut une lettre de lui, elle « la fit passer par dessus le feu, de crainte qu’il n’y eût quelque poison subtil ». — Pure grimace. M. de Goulas étoit d’ailleurs un personnage important. (Voy. Mém. de Retz.)