Œuvres complètes de la Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 1/Livre cinquiéme

Œuvres complètes, tome 1, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxPaul Daffis (p. 141-160).
LIVRE CINQUIÉME.




FABLE I.
LE BUCHERON ET MERCURE.
A M. L. C. D. B.[1]



Vostre goust a servy de regle à mon Ouvrage.
J’ay tenté les moyens d’acquerir son suffrage.
Vous voulez qu’on évite un soin trop curieux,
Et des vains ornemens l’effort ambitieux.
Je le veux comme vous ; cét effort ne peut plaire.
Un Auteur gaste tout quand il veut trop bien faire.
Non qu’il faille bannir certains traits delicats :
Vous les aimez ces traits, et je ne les hais pas.
Quant au principal but qu’Esope se propose.
J’y tombe au moins mal que je puis.
Enfin, si dans ces Vers je ne plais et n’instruis,
Il ne tient pas à moy, c’est toûjours quelque chose.

Comme la force est un poinct
Dont je ne me pique point ;
Je tâche d’y tourner le vice en ridicule,
Ne pouvant l’attaquer avec des bras d’Hercule.
C’est là tout mon talent ; je ne sçay s’il suffit.
Tantost je peins en un recit
La sotte vanité jointe avecque l’envie.
Deux pivots sur qui roule aujourd’huy nôtre vie.
Tel est ce chetif animal
Qui voulut en grosseur au Bœuf se rendre égal.
J’oppose quelquefois par une double image
Le vice à la vertu, la sottise au bon sens ;
Les Agneaux aux Loups ravissans,
La Moûche à la Fourmy ; faisant de cét ouvrage
Une ample Comedie à cent actes divers,
Et dont la scene est l’Univers.
Hommes, Dieux, Animaux, tout y fait quelque rôle ;
Jupiter comme un autre : introduisons celuy
Qui porte de sa part aux belles la parole :
Ce n’est pas de cela qu’il s’agit aujourd’huy.



Un Bûcheron perdit son gagne-pain ;
C’est sa cognée ; et la cherchant en vain,
Ce fut pitié là-dessus de l’entendre.
Il n’avoit pas des outils à revendre.
Sur celuy-cy rouloit tout son avoir.
Ne sçachant donc où mettre son espoir,
Sa face estoit de pleurs toute baignée.
O ma cognée, ô ma pauvre cognée !
S’écrioit-il, Jupiter rends la moy :
Je tiendray l’estre encore un coup de toy.
Sa plainte fût de l’Olimpe entenduë.
Mercure vient. Elle n’est pas perduë,
Luy dit ce Dieu, la connoistras-tu bien ?
Je crois l’avoir prés d’icy rencontrée.
Lors une d’or à l’homme estant monstrée,
Il répondit. Je n’y demande rien.

Une d’argent succede à la premiere ;
Il la refuse. Enfin une de bois.
Voilà, dit-il, la mienne cette fois ;
Je suis content si j’ay cette derniere.
Tu les auras, dit le Dieu, toutes trois.
Ta bonne foy sera recompensée.
En ce cas là je les prendray, dit-il.
L’Histoire en est aussi-tost dispersée.
Et boquillons de perdre leur outil,
Et de crier pour se le faire rendre.
Le Roy des Dieux ne sçait auquel entendre.
Son fils Mercure aux criards vient encor,
A chacun d’eux il en monstre une d’or.
Chacun eût crû passer pour une beste
De ne pas dire aussi-tost, La voila.
Mercure au lieu de donner celle-là,
Leur en décharge un grand coup sur la teste.

Ne point mentir, estre content du sien,
C’est le plus seur : cependant on s’occupe
A dire faux pour attraper du bien :
Que sert cela ? Jupiter n’est pas dupe.




II.
LE POT DE TERRE ET LE POT
DE FER.



Le Pot de fer proposa
Au Pot de terre un voyage.
Celuy-cy s’en excusa ;
Disant qu’il feroit que sage
De garder le coin du feu :
Car il luy faloit si peu,

Si peu, que la moindre chose
De son débris seroit cause.
Il n’en reviendroit morceau.
Pour vous, dit-il, dont la peau
Est plus dure que la mienne.
Je ne vois rien qui vous tienne.
Nous vous mettrons à couvert,
Repartit le Pot de fer.
Si quelque matiere dure
Vous menace d’aventure,
Entre-deux je passeray,
Et du coup vous sauveray.
Cette offre le persuade.
Pot de fer son camarade
Se met droit à ses costez.
Mes gens s’en vont à trois pieds
Clopin clopant comme ils peuvent,
L’un contre l’autre jettez,
Au moindre hoquet qu’ils treuvent.
Le Pot de terre en souffre ; il n’eut pas fait cent pas,
Que par son compagnon il fut mis en éclats,
Sans qu’il eût lieu de se plaindre.
Ne nous associons qu’avecque nos égaux ;
Ou bien il nous faudra craindre
Le destin d’un de ces pots.




