Œuvres de Saint-Amant/Au Lecteur
AU LECTEUR.
comme il est de la puissance des roys d’ennoblir
quiconque il leur plaist de leurs sujets, ainsi a-t’il
plu à Apollon, roy du Parnasse, d’ennoblir le pauvre
petit Triolet, pour avoir chanté en sa présence,
sur le théâtre d’Helicon, quelque chose au dessus de sa portée
ordinaire. Mais, comme les gentilshommes ont leurs lacquais
qui les devancent on qui les suivent, ainsi ces nouveaux nobles
que je te donne ont-ils les leurs, et tu les verras accompagnez
de quelques uns de leurs pareils mesmes, qui ne peuvent
prétendre à leur qualité, parceque je ne l’ay pas voulu ou
que la matière ne l’a pas requis. Ce nom de Triolet leur a esté
donné, à ce que je pense, tant a cause qu’ils se chantoyent à
trois, à la manière des vieux trios de nostre scène comique,
qu’il cause du vers qui s’y repette par trois fois et des trois rimes
qui en composent le milieu. C’est un jeu de la Muse où il
y a des tours de souplesse et de passe-passe qui ne sont pas
tant faciles à faire qu’on s’imagineroit bien, pourveu que l’on
y garde l’ordre que j’ay observé en ceux-cy, je veux dire qu’il
y ait tousjours un sens contenu et achevé dans chaque triolet
sans les répétitions, qu’elles y r’entrent de bonne grâce par
quelque mot, et qu’elles n’y soient ny absolument nécessaires
ny absolument inutiles ; autrement, il n’y a ny gentillesse ny
esprit, et j’en dirais bien davantage si le sujet en valoit la
peine. Au reste, dans cette histoire trioletique de ce qui s’est
passé à Paris durant ces mouvemens, où l’indisposition m’avoit
réduit a une neutralité forcée[1], tantost c’est moy qui parle, tantost c’est le tiers et le quart, tantost c’est le bourgeois
qui dit de bons mots à sa mode, tantost il y a quelque suite, et tanstot il n’y en a point du tout. Que si, contre mon
dessein, il s’estoit glissé quelque hérésie d’Estat, je la désavoue ;
je suis tout prest de m’en rétracter, et me sousmets ingénument
à la censure de ceux qui en sont les justes et veritable
correcteurs. Adieu.
- ↑ Dans un sonnet à M. de Bruslon-Deageant, à propos du blocus de Paris, il dit :
Encor, si j’estois sain, je prendrois un espieu ;
Mais je languis d’un mal qui l’os me cauterise.