Œuvres d’histoire naturelle de Goethe/La Métamorphose des plantes

Traduction par Charles Martins.
A. Cherbuliez et Cie (p. 209-255).

LA MÉTAMORPHOSE

DES PLANTES.

(1790.)
Non quidem me fugit nebulis subinde hoc emersuris iter offundi, ista tamen dissipabantur facile ubi plurimum uti licebit experimentorum luce. Nature enim, sibi semper est similis, licet nobis sæpe ob necessarium defectum observationum, a se dissentire videatur.
Linnæi, Prolepsis plantarum, diss. ii.

INTRODUCTION.


Tout homme, pour peu qu’il ait suivi quelques plantes dans leur accroissement, doit avoir observé que certains organes, situés à l’extérieur, se métamorphosent et revêtent en tout ou en partie la forme des organes voisins[1].

2.

Le plus ordinairement, par exemple, une fleur simple devient double, parce que les pétales se développent à la place des étamines. Analogues souvent à ceux de la corolle, pour la forme et la couleur, ces pétales portent souvent encore des traces évidentes de leur origine.

3.

Si nous admettons que la plante peut, de cette manière, faire un pas rétrograde et rebrousser chemin dans son accroissement, nous serons plus attentifs à observer la marche normale de la nature, à étudier les lois de transformation d’après lesquelles elle produit une partie au moyen d’une autre, et les formes les plus variées par la modification d’un seul organe.

4.

La liaison secrète qui unit les feuilles, le calice, la corolle, les étamines, appendices de la plante qui se développent l’un après l’autre et pour ainsi dire l’un de l’autre, est admise depuis long-temps par la plupart des observateurs ; elle a même été le sujet d’études spéciales, et la propriété en vertu de laquelle un seul et même organe se présente à nous si diversement modifié, a été appelée la Métamorphose des plantes.

5.

Cette métamorphose se manifeste de trois manières : elle est normale, anormale, ou accidentelle.

6.

La métamorphose normale pourrait aussi se désigner sous le nom de progressive ; car c’est elle qui, à partir des premières feuilles séminales, se montre toujours graduellement agissante, et monte en faisant éclore une forme d’une autre, comme sur une échelle idéale, jusqu’au point le plus élevé de la nature vivante, la propagation par les deux sexes. Je l’ai suivie attentivement pendant plusieurs années, et c’est pour l’expliquer que j’entreprends cet essai. C’est aussi pour cela que dans le cours de cette démonstration nous n’examinerons la plante qu’en tant qu’elle est annuelle, et s’avance incessamment, au sortir de la graine, vers une fructification nouvelle.

7.

La métamorphose anormale pourrait prendre le nom de rétrograde. Si dans le cas précédent la nature marche à grands pas vers l’accomplissement du grand œuvre de la reproduction, dans celui-ci elle redescend d’un ou de plusieurs degrés. Au lieu d’obéir, comme auparavant, à une tendance irrésistible, en produisant par ses efforts multipliés, les fleurs, organe de la reproduction, elle faiblit et laisse sa création dans un état vague, sans caractère, qui plaît aux yeux, mais ne recèle point de force créatrice. Les observations que nous avons eu occasion de faire sur cette métamorphose, pourront dévoiler ce que la métamorphose normale nous avait dérobé, et prouver par le fait ce que le raisonnement nous permettait de conclure. Espérons qu’en suivant cette marche nous atteindrons sûrement le but que nous nous sommes proposé.

8.

La troisième espèce de métamorphose causée accidentellement par des agents extérieurs, le plus souvent par des insectes, ne fixera point notre attention. Elle pourrait nous détourner de la marche simple que nous voulons suivre, et nous écarter de notre but. Peut-être trouverons-nous occasion de parler en temps et lieu de ces excroissances, monstrueuses il est vrai, mais qui sont renfermées néanmoins dans des limites certaines.

I.

Des feuilles séminales.


Les degrés successifs qui marquent l’accroissement des végétaux étant l’objet de nos recherches, nous devons observer la plante dans l’instant même où elle sort de la graine. À cette époque de sa vie, il est facile de reconnaître exactement les parties qui lui appartiennent en propre. Abandonnant à la terre ses enveloppes, que nous n’examinerons point maintenant, elle fixe sa racine dans le sol, et montre le plus souvent au grand jour les premiers organes de son accroissement en hauteur, cachés auparavant sous les téguments qui environnaient le germe.

11.

Ces premiers organes sont connus sous le nom de cotylédons. Ils ont aussi reçu ceux de feuilles ou masses primordiales, de lobes séminaux, valves de la graine (valvæ seminum. Jungius), dénominations diverses qui peignent chacune les différentes formes sous lesquelles ils se présentent.

12.

Souvent ces cotylédons sont informes, remplis pour ainsi dire d’une bourre grossière, et développés autant en largeur qu’en épaisseur. Leurs vaisseaux encore rudimentaires ne sauraient se distinguer de la masse totale. Presque rien ne décèle en eux la texture foliacée, et l’on serait presque tenté de les considérer comme des organes à part.

13.

Dans beaucoup de plantes, ils se rapprochent néanmoins de la forme des feuilles, s’aplatissent, et prennent, sous l’influence de l’air et de la lumière, une teinte verte plus prononcée. Les vaisseaux qui les parcourent ne tardent pas à se dessiner plus nettement et à ressembler davantage aux nervures des feuilles.

14.

Enfin, ils se montrent à nous sous la forme foliacée : leurs vaisseaux sont susceptibles du développement le plus parfait, et leur ressemblance avec les feuilles qui leur succèdent ne nous permet pas de les considérer comme des organes spéciaux ; nous devons au contraire les regarder comme les premières feuilles caulinaires.

15.

Si l’on ne peut supposer une feuille sans un nœud qui lui corresponde à la tige, ni un nœud sans un bourgeon, nous sommes en droit de conclure que le point où les cotylédons sont fixés est véritablement le premier nœud de la plante. Les végétaux tels que la Fève des marais[2], où les bourgeons pointent immédiatement dans l’aisselle des cotylédons, et où les premiers nœuds poussent des branches parfaites, viennent à l’appui de cette supposition.

16.

Les cotylédons sont le plus ordinairement au nombre de deux, et nous ferons à ce sujet une remarque dont l’importance ressortira par la suite : c’est que les feuilles de ce premier nœud sont souvent opposées, tandis que les feuilles caulinaires subséquentes sont alternes. Il y a donc ici un rapprochement, une réunion de parties que la nature éloigne et sépare ensuite les unes des autres. Mais ce qui est plus remarquable encore, c’est de voir les cotylédons rassemblés sous la forme de plusieurs petites feuilles autour d’un axe, et la tige, qui s’élève de leur centre, porter des feuilles éparses. La chose est évidente dans l’accroissement des différentes espèces du genre Pinus, chez lesquelles on observe, à leur germination, une collerette de folioles aiguës qui semblent former un calice. Je reviendrai bientôt sur le fait que je signale ici, à propos de phénomènes analogues.

17.

Nous passons entièrement sous silence les cotylédons amorphes des plantes qui ne germent qu’avec une seule feuille séminale.

18.

Remarquons toutefois que même les cotylédons qui paraissent se rapprocher le plus de la nature foliacée sont toujours, comparativement aux feuilles suivantes, d’une structure beaucoup moins achevée. Leur périphérie n’offre nulle trace de découpure, et leur surface ne présente ni les poils ni les autres vaisseaux que l’on remarque sur les feuilles parfaites (13).

II.

Formation d’un nœud à l’autre des feuilles caulinaires.


Nous pouvons maintenant suivre de près le développement des feuilles, puisque les travaux progressifs de la nature vont se passer sous nos yeux. Les cotylédons, renfermés encore dans les graines, contiennent déjà, enclavées entre eux, deux ou plusieurs des feuilles qui doivent leur succéder immédiatement. Elles sont pliées sur elles-mêmes et connues sous le nom de plumule. Comparées aux cotylédons et aux feuilles suivantes, elles varient pour la forme dans des plantes différentes, et s’éloignent le plus souvent de celle des lobes séminaux : plates, minces, et semblables tout-à-fait aux véritables feuilles, elles se colorent en vert et reposent visiblement sur un nœud. En un mot, leur analogie avec les feuilles caulinaires ne saurait être contestée ; quoique leur structure soit moins achevée en ceci que leur périphérie et leurs contours ne sont pas encore à l’état parfait.

