Texte établi par la Société Française de Physique, Gauthier-Villars (p. 448-451).

SUR LA CHALEUR DÉGAGÉE SPONTANÉMENT PAR LES SELS DE RADIUM.

En commun avec A. LABORDE.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXXVI, p. 673,
séance du 16 mars 1903.


Nous avons constaté que les sels de radium dégagent de la chaleur d’une manière continue.

Un couple thermo-électrique, fer-constantan, dont une des soudures est entourée de chlorure de baryum radifère, et dont l’autre est entourée de chlorure de baryum pur, accuse en effet une différence de température entre les deux corps.

Nous avons fait l’expérience avec deux petites ampoules identiques, en mettant dans l’une 1 g de chlorure de baryum radifère contenant environ de son poids de chlorure de radium, et dans l’autre 1 g de chlorure de baryum pur. Les soudures du couple thermo-électrique sont placées respectivement au centre de chaque ampoule au milieu de la matière qui les remplit. Ces ampoules sont isolées dans l’air au milieu de deux petites enceintes identiques situées elles-mêmes dans une troisième qui est isolée calorifiquement et dans laquelle la température est sensiblement uniforme. Les variations de la température ambiante se font sentir dans ces conditions de la même façon sur les deux soudures, et n’influent pas sur les indications du couple.

Nous avons constaté ainsi une différence de température de 1,5° entre le chlorure de baryum radifère et le chlorure de baryum pur, le sel radifère ayant la température la plus élevée. Comme contrôle, nous avons répété l’expérience dans les mêmes conditions avec deux ampoules renfermant toutes deux du chlorure de baryum pur. Les différences de température observées sont alors seulement de l’ordre de grandeur de de degré.

Nous avons cherché à évaluer quantitativement la chaleur dégagée, dans un temps donné, par le radium.

Pour cela nous avons d’abord comparé cette chaleur à celle dégagée par un courant électrique d’intensité connue, dans un fil de résistance connue.

Une ampoule renfermant le radium est enfermée à l’intérieur d’un bloc de métal auquel elle communique sa chaleur. Une des soudures du couple thermo-électrique est située dans une cavité creusée dans le bloc, l’autre soudure étant située dans un second bloc semblable, mais ne renfermant pas de radium. Lorsque le régime est établi, le bloc reçoit du radium, en un temps donné, autant de chaleur qu’il en perd par conduction et par rayonnement vers l’extérieur. Le couple indique alors une certaine différence de température entre les deux blocs.

Cette expérience une fois faite, on substitue à l’ampoule renfermant le radium une ampoule dans laquelle se trouve un fil fin de platine iridié que l’on échauffe par le passage d’un courant. On modifie l’intensité du courant jusqu’à ce que, à l’état de régime, la différence de température des deux blocs soit la même que dans l’expérience précédente. La chaleur dégagée par le radium dans la première expérience est alors égale à celle dégagée pendant le même temps par le courant dans la seconde expérience. Cette dernière quantité est facile à calculer.

Nous avons encore évalué la chaleur dégagée par le radium en faisant directement des mesures avec le calorimètre de Bunsen.

Avant de faire l’expérience, on constate d’abord que le niveau du mercure dans la tige du calorimètre reste parfaitement fixe. L’ampoule contenant le radium séjourne pendant ce temps dans un tube maintenu à zéro dans la glace fondante. À un moment donné on introduit l’ampoule dans le calorimètre et l’on constate que le mercure se déplace alors dans la tige avec une vitesse parfaitement uniforme (à raison de 2,5 cm à l’heure, par exemple, avec le produit dont nous avons parlé plus haut). Lorsqu’on retire l’ampoule contenant le radium le mercure s’arrête aussitôt.

1 g du chlorure de baryum radifère, avec lequel nous avons fait la plupart de ces expériences, dégageait environ 14 petites calories à l’heure, mais la composition de ce produit ne nous est pas exactement connue. D’après l’activité radiante, il doit renfermer environ de son poids de chlorure de radium pur. Nous avons également fait quelques mesures avec un échantillon de 0,08 g de chlorure de radium pur. Les mesures faites par les deux méthodes conduisent à des résultats qui sont du même ordre de grandeur sans être absolument concordants. Nous nous sommes proposé seulement, dans ces premières recherches, de démontrer d’une façon indiscutable l’existence du dégagement de chaleur en opérant dans des conditions variées et de donner l’ordre de grandeur du phénomène.

1 g de radium dégage une quantité de chaleur qui est de l’ordre de 100 petites calories par heure.

1 atome-gramme de radium (225 g) dégagerait, pendant chaque heure, 22500 cal, nombre comparable à celui de la chaleur dégagée par la combustion dans l’oxygène de 1 atome-gramme d’hydrogène.

Le dégagement continu d’une telle quantité de chaleur ne peut s’expliquer par une transformation chimique ordinaire. Si l’on cherche l’origine de la production de chaleur dans une transformation interne, cette transformation doit être de nature plus profonde et doit être due à une modification de l’atome de radium lui-même. Cependant, une pareille transformation, si elle existe, se fait avec une extrême lenteur. En effet, les propriétés du radium n’éprouvent pas de variations notables en plusieurs années et Demarçay n’a observé aucune différence dans le spectre d’un même échantillon de chlorure de radium en faisant deux examens à 5 mois d’intervalle. Si donc l’hypothèse précédente était exacte, l’énergie mise en jeu dans la transformation des atomes serait extraordinairement grande.

L’hypothèse d’une modification continue de l’atome n’est pas seule compatible avec le dégagement de chaleur du radium. Ce dégagement de chaleur peut encore s’expliquer en supposant que le radium utilise une énergie extérieure de nature inconnue.