III.
LE PETIT POISSON ET LE
PESCHEUR.



Petit poisson deviendra grand,
Pourveu que Dieu luy prête vie.
Mais le lascher en attendant,
Je tiens pour moy que c’est folie ;

Car de le rattraper, il n’est pas trop certain.
Un Carpeau qui n’estoit encore que fretin,
Fut pris par un Pescheur au bord d’une riviere.
Tout fait nombre, dit l’homme en voyant son butin ;
Voila commencement de chere et de festin ;
Mettons-le en nostre gibeciere.
Le pauvre Carpillon luy dit en sa maniere :
Que ferez-vous de moy ? Je ne sçaurois fournir
Au plus qu’une-demy bouchée.
Laissez-moy Carpe devenir :
Je seray par vous repeschée.
Quelque gros partisan m’achetera bien cher.
Au lieu qu’il vous en faut chercher
Peut-estre encor cent de ma taille
Pour faire un plat. Quel plat ? croyez-moy ; rien qui vaille.
Rien qui vaille ? et bien soit, repartit le Pescheur ;
Poisson mon bel amy, qui faites le prescheur.
Vous irez dans la poësle ; et vous avez beau dire,
Dés ce soir on vous fera frire.

Un tien vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras :
L’un est seur, l’autre ne l’est pas.




IV.
LES OREILLES DU LIEVRE.



Un animal cornu blessa de quelques coups
Le Lion, qui plein de courroux.
Pour ne plus tomber en la peine,
Bannit des lieux de son domaine
Toute beste portant des cornes à son front.
Chevres, Beliers, Taureaux aussi-tost délogerent,
Daims, et Cerfs de climat changerent ;
Chacun a s’en aller fut prompt.

Un Lievre appercevant l’ombre de ses oreilles,
Craignit que quelque inquisiteur
N’allast interpreter à cornes leur longueur :
Ne les soûtint en tout à des cornes pareilles.
Adieu voisin Grillon, dit-il, je pars d’icy ;
Mes oreilles enfin seroient cornes aussi :
Et quand je les aurois plus courtes qu’une Autruche,
Je craindrois mesme encor. Le Grillon repartit.
Cornes cela ? vous me prenez pour cruche ;
Ce sont oreilles que Dieu fit.
On les fera passer pour cornes,
Dit l’animal craintif, et cornes de Licornes.
J’auray beau protester ; mon dire et mes raisons
Iront aux petites Maisons.




V.
LE RENARD AYANT LA QUEUË
COUPÉE.



Un vieux Renard, mais des plus fins,
Grand croqueur de Poulets, grand preneur de Lapins,
Sentant son Renard d’une lieuë,
Fut enfin au piege attrapé.
Par grand hazard en estant échapé ;
Non pas franc, car pour gage il y laissa sa queuë ;
S’estant, dis-je, sauvé sans queuë et tout honteux ;
Pour avoir des pareils (comme il estoit habile)
Un jour que les Renards tenoient conseil entr’eux,
Que faisons-nous, dit-il, de ce poids inutile,
Et qui va balayant tous les sentiers fangeux ?
Que nous sert cette queuë ? il faut qu’on se la coupe,
Si l’on me croit, chacun s’y resoudra.

Vostre avis est fort bon, dit quelqu’un de la troupe,
Mais tournez-vous, de grace, et l’on vous répondra.
A ces mots il se fit une telle huée,
Que le pauvre écourté ne pût estre entendu.
Prétendre oster la queuë eust esté temps perdu ;
La mode en fût continuée.