20.

Le développement ultérieur de la plante continue à se faire, de nœud en nœud, par l’intermédiaire des feuilles. La nervure médiane s’allonge, et les nervures latérales qui en partent s’étendent plus ou moins sur les côtés. Les différents rapports des nervures entre elles sont la cause principale de la variété de formes que présentent les feuilles. Celles-ci ne tardent pas à se montrer découpées, incisées profondément, composées de plusieurs folioles, et dans ce dernier cas elles simulent parfaitement de petits rameaux. L’exemple le plus frappant de cette complication successive, depuis la forme de feuille la plus simple jusqu’à la plus composée, nous est fourni par le Dattier (Phœnix dacty-lifera). Dans une série de plusieurs feuilles, la nervure du milieu se pousse en avant ; le limbe, d’abord simple et en forme d’éventail, se déchire, et vous avez une feuille des plus composées, rivalisant de forme avec un véritable rameau (14).

21.

Le pétiole se développe au même degré que la feuille, qu’il soit uni intimement avec elle ou qu’il constitue dans la suite une petite queue facile à séparer.

22.

Différentes plantes, les orangers en particulier, sont une preuve que le pétiole, organe sui generis, n’en a pas moins une tendance marquée à s’épanouir en feuille (15). Son organisation sera le sujet de quelques considérations auxquelles nous ne pouvons nous arrêter ici.

23.

Ce n’est pas non plus ici le lieu d’examiner de plus près les feuilles anormales. Remarquons seulement en passant qu’elles sont soumises à de singulières métamorphoses, lorsqu’elles font partie du pédoncule, et que celui-ci subit quelque transformation.

24.

La première nourriture des feuilles consiste dans des parties aqueuses plus ou moins modifiées qu’elles tirent du tronc, mais c’est à l’air et à la lumière qu’elles doivent une structure plus délicate et plus achevée. Dans les cotylédons informes produits sous les enveloppes de la graine, nous ne trouvons qu’une accumulation de sucs grossiers, et peu ou point d’organisation. Nous voyons aussi que les feuilles des plantes qui végètent sous l’eau sont d’une structure moins parfaite que celle des autres plantes qui croissent à l’air (16). Il y a plusieurs espèces dont les feuilles sont glabres et imparfaites dans des lieux bas et humides, qui présenteront, si on les transporte dans des régions plus élevées, des feuilles rudes, couvertes de poils, et d’un plus beau développement (17).

25.

Les anastomoses des vaisseaux qui naissent des nervures et constituent l’épiderme des feuilles, sont encore, sinon déterminées, du moins singulièrement favorisées par l’action d’un air plus pur. Si les feuilles d’une multitude de plantes aquatiques prennent une forme linéaire ou semblable à celle d’un réseau, c’est à l’absence d’un système complet d’anastomose qu’il faut l’attribuer. Celles du Ranunculus aquatilis mettent ce fait hors de doute. Sous l’eau ses feuilles ne sont que des nervures linéaires, mais à l’air elles sont complètement anastomosées et présentent une surface continue. On peut même voir la transition sur des feuilles de cette plante dont une moitié est anastomosée, tandis que l’autre ne l’est pas.

26.

L’expérience prouve que les feuilles absorbent différents gaz, qui se combinent avec les parties aqueuses qu’elles contiennent ; il est aussi à peu près hors de doute que ces fluides mieux élaborés reviennent à la tige et contribuent au développement des bourgeons les plus voisins. L’examen des gaz qui se dégagent des feuilles de différentes plantes et même de leurs vaisseaux, ne saurait laisser de doute à cet égard.

27.

Dans beaucoup de plantes chaque nœud procède de celui qui est situé au-dessous de lui. Cela est palpable sur les chaumes, dont la cavité est creuse dans les intervalles qui séparent les nœuds l’un de l’autre, ceux des céréales, des graminées, de certains Arundo, etc. Dans d’autres plantes où la tige est fistuleuse dans toute sa longueur, et dont le centre est rempli par une moelle, ou plutôt par un tissu cellulaire particulier, le fait est moins évident. L’importance du rôle que la moelle est appelée à jouer comparativement aux autres parties internes, a été attaquée dans ces derniers temps, et selon nous par des raisonnements sans réplique[3]. On a nié l’influence qu’on lui accordait jusqu’ici sur les phénomènes de l’accroissement, pour en doter les parties intérieures à la seconde écorce connues sous le nom de liber, dans lesquelles résident certainement les propriétés vitales et productrices. Cela étant, on se persuadera plus aisément que chaque nœud procédant immédiatement de ceux qui sont situés au-dessous de lui, ne recevant que par leur intermédiaire des sucs que les feuilles placées entre deux modifient encore, doit avoir une organisation plus parfaite, et envoyer à ses feuilles et à ses bourgeons une nourriture mieux élaborée.

28.

Il en résulte que les fluides grossiers sont toujours rejetés, les autres attirés au contraire. La plante grandit en devenant tous les jours plus parfaite, et arrive enfin au point qui lui est marqué par la nature. Nous voyons les feuilles atteindre en dernier lieu leur plus grand développement et leur plus haut degré de perfection. Alors un nouveau phénomène a lieu, il nous montre que la période que nous venons d’examiner finit, et que nous touchons à l’époque suivante, celle de la floraison.

III.

Passage à l’état de fleur.


Le passage à l’état de fleur se fait plus ou moins vite ou plus ou moins lentement ; dans ce dernier cas, on voit chaque feuille caulinaire se resserrer peu à peu de la circonférence au centre, perdre ses nombreuses découpures, et s’étendre plus ou moins dans les parties inférieures qui sont adhérentes à la tige. En même temps les entre-nœuds de celle-ci s’allongent, elle s’amincit, devient beaucoup plus faible et plus ténue comparativement à ce qu’elle était auparavant.

30.

On a remarqué que l’abord trop abondant de sucs alimentaires retardait la floraison, tandis qu’une nourriture modérée, avare même, la favorisait. Ceci prouve la puissante influence des feuilles caulinaires signalée déjà précédemment. Tant qu’il y a des fluides grossiers à rejeter, les organes de la plante sont forcés de concourir à ce travail, qui se renouvelle sans cesse, si l’abord des sucs est trop abondant : dans ce cas la floraison est impossible ; mais qu’on retranche à la plante une partie de sa nourriture, on abrège ou favorise l’œuvre de la nature. Les organes qui composent le nœud s’achèvent, l’effet de ces fluides épurés est plus certain, plus énergique, et la transformation des parties devenue facile, s’opère sans retard (18).

IV.

Formation du calice.


Cette métamorphose se fait souvent avec une grande rapidité. La tige pousse un jet plus fin et plus allongé depuis le nœud correspondant à la dernière feuille, et rassemble, à son extrémité, plusieurs feuilles autour d’un axe commun.

32.

Les folioles du calice sont les mêmes organes qui jusqu’ici se sont développés en feuilles caulinaires, et qui se trouvent maintenant, rassemblés autour du même centre sous une forme très différente. La démonstration de cette proposition ne saurait souffrir de difficulté (19).

33.

Un phénomène analogue s’est offert à nous, lorsque nous considérions les cotylédons ; plusieurs feuilles et même plusieurs nœuds se rapprochaient et se trouvaient réunis autour d’un même point. Les arbres, du genre Pinus présentent, à leur sortie de la graine, un verticille de véritables feuilles déjà très parfaites, contre l’ordinaire des cotylédons, et ainsi se trouve comme préindiquée dans l’enfance de la plante, cette force créatrice de la nature qui produira des fleurs et des fruits, lorsque l’arbre aura atteint un âge plus avancé.

34.

