Œuvres complètes de Thucydide et de Xénophon (Buchon)/Helléniques/Livre 7

Traduction par Jean-Baptiste Gail.
Texte établi par Jean Alexandre BuchonDesrez (p. 382-398).
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LIVRE VII.


CHAPITRE PREMIER.


L’année suivante, les Lacédémoniens et leurs alliés envoyérent à Athènes des ambassadeurs avec plein pouvoir, pour délibérer sur les moyens d’établir alliance entre Lacédémone et Athènes. Beaucoup d’étrangers et d’Athéniens disaient qu’il fallait une parfaite égalité de droits. Proclès le Phliasien prononça ce discours :

« Athéniens, puisque vous étes décidés à contracter alliance avec Lacédémone, il me semble qu’on doit prendre des mesures pour que cette alliance obtienne la plus grande durée possible : or le moyen efficace, c’est de la contracter de la manière la plus utile pour les deux peuples ; les autres articles sont à peu près convenus : on n’est plus embarrassé que pour le commandement. Le sénat, par un décret préparatoire, a prononcé qu’on vous donnerait à vous celui de la flotte, aux Lacédémoniens celui des troupes de terre. Je crois que les dieux et la fortune, plutot que les hommes, vous ont départi chacun votre lot.

« Et d’abord, vous, Athéniens, vous avez la position la plus favorable pour l’empire de la mer ; la plupart des républiques qui ne peuvent se passer de cet élément, avoisinent la vôtre et vous sont inférieures en puissance. Ensuite munie d’excellens ports, sans lesquels il est impossible de se procurer des forces navales, Athènes a beaucoup de trirémes dont elle augmente le nombre de jour en jour, fidèle sur ce point à un ancien usage.

« Outre que vous réunissez dans votre cité tous les arts nécessaires à la navigation, vous surpassez de beaucoup les autres peuples pour la manœuvre des vaisseaux. Grâces à votre commerce sur un élément dont vous tirez presque toute votre subsistance, vous acquérez de l’expérience dans les combats maritimes, en même temps que vos affaires personnelles vous occupent. Ajoutons à cela qu’il n’est jamais sorti tant de trirémes à la fois que de vos ports, ce qui ne contribue pas peu à l’empire des mers ; car on aime à se rassembler sous les étendards du plus puissant. Enfin, les dieux vous ont donné de prospérer dans la partie qu’ils vous assignent. Vous avez livré de grandes et nombreuses batailles ; le succès a presque toujours couronné vos efforts ; il est donc naturel que les alliés partagent volontiers ce genre de péril.

« Voici de nouvelles preuves que l’empire maritime vous appartient nécessairement. Les Lacédémoniens vous ont fait la guerre pendant plusieurs années : maîtres de votre territoire, ils ne pouvaient encore vous réduire ; mais dès que Dieu leur eut accordé des victoires sur mer, vous leur fûtes entièrement assujettis ; votre salut dépend donc entièrement de votre marine. Dans cet état de choses, vous conviendrait-il d’abandonner le commandement de la flotte aux Lacédémoniens, qui se reconnaissent moins versés que vous dans les combats maritimes, et qui d’ailleurs ne courent pas les mêmes risques ? En perdant une bataille, ils ne perdent que des hommes, au lieu que les Athéniens combattent pour leurs femmes, pour leurs enfans, pour toute la patrie.

« Aux avantages d’Athènes sur l’un des deux élémens, opposons ceux de Lacédémone sur l’autre. Habitant au milieu des terres, quand même elle n’aurait pas la navigation libre, elle serait toujours dans un état de prospérité, pourvu qu’elle fût maîtresse de la terre ; aussi, dès leur enfance, les Lacédémoniens s’exercent-ils à combattre sur leur élément. C’est un avantage inappréciable d’obéir à ses chefs : ils y excellent sur terre comme vous sur mer. Ils peuvent mettre promptement sur pied de grandes armées, comme vous de grandes flottes ; il est donc naturel que les alliés les suivent avec une pleine confiance. Les dieux les ont rendus triomphans sur terre ainsi que vous sur mer. Ils ont livré de nombreuses batailles ; rarement battus, combien de victoires n’ont-ils pas remportées ?

« On peut se convaincre par les faits, que l’empire de la terre leur appartient aussi nécessairement qu’à vous la domination des mers : vous vous êtes mesurés avec eux pendant plusieurs années ; plus d’une fois maîtres de leurs flottes, vous n’avez pas acquis par-là un moyen de ruiner leur puissance, tandis que la seule bataille de Leuctres a exposé leurs enfans, leurs femmes et toute la patrie. Quelle calamité ne serait-ce donc pas pour eux d’abandonner à d’autres un empire qu’ils exercent avec tant de supériorité.

« Je viens de parler dans le sens du décret préparatoire du sénat, décret avantageux, selon moi, à l’un et à l’autre parti. Puissiez-vous, pour votre bonheur, embrasser l’avis le plus utile à tous ! »

Ainsi parla Proclès ; son discours fut extrêmement goûté des Athéniens et des Lacédémoniens qui étaient présens ; mais l’Athénien Céphisodote s’avança :

« Athéniens, leur dit-il, vous ne sentez pas qu’on vous trompe ; écoutez moi, je vais en peu de mots vous dévoiler la surprise. Vous commanderez sur mer ; si les Lacédémoniens vous secourent, ils enverront des triérarqnes, et peut-être des soldats ; quant aux matelots, ce seront des hilotes ou des troupes soudoyées. Voilà donc les hommes que vous commanderez. Lorsque les Lacédémoniens vous annonceront une expédition sur terre, vous leur enverrez de chez vous de la cavalerie et des hoplites ; ainsi ils commanderont eux des citoyens, vous des esclaves et des hommes de néant.

« Réponds-moi, Timocrate, député de Lacédémone ; ne disais-tu pas que les Lacédémoniens venaient pour contracter alliance avec nous à des conditions égales ? — Oui. — Eh bien, quoi de plus conforme à l’égalité, que de commander tour à tour sur terre et sur mer, et de partager les avantages de l’un et de l’autre commandement ? »

Ces réflexions firent changer d’avis aux Athéniens ; ils décrétérent que, cinq jours de suite, alternativement, Athènes et Sparte commanderaient.

Les deux peuples et leurs alliés s’étant rassemblés à Corinthe, on résolut de garder le passage d’Onée. A l’arrivée des Thébains, on se rangea en divers endroits de la montagne : les Lacédémoniens et les Pelléniens gardaient les endroits faibles. Les Thébains et leurs alliés, qui avaient campé à trente stades de là dans la plaine, marchèrent contre eux des la nuit, après avoir mesuré le temps nécessaire pour arriver au point du jour ; leur calcul se trouva juste ; ils tombèrent sur les Lacédémoniens et les Pelléniens, comme les gardes de nuit finissaient, et que d’autres se levaient afin de les remplacer. Armes et en bon ordre, ils trouvent et frappent des hommes désarmés et en désordre. Ce qui put échapper, se sauva sur la montagne la plus voisine. Le polémarque lacédémonien pouvait, en prenant autant d’hoplites alliés, autant de peltastes qu’il eût voulu, garder cette montagne ; ou lui eût apporté sans risque des vivres de Cenchrée ; mais au lieu de le faire, lorsque ceux de Thèbes étaient incertains s’ils descendraient de la hauteur qui conduisait à Sicyone, ou s’ils feraient une marche rétrograde, il conclut une trêve qu’on jugea plus avantageuse pour eux que pour lui, et se retira avec ses troupes.

Les Thébains descendirent en sûreté ; après leur jonction avec les Arcadiens, les Argiens et les Éléens, ils assiégèrent Sicyone et Pellène, et approcherent d’Épidaure, dont ils ravagèrent tout le territoire, puis ils partirent en bravant l’ennemi, et lorsqu’ils se virent près de Corinthe, ils coururent aux portes, du côté qui conduit à Phlionte, pour entrer s’ils les trouvaient ouvertes ; mais quelques coureurs qui sortaient de la place, rencontrèrent la troupe choisie de Thébes, à quatre plèthres des murs, et montant sur les sépulcres et autres éminences, ils accablèrent un grand nombre de Thébains sous une grêle de traits, et poursuivirent le reste trois ou quatre stades. Après cet exploit, les Corinthiens dressèrent un trophée, et rendirent par accord les morts qu’ils avaient retirés sous leurs murs ; ce qui ranima les alliés de Lacédémone. Dans ces entrefaites, arriva de Sicile un renfort de plus de vingt trirémes, qui portaient des Celtes, des Espagnols, avec environ cinquante cavaliers.

Le lendemain, les Thébains et leurs alliés se rangèrent en bataille, remplirent la plaine jusqu’à la mer et aux tertres voisins de la ville, et ravagérent tout ce qui pouvait être utile à l’ennemi. La cavalerie d’Athènes et celle de Corinthe n’approchaient pas, à la vue d’une armée forte et nombreuse ; mais bientôt les cinquante cavaliers de Denys, se répandant çà et là dans la plaine, coururent à toute bride et firent leur décharge ; si l’on fondait sur eux, ils lâchaient pied, puis se retournaient en faisant une décharge nouvelle. Dans ces courses, ils descendaient de cheval et se reposaient. Venait-on les attaquer, ils remontaient avec agilité, et s’éloignaient ; quelques imprudens les poursuivaient-ils trop loin de l’armée, ils les pressaient vivement dans la retraite, ils les accablaient de javelots, ils les couvraient de blessures ; ils contraignaient toutes les troupes tantôt d’avancer, tantôt de reculer.

