Texte établi par la Société Française de Physique, Gauthier-Villars (p. 343-345).

SUR LA RADIOACTIVITÉ PROVOQUÉE PAR LES RAYONS DE BECQUEREL[1].

En commun avec Mme  CURIE.



Comptes rendus de l’Académie des Sciences, t. CXXIX, p. 714,
séance du 6 novembre 1899.


En étudiant les propriétés des matières fortement radioactives, préparées par nous (le polonium et le radium), nous avons constaté que les rayons émis par ces matières, en agissant sur des substances inactives, peuvent leur communiquer la radioactivité, et que cette radioactivité induite persiste pendant un temps assez long.

Voici comment les expériences sont disposées. La matière radioactive en poudre se trouve sur un plateau horizontal ; au-dessus de cette matière l’on place, à quelques millimètres de distance, la plaque que l’on étudie, soutenue par des cales. De temps en temps, l’on enlève la plaque supérieure, on la porte immédiatement dans l’appareil de mesures électriques et l’on détermine sa radioactivité par la conductibilité qu’elle communique à l’air[2].

On constate ainsi que la plaque exposée a acquis une radioactivité qui augmente avec le temps de l’exposition ; au bout de quelques heures, toutefois, cette augmentation ne se fait plus que très lentement, et la radioactivité induite semble tendre vers une limite.

Si l’on soustrait la plaque activée à l’influence de la substance radioactive, elle reste radioactive pendant plusieurs jours. Toutefois, cette radioactivité induite va en décroissant, d’abord très rapidement, ensuite de moins en moins vite et tend à disparaître suivant une loi asymptotique.

Pour observer le phénomène, il est nécessaire de faire agir des substances fortement radioactives. Nous avons fait nos expériences avec des substances de 5000 à 50 000 fois plus actives que l’uranium ; les activités induites observées immédiatement après l’exposition variaient alors entre 1 et 50 fois celle de l’uranium[3]. Ces activités étaient réduites au dixième de leur valeur primitive 2 à 3 heures après le moment où la substance impressionnante a cessé d’agir

Nous avons examiné ainsi l’effet des rayons de Becquerel sur diverses substances : le zinc, l’aluminium, le laiton, le plomb, le platine, le bismuth, le nickel, le papier, le carbonate de baryum, le sulfure de bismuth. Nous avons été très surpris de ne point trouver des différences d’ordre de grandeur dans les radioactivités induites dans ces différentes substances qui se comportent toutes d’une manière analogue.

Le but du présent travail a été surtout de rechercher si la radioactivité induite n’était pas due à des traces de matière radioactive qui se seraient transportées sous forme de vapeur ou de poussière sur la lame exposée. La façon analogue dont se comportent les diverses substances impressionnées semble favorable à une pareille supposition. Cependant, nous croyons pouvoir affirmer qu’il n’en est pas ainsi et qu’il existe une radioactivité induite.

La disparition graduelle et régulière de l’activité induite, quand la plaque impressionnée est au repos, semble exclure l’hypothèse des poussières non volatiles, et il est bien difficile d’admettre que les sels de baryum radifères soient volatils. En lavant à l’eau les plaques impressionnées par le chlorure de baryum radifère, on ne fait pas disparaître leur activité, quoique ce sel soit soluble.

Enfin nous avons organisé avec le plus de soin possible une expérience qui nous semble décisive. Nous avons enfermé une substance très fortement radioactive (50 000 fois plus active que l’uranium) dans une boîte métallique complètement close, dont le fond est fermé par de l’aluminium très mince. Les plaques en contact avec le fond de la boîte sont rendues radioactives ; l’activité provoquée était de 10 fois à 17 fois plus grande que celle de l’uranium.

On obtient des effets de radioactivité induite très intenses en posant la substance impressionnante directement sur la plaque à impressionner. On peut employer comme substance impressionnante le chlorure de baryum radifère, dont on peut retirer les dernières traces par un lavage à l’eau. On arrive ainsi à avoir des radioactivités induites plusieurs centaines de fois plus grandes que celles de l’uranium.

Le phénomène de la radioactivité induite est une sorte de rayonnement secondaire dû aux rayons de Becquerel. Cependant ce phénomène est différent de celui que l’on connaît pour les rayons de Röntgen. En effet les rayons secondaires des rayons de Röntgen étudiés jusqu’ici prennent naissance brusquement au moment où le corps qui les émet est frappé par les rayons de Röntgen et cessent brusquement avec la suppression de ces derniers.

Devant les faits dont nous venons de parler, on peut se demander si la radioactivité, en apparence spontanée, n’est pas pour certaines substances un effet induit.





  1. Ce travail a été fait à l’École municipale de Physique et de Chimie industrielles.
  2. Comptes rendus, t. CXXVI, p. 1101 ; Revue générale des Sciences, 30 janvier 1899.
  3. Certains échantillons de chlorure de baryum radifère ont donné lieu à des activités induites d’intensité très variable, bien que, au courant des expériences, l’activité propre de ces échantillons n’ait pas varié sensiblement. Ces irrégularités semblent être en relation avec les variations de la température ambiante et de l’état hygrométrique de l’air ; ce point n’est pas encore élucidé.