Nous voyons de plus, dans certaines fleurs, des feuilles, semblables à celles dont la tige est ornée, se rassembler sans changer de forme et constituer une espèce de calice au-dessous de la corolle. Leur figure n’étant nullement altérée, nous pouvons nous en référer à l’intuition et à la terminologie botanique qui leur a consacré le nom de folia floralia, feuilles florales.

35.

Le cas déjà mentionné, où le passage à l’état de floraison a eu lieu graduellement ; réclame aussi plus d’attention. Les feuilles caulinaires se rapprochent alors peu à peu, elles se modifient, se glissent pour ainsi dire dans le calice, comme on peut le voir sur les involucres des fleurs radiées, surtout des Tournesols (Helianthus annuus) et des Soucis (Calendula).

36.

Cette force de la nature qui rassemble plusieurs feuilles autour d’un axe opère quelquefois une réunion plus intime, en rendant plus méconnaissables encore ces feuilles déjà modifiées et rapprochées. En effet, elle les réunit quelquefois en entier, souvent en partie seulement, et les soude par leurs bords correspondants. Les feuilles ainsi rapprochées et serrées l’une contre l’autre se trouvent souvent, lorsqu’elles sont encore délicates, dans un contact parfait, puis s’anastomosent par l’effet des sucs très épurés qui les nourrissent, et forment ainsi les calices campanulés, ou, comme on dit, monosépales, qui portent à leur bord supérieur des incisions plus ou moins profondes, traces évidentes de leur formation composée (20). Pour s’en convaincre il suffit d’examiner comparativement des calices profondément incisés et des calices polysépales, en prenant surtout pour exemple les involucres des fleurs radiées. Ainsi l’involucre d’une Calendula, qui, dans les descriptions organographiques, passe pour monophylle mais polypartite, est composé de plusieurs feuilles qui ont poussé les unes au-dessus des autres en se soudant ensemble, et auxquelles, comme nous l’avons déjà dit, les feuilles de la tige viennent s’accoler, après s’être rapprochées l’une de l’autre.

37.

Dans beaucoup de plantes, les folioles du calice, isolées ou réunies, sont toujours rassemblées autour de l’axe du pédoncule en nombre déterminé et suivant un nombre constant : c’est sur cette constance que reposent en grande partie les progrès, la certitude et l’honneur des connaissances botaniques. Il est d’autres végétaux où le nombre et la disposition de ces parties sont sujets à varier. Mais cette variabilité n’a pu tromper l’œil exercé des maîtres de la science, et leurs définitions précises ont singulièrement restreint le cercle de ces écarts de la nature.

38.

Voici donc notre manière d’envisager la formation du calice : plusieurs feuilles, qui auparavant se développaient l’une après l’autre et de distance en distance, se réunissent en nombre déterminé et suivant un ordre constant autour d’un centre. Que si un afflux trop abondant de nourriture retardait la floraison, elles s’éloigneraient l’une de l’autre et se présenteraient sous leur forme ordinaire. La nature ne crée donc point un nouvel organe en formant le calice, elle réunit et modifie seulement un organe qui nous est déjà connu, et se rapproche ainsi d’un pas de plus du but vers lequel elle marche.

V.

Formation de la corolle.


Nous avons dit que le calice était le produit des sucs plus épurés qui s’élaborent peu à peu dans la plante. Nous allons le voir servir d’instrument lui-même à la formation d’un organe plus parfait encore. Cela se comprend en examinant simplement l’action mécanique du calice. Combien en effet la ténuité de ces vaisseaux resserrés au plus haut degré sur eux-mêmes et pressés l’un contre l’autre ne doit-elle pas favoriser la filtration des fluides les plus déliés !

40.

La transition du calice à la corolle peut s’observer dans plus d’un cas. Quoique le calice soit ordinairement vert comme les feuilles caulinaires, cependant il se colore souvent dans quelques points de sa surface, aux dentelures, aux bords, sur les saillies, et même à sa face interne, l’externe restant néanmoins verte. Cette coloration est toujours accompagnée d’une plus grande perfection de structure : de là ces calices douteux que l’on serait presqu’en droit de regarder comme des corolles (21).

41.

On a pu remarquer qu’à partir des cotylédons, les feuilles s’étendent et prennent une structure plus parfaite, surtout dans leur contour, tandis qu’au moment de la formation du calice il y a un resserrement dans leur périphérie. Démontrons que la corolle est produite par un nouveau développement en surface. Les pétales sont d’ordinaire plus grands que les sépales, et l’on peut dire que les parties revenues sur elles-mêmes dans le calice s’épanouissent de nouveau à l’état de corolle, et parviennent au plus haut degré de perfection sous l’influence de sucs modifiés par le calice lui-même. Elles nous présentent alors de nouveaux organes tout-à-fait différents : leur texture délicate, leur couleur, leur odeur rendraient leur origine méconnaissable, si nous n’avions pris la nature sur le fait dans plusieurs cas extraordinaires.

42.

Ainsi, l’on trouve quelquefois en dedans du calice de l’œillet un second calice vert en partie, qui dénote une tendance à former un calice gamosépale incisé ; mais il est en partie lacinié et transformé à ses pointes et à ses bords en pétales rudimentaires, mous, étendus et colorés. Preuve évidente de l’affinité du calice et de la corolle.

43.

L’analogie de la corolle avec les feuilles caulinaires se fait sentir de plus d’une manière ; on voit chez plusieurs plantes des feuilles colorées plus ou moins long-temps avant la floraison ; d’autres se colorent entièrement lorsqu’elles sont dans le voisinage de la fleur (22).

44.

Quelquefois la nature forme immédiatement la corolle sans passer par l’intermédiaire du calice, et alors nous pouvons constater que des feuilles caulinaires se changent en pétales. Sur les tiges des tulipes, par exemple, on voit assez souvent un pétale solitaire presque entièrement coloré ; ce qui est plus remarquable encore, c’est lorsqu’un tel pétale présente une moitié verte qui reste fixée à la tige, et l’autre colorée qui s’élève vers la fleur, d’où il résulte que la feuille se trouve déchirée par le milieu.

45.

L’opinion qui veut que la couleur et l’odeur des pétales soient dues à la présence du pollen, est des plus vraisemblables. Il ne se trouve probablement pas encore épuré, mais mêlé et dissous au milieu d’autres fluides, et les belles variétés de couleur que nous observons font naître l’idée que la matière qui remplit les pétales est à un haut degré de pureté, mais n’atteint la dernière limite que lorsqu’elle nous paraît blanche, c’est-à-dire incolore.

VI.

Formation des étamines.


La proposition précédente acquiert un nouveau degré de probabilité, quand on songe à l’intime connexion des pétales avec les étamines. Si l’analogie de tous les autres organes était aussi apparente, aussi généralement adoptée et constatée, cet essai serait un travail inutile.

47.

Quelquefois ce passage s’observe d’une manière normale, comme dans les Balisiers[4] et autres plantes de la même famille. Un véritable pétale se rétrécit, sans presque se modifier, à son bord supérieur, et l’on voit paraître une anthère à laquelle le reste de la feuille sert de filet (23).

48.

La transition peut s’observer à différents degrés sur les fleurs qui doublent. Dans plusieurs espèces de roses, on voit au milieu de pétales parfaitement développés et colorés, d’autres pétales qui sont étranglés à leur partie moyenne et sur leurs bords. Cette constriction est opérée par un léger renflement qui ressemble plus ou moins à une anthère, tandis que la feuille se rapproche dans le même rapport de la forme plus simple du filet. Certains pavots doubles présentent à la fois des anthères parfaitement développées sur certains pétales de leur corolle, et sur d’autres des tumeurs, semblables à des anthères, qui rétrécissent notablement le diamètre du limbe.

49.

Si toutes les étamines se métamorphosent en pétales, les fleurs deviennent stériles ; mais si quelques étamines se développent encore dans une fleur qui double, la fructification s’opère.

50.

Ainsi une étamine est produite lorsque les organes, que nous avons vus naguère se développer en pétales, se montrent, après être revenus de nouveau sur eux-mêmes, sous une forme plus parfaite. La remarque faite plus haut se trouve donc confirmée de nouveau, et nous serons de plus en plus attentifs dans l’examen de cette force d’expansion et de resserrement au moyen de laquelle la nature arrive enfin à son but.