Peu de jours après, les Thébains et autres s’en retournèrent chacun dans leurs foyers. Les cavaliers de Denys se jetèrent dans la Sicyonie, vainquirent les Sicyoniens en pleine campagne, et leur tuérent environ soixante-dix hommes ; ils prirent aussi Dères de vive force. Après ces divers exploits, ce renfort, le premier qu’en voyait Denys, fit voile vers Syracuse.

Les Thébains vivaient en bonne intelligence avec les peuples qui avaient abandonné Lacédémone ; ils jouissaient du commandement qu’on leur avait déféré, lorsque parut sur la scène le Mantinéen Lycomède. Ce personnage d’une haute extraction, riche et d’ailleurs ambitieux, voulut inspirer de la fierté aux Arcadiens ; il leur représenta qu’ils étaient, dans le Péloponnése leur patrie, seuls autochtones ; que leur nation, la plus nombreuse de toute la Grèce, possédait les hommes les plus robustes ; et pour prouver qu’ils étaient aussi les plus vaillans, il leur rappelait que lorsque les Grecs avaient besoin de troupes auxiliaires, ils ne voulaient en prendre que chez les Arcadiens ; que sans eux, les Lacédémoniens n’eussent jamais osé fondre sur Athènes, ni les Thébains pénétrer dans la Laconie.

« Si donc vous êtes sages, leur dit-il, vous vous épargnerez l’humiliation de marcher sous des chefs étrangers. En suivant les Lacédémoniens, vous avez augmenté la puissance de cette orgueilleuse cité ; si aujourd’hui vous suivez trop facilement les Thébains sans exiger qu’ils partagent avec vous le commandement, vous ne tarderez peut-être pas à trouver en eux une autre Lacédémone. »

Ce discours avait exalté l’orgueil des Arcadiens. Lycomède, devenu dés lors leur idole, n’avait plus son égal dans la république. Ils acceptèrent tous les chefs qu’il leur donna. Les événemens favorisèrent encore leur fierté. En effet, ceux d’Argos étant entrés dans la contrée d’Épidaure, s’y étaient trouvés enfermés par les Athéniens, les Corinthiens et les troupes soldées de Chabrias. Les Arcadiens avaient secouru et délivré ces Argiens assiégés, quoiqu’ils eussent pour ennemis et les lieux et les hommes. Une autre fois ils attaquèrent Asine en Laconie, défirent la garnison lacédémonienne, tuèrent Géranor, récemment nommé polémarque, et ravagèrent les faubourgs d’Asine ; quelque part qu’ils voulussent conduire leurs troupes, rien ne les arrêtait, ni la nuit ni le mauvais temps, ni la longueur des chemins, ni les obstacles des monts escarpés ; ce qui leur donnait une haute idée d’eux-mêmes, et excitait l’envie des alliés, qui ne les affectionnaient plus. D’autre côté, les Éléens demandaient la restitution des villes que Lacédémone leur avait prises ; mais loin de tenir compte de leurs allégations, les Arcadiens soutenaient les Triphyliens, parce que ceux-ci se disaient d’Arcadie. Les Éléens en voulaient donc aussi aux Arcadiens.

Tandis que les alliés annonçaient de grandes prétentions chacun de leur côté, survient l’Abydénien Philiscus, envoyé avec quantité d’argent par Ariobarzane ; il les convoque d’abord à Delphes avec les Lacédémoniens. Dès qu’ils y furent rassemblés, sans consulter le dieu sur les conditions de paix, ils délibérèrent entre eux. Comme les Thébains ne voulaient pas laisser Messène sous la domination lacédémonienne, Philiscus fit une forte levée pour secourir les Lacédémoniens.

Cependant on annonce à Lacédémone un deuxième renfort de Denys ; si l’on en croyait les Athéniens, il fallait l’envoyer en Thessalie contre les Thébains ; mais les Lacédémoniens obtinrent, dans l’assemblée des alliés, qu’il entrerait en Laconie. Arrivé à Sparte, Archidamus le réunit aux troupes de sa patrie, et se mit en campagne. il prit Caryes de vive force ; et tout ce qui fut pris vivant fut égorgé. De là il mena son armée droit à Parrhasie, ville d’Arcadie, dont il ravagea le territoire ; mais les Arcadiens et les Argiens survenant, il rétrograda et campa sur les collines voisines de Midée.

Il en était là, lorsque Cissidas, général des troupes de Denys, vint lui dire que le temps de son service était expiré. Aussitôt il reprit la route de Sparte ; comme il s’en retournait, les Messéniens l’ayant coupé dans un détroit, il envoya prier Archidamus de le dégager. Ce général y accourut ; mais parvenu au tournant qui mène à Eutrésie, les Arcadiens et les Argiens entrèrent aussi dans la Laconie, pour lui fermer le chemin de son pays. Lorsqu’il fut descendu dans la plaine où se croisent les chemins d’Eutrésie et de Midée, il rangea ses troupes en bataille.

Il parcourait les rangs, il les animait par ces paroles : « Citoyens, marchons en braves et la tête levée ; laissons à nos enfans notre patrie telle que nos pères nous l’ont transmise ; n’ayons plus à rougir à la vue de nos femmes, de nos enfans, de nos vieillards et des étrangers, qui auparavant contemplaient en nous les plus illustres des Grecs. »

Il dit ; et quoique le ciel fût serein, des éclairs et le tonnerre lui annoncèrent la protection des dieux ; le temple et la statue d’Hercule, dont on le fait descendre, se trouvèrent à sa droite ; ce qui inspira tant d’ardeur et d’audace aux soldats, qu’il était difficile aux chefs de contenir leur impatience. Archidamus les conduit : le petit nombre des ennemis qui les reçurent à la portée du trait, furent tués ; les autres, mis en déroute, tombèrent sous les coups ou des cavaliers ou des Celtes.

Le combat terminé, il dresse un trophée, et envoie le héraut Démotélès annoncer à Sparte cette victoire bien glorieuse sans doute, puisqu’il était mort tant d’ennemis sans qu’il eût perdu un seul homme. On dit qu’à cette nouvelle les vieillards et les éphores, à commencer par Agésilas, versèrent tous des larmes ; tant il est vrai que les larmes sont communes à la joie comme à la tristesse. Les Thébains et les Éléens ne se réjouirent pas moins qu’eux de cette défaite, tant l’orgueil des Arcadiens leur était insupportable.

Cependant les Thébains, sans cesse occupés des moyens de s’assurer la prééminence dans la Grèce, pensèrent que s’ils députaient vers le roi de Perse, ils obtiendraient par son entremise la supériorité. Ils assemblèrent donc leurs alliés, sous prétexte que le Lacédemonien Euthyclès était en Perse. Pélopidas y fut envoyé pour les Thébains, le pancratiaste Antiochus pour les Arcadiens, pour les Eléens Archidamus ; Argius accompagnait ce dernier. Les Athéniens en reçoivent la nouvelle ; ils envoient en leur nom Léon et Timagoras.

Pélopidas obtint un plus favorable accueil du roi de Perse ; il pouvait dire que seuls de tous les Grecs, les Théhains l’avaient secouru à Platée ; que depuis ils n’avaient jamais porté les armes contre lui ; que les Lacédémoniens ne leur avaient fait la guerre que pour avoir refusé de suivre Agésilas en Perse et ne lui avoir pas permis de sacrifier à Diane en Aulide, où Agamemnon avait sacrifié avant de passer en Asie et de prendre Troie. Ce qui contribuait fort à la considération de Pélopidas, c’était, et la victoire récente de ses compatriotes à Leuctres, et la nouvelle publique des ravages qu’ils venaient d’exercer dans la Laconie. Il disait encore que ceux d’Arcadie et d’Argos n’avaient été battus par Lacédémone, que parce que les Thébains étaient absens : tous ces faits étaient appuyés du témoignage de l’Athénien Timagoras, qui fut le mieux reçu après lui. Le roi ayant pressé Pélopidas de marquer quelle faveur il désirait, le général thébain demanda que Messène fût affranchie du joug lacédémonien ; que les Athéniens retirassent leurs galères, ou qu’on leur déclarat la guerre, et que les villes qui refuseraient d’entrer dans la ligue fussent attaquées les premières.

Ces résolutions prises et lues aux députés, Léon dit en présence du roi qui l’entendit : « En vérité, Athéniens, il est temps, ce me semble, que vous cherchiez un autre allié que le grand roi. Le greffier interpréta au roi le mot de l’ambassadeur, et lut ensuite cette dernière phrase du décret : « Si les Athéniens connaissent quelque chose de plus juste, qu’ils le fassent proposer par de nouveaux ambassadeurs. » Lorsqu’ils furent de retour chacun dans leur ville, Timagoras fut puni de mort. Léon l’accusait d’avoir refusé de loger avec lui et d’avoir en tout partagé l’opinion de Pélopidas. Parmi les autres ambassadeurs, l’Éléen Archidamus se louait fort du roi, parce qu’il avait donné la préférence à l’Élide sur l’Arcadie ; mais Antiochus, que cette préférence piquait, et qui d’ailleurs n’avait point reçu de présens, ne manqua pas de dire aux dix mille que le roi avait quantité de pâtissiers, de cuisiniers, d’échansons, d’huissiers. mais qu’en bien cherchant, il n’avait pas vu d’hommes en état de tenir tête aux Grecs. Il ajouta que sa magnificence n’était qu’une vaine montre ; que le platane d’or tant vanté ne donnerait pas de l’ombre à une cigale.

