Œuvres de Saint-Amant/Au Lecteur

Œuvres complètes de Saint-Amant, Texte établi par Charles-Louis LivetP. JannetTome 1 (p. 442-443).

AU LECTEUR.


Ccomme il est de la puissance des roys d’ennoblir quiconque il leur plaist de leurs sujets, ainsi a-t’il plu à Apollon, roy du Parnasse, d’ennoblir le pauvre petit Triolet, pour avoir chanté en sa présence, sur le théâtre d’Helicon, quelque chose au dessus de sa portée ordinaire. Mais, comme les gentilshommes ont leurs lacquais qui les devancent on qui les suivent, ainsi ces nouveaux nobles que je te donne ont-ils les leurs, et tu les verras accompagnez de quelques uns de leurs pareils mesmes, qui ne peuvent prétendre à leur qualité, parceque je ne l’ay pas voulu ou que la matière ne l’a pas requis. Ce nom de Triolet leur a esté donné, à ce que je pense, tant a cause qu’ils se chantoyent à trois, à la manière des vieux trios de nostre scène comique, qu’il cause du vers qui s’y repette par trois fois et des trois rimes qui en composent le milieu. C’est un jeu de la Muse où il y a des tours de souplesse et de passe-passe qui ne sont pas tant faciles à faire qu’on s’imagineroit bien, pourveu que l’on y garde l’ordre que j’ay observé en ceux-cy, je veux dire qu’il y ait tousjours un sens contenu et achevé dans chaque triolet sans les répétitions, qu’elles y r’entrent de bonne grâce par quelque mot, et qu’elles n’y soient ny absolument nécessaires ny absolument inutiles ; autrement, il n’y a ny gentillesse ny esprit, et j’en dirais bien davantage si le sujet en valoit la peine. Au reste, dans cette histoire trioletique de ce qui s’est passé à Paris durant ces mouvemens, où l’indisposition m’avoit réduit a une neutralité forcée[1], tantost c’est moy qui parle, tantost c’est le tiers et le quart, tantost c’est le bourgeois qui dit de bons mots à sa mode, tantost il y a quelque suite, et tanstot il n’y en a point du tout. Que si, contre mon dessein, il s’estoit glissé quelque hérésie d’Estat, je la désavoue ; je suis tout prest de m’en rétracter, et me sousmets ingénument à la censure de ceux qui en sont les justes et veritable correcteurs. Adieu.

  1. Dans un sonnet à M. de Bruslon-Deageant, à propos du blocus de Paris, il dit :

    Encor, si j’estois sain, je prendrois un espieu ;
    Mais je languis d’un mal qui l’os me cauterise.