VII.

Nectaires.


Quelque rapide que soit dans certaines plantes le passage de la corolle aux étamines, la nature cependant ne peut pas toujours franchir brusquement cet espace. Elle produit alors des organes de transition qui, se rapprochant, pour la forme et les fonctions, tantôt d’une partie et tantôt de l’autre, peuvent, quoique très variés, se définir en disant qu’ils sont des organes de passage intermédiaires entre les pétales et les étamines.

52.

Tous ces corps si diversement conformés que Linnée a désignés sons le nom de nectaires, peuvent se ranger sous cette définition, et nous trouvons ici de nouveaux motifs d’admirer l’étonnante sagacité de cet homme extraordinaire qui, sans se rendre compte de l’exacte destination des nectaires, s’en est fié à son instinct, et a réuni sous un même nom des organes si divers en apparence.

53.

Plusieurs pétales font voir leur analogie avec les étamines par cela seul qu’ils portent, sans changer de forme le moins du monde, de petites cavités ou de petites glandes qui sécrètent un suc semblable au miel[5]. D’après les motifs exposés plus haut, nous sommes conduits à considérer ce suc comme une liqueur fécondante qui ne serait pas encore parfaitement élaborée, et cette hypothèse acquerra un nouveau degré de vraisemblance lorsqu’elle sera étayée par les raisons que nous comptons exposer dans la suite.

54.

Quelquefois les nectaires paraissent des organes spéciaux, et alors leur structure se rapproche tantôt de celle des pétales, tantôt de celle des étamines. Ainsi les treize filets surmontés chacun d’un petit globule rouge que l’on voit sur les nectaires de la Parnassia, ont la plus grande ressemblance avec les étamines ; d’autres semblent des filets sans anthères comme dans la Vallisneria et la Fevillea. Dans le Pentapetes ils ont la plus grande analogie avec les feuilles, et alternent régulièrement avec les étamines en formant un cercle. Aussi, dans la description systématique, sont-ils mentionnés sous le nom de Filamenta castrata petaliformia. Des formations indéterminées analogues s’observent dans la Kigellaria et dans les Passiflores.

55.

Les petites corolles supplémentaires qui ont reçu le nom de Couronnes nous paraissent aussi mériter le nom de nectaires, pris dans l’acception précédente ; car si la formation des pétales a lieu par expansion, celle des couronnes a lieu par resserrement, c’est-à-dire de la même manière que les étamines. Ainsi, au dedans de corolles bien développées en surface, on trouve de petites couronnes revenues sur elles-mêmes, comme dans les Narcisses, les Nerium, les Agrostemma.

56.

Dans plusieurs genres les pétales subissent d’autres transformations plus remarquables et plus frappantes encore ; c’est ainsi qu’ils présentent souvent une petite fossette remplie d’une liqueur semblable à du miel. La fossette se creuse parfois, et produit sur le dos de la feuille un éperon ou une saillie qui a la forme d’une corne, et modifie plus ou moins celle de la fleur. Ce phénomène s’observe dans plusieurs espèces et variétés d’Ancolies.

57.

Mais c’est dans l’Aconit et la Nigella que cet organe apparaît dans son plus haut degré de métamorphose. Avec un peu d’attention, on pourra se convaincre de son analogie avec les pétales. Dans la Nigella surtout, ces nectaires se changent souvent eh pétales, et leur transformation rend la fleur double. Un examen consciencieux de l’Aconit fera sentir l’identité des nectaires avec le pétale en forme de casque sous lequel ils sont cachés (24).

58.

Si nous avons établi que les nectaires sont des organes de passage des pétales aux étamines, nous pourrons faire à cette occasion quelques remarques sur les fleurs anomales. Ainsi, par exemple, on pourrait décrire comme pétales, les cinq feuilles extérieures de la fleur du Melianthus, et considérer les cinq autres, qui sont situées plus à l’intérieur, comme une couronne formée par six nectaires, dont le supérieur est pétaloïde, tandis que l’inférieur qui s’éloigne le plus de la forme foliacée est connu sous le nom de nectaire. Dans le même sens on pourrait appeler nectaire la carène des fleurs papillonacées, puisque c’est, de tous les pétales de cette fleur, celui qui se rapproche le plus de la forme des étamines, et s’éloigne le plus de celle du pétale qui a reçu le nom d’étendard. La nature des corps filiformes qui s’observent à l’extrémité de la carène de quelques espèces de Polygala s’explique facilement, et nous donne une idée nette de la destination de ces organes (25).

59.

Il serait, je pense, superflu de repousser sérieusement le soupçon, que toutes ces remarques soient faites dans l’intention de jeter la confusion au milieu des ordres et des distributions établies par les observateurs et les classificateurs. Mon seul désir est d’expliquer quelques dispositions anomales des plantes.

VIII.

Encore quelques mots sur les étamines.


Les observations microscopiques ont prouvé que c’est par les vaisseaux spiraux que les parties sexuelles sont produites, ainsi que tous les autres organes ; nous tirons de là un argument en faveur de leur identité absolue, malgré la multiplicité des formes sous lesquelles ils nous apparaissent.

61.

Ces trachées étant situées au milieu d’un faisceau de tubes séveux, nous pouvons nous figurer la contraction dont nous avons parlé, en supposant que les trachées, qui paraissent être des ressorts élastiques, arrivent à leur plus haut degré de puissance. C’est ainsi que nous nous rendons compte de leur prédominance et du rôle secondaire auquel les vaisseaux de nutrition sont alors forcés de descendre.

62.

Les faisceaux vasculaires étant raccourcis et ne pouvant s’étendre, ils ne sauraient se chercher les uns les autres pour former un réseau anastomotique ; les réservoirs vésiculaires qui d’ordinaire remplissent les mailles de ce réseau, restent atrophiés, et toutes ces causes réunies, qui avaient favorisé le développement en largeur de la tige, du calice et des pétales, n’existant plus, il ne se produit qu’un simple filet grêle et faible tout à la fois.

63.

C’est à peine si les fines pellicules de l’anthère, où viennent se terminer les extrémités déliées des trachées, peuvent se former ; et si nous admettons que ces vaisseaux qui, auparavant s’allongeaient et se cherchaient les uns les autres, sont maintenant dans un état fasciculaire, si nous voyons sortir de leurs extrémités un pollen parfaitement élaboré qui remplace par ses propriétés actives ce qui manque en développement aux vaisseaux qui le produisent (26), si, délivré de sa prison, il cherche les organes de l’autre sexe qui viennent à sa rencontre par une prédisposition de la nature, s’il se fixe sur eux, s’il les influence ; pouvons-nous nous refuser à l’idée de nommer le rapprochement des deux sexes une anastomose idéale, et au besoin de ne plus séparer l’une de l’autre les idées de végétation et de reproduction ?

64.

La fine sécrétion des anthères nous apparaît sous la forme d’une poussière, mais ces globules ne sont que des réservoirs qui renferment une liqueur très volatile. Nous nous réunissons à l’opinion des botanistes qui pensent que ce suc est absorbé par le pistil auquel ces globules s’accrochent, et qu’il opère ainsi la fécondation. Cette hypothèse devient plus vraisemblable encore, si l’on réfléchit que quelques plantes ne sécrètent point de poussière, mais seulement un liquide (27).

65.

Rappelons à cette occasion le suc melliforme des nectaires, et son analogie probable avec le suc plus élaboré des globules du pollen. Peut-être les nectaires ne sont-ils que des organes préparatoires, peut-être les anthères absorbent-elles le suc qu’ils sécrètent pour le purifier et le filtrer ? Cette opinion devient très probable, si l’on réfléchit qu’il n’existe plus après la fécondation.

66.

Remarquons aussi en passant que les filets, ainsi que les anthères, se soudent fréquemment de diverses manières, et nous offrent les plus singuliers exemples de ces anastomoses, de ces soudures que nous avons déjà observées si souvent entre des parties végétales entièrement séparées à leur naissance.