Les Thébaîns ayant convoqué les députés des villes pour entendre la lettre du roi, et le Persan qui la portait en ayant fait lecture après avoir montré le sceau royal, les Thébains demandèrent que ceux qui voulaient ètre leurs amis prétassent à eux et au roi serment de fidélité. Mais les députés des villes répondirent qu’on les avait envoyés pour entendre des propositions et non pour prêter un serment ; que s’ils exigeaient un serment, ils le signifiassent aux différentes villes. L’Arcadien Lycomède ajouta qu’on ne devait pas s’assembler à Thèbes, mais où était le siège de la guerre. Comme les Thébains se récriaient et disaient qu’il corrompait les alliés, il ne voulut pas siéger au conseil ; il se retira avec les députés d’Arcadie. Tous ceux qui étaient rassemblés dans Thèbes ayant refusé le serment, les Thébains députèrent vers les villes, qu’ils pressèrent de se conformer aux ordres du roi ; ils pensaient que chacun en particulier craindrait d’encourir leur haine et celle du monarque persan. Mais les Corinthiens, à qui ils s’adressèrent les premiers, résistèrent et dirent qu’ils n’avaient pas besoin de l’alliance du grand roi ; les autres villes imitèrent cet exemple et répondirent dans le même sens. Ainsi s’évanouit le prétendu empire de Pélopidas et de Thébes.

D’un autre côté, Èpaminondas voulant assujettir les Achéens pour en imposer davantage aux Arcadiens et aux autres alliés, résolut une expédition contre l’Achaïe. Il persuade donc à Pisias, commandant des troupes d’Argos, de s’emparer d’Onée. Celui-ci ayant appris qu’Onée était gardé négligemment par Nauclès, commandant des troupes soldées de Lacédémone, et par l’Athénien Timomachus, se met à la tête de deux mille hoplites munis de vivres pour sept jours, et s’empare, la nuit, des hauteurs au-dessus de Cenchrée. Sur ces entrefaites, les Thébains arrivent, franchissent l’Onée, entrent dans l’Achaïe avec tous leurs alliés.

Êpaminondas, qui les commandait, vaincu par les instances des grands qui se rendirent à sa discrétion, obtint qu’il n’y eût ni exil des principaux citoyens, ni changement de gouvernement, se contenta de les faire jurer qu’ils seraient alliés fidèles des Thébains, et qu’ils les suivraient partout, puis s’en revint à Thèbes. Mais les Arcadiens et ceux de leur parti l’accusant de soutenir, à son départ d’Achaïe, les intéréts de Sparte, les Thébains prirent le parti d’envoyer dans les villes achéennes, des harmostes qui, chassant, à l’aide du peuple, les principaux citoyens, établirent la démocratie. Cependant les bannis, se ralliant en grand nombre, s’emparèrent de toutes les villes l’une après l’autre ; et rentrés dans leur patrie, loin d’y rester neutres, prirent ouvertement le parti de Lacédémone, en sorte que les Arcadiens se trouvèrent pressés par les Achéens d’un côté, et de l’autre par les Lacédémoniens.

Sicyone jusqu’alors s’était gouvernée selon les lois des Achéens ; mais Euphron, qui, grâces aux Lacédémoniens, tenait le premier rang dans la ville, voulant conserver le méme crédit chez leurs adversaires, fit entendre à ceux d’Argos et d’Arcadie, qu’en abandonnant entièrement Sicyone aux mains des plus riches, cette ville ne manquerait pas, à la première occasion, de prendre le parti de Lacédémone : « Mais, dit-il, si on y établit le gouvernement démocratique, sachez qu’elle vous restera fidèle. Secondez-moi donc ; je convoquerai le peuple, vous recevrez de moi une preuve de zèle, et je maintiendrai cette cité dans votre alliance. Ce qui me détermine à cette démarche, c’est que depuis long-temps je suis autant que vous fatigué de l’orgueil de Lacédémone, heureux de secouer enfin le joug de la servitude. »

Ces propositions séduisantes amènent les Argiens et les Arcadiens à Sicyone, où, en leur présence, Euphron convoque le peuple pour y établir un gouvernement fondé sur l’égalité. Dès qu’ils furent assemblés, il leur demanda de choisir des gouverneurs à leur gré. Euphron lui-même, Hippodamus, Cléandre, Acrisius et Lysandre, furent nommés. Il destitua ensuite Lysimène, commandant des troupes soldées, pour mettre à leur tête son fils Adéas. Bientôt ses largesses lui attachèrent une partie de ces troupes soldées ; il en gagna d’autres encore avec les deniers publics et sacrés qu’il n’épargnait pas.

Il confisquait le bien de ceux qu’il bannissait pour leur attachement à Lacédémone. De ses collègues, il tuait ceux-ci, exilait ceux-la ; en sorte que devenu maître absolu, il affectait ouvertement la tyrannie. Pour obtenir l’aveu des alliés, l’or était semé ; il se faisait un plaisir de les accompagner dans leurs expéditions avec ses troupes soldées.


CHAPITRE II.


Les affaires en étaient là : les Argiens circonvallaient Tricrane, forteresse située dans la Phliasie, au-dessus du temple de Junon ; les Sicyoniens fortifiaient Thyamie, sur les frontières de la Phliasie. Les Phliontins réduits par-là aux dernières extrémités, n’en persévérèrent pas moins dans leur alliance avec Lacédémone.

Que tous les historiens célèbrent les exploits des républiques du premier ordre ; pour moi je juge plus intéressant encore de produire au grand jour les actions mémorables d’une petite cité.

Les Phliasiens avaient fait alliance avec Lacédémone, dans les temps où cette illustre république était parvenue à son plus haut point de grandeur. Malgré ses revers à la bataille de Leuctres, au moment où beaucoup de périèces l’abandonnaient, où tous les hilotes et presque tous les alliés se révoltaient, où tous les Grecs, pour ainsi dire, se soulevaient contre elle, ils lui restèrent fidèles ; ils la secoururent, quoique assaillis par les peuples les plus puissans du Péloponnèse, les Argiens et les Arcadiens. Ils avaient uni leurs armes à ceux de Corinthe, d’Épidaure, de Trézène, d’Hermione, de l’Halie, de la Sicyonie et de Pellène. Arrivés près de la rivière de Lerne, le sort voulut qu’ils fissent les derniers le trajet qui conduit à Prasies, mais loin de rebrousser chemin, lors même que le chef des troupes soldées les eut abandonnés, emmenant avec lui les guerriers qui venaient de faire le trajet avant eux, ils louèrent un guide de Prasies ; et quoique les ennemis fussent près d’Amycles, ils pénétrèrent à Sparte comme ils purent : aussi, entre autres honneurs, Lacédémone leur envoya-t-elle un bœuf en signe d’hospitalité.

Lorsque les ennemis eurent évacué la Laconie, les Argiens irrités de la fidélité des Phliontins pour Lacédémone, se jetèrent en masse sur les terres de Phlionte : ils les ravagèrent, mais sans réduire les habitans ; et comme ils se retiraient après avoir commis tous les désordres possibles, les cavaliers de Phlionte les poursuivirent, et quoique seulement au nombre de soixante, ils mirent en déroute la cavalerie argienne et quelques cohortes qui protégeaient son arrière-garde. Ils tuèrent peu de monde ; mais ils dressèrent un trophée à la vue des Argiens, comme s’ils les avaient entièrement défaits.

Les Lacédémoniens et leurs alliés défendant de nouveau le passage d’Onée, les Thébains s’étaient avancés pour le franchir. Comme ceux de l’Élide et de l’Arcadie traversaient Némée, pour se joindre aux Thébains, les bannis de Phlionte leur dirent que s’ils voulaient seulement se montrer, ils prendraient Phlionte.

La proposition fut acceptée ; et la même nuit, les bannis, suivis de six cents hommes ou environ, viennent se placer sous les murs de la citadelle avec des échelles. Du haut de Tricrane, des sentinelles ayant averti, par un signal, d’une prétendue arrivée d’ennemis, Phlionte se préparait à les recevoir, lorsque des traîtres font signe à ceux qui étaient embusqués de monter : ils montent, prennent les armes qu’ils trouvent sur le rempart, poursuivent les dix sentinelles de jour (chaque cinquaine en avait fourni une), tuent l’une d’elles qui dormait, et une autre encore qui fuyait vers le temple de Junon. Bientôt toute la garnison fuit et s’élance du haut des murs qui donnaient du côté de la ville : il fut clair alors que les assaillans étaient maîtres de la forteresse.

Aux cris qui parvinrent jusque dans la ville, les habitans accoururent. Les ennemis sortirent de la forteresse et combattirent sous les portes qui conduisaient à la ville, puis se voyant assiégés, se retirèrent dans la citadelle : les hoplites y entrèrent pêle-mêle avec eux ; en sorte que l’esplanade se trouva aussitôt déserte. L’ennemi monta sur les remparts et sur les tours, d’où il faisait pleuvoir une grêle de traits sur les habitans : ceux-ci se défendaient d’en bas et combattaient au pied des rampes.

Bientôt des citoyens de Phlionte s’emparent de tours à droite, à gauche, et s’avancent tous ensemble et en désespérés contre l’ennemi qui venait de monter, le chargent, le pressent, le renferment dans un petit espace.

Pendant ce temps-là, ceux de l’Arcadie et de l’Argolide environnèrent la ville et profitèrent d’une partie plus élevée de l’enceinte pour faire une brèche au mur de la citadelle.

Les habitans combattaient à la fois et contre ceux qui occupaient déjà les murs de la citadelle, et contre les assaillans qui escaladaient l’enceinte même de la ville, et qui étaient encore sur les échelles. D’autres se trouvant aux prises avec ceux qui venaient de monter sur les tours, les embrasèrent avec le feu qu’ils trouvèrent dans les tentes : ils avaient apporté des gerbes moissonnées dans la citadelle même. Aussitôt les uns se précipitent des tours, dans la crainte des flammes ; les autres, atteints par les Phliontins, tombent au pied des murailles.

