Œuvres complètes de Thucydide et de Xénophon (Buchon)/Guerre du Péloponnèse/Livre 2

[Œuvres complètes de Thucydide et de Xénophon (Buchon)/Guerre du Péloponnèse
Traduction par Pierre-Charles Levesque.
Texte établi par Jean Alexandre BuchonDesrez (p. 47-83).
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LIVRE DEUXIÈME.
Séparateur


I. D’ici commence la guerre des Athéniens, des Péloponnésiens et de leurs alliés respectifs. Pendant sa durée, ils n’eurent plus de commerce entre eux sans le ministère d’un héraut ; et du moment qu’ils l’eurent entreprise, les hostilités ne furent plus interrompues. Les événemens sont écrits suivant l’ordre des temps où ils sont arrivés, par été et par hiver.

II. La trêve de trente ans, conclue après la prise de l’Eubée, ne dura que quatorze ans. La quinzième année[1], Chrysis étant prêtresse à Argos depuis quarante-huit ans, Ænésius étant éphore à Sparte, et Pythodore ayant encore deux mois à remplir les fonctions d’archonte d’Athènes, le huitième mois après la bataille de Potidée, au commencement du printemps, des Thébains, au nombre d’un peu plus de trois cents, sous le commandement des bœotarques Pytangélus, fils de Philide, et Diemporus, fils d’Onétoride, entrèrent à Platée, ville de Bœotie, qui était alliée d’Athènes. Ce furent des citoyens de Platée, Naucide et ses complices, qui les appelèrent, et leur ouvrirent les portes. Ils voulaient, pour s’emparer eux-mêmes du pouvoir, tuer ceux de leurs concitoyens qui leur étaient opposés, et soumettre la ville aux Thébains. Ils avaient lié cette intrigue avec Eurymaque, fils de Léontiade, qui avait à Thèbes le plus grand crédit. Les Thébains prévoyaient qu’on aurait la guerre, ils étaient toujours en différends avec Platée, et ils voulaient, pendant qu’on était encore en paix, et que les hostilités n’étaient pas ouvertement commencées, s’emparer d’avance de cette place. Comme on n’y faisait pas encore la garde, il leur fut aisé de s’introduire sans être découverts. Ceux qui les avaient mandés voulaient qu’ils agissent aussitôt, et se jetassent sur les maisons de leurs ennemis ; mais ils n’y consentirent pas, et se rangèrent en armes sur la place. Leur dessein était de s’y prendre avec douceur, par le ministère d’un héraut, et d’amener les habitans à traiter à l’amiable. Le héraut publia que ceux qui voudraient entrer dans la ligue des Bœotiens, suivant les instituts du pays, prissent les armes, et se joignissent à eux. Ils espéraient que la ville se rendrait aisément à de telles propositions.

III. Quand ceux de Platée apprirent que les Thébains étaient dans leurs murs, et s’étaient emparés inopinément de la ville, ils les crurent en bien plus grand nombre qu’ils n’étaient en effet ; ils n’en pouvaient juger pendant la nuit. Ils consentirent donc à traiter, reçurent les propositions qu’on leur faisait, et restèrent d’autant plus volontiers en repos, que personne n’éprouvait aucun mauvais traitement. Ils étaient dans ces dispositions, quand ils s’aperçurent que les Thébains n’avaient que peu de monde, et ils pensèrent qu’en les attaquant, ils auraient une victoire aisée : car le peuple n’était pas dans l’intention d’abandonner l’alliance d’Athènes. Ils résolurent donc d’en venir aux mains, et pour se concerter entre eux, sans être découverts en passant dans les rues, ils percèrent les murs mitoyens de leurs maisons. Des charrettes dételées furent placées dans les rues pour servir de barricades. Ils firent toutes les dispositions que chacun jugea nécessaires dans les circonstances, tirèrent parti de tout ce qu’ils purent se procurer, profitèrent du reste de la nuit, et à l’approche de l’aurore, et firent une sortie sur les Thébains. Ils auraient craint de les trouver plus hardis à la clarté du jour, et que la défense ne fût égale à l’attaque ; au lieu que dans les ténèbres, on devait inspirer plus de terreur à des ennemis qui avaient le désavantage de ne pas connaître la ville. Ils attaquèrent donc sur-le-champ, et se hâtèrent d’en venir aux mains.