IX.

Formation du style.


J’ai cherché jusqu’ici à démontrer l’identité qui existe entre les différentes parties qui se développent l’une après l’autre dans la plante, malgré les variétés de la forme extérieure. Je me propose maintenant, comme il était facile de le prévoir, d’expliquer de la même manière la structure des organes femelles.

68.

Examinons d’abord le style isolément et séparé du fruit, comme nous le trouvons aussi quelquefois dans la nature. Nous sommes d’autant plus en droit de le faire, que sous cette forme il se distingue évidemment du fruit.

69.

Remarquons que le style est sur le même degré de l’échelle d’accroissement que les étamines. On a pu voir que les étamines se formaient en vertu d’une contraction, le style est souvent dans le même cas, et si sa longueur n’égale pas toujours rigoureusement celle des étamines, elle s’en rapproche du moins beaucoup. Dans plusieurs cas, il ressemble à un filet sans anthère, et l’analogie extérieure de ces deux organes est bien plus frappante que celle de beaucoup d’autres. Produits l’un et l’autre par les trachées, nous voyons que le pistil n’est pas plus que l’étamine un organe à part, et si cette considération rend leur affinité des plus évidentes, l’idée de définir la fécondation une anastomose en deviendra plus claire et plus frappante.

70.

On trouve fréquemment qu’un style est formé par la réunion de plusieurs styles simples, et les parties qui le composent sont souvent mais non pas constamment séparées vers leurs extrémités ; les soudures, dont nous avons déjà signalé les effets, s’opèrent avec la plus grande facilité ; il y a plus, puisque c’est ici que ces parties déliées sont contractées après avoir été développées dans leur état de floraison, elles peuvent par conséquent se souder d’une manière plus intime.

71.

La nature nous montre plus ou moins clairement l’étroite liaison du pistil avec les autres parties de la fleur que nous avons déjà passées en revue, dans beaucoup de cas normaux. Ainsi le style de l’Iris est surmonté d’un stigmate dont la forme est absolument identique avec celle d’un pétale. Le stigmate, en forme de parasol des Sarracenia, ne paraît pas composé de plusieurs feuilles, mais il conserve encore la couleur verte. Si nous recourons au microscope, nous trouverons que beaucoup de stigmates, ceux des Crocus, de la Zanichellia sont absolument semblables à des calices gamosépales ou polysépales (28).

72.

La marche rétrograde de la nature nous fait voir souvent des styles et des stigmates métamorphosés de nouveau en pétales. Les Ranunculus asiaticus devient double parce que ses styles et ses stigmates se changent en pétales ; tandis que les étamines se trouvent en dedans de la corolle à leur état normal.

73.

Nous répéterons ici les observations déjà faites plus haut, savoir : que le style et les étamines sont sur le même degré dans l’échelle de l’accroissement, et la théorie de l’expansion et de la contraction alternative des organes pourra s’étayer d’un nouvel exemple. Depuis la graine jusqu’au développement le plus parfait de la feuille caulinaire il y a expansion ; un resserrement produit ensuite le calice, une nouvelle expansion la corolle, un dernier resserrement les parties sexuelles. Bientôt nous allons voir la plus grande expansion dans le fruit, et la plus grande concentration dans la graine. Tels sont les six degrés par lesquels la nature fait passer incessamment les végétaux, pour arriver à l’accomplissement de l’œuvre éternelle de leur propagation par les deux sexes.

X.

Des fruits.


Ce sont les fruits qui vont être maintenant le sujet de nos observations. Nous ne tarderons pas à nous convaincre qu’ils suivent les mêmes lois, et que leur origine est la même que celle des autres parties. Nous désignons plus spécialement ici ces enveloppes que la nature a faites pour contenir les graines qui ne sont pas nues, ou plutôt pour développer par la fécondation dans l’intérieur de ces péricarpes une plus ou moins grande quantité de graines. Peu de mots suffiront pour prouver que la structure de ces enveloppes peut s’expliquer par l’organisation des parties examinées jusqu’ici.

75.

C’est la métamorphose rétrograde qui de nouveau appelle ici notre attention sur cette loi de la nature. Ainsi l’on remarque souvent dans les œillets (fleurs si connues et si recherchées justement à cause de leurs dégénérescences) que les parties normales de l’ovaire se changent en folioles semblables à celles du calice, et que les styles diminuent de longueur dans les mêmes rapports ; il y a plus, on a vu des œillets où l’ovaire s’était métamorphosé en un calice parfaitement caractérisé, et dont les divisions portaient à leurs extrémités des traces du style et du stigmate. Au dedans de ce calice une nouvelle corolle plus ou moins complète se développait à la place des graines.

76.

La nature a en outre révélé par des créations régulières et constantes la fécondité que recèle la feuille. Ainsi dans le Tilleul, une feuille, modifiée il est vrai, quoique nullement méconnaissable, porte sur sa nervure moyenne un petit pédoncule au sommet duquel sont attachés les fleurs et le fruit. Une espèce de Ruscus[6], où les fleurs et les fruits naissent sur la feuille, est aussi très remarquable (29).

77.

La fécondité des feuilles caulinaires est plus grande encore et je dirais presque prodigieuse dans les frondes des fougères. En vertu d’une force intrinsèque, et peut-être même, sans la participation des deux sexes, elles développent et répandent un nombre infini de graines ou plutôt de germes capables de produire de nouveaux êtres, et une seule feuille peut rivaliser en fécondité avec une plante parfaite et même avec un grand arbre.

78.

Si toutes ces observations sont présentes à notre esprit, nous ne méconnaîtrons pas dans les enveloppes des fruits, en dépit de la variété de leur forme, de leur destination, et de leur soudure, la structure foliacée. Le follicule par exemple n’est qu’une feuille repliée sur elle-même et qui s’est collée sur ses deux bords, les siliques sont formées de deux feuilles, et enfin les ovaires composés s’expliquent par l’adhérence de plusieurs feuilles réunies autour d’un point central, dont la partie interne est restée béante tandis que les bords externes se sont soudés. Les faits sont là pour prouver ces théories. Quand ces capsules composées s’ouvrent à leur maturité, chacun des carpelles se montre à nous sous la forme d’un follicule. Dans les différentes espèces du même genre, de semblables phénomènes ont lieu régulièrement. Ainsi les capsules de la Nigella orientalis sont composées de follicules rassemblés autour d’un axe, et seulement à moitié soudés entre eux, tandis que dans la Nigella damascena, ils sont réunis en totalité (30).

79.

C’est lorsqu’elle produit des fruits charnue et succulents, ou ligneux et durs, que la nature semble vouloir nous dérober la structure foliacée des carpelles ; maïs elle ne saurait échapper à notre investigation, si nous la suivons attentivement dans toutes ses transitions. Qu’il nous suffise ici d’en avoir donné une idée générale et d’avoir prouvé par quelques exemples l’accord de la nature avec elle-même. La grande variété de conformation que présentent les fruits peut fournir matière à de plus amples observations.

80.

L’analogie des carpelles avec les organes précédents se montre aussi par le stigmate qui souvent est immédiatement superposé et intimement uni à l’ovaire. Nous avons fait voir plus haut combien le stigmate avait de tendance à s’élargir en feuille. Nous pouvons appuyer cette assertion par un nouvel exemple ; on remarque en effet que dans les pavots qui doublent les stigmates des capsules se métamorphosent en petites feuilles délicates colorées, et absolument semblables à des pétales.

81.

Le dernier et le plus grand développement de la plante dans le cours de son accroissement, c’est la formation du fruit, qui est souvent très volumineux, je dirai même énorme eu égard à la force productrice qu’il suppose dans la plante. Il ne se fait le plus souvent qu’après la fécondation, et la graine, création plus parfaite dont la vie commence, tire de toute la plante les sucs nécessaires à sa nourriture, leur imprime une direction spéciale vers le fruit ce qui remplit et dilate les vaisseaux à tel point qu’ils sont souvent fortement distendus. Les gaz les plus déliés concourent à cet effet. Tout ce que nous avons rapporté tend à le prouver, et le £ut que les gousses boursouflées du Baguenaudier[7] contiennent de l’air pur, en est une nouvelle confirmation.