Dès qu’une fois ils eurent commencé à plier, toute la forteresse se trouva en un instant vide d’ennemis. La cavalerie alors accourut au galop : à son aspect les ennemis se retirèrent, abandonnant les échelles, les morts et les blessés, et perdirent, soit en combattant dans la citadelle, soit au dehors, au moins quatre-vingts hommes. Aussitôt s’offrit un touchant spectacle ; il fallait voir les hommes s’embrasser, se féliciter de leur délivrance, les femmes leur apporter des rafraîchissemens et pleurer de joie. La douleur et la joie se peignaient sur tous les visages.

L’année suivante, tous les Argiens et les Arcadiens entrèrent encore dans Phlionte : leur acharnement contre les Phliontins provenait de la haine qu’ils leur portaient, et de l’espérance de prendre par famine une ville qu’ils tenaient bloquée. Mais dans cette nouvelle action, la cavalerie phliasienne et la troupe d’élite, soutenues de cavaliers athéniens, ayant avec beaucoup d’avantage fondu sur eux au passage de l’Asope, les tinrent serrés le reste du jour sous les montagnes : on eût dit qu’elles veillaient pour préserver de ravage les moissons amies.

Une autre fois, l’harmoste thébain qui commandait à Sicyone, vint les attaquer avec les soldats de la garnison thébaine : il était secondé de ceux de Sicyone et de Pellène, qui dès lors suivaient les Thébains. Euphron s’était rendu à cette expédition, avec ses deux mille hommes environ de troupes soudoyées. Une partie descendit par Tricrane vers le temple de Junon, comme pour ravager la plaine : on laissa ceux de Pellène et de Sicyone sur les hauteurs, et dans la direction de Corinthe, de peur que les Phliasiens gravissant et tournant par ce côté, ne parvinssent à dominer au-dessus du temple. Les habitans de Phlionte voyant l’ennemi s’élancer dans la plaine, courent et les repoussent avec leur cavalerie et leur troupe d’élite. La plus grande partie du jour se passa en escarmouches, Euphron poursuivant les Phliasiens jusqu’aux lieux praticables pour la cavalerie, et ceux-ci à leur tour poursuivant Euphron jusqu’au temple.

Pour se retirer entièrement, les ennemis tournèrent Tricrane, parce qu’un ravin profond, qui se trouvait devant cette place, les empêchait de rejoindre Pellène par un plus court chemin. Les Phliasiens les ayant suivis sur les hauteurs, se détournèrent tout à coup, et longèrent les murs afin d’aller à la rencontre des Pelléniens et de quelques autres de leurs alliés. Les Thébains s’apercevant du mouvement des Phliasiens, se hatent de les prévenir, pour secourir les Pelléniens ; mais les cavaliers de Phlionte, qui avaient pris le devant, fondirent sur les Pelléniens, reculèrent au premier choc, donnèrent une seconde fois et les rompirent à l’aide de l’infanterie qui venait de les renforcer. Des Sicyoniens et quantité de braves Pelléniens périrent dans la déroute.

Après ces exploits, les Phliasiens dressèrent un brillant trophée, et chantèrent l’hymne de la victoire. Les Thébains et Euphron se tenaient tranquilles spectateurs du triomphe : on les eût dits accourus pour le contempler. Ensuite on se retira de part et d’autre.

Voici encore une belle action de la part des Phliasiens. Ils firent prisonnier le Pellénien Proxéne, et le congédièrent sans rançon, quoique réduits à une disette extrême. Comment n’appellerait-on pas vaillans et magnanimes des hommes qui se distinguent par de pareils traits ?

On connaît d’ailleurs leur constante fidélité envers leurs amis. Comme ils ne recueillaient rien de leurs terres, ils vivaient en partie de leurs courses sur l’ennemi, en partie de vivres qu’ils achetaient à Corinthe : c’était à travers les dangers qu’ils y allaient, ne se procurant pas facilement des fonds, trouvant à peine et des hommes qui se chargeassent du transport des provisions, et des cautions pour les bêtes de somme. Dans leur extrême disette, ils obtiennent de Charès qu’il escortera le convoi. (Lorsqu’ils furent de retour à Phlionte, ils le prièrent d’envoyer à Pellène les bouches inutiles, ce qui s’exécuta.)

Après qu’ils eurent fait les acquisitions et chargé les bêtes de somme, ils s’en retournèrent de nuit : ils n’ignoraient pas qu’on leur dresserait une embuscade, mais ils trouvaient plus dur de manquer du nécessaire que de se battre. Les Phliasiens marchaient accompagnés de Charès : l’ennemi s’offre à leur rencontre ; ils s’animent réciproquement ; à grands cris ils appellent Charès ; ils chargent avec tant de fureur qu’ils remportent la victoire, chassent l’ennemi du passage, et rentrent sains et saufs dans Phlionte avec leurs provisions. Comme ils avaient veillé toute la nuit, ils dormirent bien avant dans le jour. Dès que Charès fut levé, les cavaliers et les principaux guerriers l’abordèrent.

« Charès, lui dirent-ils, vous pouvez aujourd’hui faire une belle action. Les Sicyoniens construisent un fort sur nos frontières, avec plus d’ouvriers que de soldats : nous marcherons les premiers avec la cavalerie et l’élite de l’infanterie. S’il vous plaît de nous suivre avec vos troupes soldées, peut-être ne trouverez-vous rien à faire : ainsi qu’à Pellène, vous n’aurez qu’à paraître, et l’ennemi fuira. Si vous entrevoyez des difficultés, consultez les dieux, offrez un sacrifice : nous croyons qu’ils vous porteront à l’entreprise encore plus que nous-mêmes. Au reste, soyez-en persuadé, Charès, si vous réussissez, vous aurez tenu en respect vos adversaires, et sauvé une ville amie : illustré parmi vos compatriotes, votre nom deviendra célèbre chez les ennemis et chez les alliés. »

Charès se laisse persuader, et sacrifie. Les cavaliers phliasiens endossent la cuirasse et brident leurs chevaux ; les hoplites se fournissent de ce qui est nécessaire à une infanterie. Comme ils se rendaient tout équipés au lieu où sacrifiait Charès, ils rencontrèrent ce général et son devin, qui leur annoncèrent que les présages étaient favorables. « Attendez, leur dirent-ils, nous partons avec vous. »

On sonne la marche ; les troupes soldées s’élancent transportées d’une divine ardeur. Charès était devancé par les cavaliers et les fantassins de Phlionte, qui d’abord marchèrent vite, et doublèrent ensuite le pas. Les cavaliers allaient à toute bride ; les fantassins couraient de toutes leurs forces, autant qu’ils le pouvaient sans rompre les rangs ; Charès les suivait en diligence. Le soleil alors approchait de son couchant. On surprend l’ennemi sur les murs ; les uns se lavaient, les autres apprétaient le souper, ceux-ci pétrissaient le pain, ceux-là préparaient leur couche. A la vue de cette irruption soudaine, ils fuient épouvantés, laissant tout cet apprêt à nos braves, qui firent double chère et de ce qu’ils trouvèrent et de ce qu’ils avaient apporté. Après avoir fait des libations en action de grâces, et chanté un pæan, ils posèrent des gardes et s’endormirent. Cependant un courrier était venu de nuit informer les Corinthiens de l’affaire de Thyamie : aussitôt ils avaient recueilli à son de trompe et avec un empressement amical tous les chariots et les bêtes de somme pour transporter les blés à Phlionte ; et tant qu’avait duré l’investissement, il s’était fait chaque jour de semblables convois.


CHAPITRE III.


Voilà ce que j’avais à dire des Phliasiens, de leur loyauté envers un peuple ami, et de leur persévérante fidélité au sein même de la disette.

Environ dans le même temps, Énée de Stymphale, chef de l’Arcadie, ne pouvant souffrir ce qui se faisait à Sicyone, monta avec ses troupes à la citadelle, et rassemblant les principaux de la ville, rappela ceux qu’on avait bannis sans décret.

Euphron, épouvanté, descend au port de Sicyone, fait venir Pasimèle de Corinthe, et par son entremise livre le port aux Lacédémoniens. Il revenait à leur alliance dans laquelle, disait-il avec une ridicule jactance, il persévérait constamment ; lorsqu’on délibérait dans Sicyone si on quitterait leur parti, il avait, avec un petit nombre, rejeté cette lâche proposition ; c’était pour punir des traîtres qu’il avait établi la démocratie. « Maintenant, dit-il, c’est par moi que sont bannis tous ceux qui vous ont abandonnés ; s’il eût été en mon pouvoir, la ville se serait rendue avec moi à votre discrétion ; aujourd’hui je vous livre le port dont je me suis emparé. » il fut entendu de beaucoup de personnes ; mais qui persuada-t-il ? je l’ignore. Puisque j’ai entamé l’histoire d’Euphron, je vais la raconter en entier.

