Texte établi par la Société Française de Physique, Gauthier-Villars (p. 346-348).

EFFETS CHIMIQUES PRODUITS PAR LES RAYONS DE BECQUEREL.

En commun avec Mme CURIE.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXIX, p. 823,
séance du 20 novembre 1899.


Les rayons émis par les sels de baryum radifères très actifs sont capables de transformer l’oxygène en ozone.

Lorsqu’on conserve le sel radioactif dans un flacon bouché, on perçoit en ouvrant le flacon une odeur d’ozone bien nette. C’est M. Demarçay qui a découvert ce phénomène avec du chlorure de baryum radifère très actif que nous lui avions envoyé, pour ses études spectroscopiques, dans un petit flacon bouché. Le flacon étant ouvert, l’odeur se dissipe incomplètement ; pour qu’elle reprenne son intensité primitive, il suffit de refermer le flacon pendant une dizaine de minutes.

Nous avons vérifié le dégagement d’ozone avec un papier à l’iodure de potassium amidonné qui, placé devant l’ouverture du flacon, se teint légèrement. La teinte est plus foncée si l’on amène du chlorure de baryum radifère au contact du papier, tandis que le chlorure de baryum ordinaire ne produit dans les mêmes conditions aucun effet.

Les produits radifères nécessaires pour la production de l’ozone sont très actifs et tous lumineux. Le phénomène semble plus directement relié à la radioactivité qu’à la luminosité. C’est ainsi qu’un carbonate de radium très lumineux produit moins d’ozone qu’un chlorure de radium bien moins lumineux mais bien plus fortement radioactif.

Nous avons également remarqué une action colorante des rayons de Becquerel sur le verre. Si l’on conserve pendant quelque temps un sel de radium dans un flacon de verre, on aperçoit une coloration violette qui apparaît peu à peu en se propageant de l’intérieur du flacon vers l’extérieur. Avec un produit très actif au bout d’une dizaine de jours le fond du flacon regardé de côté est presque noir au contact du sel. Cette teinte va en dégradant à mesure qu’elle pénètre dans le verre et, à quelques millimètres du fond, elle paraît violette. Avec un produit moins actif la teinte est moins intense et demande plus de temps pour se produire. Le verre des flacons où s’est produit le phénomène ne noircit pas à la flamme réductrice, il ne doit pas renfermer de plomb.

La modification produite dans le platinocyanure de baryum par les rayons du radium est probablement aussi un effet chimique. Soumis à l’action des rayons du radium, le platinocyanure de baryum commence à jaunir, ensuite il devient brun, et cette variété brune est moins sensible à l’excitation de fluorescence. Pour régénérer le platinocyanure, il suffit de l’exposer à la lumière solaire. Ce phénomène est le même que celui qui a été décrit pour les rayons de Röntgen par M. Villard[1].

Quand on place dans l’obscurité une couche de platinocyanure de baryum au-dessus d’une couche d’un sel radioactif recouvert par une lame d’aluminium, le platinocyanure devient fortement lumineux sous l’effet des rayons de Becquerel ; mais peu à peu le platinocyanure se transforme en la variété brune et la luminosité diminue graduellement. En exposant le système à la lumière, le platinocyanure est partiellement régénéré, et si alors on reporte le système dans l’obscurité, la lumière émise est de nouveau très brillante.

On réalise donc ainsi la synthèse d’un corps phosphorescent à longue durée de phosphorescence au moyen d’un corps fluorescent et d’un corps radioactif.

M. Giesel a réalisé un platinocyanure de baryum radifère, très lumineux au moment de sa préparation, lequel, sous l’action de ses propres rayons de Becquerel, se transforme en la variété brune moins lumineuse[2].

Quand le chlorure de baryum et de radium se dépose dans une solution qui a été saturée à chaud, les cristaux sont incolores au moment du dépôt. Peu à peu ces cristaux prennent une coloration rose de plus en plus prononcée. Cette coloration apparaît d’autant plus rapidement et est d’autant plus intense que le sel contient plus de radium. Si l’on dissout les cristaux roses, la solution est incolore, et, si on la fait cristalliser, elle dépose des cristaux incolores au début. Le développement de la coloration semble accompagner celui de la radioactivité, laquelle, après le dépôt, augmente avec le temps.

Le chlorure de baryum et de radium sec est tout d’abord blanc, il jaunit graduellement en même temps que sa radioactivité se développe.

Il est probable que ces changements de coloration correspondent à des modifications moléculaires qui se produisent dans les sels de baryum radifère sous l’effet des rayons du radium.

La transformation de l’oxygène en ozone nécessite une dépense d’énergie utilisable. La production d’ozone sous l’effet des rayons émis par le radium est donc une preuve que ce rayonnement représente un dégagement continu d’énergie.





  1. Soc. de Phys., 18 mai 1898.
  2. Wied. Ann., t. LXIX, p. 91.