IV. Dès que les Thébains reconnurent qu’ils étaient trompés, ils se formèrent en peloton, et repoussèrent de tous côtés ceux qui les attaquaient. Ils les firent reculer deux ou trois fois, mais quand les Platéens se précipitèrent sur eux à grand bruit, quand femmes et valets, avec des cris et des hurlemens, lancèrent, du haut des maisons, des tuiles et des pierres, quand une pluie abondante vint à tomber au milieu des ténèbres, ils furent saisis de terreur. On était alors au déclin de la lune. Mis en fuite, ils couraient par la ville, dans l’obscurité, dans la fange, la plupart ignorant les passages qui auraient pu les sauver, et poursuivis par des ennemis qui les connaissaient tous, pour leur intercepter toute retraite. La plupart périrent. Un Platéen ferma la porte par laquelle ils étaient entrés, et qui seule était ouverte. Il se servit, au lieu de verrou, d’un fer de lance qu’il fit entrer dans la gâche. Ainsi, de ce côté même, il ne restait plus d’issue. Poursuivis dans les rues, quelques-uns gravirent le mur, se précipitèrent en dehors, et se tuèrent presque tous. D’autres gagnèrent une porte abandonnée, trouvèrent une femme qui leur prêta une hache, brisèrent la barre, et n’échappèrent qu’en petit nombre : car on s’en aperçut aussitôt. D’autres se dispersèrent, et furent égorgés. Le plus grand nombre, composé de tous ceux qui étaient restés en peloton, donnèrent dans un grand bâtiment qui tenait au mur : par hasard la porte était ouverte ; ils la prirent pour une de celles de la ville, et crurent qu’elle ouvrait une issue dans la campagne. Les Platéens les voyant pris, délibérèrent s’ils ne les brûleraient pas tous, en mettant le feu à l’édifice, ou s’ils prendraient contre eux quelque autre parti. Enfin ces malheureux et tout ce qui restait de Thébains dans la ville se rendirent à discrétion, eux et leurs armes. Tel fut le succès de leur entreprise sur Platée.

V. D’autres Thébains devaient, avant la fin de la nuit, se présenter en corps d’armée pour soutenir au besoin ceux qui étaient entrés : ils reçurent en chemin la nouvelle de ce qui s’était passé, et s’avancèrent au secours. Platée est à quatre-vingt-dix stades de Thèbes[2]. L’orage qui survint pendant la nuit retarda leur marche ; le fleuve Asopus se gonfla, et devint difficile à traverser. Ils marchèrent par la pluie, ne passèrent le fleuve qu’avec peine, et arrivèrent trop tard : leurs hommes étaient ou tués ou pris. À la nouvelle de ce désastre, ils dressèrent des embuscades à ceux des Platéens qui se trouvaient hors de la ville. Il y en avait dans les campagnes avec leurs effets, comme il arrive en un temps de paix où l’on vit dans la sécurité. Ils voulaient que ceux qu’ils pourraient prendre leur répondissent des leurs qui étaient dans la ville, s’il en restait à qui l’on eût laissé la vie. Tel était leur dessein. Ils délibéraient encore, quand les Platéens, se doutant du parti que prendraient les ennemis, et craignant pour ce qu’ils avaient de citoyens au dehors, firent partir un héraut, et le chargèrent de dire aux Thébains que c’était une impiété d’avoir essayé de prendre leur ville en pleine paix ; qu’ils eussent a ne faire aucun mal aux gens du dehors, s’ils ne voulaient qu’on donnât la mort aux prisonniers ; mais qu’on les leur rendrait s’ils quittaient le territoire.

Voilà du moins ce que racontent ceux de Thèbes, et ils ajoutent même que les Platéens jurèrent cette convention. Ceux-ci n’avouent pas qu’ils eussent promis de rendre les prisonniers : ils prétendent qu’ils étaient seulement entrés en conférence pour essayer d’en venir à un accord. et ils nient qu’il ait été fait de serment. Ce qu’il y a de certain, c’est que les Thébains sortirent du territoire de Platée, sans y faire aucun mal, et que les Platéens n’eurent pas plus tôt transporté à la hâte dans la ville tout ce qui se trouvait dans la campagne, qu’ils massacrèrent leurs prisonniers. Il y en avait cent quatre-vingts. De ce nombre était Eurymaque, à qui les traîtres s’étaient adressés.