Comme la division régnait à Sicyone entre le peuple et les grands, Euphron lève dans Athènes des troupes soldées, revient, et, secondé du parti démocratique, s’empare de la ville ; cependant la citadelle était au pouvoir d’un harmoste thébain. Voyant bien qu’il ne serait pas maître absolu tant que les Thébains auraient la citadelle, Euphron ramasse de l’argent et se transporte à Thèbes, dans l’espoir que ses largesses persuaderaient aux Thébains d’exiler les grands, et de le rétablir dans sa première autorité. Mais les premiers bannis, instruits de son voyage et de son projet, vont aussi à Thèbes pour le traverser. Ils voient qu’il a gagné la faveur des magistrats ; la crainte qu’il ne les fasse entrer dans ses vues les rend supérieurs à tout danger ; ils l’égorgent dans la citadelle, sous les yeux des magistrats et du sénat assemblé. Les magistrats firent comparaître devant le sénat les meurtriers, et parlèrent en ces termes :

« Citoyens, nous vous dénonçons ces meurtriers comme dignes de mort. Les sages ne commettent ni injustice ni impiété ; les méchans qui s’en rendent coupables, tâchent du moins de rester ignorés ; ceux-ci surpassant en audace, en scélératesse les plus pervers des mortels, ont cherché les regards de vos magistrats, la présence de juges arbitres souverains de la vie et de la mort, pour assassiner un des principaux Sicyoniens. S’ils ne subissent pas le dernier supplice, qui viendra parmi nous avec confiance ? qui osera désormais communiquer avec nous, s’il est permis au premier venu de tuer un homme avant qu’il ait exposé le sujet qui l’amène ? Nous vous dénonçons donc ces meurtriers comme des impies, des ennemis des lois, dont l’audace a bravé la république : vous avez entendu ; infligez-leur la peine qu’ils vous paraissent mériter. »

Ainsi parlèrent les magistrats. Tous les meurtriers nièrent le fait, à l’exception d’un seul, qui entreprit de se justifier :

« Thébains, leur dit-il, il est impossible qu’un homme vous brave lorsqu’il vous sait maîtres absolus de ses jours. Dans quelle confiance ai-je tué ici Euphron ? c’est parce que ce meurtre me semblait juste, et que je pensais qu’il aurait votre approbation. Archias et Hypate étaient aussi coupables qu’Euphron : vous les avez fait mourir sur-le-champ, et sans forme de procès, persuadés que des impies et des traîtres reconnus, que des usurpateurs de la puissance souveraine, sont déjà condamnés à mort par la voix publique. Euphron ne réunissait-il pas tous ces titres odieux ? n’a-t-il pas dépouillé les temples des offrandes d’or et d’argent qui les décoraient ? est-il un traître plus insigne que l’homme qui, dévoué aux Lacédémoniens, les abandonne pour vous ; qui ensuite, après vous avoir donné sa foi, vous trahit vous-mêmes et livre le port à vos adversaires ? Est-il une tyrannie plus marquée que d’avoir accordé à des esclaves la liberté, et même le droit de citoyen ; que d’avoir exilé, dépouillé, tué, non des pervers, mais ceux dont la vue l’offensait ? et n’étaient-ce pas toujours les meilleurs citoyens ?

« Rentré dans sa ville avec le secours des Athéniens, vos ennemis mortels, il attaque à main armée votre harmoste ; ne pouvant le chasser de la citadelle, il recueille de l’or et se transporte ici. S’il eût pris ouvertement les armes contre vous, vous me sauriez gré de l’avoir immolé ; je l’ai puni d’avoir apporté de l’or pour vous corrompre, pour vous engager à lui rendre toute autorité ; pourriez-vous donc me condamner justement à mort ? Ceux que l’on contraint par la force des armes éprouvent une violence ; mais du moins ne les voit-on pas chargés d’un crime. Quant à ceux que l’on corrompt par argent, on leur nuit en même temps qu’on les couvre d’opprobre.

« Si Euphron eût été mon ennemi et votre ami, je l’avoue, j’aurais eu tort de le tuer ; mais un homme qui vous a trahis était-il plus mon ennemi que le votre ? Il est venu ici, dira quelqu’un, sur la foi publique. Comment, si on l’eût tué hors de votre ville on mériterait des louanges, et parce qu’à ses anciens crimes il venait en ajouter de nouveaux ou prétendra qu’il n’a pas été tué justement ! Mais est-il chez les Grecs des traités qui favorisent les traîtres, les tyrans, les déserteurs ? Avez-vous donc oublié le décret qui porte qu’on pourra saisir les bannis dans toutes les villes alliées ? Or, celui qui, étant banni, est revenu sans un décret de la confédération, peut-on le dire injustement tué ? Oui, Thébains, si vous me faites mourir, vous vengerez la mort de votre plus grand ennemi ; si vous me renvoyez absous, vous vengerez vos propres injures et celles de tous vos alliés. »

Les Thébains, d’après ce discours, prononcèrent qu’Euphron avait subi un juste châtiment ; mais ses concitoyens le jugeant homme de bien, remportèrent son corps et lui donnérent sépulture dans la place publique : ils le révèrent comme le protecteur de leur ville. C’est ainsi que, pour l’ordinaire, nous estimons gens de bien ceux qui ont droit à notre reconnaissance. Voilà l’histoire d’Euphron ; je reviens à mon sujet.


CHAPITRE IV.


Les Phliasiens circonvallaient encore Thyamie en présence de Charès, lorsque les bannis de Sicyone s’emparèrent d’Orope. Les Athéniens ayant conduit toutes leurs troupes au secours d’Orope, et rappelé Charès, les Sicyoniens reprirent leur port avec l’aide des Arcadiens. Quant aux Athéniens, se voyant abandonnés de tous leurs alliés, ils se retirèrent et confièrent Orope à la foi des Thébains, jusqu’à ce qu’on eût prononcé sur le différend.

Lycomède, observant qu’Athénes se plaignait des charges qu’elle supportait pour la cause des alliés, sans être payée d’un juste retour, détermina les dix mille députés à faire alliance avec cette république. D’abord quelques Athéniens témoignaient de la répugnance, étant amis de Lacédémone, à s’allier avec ses adversaires ; mais après avoir bien réfléchi, ils trouvèrent qu’il n’importait pas moins aux Lacédémoniens qu’à eux-mêmes, que les Arcadiens sussent se passer des Thébains, et finirent par accepter cette alliance. Lycomède, qui l’avait négociée, se retirant d’Athénes, mourut par un étrange accident. En effet, après avoir choisi entre beaucoup de vaisseaux, après être convenu avec le pilote de le transporter où il voudrait, il s’était décidé pour le lieu où s’étaient retirés les bannis : sa mort n’empêcha pas l’entière exécution du traité.

Démotion déclara dans l’assemblée du peuple d’Athènes, que l’on faisait sagement de lier amitié avec les Arcadiens ; mais il ajouta qu’il fallait s’efforcer de retenir Corinthe dans la dépendance athénienne. À cette nouvelle, les Corinthiens envoyérent des troupes en diligence dans celles de leurs villes où les Athéniens avaient garnison, et leur signifièrent de se retirer ; leur protection devenait inutile. Ils obéirent. Lorsque ces troupes furent de retour dans la ville, les Corinthiens publièrent que les Athéniens qui auraient à se plaindre se présentassent ; on leur rendrait justice.

Les choses en étaient la, lorsque Charès aborda à Cenchrée avec la flotte. Informé de ce qui s’était passé, sur la nouvelle de quelque entreprise, il venait, disait-il, offrir ses services. On le remercia ; mais loin de recevoir ses galères dans le port, il fut invité à s’éloigner. Quant aux hoplites, on les congédia, après les avoir satisfaits. Ce fut ainsi que les Athéniens partirent de Corinthe. Ils étaient obligés, à cause de leur alliance, d’envoyer des secours de cavalerie aux Arcadiens s’il leur survenait une guerre ; mais ils ne se permettaient en Laconie aucun acte d’hostilité.

Les Corinthiens, de leur côté, considérant que vaincus précédemment par terre, en butte à de nouveaux ennemis, ils couraient les plus grands dangers, résolurent une levée d’infanterie et de cavalerie soudoyées, autant pour la garde de la ville que pour incommoder l’ennemi. En même temps ils envoyèrent à Thèbes, pour savoir s’ils seraient admis à demander la paix. Après avoir obtenu une réponse favorable, ils sollicitèrent la permission d’en conférer avec les alliés ; ils feraient la paix avec ceux qui la voudraient, et laisseraient combattre ceux qui préféreraient la guerre. Les Thébains ayant encore accordé cette demande, les Corinthiens vinrent à Lacédémone, et prononcèrent ce discours :

« Lacédémoniens, nous venons ici en qualité d’amis ; nous vous prions, s’il est quelque moyen d’éviter notre ruine totale en continuant la guerre, de nous l’indiquer ; si vous nous croyez sans ressource, et que la paix vous soit utile comme à nous, nous vous invitons à la négocier de concert ; car c’est avec vous surtout que nous désirons nous mettre à l’abri de l’orage. Si vous pensez qu’il est de votre intérêt de continuer la guerre, permettez que nous fassions la paix. Échappés au péril, et subsistant toujours, nous pourrons peut-être par la suite vous rendre encore de nouveaux services ; en périssant aujourd’hui, il est évident que nous ne pourrons plus vous servir. »

D’après ce discours, les Lacédémoniens conseillérent aux Corinthiens de faire la paix ; ils laissaient leurs alliés libres de se reposer s’ils ne voulaient pas faire la guerre avec eux : ils disaient qu’ils étaient résolus de la continuer et de s’abandonner à la Providence ; que jamais ils ne se laisseraient enlever Messène, qu’ils tenaient de leurs ancêtres.

Sur cette réponse, les Corinthiens allèrent à Thèbes pour la conclusion de la paix : les Thébains voulaient qu’ils jurassent aussi ligue offensive et défensive. Ceux-ci répondirent qu’une telle ligue n’était pas une paix, mais un passage d’une guerre à une autre ; que s’il leur plaisait, ils préféreraient la paix sous de justes conditions. Les Thébains, pénétrés d’admiration pour un peuple qui, même dans le danger, refusait de se liguer contre des bienfaiteurs, leur accordèrent la paix à eux, aux Phliasiens ét à tous ceux qui les avaient accompagnés à Thèbes, à condition qu’ils observeraient la plus exacte neutralité.