VI.
LA VIEILLE ET LES DEUX
SERVANTES.



Il estoit une Vieille ayant deux Chambrières.
Elles filoient si bien que les sœurs filandieres
Ne faisoient que broüiller au prix de celles-cy :
La Vieille n’avoit point de plus pressant soucy
Que de distribuer aux Servantes leur tasche.
Dés que Thetis chassoit Phœbus aux crins dorez,
Tourets entroient en jeu, fuseaux estoient tirez,
Deçà, delà, vous en aurez ;
Point de cesse, point de relâche.
Dés que l’Aurore, dis-je, en son char remontoit,
Un miserable Coq à poinct nommé chantoit.
Aussi-tost nostre Vieille encor plus miserable
S’affubloit d’un jupon crasseux et detestable ;
Allumoit une lampe et couroit droit au lit
Où de tout leur pouvoir, de tout leur appetit,
Dormoient les deux pauvres Servantes.
L’une entr’ouvroit un œil ; l’autre estendoit un bras ;
Et toutes deux tres-mal contentes
Disoient entre leurs dents, Maudit Coq tu mourras.
Comme elles l’avoient dit, la beste fut gripée.
Le Réveille-matin eut la gorge coupée.

Ce meurtre n’amanda nullement leur marché.
Nostre Couple au contraire à peine estoit couché,
Que la Vieille craignant de laisser passer l’heure
Couroit comme un Lutin par toute sa demeure.
C’est ainsi que le plus souvent,
Quand on pense sortir d’une mauvaise affaire,
On s’enfonce encor plus avant :
Témoin ce Couple et son salaire.
La Vieille au lieu du Coq les fit tomber par là
De Caribde en Sylla.




VII.
LE SATYRE ET LE PASSANT.



Au fond d’un antre sauvage,
Satyre et ses enfans,
Alloient manger leur potage
Et prendre l’écuelle aux dents.

On les eut vûs sur la mousse
Luy, sa femme, et maint petit ;
Ils n’avoient tapis ny housse,
Mais tous fort bon appetit.

Pour se sauver de la pluye
Entre un Passant morfondu.
Au broüet on le convie.
Il n’estoit pas attendu.

Son hoste n’eut pas la peine
De le semondre deux fois.
D’abord avec son haleine
Il se réchauffe les doits.

Puis sur le mets qu’on luy donne,
Delicat il souffle aussi.
Le Satyre s’en estonne,
Nostre hoste, à quoy bon cecy ?

L’un refroidit mon potage ;
L’autre réchauffe ma main.
Vous pouvez, dit le Sauvage,
Reprendre vostre chemin.

Ne plaise aux Dieux que je couche.
Avec vous sous mesme toit.
Arriere ceux dont la bouche
Souffle le chaud et le froid.




VIII.
LE CHEVAL ET LE LOUP.



Un certain Loup, dans la saison,
Que les tiedes Zephirs ont l’herbe rajeunie,
Et que les animaux quittent tous la maison,
Pour s’en aller chercher leur vie ;
Un Loup, dis-je, au sortir des rigueurs de l’hyver
Apperceut un Cheval qu’on avoit mis au vert.
Je laisse à penser quelle joye.
Bonne chasse, dit-il, qui l’auroit à son croc.
Eh ! que n’es-tu Mouton ? car tu me serois hoc :
Au lieu qu’il faut ruser pour avoir cette proye.
Rusons donc. Ainsi dit, il vient à pas comptez ;
Se dit écolier d’Hippocrate
Qu’il connoist les vertus et les proprietez
De tous les simples de ces prez :
Qu’il sçait guerir sans qu’il se flate
Toutes sortes de maux. Si Dom Coursier vouloit

Ne point celer sa maladie ;
Luy Loup gratis le gueriroit.
Car le voir en ceste prairie
Paistre ainsi sans estre lié,
Témoignoit quelque mal selon la Medecine.
J’ay, dit la Beste chevaline,
Une apostume sous le pied.
Mon fils, dit le Docteur, il n’est point de partie
Susceptible de tant de maux.
J’ay l’honneur de servir Nosseigneurs les Chevaux,
Et fais aussi la Chirurgie.
Mon galand ne songeoit qu’à bien prendre son temps
Afin de haper son malade.
L’autre qui s’en doutoit luy lasche une ruade
Qui vous luy met en marmelade
Les mandibules et les dents.
C’est bien fait (dit le Loup en soy-mesme fort triste)
Chacun à son métier doit toûjours s’attacher.
Tu veux faire icy l’Arboriste,
Et ne fus jamais que Boucher.




IX.
LE LABOUREUR ET SES ENFANS.



Travaillez, prenez de la peine.
C’est le fonds qui manque le moins.
Un riche Laboureur sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfans, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’heritage
Que nous ont laissé nos parens.
Un tresor est caché dedans.
Je ne sçais pas l’endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.

