Œuvres de François Fabié - Tome 3/Sous la Griffoule

Œuvres de François Fabié
Alphonse Lemerre, éditeur (Poésies 1905-1918 : Ronces et Lierres. Les Paysans et la Guerrep. 50-53).
SOUS LA GRIFFOULE*




L'HIVER… C’est la saison de célébrer les houx
— Non pas les houx épars sous les hautes futaies
Qui de leurs aiguillons peignent le dos des loups
Ou griffent jusqu’au sang les tétines des laies, —

Mais les grands houx bordant chez nous les chemins
De remparts frissonnants tout hérissés de piques,
Et dans le vent du soir causant tout bas entre eu
De temps déjà lointains et de conscrits épiques

  • Bouquets de houx géants abritant les bâtiments

fermes du Ségala.

Qui, partant pour aller prendre sac et fusil,
Dans leurs pousses coupaient le bâton de voyage,
Et plus tard, au retour, le manche de l’outil
Ou l’aguillade pour conduire l’attelage ;

 mieux encor ces houx vieux de plus de cent ans,
Qu’en griffoules on trouve à l’entour de nos fermes,
Les protégeant du nord, de l’ouest ou des autans,
Toujours droits, toujours verts, redoutables et fermes.

Étincelants de neige ou de fruits de corail,
Et hébergent, l’hiver, les merles et les grives,
Pour qui le toit, jadis, était l’épouvantai,
Et que la faim transforme en effrontés convives.

Et le lièvre lui-même y trouve quelquefois
Un gîte chaud et sûr et que nul ne soupçonne,
Où, quand la basse-cour s’emplit de longs abois,
Il rit tout bas des chiens et doucement frissonne.

Puis, aux premiers soleils des fins de février,
Les aïeuls mi-perclus s’en vont sous les griffoules
  griser de rayons, jaser et s’épouiller,
Pêle-mêle, parmi les dindons et les poules...

En été, les galants y sont cent fois venus
Parler d’amour, le soir, à leurs fraîches promises,
Simples filles de ferme aux baisers ingénus
Et chastes, qui tremblaient toujours d’être surprise

Et d’entendre soudain crépiter sur les houx
La charge de gros plomb d’un vieux fusil à pierre
Dont le rude Pagès* s’armait contre les loups
Et les rôdeurs marchant furtifs vers sa lumière…

Et que de fois aussi, quand nous étions enfants,
Mère-grand nous conta que, lorsque l’autan gronde
Les pauvres trépassés délaissés des vivants
Autour des noirs massifs viennent faire leur ronde

Traîner de longs linceuls et pleurer et gémir,
Redemandant beaucoup de Pater et de messes,
Et souvent jusqu’à l’aube empêcher de dormir
Leurs âpres héritiers oublieux des promesses.

*Paysan aisé.







L’hiver… C’est la saison de célébrer les houx,
Et ce sera bientôt aussi pour moi, j’y songe,
Celle d’aller encor, lorsque l’adieu si doux
De nos pâles soleils d’automne s’y prolonge,

M’asseoir souvent, avec quelques contemporains,
Sous la haute griffoule aux solides ramures
Qui de la bise aiguë abritera nos reins
Et bercera nos souvenirs de ses murmures,

Tandis que dans le ciel lentement vogueront
— Évocateurs ailés de suprêmes voyages,
Faisant vers l’infini se lever notre front —
Les oiseaux migrateurs fuyant sur les nuages.