Le traité conclu et ratifié par le serment, les Phliasiens quittèrent aussitôt Thyamie ; mais les Argieus, qui avaient juré la paix aux mêmes conditions, ne pouvant obtenir que les bannis de Phlionte gardassent Tricrane comme leur propre cité, les prirent sous leur protection et mirent garnison dans cette place ; ils se prétendaient propriétaires d’un pays qu’ils ravageaient peu auparavant comme ennemi. Les Phliasiens firent des réclamations : les Argiens n’y eurent aucun égard.

Presque dans le même temps mourut Denys l’ancien : son fils, qui lui succéda, envoya douze trirémes aux Lacédémoniens, sous le commandement de Timocrate. Celui-ci arrive, les aide à reprendre Sellasie, et s’en retourne en Sicile.

Peu de temps après, les Éléens s’emparèrent de Lasione, ville autrefois de leur dépendance, qui appartenait alors à l’Arcadie. Les Arcadiens, ne s’oubliant pas, ordonnent une levée et partent aussitôt. Les Éléens leur opposent quatre cents cavaliers et trois cents fantassins. Ils avaient campé de jour dans une vaste plaine : les Arcadiens gagnérent de nuit le sommet de la montagne qui dominait les Éléens, et descendirent contre eux dès le point du jour. Ceux-ci, à la vue d’un ennemi qui avait l’avantage du nombre et du lieu, et dont ils se trouvaient éloignés, voulurent faire retraite ; mais, retenus par la honte, ils en viennent aux mains et fuient au premier choc. Ils perdirent beaucoup d’hommes et d’armes, en exécutant cette retraite par des lieux difficiles.

Après ces exploits, les Arcadiens marchèrent contre les villes des Acroréens ; et les ayant prises, à la réserve de Thrauste, ils arrivèrent à Olympie. Ils fortifièrent d’une tranchée le temple de Saturne, y mirent garnison, puis s’emparèrent du mont Olympe, et prirent Margane par intelligence. Ces nouveaux revers découragèrent entièrement les Éléens : ceux d’Arcadie pénétrèrent dans leur ville, jusqu’à la place publique ; mais la cavalerie éléenne bien soutenue les repoussa, en tua une partie, et dressa un trophée.

Depuis quelque temps il y avait division dans Élis. Les partisans de Charopus, de Thrasonidas et d’Argius, voulaient la démocratie : l’oligarchie était demandée par la faction Stalcas, Hippias et Stratole ; mais les Arcadiens, qui avaient une grande armée, semblaient incliner pour le parti qui demandait la démocratie ; la faction Charopus enhardie traite donc avec les Arcadiens, et par leur entremise s’empare de la citadelle. A l’instant les cavaliers éléens y montent accompagnés des trois cents, en chassent l’ennemi et bannissent Argus, Charopus, et avec eux quatre cents citoyens environ de la même faction. Peu après, ces bannis aidés de quelques Arcadiens, s’emparèrent de Pylos, où émigrèrent en foule d’autres habitans, partisans de la démocratie, parce qu’ils se voyaient, grâces à la valeur des bannis, en possession d’une belle place et secondés d’un puissant allié.

Les Arcadiens entrèrent de nouveau dans l’Élide ; les bannis leur avaient persuadé que la ville se rendrait, mais elle était défendue par les Achéens, alors amis des Éléens ; en sorte que ceux d’Arcadie se retirèrent sans avoir fait autre chose que ravager le territoire. Ils en étaient à peine sortis qu’ils apprennent que les Pelléniens sont dans l’Élide ; ils font une grande traite toute la nuit, et prennent Olure, ville des Pelléniens, redevenus pour lors alliés de Sparte. A la nouvelle de la prise d’Olure, les Pelléniens, après un long circuit et beaucoup d’efforts, arrivent enfin dans leur ville, combattent les Arcadiens qui étaient dans Olure, et leurs concitoyens qu’on avait armés : quoiqu’en petit nombre, ils ne se donnèrent point de repos qu’ils n’eussent repris la place.

Ceux d’Arcadie entrèrent encore une autre fois dans l’Élide. Comme ils étaient campés entre Cylléne et la ville, les Éléens les attaquèrent : les Arcadiens soutinrent le choc, et vainquirent. Le général éléen Andromaque, qui avait conseillé de livrer bataille, se donna la mort ; les troupes éléennes se retirèrent dans la ville. Dans cette action périt aussi le Spartiate Soclidas ; car Sparte avait alors fait alliance avec l’Élide.

Les Éléens, ainsi renfermés dans leurs murs, députèrent vers les Lacédémoniens pour les prier d’entrer en Arcadie, persuadés qu’on chasserait les Arcadiens en les attaquant de deux côtés. Archidamus se met donc en campagne, prend Cromne, et de ses douze cohortes en laisse trois en garnison, puis revient dans sa patrie.

Les Arcadiens, qui n’avaient pas encore licencié leurs troupes, accoururent à Cromne, l’enfermèrent d’un double retranchement où ils se campèrent, et l’assiégèrent ainsi. Lacédémone, indignée de ce siège, envoie une armée ; c’était encore Archidamus qui la commandait. Il part, ravage tout ce qu’il peut de l’Arcadie et de la Sciritide, et se sert de tous les moyens pour la levée du siège ; mais les Arcadiens n’étaient pas effrayés ; ils se riaient de ces vains efforts.

Archidamus, ayant remarqué une colline à travers laquelle les assiégeans avaient tiré leur circonvallation extérieure, crut qu’en s’en emparant ils ne pourraient plus rester dans leurs lignes ; mais comme il tournait avec ses troupes pour y arriver, ses peltastes, qui formaient l’avant-garde, ayant vu les Éparites hors du retranchement, les attaquent, soutenus des cavaliers qui tentaient de forcer la colline avec eux. Ces Éparites, loin de plier, restaient fermes dans leurs rangs. On revient à la charge ; mais loin de céder le terrain même alors, ils vont au devant d’eux à grands cris. Archidamus accourt en tournant par le grand chemin qui allait à Cromne : ses soldats marchaient sur deux de hauteur.

Les deux armées s’approchent ; Archidamus, défilant à cause du peu d’espace du chemin, tandis que les Arcadiens se serraient unissant leurs boucliers, ne fut pas en état de résister à la multitude. Bientôt il est percé d’outre en outre à la cuisse ; bientôt périssent sous ses yeux Polyénidas, Chilon son beau-frère, et tous les braves qui, au nombre de trente environ, combattaient autour de sa personne. Il quitta le chemin étroit pour gagner la plaine, où il se rangea en bataille. Les Arcadiens restèrent dans la même position, inférieurs en nombre, mais supérieurs par le courage, puisqu’ils poursuivaient une troupe qui lâchait pied et dont on avait tué quelques hommes. Les Lacédémoniens au contraire étaient consternés ; ils voyaient Archidamus blessé ; ils entendaient nommer les morts : c’étaient les plus courageux et presque les plus distingués de Sparte.

On s’approche enfin : « Pourquoi combattre ? s’écrie un des anciens ; pourquoi ne ferions-nous pas une trève ? » Ce mot est accueilli, et la trève conclue. Les Lacédémoniens se retirent après avoir enlevé les morts : les Arcadiens retournent au lieu d’où ils avaient commencé la charge, et dressent un trophée.

Tandis que les Arcadiens étaient devant Cromne, les Éléens marchèrent contre Pylos, dont s’étaient emparés les bannis de l’Élide. Ils rencontrent les Pyliens repoussés de Thalames ; aussitôt ils ordonnent à leur cavalerie de charger : quelques ennemis tombent sous leurs coups ; le reste poussé sur une colline, en fut délogé par l’infanterie éléenne, qui en tua une partie, et fit environ deux cents prisonniers. On vendit les soldats mercenaires ; les bannis furent égorgés, et Pylos prise avec ses habitans destitués de tout secours. Margane subit le même sort.

Quelque temps après, les Lacédémoniens font de nuit une nouvelle course, vers Cromne, se rendent maîtres de la partie du retranchement que défendaient les Argiens et les Lacédémoniens assiégés. Tous ceux qui épiaient le moment sortirent ; le reste, prévenu par les Arcadiens qui accoururent, fut renfermé de nouveau dans la ville, pris et distribué entre les Thébains, les Argiens, les Messéniens et les Arcadiens. Le nombre des Spartiates et des périèces montait a plus de cent.

Les Arcadiens n’étant plus retenus à Cromne, retournèrent en Élide, renforcèrent la garnison d’Olympie, et, comme l’année olympique approchait, se préparèrent à célébrer les jeux olympiques avec ceux de Pise, qui prétendaient avoir eu les premiers l’intendance de ces jeux sacrés. Déjà sont arrivés et le mois où se célèbrent les jeux et les jours du plus auguste rassemblement. Les Éléens s’arment ouvertement, appellent à eux les Achéens, et s’acheminent vers Olympie. Les Arcadiens, loin de s’attendre à cette irruption, avaient réglé avec ceux de Pise les apprêts de la fête ; déjà, par leurs ordres, s’étaient exécutés les courses et des chars et des chevaux et les jeux du pentathle, à l’exception de la lutte qui avait lieu non dans le stade, mais entre le stade et l’autel ; car déjà les Éléens en armes paraissaient près le bois sacré ; les Arcadiens ne s’étaient pas avancés plus loin que la riviere du Cladée, qui coule le long de l’Altis, puis se décharge dans l’Alphée. Ce fut là qu’ils se rangèrent avec deux mille hoplites argiens, et environ quatre cents cavaliers d’Athènes.