Remuez vostre champ dés qu’on aura fait l’Oust.
Creusez, foüillez, bêchez, ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.
Le pere mort, les fils vous retournent le champ,
Deçà, delà, par tout ; si bien qu’au bout de l’an
Il en rapporta davantage.
D’argent, point de caché. Mais le Pere fut sage
De leur montrer avant sa mort,
Que le travail est un tresor.




X.
LA MONTAGNE QUI ACCOUCHE.



Une Montagne en mal d’enfant
Jettoit une clameur si haute,
Que chacun au bruit accourant
Crût qu’elle accoucheroit, sans faute,
D’une Cité plus grosse que Paris ;
Elle accoucha d’une Souris.

Quand je songe à cette Fable,
Dont le recit est menteur
Et le sens est veritable,
Je me figure un auteur,
Qui dit : Je chanteray la guerre
Que firent les Titans au Maistre du tonnerre.
C’est promettre beaucoup ; mais qu’en sort-il souvent ?
Du vent.





XI.
LA FORTUNE ET LE JEUNE
ENFANT.



Sur le bord d’un puits tres-profond,
Dormoit étendu de son long
Un Enfant alors dans ses classes.
Tout est aux écoliers couchette et matelas.
Un honneste homme en pareil cas
Auroit fait un saut de vingt brasses.
Prés de là tout heureusement
La Fortune passa, l’éveilla doucement,
Luy disant, Mon mignon, je vous sauve la vie.
Soyez une autre fois plus sage, je vous prie.
Si vous fussiez tombé, l’on s’en fust pris à moy ;
Cependant c’estoit vostre faute.
Je vous demande en bonne foy
Si cette imprudence si haute
Provient de mon caprice. Elle part à ces mots.
Pour moy j’approuve son propos.
Il n’arrive rien dans le monde
Qu’il ne faille qu’elle en réponde,
Nous la faisons de tous Escots[2].
Elle est prise à garand de toutes avantures.
Est-on sot, étourdy, prend-on mal ses mesures ?
On pense en estre quitte en accusant son sort.
Bref la Fortune a toûjours tort.



XII.
LES MEDECINS.



Le Medecin Tant-pis alloit voir un malade
Que visitait aussi son confrere Tant-mieux.
Ce dernier esperoit, quoy que son camarade
Soûtinst que le gisant iroit voir ses ayeux.
Tous deux s’estant trouvez differens pour la cure,
Leur malade paya le tribut à Nature ;
Apres qu’en ses conseils Tant-pis eust esté crû.
Ils triomphoient encor sur cette maladie.
L’un disoit, Il est mort, je l’avois bien prevû.
S’il m’eust crû, disoit l’autre, il seroit plein de vie.




XIII.
LA POULE AUX ŒUFS D’OR.



L’Avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux pour le témoigner
Que celuy dont la Poule, a ce que dit la Fable,
Pondoit tous les jours un œuf d’or.
Il crut que dans son corps elle avoit un tresor.
Il la tua, l’ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les œufs ne luy rapportoient rien,
S’estant luy-mesme osté le plus beau de son bien.
Belle leçon pour les gens chiches :
Pendant ces derniers temps combien en a-t-on veus,
Qui du soir au matin sont pauvres devenus
Pour vouloir trop tost estre riches ?



XIV.
L’ASNE PORTANT DES RELIQUES.



Un Baudet chargé de Reliques,
S’imagina qu’on l’adoroit.
Dans ce penser il se quarroit.
Recevant comme siens l’Encens et les Cantiques,
Quelqu’un vit l’erreur, et luy dit :
Maistre Baudet, ostez-vous de l’esprit
Une vanité si folle.
Ce n’est pas vous, c’est l’Idole
A qui cét honneur se rend.
Et que la gloire en est deuë.
D’un Magistrat ignorant
C’est la robe qu’on saluë.




XV.
LE CERF ET LA VIGNE.



Un Cerf à la faveur d’une Vigne fort haute,
Et telle qu’on en void en de certains climats,
S’estant mis à couvert et sauvé du trépas,
Les Veneurs pour ce coup croyoient leurs chiens en faute.
Ils les rappellent donc. Le Cerf hors de danger
Broute sa bienfaitrice, ingratitude extrême !
On l’entend, on retourne, on le fait déloger,
Il vient mourir en ce lieu mesme.
J’ay merité, dit-il, ce juste chastiment :
Profitez-en ingrats. Il tombe en ce moment.