XI.

Des enveloppes immédiates de la graine.


Différant essentiellement du fruit, la graine est surtout remarquable par une contraction portée au plus haut degré, et par l’extrême perfection de son organisation intérieure. On remarque sur plusieurs graines qu’elles prennent des feuilles pour enveloppes immédiates, qu’elles se les adaptent, se les approprient entièrement et changent tout-à-fait leur apparence extérieure. Nous avons vu précédemment plusieurs semences se développer sur et même dans une feuille, nous ne nous étonnerons donc point de voir ici un germe seul se revêtir d’une enveloppe foliacée.

83.

Les traces de feuilles qui ne se sont pas encore identifiées avec les graines, s’observent sur les fruits ailés de l’Orme, du Frêne, de l’Érable et du Bouleau. Les trois cercles concentriques de graines plus ou moins achevées que l’on remarque dans le Souci, sont un exemple fort remarquable de la manière dont la graine se revêt d’enveloppes qui sont de plus en plus larges. Dans le plus extérieur des trois cercles l’analogie avec la forme des sépales est frappante, seulement une série de graines force la nervure médiane à s’allonger ; courbe la feuille, et cette feuille courbée est séparée intérieurement par une petite membrane en deux loges suivant le sens de sa longueur. Dans le cercle suivant les changements sont déjà plus sensibles, la feuille a diminué de largeur, sa cloison interne a disparu : en revanche, la forme de la capsule est plus allongée, la rangée des graines disposées le long de la nervure, plus apparente, les bosselures qui la surmontent plus marquées. Ces deux cercles paraissent n’avoir été que peu ou point fécondés. Vient ensuite le troisième cercle où les capsules sont fortement courbées et revêtues d’un involucre parfaitement adapté à toutes leurs éminences et à tous leurs enfoncements. Nous voyons ici une nouvelle et violente contraction des parties étendues primitivement en feuilles, et cela par la force interne de la graine, comme nous avons vu plus haut le pétale revenir sur lui-même pour se transformer en anthère.

XII.

Récapitulation et transition.


Jusqu’ici nous avons, suivi pas à pas la marche de la nature avec toute l’attention dont nous étions capables. Nous avons observé l’habitus de la plante dans toutes ses métamorphoses, depuis sa sortie de la graine jusqu’à la formation d’une nouvelle graine. Et sans prétendre remonter aux causes premières des phénomènes naturels, nous avons noté avec soin les effets de ces forces secrètes, qui modifient successivement un seul et même organe. Pour ne point quitter le fil que nous avons saisi, nous avons toujours supposé que la plante était annuelle. Nous avons signalé la métamorphose des feuilles qui accompagnent les nœuds et en avons déduit toutes les formes organiques. Il est maintenant nécessaire, pour compléter cet essai, de parler des bourgeons qui, cachés dans l’aisselle des feuilles, se développent sous l’influence de certaines circonstances, tandis que d’autres les font disparaître entièrement.

XIII.

Des bourgeons et de leur développement.


Chaque nœud recèle la propriété de produire un ou plusieurs bourgeons ; ils naissent dans le voisinage des feuilles, qui semblent préparer et favoriser leur formation ou leur accroissement.

86.

C’est sur le développement successif d’un nœud par un autre, la formation d’une feuille à chaque nœud, et d’un bourgeon à chaque feuille, qu’est fondée la propagation lente et progressive des végétaux dans sa plus grande simplicité.

87.

On sait que les bourgeons ont une analogie des plus marquées avec les graines mûres, et que l’on peut y reconnaître mieux encore que dans la graine la forme de la plante future.

88.
Si l’organe des racines n’est pas aussi visible dans les bourgeons que dans la graine, il n’en existe pas moins, et se développe facilement et avec promptitude sous l’influence de l’humidité.
89.

Le bourgeon n’a pas besoin de cotylédons ; il reçoit une nourriture suffisante de la plante-mère tant qu’il végète sur elle : s’il se trouve greffé sur une autre plante, il sait en tirer les sucs nécessaires à son existence. Quand le rameau est confié au sol, c’est la terre qui les lui fournit par l’intermédiaire des racines qui poussent à l’instant même.

90.

Le bourgeon est formé d’un nœud et d’une feuille qui sont plus ou moins développés, et destinés à l’accroissement futur du végétal. On peut donc considérer les rameaux axillaires qui sortent des bourgeons de la plante comme de petits individus séparés, vivant sur le tronc comme celui-ci vit sur le sol (31).

91.

Leurs rapports et leurs différences ont été souvent signalés, mais surtout depuis peu, et avec tant de sagacité et d’exactitude, que nous nous en référons sans restriction au bel ouvrage de Gærtner[8].

92.

Disons seulement que la nature différencie, dans les plantes parfaites, le bourgeon d’avec la graine : mais si nous descendons dans les derniers degrés de l’échelle végétale, cette différence disparaît aux yeux de l’observateur même le plus attentif. On voit des organes qui sont incontestablement des graines, d’autres qui sont incontestablement des bourgeons ; mais le point où des graines fécondées par la conjonction des deux sexes, et séparées, ensuite de la plante-mère, se confondent avec les bourgeons qui poussent sur la plante et s’en détachent sans cause connue ; ce point, dis-je, peut être fixé par le raisonnement, mais ne saurait être apprécié par les sens.

93.

Tout cela étant bien considéré, nous pouvons en conclure, que les graines qui se distinguent des bourgeons par leurs enveloppes, des sporules par les causes apparentes de leur développement et de leur séparation, sont néanmoins analogues à chacun de ces deux organes en particulier.

XIV.

Formation des fleurs et des fruits composés.


Jusqu’ici nous avons tâché d’expliquer comment la métamorphose des feuilles caulinaires peut produire les fleurs simples et les graines qui sont renfermées dans les capsules. En examinant la chose de plus près, nous verrons que, dans ces différents cas, le développement des bourgeons n’a point lieu, et même qu’il est impossible ; mais pour expliquer les inflorescences composées, aussi bien que les agrégations des fruits en cône, en fuseau et en capitule, il faut revenir au bourgeon.

95.

On voit souvent des tiges qui, sans se préparer et se réserver long-temps pour une seule inflorescence, poussent des fleurs immédiatement insérées sur les nœuds et continuent ainsi de suite jusqu’à leur sommet. Les phénomènes qui se manifestent alors peuvent s’expliquer par la théorie qui précède. Toutes les fleurs qui se développent des bourgeons doivent être considérées comme des plantes isolées, insérées sur la plante-mère comme celle-ci l’est dans le sol. Recevant des nœuds un suc plus élaboré, les premières feuilles de rameaux sont beaucoup mieux formées que les premières feuilles qui dans la plante-mère succèdent immédiatement aux cotylédons. Il y a plus : souvent la nature peut, dès ce moment, former un calice et une corolle.

96.

Ces fleurs qui éclosent des bourgeons seraient devenues des rameaux si elles avaient reçu une nourriture plus abondante, et auraient subi le destin de la tige-mère, auquel cette circonstance les eût, pour ainsi dire, forcées de se soumettre.

97.

Tandis que les fleurs se développent ainsi de nœud en nœud, les feuilles caulinaires subissent les mêmes transformations par lesquelles nous les avons vues passer, dans leur transition graduelle à l’état de calice. Elles se resserrent de plus en plus, et disparaissent enfin presque entièrement. On les désigne alors sous le nom de bractées, parce qu’elles s’éloignent plus ou moins de la forme des feuilles ; le pédoncule s’amincit en proportion, les nœuds se rapprochent, et l’on voit apparaître tous les phénomènes mentionnés ci-dessus. Seulement, à l’extrémité de la tige il n’y a point d’inflorescence terminale, parce que la nature a déjà usé de ses droits à chaque nœud en particulier.

98.

Pour expliquer les fleurs composées, il suffit de considérer attentivement une tige portant des fleurs axillaires, en se rappelant ce que nous avons dit plus haut sur la formation du calice.

99.