Les Éléens se portèrent de l’autre côté de la rivière du Cladée, d’où aussitôt, après avoir sacrifié, ils s’avancèrent pour combattre. Quoique auparavant méprisés de ceux d’Argos et d’Arcadie comme mauvais guerriers, quoique dédaignés des Achéens et des Athéniens, leur valeur, ce jour-là, étonna les alliés. Les Arcadiens, qui soutinrent le premier choc, furent bientôt mis en déroute : les Argiens accouraient ; les Éléens les défirent aussi et les poursuivirent jusqu’à l’espace qui est entre le sénat, le temple de Vesta et le théâtre voisin de ce temple ; ils les pressèrent prés de l’autel avec une ardeur toujours égale : cependant assaillis de traits lancés des portiques, du sénat et du grand temple, et combattant sur un plan inférieur, ils perdirent quelques hommes avec Stratoclès, qui commandait les trois-cents.

Après cette action, ils se retirèrent dans leur camp. Les Arcadiens et leurs alliés redoutant l’attaque du lendemain, ne cessèrent pendant la nuit d’abattre les loges de bois qu’on avait dressées avec beaucoup de peine, et de s’entourer de palissades. Le jour suivant, les Éléens ayant vu leur défense, et le haut des temples garni de soldats, retournèrent dans leur ville, après avoir déployé tout le courage qu’un dieu peut en un jour inspirer à des mortels, et que le plus long exercice ne saurait remplacer.

Cependant les Mantinéens, n’approuvant pas que les principaux d’Arcadie employassent les deniers sacrés à leur besoin et à l’entretien des Éparites, décrétèrent les premiers qu’on ne toucherait plus à l’argent sacré, puis levèrent le contingent destiné à la solde des Éparites et l’envoyèrent aux magistrats chargés de la distribution. Ceux-ci prétendent qu’on attente à la constitution arcadique et citent les magistrats mantinéens devant les dix mille députés. Ces magistrats refusent de comparaître ; on envoie des Éparites chargés de les y contraindre. Mantinée ferme aussitôt ses portes.

Mais bientôt même des députés du conseil des dix mille déclarèrent qu’on ne devait pas toucher à l’argent sacré, ni attirer le courroux des dieux jusque sur la postérité la plus reculée. Dès qu’on eut arrêté dans le conseil qu’on s’abstiendrait des deniers sacrés, les Éparites, qui ne pouvaient vivre faute de solde, se débandèrent ; d’autres, qui se voyaient quelque ressource, s’encouragèrent à succéder aux Éparites ; ils se les asserviraient, bien loin d’en dépendre. Les principaux d’Arcadie, qui avaient manié cet argent sacré, prévoyant bien que s’ils étaient forcés de rendre des comptes, ils exposaient leurs têtes, envoyèrent dire aux Thébains que s’ils ne prenaient les armes, l’Arcadie pourrait bien revenir au parti de Lacédémone.

Comme ils se disposaient à marcher, le conseil arcadique, à la persuasion des mieux intentionnés pour le Péloponnèse, leur envoya des députés qui les invitèrent à ne pas venir sans qu’on les appelât. En adoptant cette mesure, on considérait que l’on n’avait pas besoin de guerre ; on pensait qu’il ne fallait plus contester la surintendance du temple de Jupiter Olympyen ; qu’en la restituant, ils feraient un acte de justice et de piété et se rendraient agréables au dieu. Les Éléens aussi goûtèrent ces dispositions ; il fut donc arrêté de part et d’autre qu’on ferait la paix.

Elle fut conclue et jurée par les Tégéates et autres, ainsi que par le général athénien, qui se trouvait à Tégée avec trois cents hoplites bœotiens. Les Arcadiens, qui séjournaient dans cette ville, se livraient à la bonne chère et à la joie, faisaient des libations et chantaient des pæans en l’honneur de la paix, lorsque l’harmoste thébain et ceux des magistrats d’Arcadie, qui craignaient la reddition des comptes, secondés des Bœotiens et des Éparites du même parti, fermèrent les portes de Tégée et envoyerent au milieu des banquets saisir les principaux d’entre eux. Comme de toutes les villes il était accouru des Arcadiens, tous voulant la paix, on en prit nécessairement un si grand nombre que la commune et la prison furent remplies.

On avait beaucoup de prisonniers ; mais plusieurs s’étaient échappés par-dessus les murs, quelques-uns même par les portes : car ils ne comptaient d’ennemis que parmi les coupables qui redoutaient la rigueur des lois. Cependant l’harmoste thébain et les auteurs de cette tragédie étaient fort en peine de ce qu’ils avaient fait peu de prisonniers parmi les Mantinéens, à qui surtout ils en voulaient et qui, vu la proximité de leur ville, s’étaient presque tous retirés chez eux.

Au point du jour, les Mantinéens, instruits de ce qui se passait, députent vers les villes d’Arcadie, les exhortent à se mettre sous les armes et à garder leurs murs ; ce qui fut exécuté. Ils envoient en même temps à Tégée redemander les détenus ; ils trouvaient injuste qu’on attentât à la vie et à la liberté d’aucun Arcadien : si l’on avait à se plaindre de quelques-uns d’eux, ajoutaient les députés, Mantinée s’engageait à présenter au conseil arcadique tous ceux contre qui on porterait plainte.

Le général thébain, ne sachant qu’opposer à ces représentations, les met tous en liberté, convoque pour le lendemain une assemblée où se trouveraient tous les Arcadiens qui voudraient s’y rendre et leur dit pour sa justificatinn, qu’il a été trompé : on lui avait rapporté que les Lacédémoniens étaient en armes sur la frontière et que quelques Arcadiens devaient livrer la place. Convaincus de la fausseté de cette allégation, ils le laissent ; ils envoient à Thèbes demander sa tête en réparation.

On prétend qu’Épaminondas, alors général thébain, répondit qu’il avait moins failli à les arréter qu’à les mettre en liberté. « Quoi, dit-il, lorsque nous prenons les armes pour votre défense, vous faites la paix sans notre participation ! y aurait-il donc de l’injustice à vous accuser de perfidie ? Apprenez que nous entrerons en Arcadie et que, secondés de ceux qui tiennent à notre parti, nous y porterons la guerre. »


CHAPITRE V.


La nouvelle parvint aux villes et au conseil arcadique. Les Mantinéens et ceux d’Arcadie, bien intentionnés pour le Péloponnèse, comprirent, comme ceux de l’Élide et d’Achaïe, que les Thébains prétendaient épuiser le Péloponnèse pour l’asservir sans peine : « Pourquoi veulent-ils que nous fassions la guerre ? est-ce pour que nous nous entr’égorgions et que leur médiation devienne nécessaire ? Pourquoi ces préparatifs de guerre, lorsque nous déclarons que leur protection nous est inutile ? N’est-il pas clair que c’est contre nous qu’ils se disposent à une campagne ? » Ces peuples envoient aussitôt demander des secours à Athènes : des députés, pris parmi les Éparites, vont à Lacédémone pour l’exhorter à empêcher d’un commun effort toute tentative contre la liberté du Péloponnèse. Quant au commandement, il fut arrêté que chacun l’exercerait dans son pays.

Au milieu de ces événemens, Épaminondas sortit avec tous les Bœotiens, les Eubéens et beaucoup de Thessaliens qu’envoyaient Alexandre et les ennemis de ce tyran de Phère. Les Phocéens ne le suivirent pas, alléguant que leur alliance n’était que défensive, qu’aucun article ne les appelait sous les étendards des Thébains agresseurs. Mais il se persuadait que dans le Péloponnèse il aurait à sa discrétion les Argiens, les Messéniens et ceux des Acarnaniens qui tenaient à son parti, tels que les Tégéates, les Mégalopolitains, les Asthéates, les Palantins, et que les petites villes enclavées parmi eux seraient contraintes de marcher.

Épaminondas se met promptement en campagne : arrivé à Némée, il s’y arrête, dans l’espérance de prendre les Athéniens au passage ; il jugeait leur défaite importante, tant pour rassurer son parti que pour décourager l’ennemi : il pensait que l’abaissement d’Athènes serait l’exaltation de Thèbes.

Pendant ce temps, se rendirent à Mantinée tous les Péloponnésiens qui tenaient pour cette ville : d’un autre côté, Épaminondas, instruit que les Athéniens, au lieu de marcher par terre, s’apprêtent à mettre à la voile et à traverser la Laconie pour venir au secours des Arcadiens, sort de Némée, et va camper devant Tégée. Je ne dirai pas que cette expédition lui ait réussi ; mais dans ce qui demandait intrépidité et prévoyance, ce général me semble n’avoir rien laissé à désirer.

Je le loue avant tout d’avoir campé dans l’enceinte de Tégée, où, plus en sûreté que s’il eût été hors des murs, il cachait mieux ses projets à l’ennemi, et se procurait facilement ce qui lui était nécessaire ; tandis que ses adversaires, campés dans la plaine, laissaient apercevoir ou leurs sages manœuvres, ou leurs fautes : quoiqu’il se crût supérieur en forces, lorsqu’il leur croyait l’avantage du lieu, il ne les attaquait pas. Cependant le temps s’écoulait, et aucune ville ne se déclarait en sa faveur ; il crut alors un grand exploit nécessaire, ou c’en était fait de sa gloire passée.