La Meute en fait curée. Il luy fut inutile
De pleurer aux Veneurs à sa mort arrivez.
Vraye image de ceux qui profanent l’azile
Qui les a conservez.




XVI.
LE SERPENT ET LA LIME.



On conte qu’un Serpent voisin d’un Horloger
(C’estoit pour l’Horloger un mauvais voisinage)
Entra dans sa boutique, et cherchant à manger
N’y rencontra pour tout potage
Qu’une Lime d’acier qu’il se mit à ronger.
Cette Lime luy dit, sans se mettre en colere,
Pauvre ignorant ! et que pretends-tu faire ?
Tu te prends à plus dur que toy.
Petit Serpent à teste folle,
Plustost que d’emporter de moy
Seulement le quart d’une obole[3].
Tu te romprois toutes les dents.
Je ne crains que celles du temps.

Cecy s’adresse à vous, esprits du dernier ordre,
Qui n’estant bons à rien cherchez sur tout à mordre.
Vous vous tourmentez vainement.
Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages
Sur tant de beaux ouvrages ?
Ils sont pour vous d’airain, d’acier, de diamant.



XVII.
LE LIEVRE ET LA PERDRIX.



Ine se faut jamais moquer des miserables :
Car qui peut s’asseurer d’estre toûjours heureux ?
Le sage Esope dans ses Fables
Nous en donne un exemple ou deux.
Celuy qu’en ces Vers je propose,
Et les siens, ce sont mesme chose.
Le Lievre et la Perdrix concitoyens d’un champ,
Vivoient dans un estat ce semble assez tranquille ;
Quand une Meute s’approchant
Oblige le premier à chercher un azile.
Il s’enfuit dans son fort, met les chiens en defaut ;
Sans mesme en excepter Brifaut.
Enfin il se trahit luy-mesme
Par les esprits sortans de son corps échauffé.
Miraut sur leur odeur ayant philosophé
Conclut que c’est son Lievre ; et d’une ardeur extrême
Il le pousse ; et Rustaut qui n’a jamais menti,
Dit que le Lievre est reparti.
Le pauvre mal-heureux vient mourir à son giste.
La Perdrix le raille, et luy dit :
Tu te vantois d’estre si viste :
Qu’as-tu fait de tes pieds ? au moment qu’elle rit.
Son tour vient ; on la trouve. Elle croit que ses aisles
La sçauront garentir à toute extremité :
Mais la pauvrette avoit compté
Sans l’Autour aux serres cruelles.





XVIII.
L’AIGLE ET LE HIBOU.



L’Aigle et le Chat-huant leurs querelles cesserent,
Et firent tant qu’ils s’embrasserent.
L’un jura foy de Roy, l’autre foy de Hibou,
Qu’ils ne se goberoient leurs petits peu ny prou.
Connoissez-vous les miens ? dit l’Oiseau de Minerve.
Non, dit l’Aigle. Tant pis, reprit le triste oiseau.
Je crains en ce cas pour leur peau :
C’est hazard si je les conserve.
Comme vous estes Roy, vous ne considerez
Qui ny quoy : Rois et Dieux mettent, quoy qu’on leur die,
Tout en mesme categorie.
Adieu mes nourriçons si vous les rencontrez.
Peignez-les-moy, dit l’Aigle, ou bien me les monstrez.
Je n’y toucheray de ma vie.
Le Hibou repartit : Mes petits sont mignons :
Beaux, bien faits, et jolis sur tous leurs compagnons.
Vous les reconnoistrez sans peine à cette marque.
N’allez, pas l’oublier ; retenez-la si bien
Que chez moy la maudite Parque
N’entre point par vostre moyen.
Il avint qu’au Hibou Dieu donna geniture.
De façon qu’un beau soir qu’il estoit en pasture,
Nostre Aigle apperceut d’avanture,
Dans les coins d’une roche dure.
Ou dans les trous d’une mazure,
(Je ne sçais pas lequel des deux)
De petits monstres fort hideux,
Rechignez, un air triste, une voix de Megere.
Ces enfans ne sont pas, dit l’Aigle, à nostre amy :

Croquons-les. Le galand n’en fit pas à demy.
Ses repas ne sont point repas à la legere.
Le Hibou de retour ne trouve que les pieds
De ses chers nourriçons, helas ! pour toute chose.
Il se plaint, et les Dieux sont par luy suppliez
De punir le brigand qui de son deüil est cause.
Quelqu’un luy dit alors : N’en accuse que toy,
Ou plustost la commune loy
Qui veut qu’on trouve son semblable
Beau, bien fait, et sur tous aimable.
Tu fis de tes enfans à l’Aigle ce portrait ;
En avoient-ils le moindre trait ?




