Œuvres de Saint-Amant/À M. le duc de Retz

Pour les autres éditions de ce texte, voir À M. le duc de Retz.

À MONSEIGNEUR LE DUC DE RETS[1]

Pair de France, etc.


Monseigneur,

Je me suis souvent estonné comme parmy tant de grands esprits qui ont pris plaisir à tirer de l’ancienne poësie des preceptes pour enrichir la philosophie morale, pas un n’ait remarqué ce qui se peut dire de l’aventure de Deucalion et de Pirrhe, lesquels se sauvèrent de l’inondation generale de toute la terre sur le mont Parnasse, qui seul fut respecté du deluge. Cela ne fait-il pas voir clairement, Monseigneur, que ceux qui aiment les lettres ne perissent jamais, et ne semble-t’il pas que ces philosophes, comme envieux de la gloire des poëtes, ayent eu quelque dessein de leur derober l’avantage qu’ils ont de pouvoir donner l’immortalité ? En effect, qui ne jugera par cet exemple que, si ces deux illustres reliques du genre humain n’eussent esté en la protection des Muses, elles n’eussent daigné les recevoir en leur saincte demeure pour les garantir d’un si pitoyable desastre, et conserver en eux la race des hommes, qui s’en allait faire naufrage avec tout le reste de l’univers ? Ce n’est pas, Monseigneur, que je presume rien de mon esprit, ny que je pense que vostre nom ait besoin de moy pour se mettre à couvert des outrages que le Temps fait aux plus telles choses. Vos vertus sont trop eclattantes pour emprunter d’ailleurs quelque lumière ; il n’est point d’honneste-homme[2] qui ne les estime ; et moy, qui me figure les avoir connues plus particulierement qu’aucun autre, en l’honneur que vous m’avés faict de me permettre vostre familiere conversation, j’avoue que je me sens incapable de les louer assès dignement. Aussi, bien loin de croire que mes ouvrages puissent rendre votre renommée plus celebre qu’elle n’est, je m’attends plutost à recevoir de vous ce que je pourrois donner à un autre. Neantmoins, Monseigneur, la vanité dont mes amis me flattent, que mes vers ne mourront pas avecques moy, et qui se fortifie principalement par la bonne opinion que vous m’en avez fait concevoir, me persuade que j’auray peut-estre la gloire de vivre avecques vous longtemps après que je ne seray plus au monde, si vous avez agreable que le commencement de ce livre soit honoré de vostre nom, qui luy doit servir de protecteur. Je m’en vay en un voyage où j’auray loisir de mediter des choses que j’espère qui me rendront plus digne que je ne suis à present de l’amitié dont il vous plaist m’obliger ; et, bien que ce soit vers ces pays où l’on va chercher les tresors, j’ose me promettre que nos vaisseaux n’en rapporteront rien de plus precieux que ce que mes imaginations y auront produit, pourveu que vous m’en donniez le courage. Mais parmy toutes les agreables resveries qui entretiendront mon esprit dans l’oisiveté de la mer, je vous proteste que je n’auray rien de si cher ny de si doux que le continuel souvenir de vos rares qualitez, et du nombre infiny des faveurs dont vous m’avés comblé, qui m’obligent à estre,
Monseigneur,
Votre très-humble, très-obeissant
et très-fidelle serviteur,


Saint-Amant.


  1. Henri de Gondi, duc de Retz, pair de France, chevalier des ordres du roi, né en 1590, mourut le 12 août 1659. — Il avoit épousé, le 15 mai 1610, Jeanne de Scepeaux.
  2. L’honnête homme, c’est l’homme de bonne société. (V. Walckenaër, Mém. sur Mme de Sévigné, notes.) Faret a écrit un volume sous ce titre.