Apprenant donc que les ennemis s’étaient fortifiés dans Mantinée, qu’ils appelaient Agésilas, que ce prince, parti de Lacédémone avec toutes ses forces, était à Pelléne, il ordonne à ses troupes de prendre leur repas, donne l’ordre du départ, et va droit à Sparte. Si, grâces à une divinité protectrice, un Crétois ne fût venu avertir Agésilas de l’approche de l’armée thébaine, Sparte, absolument sans défense, était prise comme un nid d’oiseaux. Mais Agésilas, informé à temps, avait prévenu l’arrivée de l’ennemi ; et les Spartiates, distribués en différens postes, gardaient la ville : ils se trouvaient cependant en fort petit nombre ; car toute leur cavalerie était allée en Arcadie avec les troupes soudoyées, et trois des douze compagnies.

Épaminondas, arrivé près de Sparte, évita d’attaquer par un terrain uni, où les Spartiates, du haut de leurs maisons, l’eussent accablé de traits. il évita aussi les accès trop serrés, où peu de combattans font plus que le grand nombre ; mais après s’être emparé d’un poste avantageux, au lieu de gravir, il s’avança vers la ville par une pente favorable. Ce qui arriva ensuite peut s’appeler un coup du ciel, ou bien on doit dire qu’aucune force ne résiste à des désespérés. Archidamus, à la tête de moins de cent hommes. venait de traverser l’Eurotas : vainqueur d’un grand obstacle, déjà il marchait à l’ennemi. Il paraît avec sa troupe ; le combat s’engage : au premier choc, ces guerriers, qui, pleins de feu, venaient de triompher des Lacédémoniens, ces mêmes hommes, qui avaient absolument l’avantage et du nombre et du lieu, reculent et prennent la fuite ; les premiers rangs de l’armée d’Épaminondas sont taillés en pièces. Les Lacédémoniens, emportés un peu trop loin par l’ardeur de la victoire, perdirent aussi des leurs : il semblait que la divinité avait marqué les bornes de leur triomphe.

Archidamus dressa un trophée où il avait vaincu, et rendit les morts par composition. Épaminondas, prévoyant l’arrivée des Arcadiens, ne voulut pas les avoir sur les bras avec toutes les forces réunies de Lacédémone, qui d’ailleurs étaient triomphantes, lorsque les siennes étaient abattues. Il se retira donc en grande diligence à Tégée : tandis que ses hoplites y reprenaient haleine, il envoya ses cavaliers contre Mantinée ; il leur demandait de la constance, et leur représentait que les Mantinéens tenaient leur bétail hors de la ville, et qu’ils étaient tous occupés à transporter chez eux leurs récoltes.

Ces cavaliers se mettent en marche. Mais la cavalerie athénienne, étant partie d’Éleusis et ayant soupé dans l’isthme, passa à Cléone, et se rendit à Mantinée, dans l’enceinte de laquelle elle campa. Certains de l’approche de l’ennemi, les Mantinéens supplièrent la cavalerie athénienne de les secourir si elle le pouvait : ils dirent que tout leur bétail et leurs ouvriers, que beaucoup d’enfans et de vieillards de condition libre, étaient dans les champs. Les Athéniens, instruits de ce qui se passait, se décident à les secourir, quoiqu’ils n’eussent dîné, ni eux ni leurs chevaux.

Qui dans cette conjoncture n’admirerait pas leur valeur ? Ils voyaient un ennemi bien plus nombreux ; leur cavalerie avait éprouvé un échec à Corinthe ; ils allaient se mesurer contre des Thébains et des Thessaliens, cavaliers très renommés : fermant les yeux à ces considérations, se croyant déshonorés si leur présence devenait inutile à des alliés, et d’ailleurs jaloux de conserver la gloire de leurs ancétres, ils ne virent pas plutot l’ennemi qu’ils le chargèrent avec furie. Par-là ils conservèrent aux Mantinéens tout ce qu’ils avaient hors de la ville : s’ils perdirent des braves, ils en tuèrent, car il n’y avait d’arme si courte dont on ne s’atteignît réciproquement. Les Athéniens enlevèrent ensuite leurs morts, et par composition en rendirent aux Thébains.

Épaminondas considérait que sous peu de jours il partirait nécessairement, car le temps destiné à l’expédition approchait ; que s’il abandonnait ceux qu’il était venu secourir, ce serait les exposer à perdre sa réputation, puisqu’à Sparte une poignée d’hommes avait battu ses nombreux hoplites, et qu’à Mantinée sa cavalerie avait eu le dessous ; puisque enfin son expédition dans le Péloponnèse avait amené la ligue de Lacédémone avec l’Arcadie, l’Achaïe, l’Élide et l’Attique. Il jugea donc impossible de s’éloigner sans un nouveau combat, persuadé que la victoire réparerait tous ses désavantages ; que s’il mourait, il lui serait glorieux de quitter la vie en s’efforçant d’acquérir à son pays l’empire du Péloponnèse.

Qu’il ait eu ces nobles sentimens, je ne m’en étonne pas ; ils appartiennent à toutes les âmes généreuses : mais qu’il ait dressé son armée à ne se rebuter d’aucune fatigue ni le jour ni la nuit, à ne redouter aucun péril, et obéir même dans la détresse, voila ce qui me semble plus étonnant encore. Au dernier ordre qu’il leur donna de se préparer au combat, les cavaliers, empressés de lui plaire, polissaient leurs casques, et même, comme s’ils eussent été Thébains, des hoplites d’Arcadie traçaient des massues sur leurs boucliers ; tous aiguisaient leurs piques et leurs épées, et nettoyaient leurs boucliers. Après ces préparatifs il les emmène ; mais que fit-il ? c’est ce qu’il est intéressant de considérer.

D’abord il rangea son armée en bataille : c’était annoncer qu’il se préparait à combattre. Quand il eut adopté l’ordre convenable, il ne la mena pas droit aux ennemis ; mais se dirigeant vers les montagnes qui étaient vis-à-vis de lui, à l’occident de Tégée, il leur fit croire qu’il ne combattrait pas ce jour-là. Arrivé à la montagne, il déploya sa ligne et fit mettre bas les armes au pied des tertres ; on eut dit qu’il voulait seulement asseoir son camp. Par ce stratagème, il amortit l’ardeur de l’ennemi qui se disposait au combat, et rompit son ordre de bataille. Mais tout à coup plaçant en avant sur le front de sa phalange les lochos (bataillons) qui marchaient sur son flanc, il dispose en une masse solide propre à l’attaque le corps qu’il commandait en personne, puis il ordonne aux troupes de reprendre leurs armes et marche a leur tête.

Ses ennemis, surpris par sa marche, se mirent de toutes parts en mouvement ; les uns formaient leurs rangs, les autres accouraient les reprendre, ceux-ci bridaient leurs chevaux, ceux-la endossaient la cuirasse ; on eût dit qu’ils marchaient moins à une action qu’à une défaite. Pour lui, il conduisait son armée comme une galère qui se présente par la proue, assuré qu’il lui suffisait d’enfoncer par son choc l’ennemi sur un point, pour obtenir sur le reste de la ligne une victoire complète. Il se préparait en effet à combattre avec ses meilleurs soldats et tenait éloignés les moins aguerris, sachant bien que si ces derniers avaient le dessous, il découragerait les siens, en même temps qu’il fortifierait le parti contraire.

Sans entreméler ses cavaliers de gens de pied, l’ennemi les avait formés sur un ordre profond, comme si c’eût été des hoplites. Épaminondas, au contraire, avait fortifié sa cavalerie en l’entremêlant d’infanterie légère. Il se flattait que s’il enfonçait les escadrons, toute l’armée serait vaincue. En effet, on trouve difficilement des guerriers qui veuillent rester fermes quand ils voient leurs compagnons en fuite. Mais pour contenir les Athéniens qui étaient à l’aile gauche et les empécher d’aller au secours de ceux qui étaient près d’eux, il leur opposa, sur les collines, des cavaliers et des fantassins, et par cette manœuvre il leur faisait craindre, s’ils remuaient, d’être pris en queue.

Tel fut son plan d’attaque, et le succès répondit à ses espérances. En effet, plus fort sur le point qu’il avait attaqué en personne, il y avait enfoncé la ligne, quand un coup mortel l’atteignit. Ses troupes, dès lors, furent incapables de profiter de la victoire. Au lieu de presser de l’épée la phalange qu’elle avait enfoncée et qui fuyait, son infanterie resta immobile sur le terrain où s’était engagée l’attaque. À l’aile droite, la cavalerie ennemie avait pareillement fui ; mais celle des Thébains, loin de poursuivre et de faire main basse sur les cavaliers et les fantassins, saisie d’une frayeur soudaine, se retira comme vaincue du milieu des fuyards. Les hamippes et les peltastes, qui venaient de vaincre avec la cavalerie, passaient en vainqueurs à l’aile gauche ; mais ils furent presque tous taillés en pièces par les Athéniens.

L’issue du combat trompa l’attente générale. Il n’y avait personne qui ne crût, en voyant presque tous les Grecs rassemblés, que si on livrait bataille, les vaincus ne prissent la loi du plus fort ; mais la divinité permit que les deux partis dressassent un trophée en qualité de vainqueurs, et sans opposition ni de part ni d’autre. Les deux partis, comme s’ils avaient vaincu, rendirent les morts par composition ; tous deux les reçurent par composition. Tous deux se prétendirent victorieux sans avoir gagné ni pays ni ville, sans avoir plus agrandi leur domination qu’avant le combat. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’on vit plus de trouble et de confusion dans la Grèce depuis le combat qu’auparavant. Bornons ici notre histoire ; laissons à d’autres le soin d’en transmettre la suite.