VI. Après cette exécution, ils firent partir un messager pour Athènes, traitèrent avec les Thébains pour leur permettre d’enlever leurs morts, et firent dans leur ville les dispositions qu’ils crurent nécessaires.

Dès qu’on eut annoncé à Athènes ce qu’avaient fait les Platéens, on arrêta tout ce qui se trouvait de Bœotiens dans l’Attique, et l’on envoya un héraut à Platée, porter la défense de prendre aucun parti sur les Thébains qu’ils avaient en leur pouvoir, qu’Athènes n’eût elle-même statué sur leur sort ; car on n’y avait pas annoncé qu’ils n’étaient plus : le premier message était parti aussitôt après l’arrivée des Thébains, et le second au moment où ils venaient d’être vaincus et arrêtés. On ne savait encore à Athènes rien de ce qui avait suivi ; et c’était dans cette ignorance qu’on avait fait partir le héraut. A son arrivée, il trouva les prisonniers égorgés. Les Athéniens vinrent ensuite en corps d’année à Platée, y portèrent des subsistances, y laissèrent une garnison, et emmenèrent les hommes inutiles, avec les femmes et les enfans.

VII. Cet événement de Platée devenait une rupture ouverte de la trêve, et les Athéniens se préparèrent à la guerre. Les Lacédémoniens et leurs alliés firent aussi leurs préparatifs, et l’on se disposa des deux côtés à envoyer au roi et dans d’autres pays barbares, suivant que chaque parti espérait en tirer quelques secours. Ils firent entrer aussi dans leur alliance les villes qui étaient hors de leur domination. Indépendamment des vaisseaux que les Lacédémoniens avaient dans le Péloponnèse, il fut ordonné, dans l’Italie et dans la Sicile, aux villes qui étaient de leur parti, d’en fournir en proportion de leur grandeur jusqu’au nombre de cinq cents ; de préparer une somme d’argent déterminée, de se tenir d’ailleurs en repos, et de ne recevoir à la fois dans leurs ports qu’un seul vaisseau d’Athènes, jusqu’à ce que tous les apprêts fussent terminés. Les Athéniens firent le recensement des alliés sur lesquels ils devaient compter, et envoyèrent surtout des députés dans les pays qui entourent le Péloponnèse, à Corcyre, à Céphalénie, chez les Acarnanes, à Zacynthe, pour savoir s’ils pouvaient se fier à leur amitié dans le dessein où ils étaient d’attaquer de toutes parts le Péloponnèse.

VIII. Les deux partis ne prenaient que des mesures vigoureuses. C’était de toutes leurs forces qu’ils se préparaient aux combats ; et cela devait être, car c’est toujours en commençant qu’on a le plus d’ardeur. Faute d’expérience, une jeunesse nombreuse à Athènes se faisait alors une joie de tâter de la guerre. Au spectacle de cette fédération des villes principales, les esprits s’exaltaient dans le reste de la Grèce. Ce n’était, dans celles qui allaient combattre, et ailleurs, que gens qui répétaient des oracles, que devins qui chantaient des prédications. Délos, peu auparavant, avait été ébranlée par un tremblement de terre ; et aussi haut que remontât la mémoire des Grecs, elle n’en avait pas éprouvé d’autre ; on disait et l’on crut que c’était un présage de ce qui devait se passer. On faisait une curieuse recherche de tous les événemens de ce genre qui avaient pu arriver. Les esprits étaient généralement favorables aux Lacédémoniens, surtout parce qu’ils avaient annoncé qu’ils voulaient délivrer la Grèce. C’était une émulation entre les particuliers et les villes à qui embrasserait leur parti, en paroles du moins, si ce n’était par des actions ; chacun croyait que les affaires souffriraient quelque chose s’il ne s’en mêlait pas : tant l’indignation contre les Athéniens était générale, les uns voulant secouer leur joug, les autres craignant d’y être soumis. Ce fut avec de telles dispositions et dans un tel esprit qu’on se précipita dans la guerre.