La nature forme un calice commun, en réunissant plusieurs feuilles qu’elle presse les unes contre les autres, et qu’elle rassemble autour d’un axe central. La vigueur de son accroissement est telle, qu’elle pousse tout d’un coup une tige avec tous ses bourgeons à fleurs, serrés autant que possible les uns contre les autres, et chaque fleuron féconde l’ovaire placé au-dessous de lui. Les feuilles qui accompagnent les nœuds ne disparaissent pas toujours entièrement. Dans les Dipsacées, la feuille est le satellite fidèle de la petite fleur qui s’est développée dans le bourgeon voisin, et tout ce que nous avançons dans ce paragraphe pourrait s’appliquer mot pour mot au Dipsacus laciniatus. Dans beaucoup de Graminées, chaque fleur est accompagnée de cette petite feuille qui se nommé la glume.

100.

Il est évident d’après cela que les graines, développées sur le réceptacle d’une fleur composée, sont de véritables bourgeons produits et fécondés par l’influence des deux sexes. Saisissons cette idée, et considérons, sous ce rapport, plusieurs plantes ; leur accroissement, leur fructification et leur examen comparatif nous persuaderont mieux que tout le reste.

101.

Il ne nous sera pas difficile non plus d’expliquer l’existence de plusieurs fruits rassemblés autour d’un axe dans le centre d’une fleur. Peu importe, en effet, qu’une seule et même fleur contienne un assemblage de fruits qui, soudés entre eux, recueillent par leurs pistils le pollen des anthères et le transmettent aux graines, ou bien que chaque graine ait un pistil séparé, des anthères, et des pétales à elle.

102.

Je suis convaincu qu’en suivant cette marche on parviendrait à expliquer les formes si variées des fleurs et des fruits. Seulement il faudrait que les notions d’extension, de contraction, de compression et d’anastomose, fussent bien fixées et qu’on pût les manier comme des formules algébriques, pour les employer quand elles peuvent l’être. Il serait de la plus haute importance d’observer avec soin, et de comparer entre elles les différentes gradations par lesquelles la nature fait passer les êtres en créant des races, des espèces, des variétés, ou même des individus isolés. Une collection de dessins formée dans ce but et accompagnée d’une terminologie botanique applicable, sous ce point de vue spécial, aux différentes parties des plantes, serait à la fois intéressante et utile. Nous allons présenter deux exemples de plantes monstrueuses, comme preuve de notre théorie dont elles sont une confirmation irrécusable.

XV.

Rose prolifère[9].


Tout ce que notre esprit s’est efforcé jusqu’ici de se figurer à l’aide de l’imagination, une rose monstrueuse va le réaliser de la manière la plus complète. Le calice et la corolle sont rassemblés autour d’un axe commun, mais l’ovaire resserré sur lui-même ne se trouve pas au milieu, entouré et surmonté des organes mâles et femelles ; c’est la tige qui s’élève du centre de la fleur : elle est colorée d’un vert entremêlé de teintes rougeâtres ; de petits pétales d’un rouge foncé et plissés sur eux-mêmes, dont quelques uns portent les traces de l’insertion des anthères, se développent successivement le long de ce nouveau pédoncule armé d’aiguillons qui continue la tige. Les pétales isolés diminuent de grandeur et finissent par passer, sous nos yeux, à l’état de feuilles caulinaires, moitié rouges et moitié vertes. Une série de nœuds s’établit de nouveau, et, de leurs bourgeons, sortent des boutons de rose qui cependant sont toujours imparfaits.

104.

Cet exemple est une preuve palpable de ce que nous avons avancé plus haut, savoir que tous les calices ne sont que des feuilles florales rétrécies ; car ici le calice régulier est formé de cinq feuilles parfaitement développées, composées de trois à cinq folioles, et telles enfin qu’on les voit ordinairement sur les tiges des rosiers.

XVI.

Œillet prolifère.


Si nous avons bien examiné le phénomène précédent, celui qui va suivre et que nous présente un œillet monstrueux paraîtra au moins aussi remarquable, si ce n’est plus. Nous avons sous les yeux une fleur parfaite, munie d’un calice et d’une corolle pleine ; au centre se trouve un ovaire qui n’est pas entièrement développé ; sur les parties latérales de la corolle se montrent quatre nouvelles fleurs parfaites, élevées au-dessus de la fleur centrale par des pédoncules qui présentent trois ou plusieurs nœuds. Elles ont aussi des calices et sont doubles, non seulement parce qu’elles sont pleines de pétales isolés, mais encore parce que des corolles gamopétales, résultat de la soudure des onglets, se sont formées à l’intérieur. On y découvre encore d’autres pétales qui par leur réunion semblent former de petits rameaux, et sont implantés autour d’un pétiole commun. Malgré ce développement extraordinaire, les filets des étamines et les anthères existent dans quelques unes de ces fleurs. Les enveloppes du fruit et les styles sont étendus en feuilles ainsi que le réceptacle ; et même, dans une de ces fleurs, les enveloppes du fruit formaient, par leur soudure, un véritable calice et renfermaient les rudiments d’une nouvelle fleur double.

106.

Dans la rose, nous avons vu une fleur ébauchée du centre de laquelle s’élevait un nouveau pédoncule de feuilles. Dans l’œillet, nous avons un calice parfait, une corolle régulière, des ovaires existant au centre, et de plus des bourgeons qui se développent au-dedans de la corolle, et représentent de véritables rameaux et de véritables fleurs. Ces deux cas nous font voir que la nature, en formant la fleur, termine en général l’accroissement de la plante, et arrête, pour ainsi dire, l’addition, afin de prévenir la possibilité d’un développement graduel, mais indéfini, et d’atteindre plus rapidement son but en produisant la graine.

XVII.

Théorie de Linnée sur l’anticipation.


Si j’ai bronché çà et là dans une route qu’un de mes prédécesseurs (qui ne la suivit que sous la direction de son illustre maître) a jugée si dangereuse et si perfide[10] ; si je ne l’ai pas suffisamment aplanie ; si je n’ai pas levé, dans l’intérêt de mes successeurs, tous les obstacles dont elle est semée, je ne croirai point avoir pour cela fait un travail tout-à-fait inutile.

108.

Il est temps de parler de la théorie au moyen de laquelle Linnée s’est efforcé d’expliquer les phénomènes dont nous venons de parler. Les faits qui ont donné l’idée de cet essai n’ont pas échappé à la pénétration de son esprit ; et s’il nous est accordé de dépasser maintenant le point où il s’était arrêté, nous le devons aux efforts réunis de tant d’observateurs et de penseurs qui ont surmonté bien des difficultés et détruit bien des préjugés. Une comparaison de sa théorie et des idées que nous avons émises nous mènerait trop loin. Le lecteur instruit y suppléera. Il faudrait d’ailleurs entrer dans des considérations qui manqueraient de clarté pour ceux qui n’ont pas encore réfléchi sur ce sujet. Contentons-nous donc de noter les circonstances qui empêchèrent Linnée d’aller jusqu’au bout de la carrière.

109.

C’est sur des arbres, plantes vivaces et des plus compliquées qu’il fit ses premières observations. Il remarqua qu’un arbre placé dans une caisse très grande et nourri avec profusion, poussait pendant plusieurs années des rameaux qui s’élevaient les uns sur les autres, tandis que le même arbre placé dans une caisse plus étroite se chargeait promptement de fleurs et de fruits. De là, le nom de prolepsis, anticipation, sous lequel il désigna ce phénomène, parce que la nature par les six pas progressifs qu’elle fait en avant semble anticiper sur six ans. Il appliqua principalement sa théorie aux bourgeons des arbres, sans s’inquiéter des plantes annuelles, sentant bien qu’elle cadrait beaucoup mieux avec les phénomènes des végétaux vivaces. Car, d’après sa doctrine, il faudrait admettre que toute plante annuelle est prédestinée par la nature à croître six ans ; mais qu’elle anticipe sur cet espace de temps par une floraison et une fructification prématurées, pour se faner aussitôt après.

110.