XIX.
LE LION S’EN ALLANT EN GUERRE.



Le Lion dans sa teste avoit une entreprise.
Il tint conseil de guerre ; envoya ses Prévosts ;
Fit avertir les animaux ;
Tous furent du dessein ; chacun selon sa guise.
L’Elephant devoit sur son dos
Porter l’attirail necessaire,
Et combatre à son ordinaire :
L’Ours s’apprester pour les assauts :
Le Renard ménager de secrettes pratiques :
Et le Singe amuser l’ennemy par ses tours.
Renvoyez, dit quelqu’un, les Asnes qui sont lourds ;
Et les Lievres sujets à des terreurs paniques.
Point du tout, dit le Roy, je les veux employer.
Nostre troupe sans eux ne seroit pas complete.
L’Asne effraira les gens nous servant de trompete ;
Et le Lievre pourra nous servir de courrier.

Le Monarque prudent et sage
De ses moindres sujets sçait tirer quelque usage,

Et connoist les divers talens :
Il n’est rien d’inutile aux personnes de sens.




XX.
L’OURS ET LES DEUX COMPAGNONS.



Deux Compagnons pressez d’argent,
A leur voisin Fourreur vendirent
La peau d’un Ours encor vivant ;
Mais qu’ils tuëroient bien-tost, du moins à ce qu’ils dirent.
C’estoit le Roy des Ours au compte de ces gens.
Le Marchand à sa peau devoit faire fortune.
Elle garentiroit des froids les plus cuisans.
On en pourroit fourrer plustost deux robes qu’une.
Dindenaut prisoit moins ses Moutons qu’eux leur Ours.
Leur, à leur compte, et non à celuy de la Beste.
S’offrant de la livrer au plus tard dans deux jours,
Ils conviennent de prix, et se mettent en queste ;
Trouvent l’Ours qui s’avance, et vient vers eux au trot.
Voila mes gens frappez comme d’un coup de foudre.
Le marché ne tint pas ; il falut le resoudre.
D’interests contre l’Ours, on n’en dit pas un mot.
L’un des deux Compagnons grimpe au faiste d’un arbre.
L’autre plus froid que n’est un marbre,
Se couche sur le nez, fait le mort, tient son vent ;
Ayant quelque-part oüy dire
Que l’Ours s’acharne peu souvent
Sur un corps qui ne vit, ne meut, ny ne respire.
Seigneur Ours, comme un sot, donna dans ce panneau.
Il void ce corps gisant, le croit privé de vie,
Et de peur de supercherie
Le tourne, le retourne, approche son museau,
Flaire aux passages de l’haleine.

C’est, dit-il, un cadavre : Ostons-nous, car il sent.
A ces mots l’Ours s’en va dans la forest prochaine.
L’un de nos deux Marchands de son arbre descend ;
Court à son compagnon ; luy dit que c’est merveille,
Qu’il n’ait eu seulement que la peur pour tout mal.
Et bien, ajoûta-t-il, la peau de l’animal ?
Mais que t’a-t-il dit à l’oreille ?
Car il t’approchoit de bien prés.
Te retournant avec sa serre.
Il m’a dit qu’il ne faut jamais
Vendre la peau de l’Ours qu’on ne l’ait mis par terre.




XXI.
L’ASNE VESTU DE LA PEAU DU LION.



De la peau du Lion l’Asne s’étant vestu
Estoit craint par tout à la ronde.
Et bien qu’animal sans vertu,
Il faisoit trembler tout le monde.
Un petit bout d’oreille échappé par malheur
Découvrit la fourbe et l’erreur.
Martin fit alors son office.
Ceux qui ne sçavoient pas la ruse et la malice,
S’estonnoient de voir que Martin
Chassast les Lions au moulin.

Force gens font du bruit en France
Par qui cét Apologue est rendu familier.
Un équipage cavalier
Fait les trois quarts de leur vaillance.



  1. A M. le Chevalier de Bouillon.
  2. Nous suivons ici la leçon de l’édition originale in-A° ; il y a Echos dans l’édition de 1678.
  3. Ce texte est celui de l’édition originale. Un obole dans l’édition de 1678.