IX. Voici les alliés qu’eurent les deux partis en la commençant. Ceux des Lacédémoniens étaient tous les peuples du Péloponnèse qui habitent au-delà de l’isthme, excepté les Argiens et les Achéens, qui avaient des liaisons avec l’un et l’autre parti. Les habitans de Pellène furent d’abord les seuls de l’Achaïe qui portèrent les armes pour Lacédémone ; tous les autres se déclarèrent ensuite. En deçà du Péloponnèse, ils avaient les Mégariens, les Locriens, les Bœotiens, les Phocéens, les Ampraciotes, les Leucadiens, les Anactoricns. Ceux qui fournirent des vaisseaux furent les Corinthiens, les Mé gariens, lesSicyoniens, les habitans de Pellène, d’Élée, d’Ampracie et de Leucade ; les Bœotiens, les Phocéens, les Locriens donnèrent de la cavalerie ; les autres villes de l’infanterie. Tels étaient les alliés de Lacédémone.

Ceux d’Athènes étaient les peuples de Chio, de Lesbos, de Platée, les Messéniens de Naupacte, la plus grande partie des Acarnanes, les Corcyréens, les Zacynthiens, sans compter les villes qui leur paient tribut dans un si grand nombre de nations ; la Carie, qui s’étend le long des côtes de la mer, les Doriens, voisins de la Carie, l’Hellespont, les villes de Thrace, toutes les villes situées au levant, entre le Péloponnèse et l’Ile de Crète, toutes les Cyclades, excepté Mélos et Thères. Ceux de Chio, de Lesbos, de Corcyre, fournissaient des navires, les autres de l’infanterie et de l’argent. Telles étaient les alliances, et tel l’appareil guerrier des deux partis.

X. Les Lacédémoniens, après ce qui s’était passé à Platée, firent annoncer aussitôt aux villes alliées, tant de l’intérieur du Péloponnèse que du dehors, de préparer leurs forces, et de se munir de tout ce qui était nécessaire pour une expédition, parce qu’on allait se jeter sur l’Attique. Lorsque tout fut prêt au terme marqué, les deux tiers des troupes se rendirent sur l’isthme[3], et l’armée entière se trouvant rassemblée, Archidamus, roi de Lacédémone, qui commandait cette expédition, appela les généraux des villes, les hommes revêtus des premières dignités, toutes les personnes de quelque considération, et parla ainsi :

XI. « Péloponnésiens et alliés, nos pères aussi ont eu bien des guerres à soutenir, tant dans le Péloponnèse qu’au dehors ; et les plus âgés d’entre nous ne manquent pas d’expérience des combats : jamais cependant nous ne sommes sortis avec un plus grand appareil, mais c’est contre une république très puissante que nous marchons en grand nombre nous-mêmes, et brillans de courage. Ne nous montrons pas moins grands que nos pères, et ne dégénérons pas de notre propre gloire. Toute la Grèce est en suspens sur notre expédition ; toutes les pensées se fixent sur nous, mais avec bienveillance, et, par haine pour les Athéniens, on fait des vœux pour nos succès. Mais quoiqu’on puisse trouver que nous sommes en force, et regarder comme une chose bien assurée que l’ennemi n’osera venir se mesurer avec nous, il n’en faut pas marcher avec moins de prudence et de précaution. Général et soldat de chaque ville, chacun doit se croire toujours au moment de tomber dans quelque danger. Les événemens de la guerre sont incertains : souvent une action naît de peu de chose ; un emportement la produit. Souvent le plus faible, par un sentiment de crainte, combat avec avantage contre une armée supérieure, qui, par mépris, ne se tenait pas préparée. Il faut donc, en pays ennemi, avoir dans la pensée de combattre avec courage ; mais en effet se tenir prêt au combat avec un sentiment de crainte. C’est ainsi qu’on s’avance à l’ennemi avec plus de valeur, et qu’on soutient l’action avec moinsde danger. « Ce n’est point contre une république incapable de se défendre que nous marchons : elle est abondamment pourvue de tout. Ses citoyens ne se montrent point en campagne, parce que nous ne sommes pas encore sur leur territoire ; mais soyez certains qu’ils viendront nous combattre dès qu’ils nous y verront porter le ravage et détruire leurs propriétés ; car tous les hommes s’irritent quand, sous leurs yeux et à l’instant même, ils voient des désastres qu’ils n’ont pas l’habitude de souffrir : moins ils raisonnent, plus ils agissent avec violence. C’est ce que doivent plus que personne éprouver les Athéniens ; eux fiers de commander aux autres ; eux plus accoutumés à porter le ravage chez leurs voisins qu’à le voir porter chez eux. Prêts à combattre une telle république et à couvrir de gloire et vous et vos aïeux, suivez vos généraux dans les événemens contraires ou propices, et marchez où vous serez conduits, persuadés qu’il n’est rien de plus important que de se tenir sur ses gardes et en bon ordre, et d’exécuter les commandemens avec célérité. Le plus beau spectacle qu’offre la guerre, et ce qui promet le plus de sûreté dans les combats, c’est une foule d’hommes n’ayant tous ensemble qu’un seul mouvement. »