Nous avons, au contraire, suivi d’abord l’accroissement d’une plante annuelle ; puis nous en avons fait une application facile aux végétaux vivaces ; car le rameau qui se développe sur l’arbre le plus vieux, n’est à vrai dire qu’une plante annuelle, quoiqu’il pousse sur un tronc qui existe déjà depuis plusieurs années, et que lui-même puisse durer fort long-temps.

111.

Une seconde circonstance qui empêcha Linnée de pousser plus loin ses recherches, c’est qu’il considéra les différents cercles concentriques du tronc, savoir : l’écorce extérieure, le liber, le bois et la moelle, comme des parties agissant simultanément et ayant une vitalité et une importance égales. Il attribua à ces couches concentriques du tronc la production de la fleur et du fruit, qui, disait-il, se développent l’un de l’autre, et se recouvrent mutuellement comme les couches corticales et ligneuses. Mais cette observation superficielle n’a pu soutenir un examen approfondi. L’écorce la plus extérieure est inapte à produire quoi que ce soit, et dans les vieux troncs, c’est une masse durcie et séquestrée au dehors, comme le bois l’est au dedans. Dans beaucoup d’arbres, elle tombe ; dans beaucoup d’autres, on peut l’enlever sans leur causer le moindre préjudice. Elle ne saurait donc produire ni un calice, ni une corolle, ni une portion vivante quelconque ; c’est le liber qui renferme le principe de la vie, et sa lésion entraîne un désordre proportionnel dans la végétation. Une observation attentive prouve que c’est de lui que toutes les parties externes se développent successivement si c’est le long de la tige, ou simultanément si c’est dans la fleur et le fruit. Linnée ne lui attribue que le rôle secondaire de produire la corolle, le bois étant chargé de la création des étamines ; mais il est facile de s’assurer que le bois est une partie que la solidification rende inerte, qui persiste, mais est morte quant à la vitalité de ses fonctions (32). La moelle, d’après lui, donne naissance aux organes femelles, et se trouve ainsi chargée de l’important ministère d’assurer la propagation de l’espèce. Les doutes que l’on a élevés sur cette haute dignité de la moelle, et les raisonnements dont on les a étayés, me paraissent également solides et irrécusables ; quoique, en apparence, le style et le fruit semblent sortir de la moelle, parce qu’au premier moment de leur apparition leur tissu est mou, parenchymateux, analogue à celui du tissu médullaire et qu’ils se trouvent groupés au centre de la tige, précisément sur le point où nous sommes habitués à découvrir la moelle.

XVIII.

Récapitulation.


Je désire vivement que cet Essai, destiné à expliquer les métamorphoses des plantes, ait contribué à la solution du problème ; qu’il provoque des recherches, et qu’on puisse en tirer quelques corollaires utiles. Les faits sur lesquels je me fonde ont déjà été observés isolément, on les a même rassemblés et classés[11]. Reste à savoir si le pas que nous croyons avoir fait faire à la science nous rapproche de la vérité. Récapitulons en peu de mots les résultats principaux contenus dans ce mémoire.

113.

Les forces vitales de la plante se manifestent de deux manières : d’une part par la végétation, en poussant une tige et des feuilles ; de l’autre, par la reproduction, qui s’accomplit au moyen des fleurs et des fruits. Si nous examinons la végétation de plus près, nous verrons que la plante, en se continuant de nœud en nœud, de feuille en feuille, et en poussant des bourgeons, effectue un genre de reproduction, différent de celui qui se fait d’un seul coup, en ce qu’il est successif et se manifeste par une série de développements isolés. Cette force qui produit les bourgeons et qui se montre ainsi peu à peu à l’extérieur, a la plus grande analogie avec celle qui détermine tout d’un coup la grande propagation. On peut contraindre, dans différents cas, une plante à pousser sans cesse des bourgeons, on peut aussi hâter l’époque de la floraison ; le premier effet a lieu si les sucs affluent ; le second, lorsque les fluides très élaborés sont plus abondants que les autres.

114.

En définissant le bourgeonnement une propagation successive, la floraison et la fructification une propagation simultanée, nous avons désigné le mode sous lequel chacune d’elles se manifeste. Une plante qui bourgeonne s’étend plus ou moins ; elle pousse un pédoncule ou un pétiole, les entrenœuds sont bien marqués, et les feuilles se développent en tous sens à partir de la tige. Une plante, au contraire, qui fleurit, se resserre dans toutes ses parties. L’extension en longueur et en largeur s’arrête, tous les organes sont pressés l’un contre l’autre et dans un état de concentration.

115.

Ainsi donc, que la plante pousse des bourgeons, qu’elle fleurisse ou qu’elle porte des fruits, ce sont toujours les mêmes organes dont la destination, dont les formes changent, mais qui n’en remplissent pas moins les intentions de la nature. Le même organe qui s’étend en feuille sur la tige et présente des apparences si variées, se contracte pour constituer le calice, s’étend de nouveau pour former le pétale, pour se resserrer encore dans les organes génitaux, et s’étendre, pour la dernière fois, sous la forme de fruit.

116.

À ces phénomènes naturels vient se joindre encore une autre circonstance, celle de la réunion des différents organes autour d’un centre en nombres constants et dans de certaines limites de développement : nombres variables toutefois sous l’influence de certains agents ; limites que la nature ne respecte pas toujours.

117.

Une anastomose a lieu dans la formation de la fleur et du fruit. Elle réunit intimement l’un à l’autre les organes délicats de la fructification pour tout le temps de leur durée, ou seulement pour un temps limité.

118.

Ces phénomènes de rapprochement, de centralisation, d’anastomose, ne sont pas bornés uniquement aux fleurs et aux fruits. Nous voyons quelque chose d’analogue dans les cotylédons, et d’autres parties pourraient fournir ample matière à de nouvelles réflexions.

119.

De même que nous avions tenté d’expliquer, au moyen de la feuille caulinaire seule, les formes si différentes en apparence de la plante, poussant des bourgeons et des fleurs, de même nous avons osé déduire de la structure foliacée celle de ces fruits qui enveloppent étroitement leurs graines.

120.

On conçoit qu’il faudrait créer un terme général pour dénommer cet organe qui revêt des formes si variées, et ramener à ce type primitif toutes les modifications secondaires. Contentons-nous, pour le moment, de comparer chaque apparence avec celle qui la précède et celle qui la suit. Car il est aussi exact de dire : une étamine est un pétale contracté, que de prétendre qu’un pétale est une étamine développée. Un sépale est une feuille caulinaire revenue sur elle-même et douée d’une organisation plus parfaite, ou si l’on veut, la feuille est un sépale étendu en surface par l’abord de sucs plus grossiers.

121.

On pourrait définir le pédoncule, un réceptacle allongé, avec autant de raison que nous avons appelé celui-ci un pédoncule élargi.

122.

J’ai pris en considération, dans la dernière partie de cet Essai, le développement des bourgeons au moyen duquel je crois avoir rendu compte des fleurs composées et des graines nues.

123.

Je me suis donc efforcé d’établir aussi solidement et aussi complétement qu’il m’a été possible, une opinion qui a beaucoup de vraisemblance à mes yeux. Que si elle n’est pas encore arrivée au dernier degré d’évidence, si elle est sujette à bien des difficultés, si la théorie ne cadre pas avec tous les faits, il est de mon devoir de recueillir tous les documents et de traiter dans la suite ce sujet avec plus de précision et de détail, afin de rendre mon explication convaincante et de lui concilier l’universalité des suffrages auxquels elle n’est pas en droit de prétendre actuellement.


  1. Voy. pl. III.
  2. Vicia faba.
  3. Hedwig dans le 3e cahier du Magasin de Leipsig.
  4. Canna.
  5. Ex. les Fritillaires, les Renoncules.
  6. Ruscus aculeatus.
  7. Colutea arborescens.
  8. Gærtner, de fructibus et seminibus plantarum, cap. i.
  9. Voy. planche V, fig. 1.
  10. Ferber, in præfatione dissertationis secundæ de prolepsi plantarum.
  11. Batsch, Anleitung zur Kenntniss und Geschichte der Pflanzen I, th. 19 c.