Texte établi par la Société Française de Physique, Gauthier-Villars (p. 452-455).

SUR L’ÉMANATION DU RADIUM ET SON COEFFICIENT DE DIFFUSION DANS L’AIR.

En commun avec J. DANNE.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXXVI, p. 1314,
séance du 2 juin 1903.


Lorsqu’on étudie le rayonnement de Becquerel émis par les parois d’un réservoir en verre, scellé à la lampe, et contenant l’émanation du radium (c’est-à-dire contenant de l’air activé par une solution d’un sel de radium), on constate que l’intensité I du rayonnement du réservoir diminue avec le temps t suivant une loi exponentielle. L’activité diminue de moitié en 4 jours ; on a

xxx ou xxx ,


avec .

On peut répéter l’expérience précédente avec un réservoir en verre qui, au lieu d’être scellé, communique avec l’atmosphère par un tube de verre capillaire. On trouve alors que l’intensité du rayonnement diminue plus rapidement que dans le premier cas, mais toujours suivant une loi exponentielle caractérisée par un coefficient b’ plus grand que b. Dans cette expérience une partie de l’émanation s’écoule par le tube capillaire, et la différence est caractéristique de cet écoulement. On peut admettre que le rayonnement des parois du réservoir est proportionnel à la quantité d’émanation qu’il contient. La loi exponentielle indique alors que la vitesse d’écoulement de l’émanation par le tube capillaire est proportionnelle à la quantité d’émanation qui se trouve dans le réservoir.

Nous avons trouvé que le coefficient a varie proportionnellement à la section s du tube capillaire, en raison inverse de la longueur l du tube, en raison inverse du volume v du réservoir, et qu’il est indépendant de la forme du réservoir.

On a donc

,


K étant un coefficient qui caractérise la diffusion de l’émanation dans l’air. Sous la pression atmosphérique, à la température de 10° environ,

unité C. G. S.

La loi des longueurs se vérifie très bien ; la loi relative à la section est aussi vérifiée d’une façon assez satisfaisante ; il semble cependant que la vitesse d’écoulement croît avec la section du tube un peu moins vite que cette section. Le Tableau suivant contient le résultat des expériences (d est le diamètre du tube capillaire) :

000d. 00l. 00v.  106b.  106a. 00K.
0,0426 02,8 07,8 11,12 09,11 0,139 ?
0,0426 05,4 07,8 06,13 04,12 0,122 ?
0,0426 13,0 07,1 04,12 02,11 0,137 ?
 
0,0951 10,0 06,25 14,70 12,69 0,112
0,0956 13,4 06,25 11,25 09,24 0,108
0,0966 35,2 06,25 05,69 03,68 0,110
 
0,132 34,1 06,2 08,73 06,72 0,104
0,131 37,7 12,3 05,13 03,12 0,106
 
0,143 19,0 13,7 08,22 06,21 0,101
0,143 33,1 13,7 05,54 03,53 0,095
 
0,167 04,5 12,3 43,40 41,39 0,105
0,167 09,8 12,3 20,95 18,94 0,104
0,167 18,8 12,3 11,50 09,49 0,100
0,167 37,2 12,3 07,10 05,09 0,106
 
0,1890 07,3 23,9 18,30 16,29 0,10100
0,192 14,8 23,9 10,22 08,21 0,100
0,196 33,8 23,9 05,57 03,56 0,094
 
0,285 15,9 13,75 30,65 28,64 0,098
0,285 22,4 13,75 22,35 20,34 0,098
0,283 35,6 13,75 14,19 12,18 0,095
 
0,290 38,0 13,34 15,14 13,13 0,100
0,292 18,2 06,2 57,80 55,79 0,094
 
0,406 21,4 26,8 25,60 23,59 0,104
0,412 46,5 26,8 12,56 10,55 0,099

D’après les lois qui précèdent, l’émanation se diffuse comme un gaz qui serait mélangé à l’air en petite proportion. Le coefficient K représente alors le coefficient de diffusion du gaz dans l’air. Ce coefficient est voisin de ceux trouvés pour certains gaz ; celui relatif à l’acide carbonique dans l’air à 10° est 0,15 environ ; celui de la vapeur d’éther dans l’air est 0,09 environ.

On peut du reste remarquer que le coefficient de diffusion de l’émanation du radium dans l’air est beaucoup plus facile à mesurer que le coefficient de diffusion d’un gaz, le rayonnement du réservoir indiquant à chaque instant la quantité d’émanation qu’il contient.

M. Rutherford et miss Brooks ont déjà fait une expérience pour déterminer le coefficient de diffusion de l’émanation du radium dans l’air[1]. Ils admettent, a priori, que l’émanation se comporte comme un gaz et déterminent le coefficient de diffusion par la méthode de Loschmidt. Ils trouvent que le coefficient de diffusion dans l’air est voisin de 0,08, résultat en accord avec nos mesures.

Nous avons constaté que, dans d’autres circonstances encore, l’émanation du radium se comporte comme un gaz :

1° Un réservoir de volume , contenant de l’émanation, émet un rayonnement J ; on le met en communication avec un deuxième réservoir inactif de volume  ; une partie de l’émanation passe dans ce deuxième réservoir, mais l’équilibre n’est établi qu’au bout d’un certain temps t. Pendant ce temps, l’émanation est détruite dans une proportion connue. Soit l’intensité qu’aurait émise le premier réservoir au bout du temps t, si la communication avec le deuxième réservoir n’avait pas été établie. Soit , l’intensité mesurée au bout du temps t. On trouve que



c’est-à-dire que l’émanation s’est partagée entre les deux réservoirs proportionnellement à leurs volumes. L’expérience donne le même résultat avec divers degrés de vide.

2° Deux réservoirs sont activés et communiquent entre eux par un tube de verre. On porte l’un d’eux à 350°, l’autre restant à la température de 10°. L’activité rayonnante du tube resté froid augmente et l’on vérifie que l’émanation se partage entre les deux réservoirs dans la même proportion que le ferait la masse d’un gaz dans les mêmes conditions.

M. Rutherford a constaté que l’émanation du radium se condense à la température de l’air liquide ; nous avons vérifié ce fait important en faisant l’expérience suivante :

Un réservoir de verre, de grand volume, contient l’émanation du radium ; ce réservoir est terminé par un tube capillaire. Si l’on plonge ce tube dans l’air liquide, toute l’émanation s’y condense. En séparant à la lampe le tube capillaire, on constate que le gros réservoir est devenu inactif, et que le petit tube capillaire, devenu très actif, contient toute l’émanation.





  1. Chemical News, 25 avril 1902.