XII. Après ce discours, Archidamus congédia l’assemblée, et fit partir pour Athènes un Spartiate, Mélésippe, fils de Diacrite : il voulait essayer si les Athéniens ne seraient pas moins fiers, en voyant déjà les ennemis en marche ; mais ce député ne put être admis dans l’assemblée, ni même dans la ville. On avait résolu de s’en tenir à l’avis de Périclès, et de ne plus recevoir de hérauts ni de députés, dès que les Lacédémoniens se seraient mis en campagne. Ils le renvoyèrent sans l’entendre, et lui prescrivirent d’être hors des frontières le même jour, ajoutant que ceux qui l’avaient expédié n’avaient qu’à retourner chez eux, et qu’alors ils seraient maîtres d’envoyer des députations à Athènes. On fit accompagner Mélésippe, pour qu’il n’eût de communication avec personne. Arrivé sur la frontière et prêt à se séparer de ses conducteurs, il dit en partant ce peu de paroles : que ce jour serait pour les Grecs le commencement de grands malheurs.

Au retour de ce député, Archidamus, convaincu que les Athéniens étaient déterminés à ne rien céder, partit et fit avancer ses troupes vers l’Attique. Les Bœotiens avaient donné aux Péloponnésiens une partie de leurs gens de pied et toute leur cavalerie : avec ce qui leur restait, ils entrèrent sur le territoire de Platée et le ravagèrent.

XIII. Les Péloponnésiens étaient encore rassemblés sur l’isthme ; ils étaient en marche et n’avaient pas encore pénétré dans l’Attique, quand Périclès, fils de Xantippe, le premier des dix généraux qu’Athènes avait choisis, sachant qu’il allait se faire une invasion, pensa qu’Archidamus, qui lui était uni par les liens de l’hospitalité, pourrait bien de lui-même, et pour lui faire plaisir, épargner les terres qui lui appartenaient, et les préserver du ravage : il soupçonnait aussi que ce prince pourrait recevoir des Lacédémoniens l’ordre de le ménager pour le rendre suspect à ses concitoyens, comme ils avaient demandé aux Athéniens l’expiation du sacrilège pour le rendre odieux. Il prit le parti d’annoncer à l’assemblée qu’il avait pour hôte Archidamus, et qu’il ne devait résulter de cette liaison aucun inconvénient pour l’état ; que si les ennemis ne ravageaient pas ses terres et ses maisons de campagne comme celles des autres, il les abandonnait au public, et que ces ménagemens ne pourraient le rendre suspect. D’ailleurs, il renouvela, dans la conjoncture, les conseils qu’il avait déjà donnés de se bien tenir prêts à la guerre, de retirer tout ce qu’on avait à la campagne, d’entrer dans la ville pour la garder, au lieu d’en sortir pour combattre, de mettre en bon état la flotte qui faisait la force de l’état, et de tenir en respect les alliés : il représenta que c’était d’eux qu’Athènes tirait les richesses et les revenus d’où résultait sa puissance, et qu’en général, on ne se donnait à la guerre la supériorité que par la sagesse des résolutions et l’abondance des richesses. Il engagea les citoyens à prendre courage, en leur faisant le détail de leurs ressources : ils recevaient à peu près six cents talens[4] par an du tribut de leurs alliés, sans compter les autres revenus, et ils avaient encore dans la citadelle six mille talens d’argent monnayé[5]. Il y en avait eu neuf mille sept cents ; mais le reste avait été dépensé pour les propylées de la citadelle[6], et pour le siège de Potidée : il ne comptait pas l’or et l’argent non monnayé porté en offrande par les particuliers et par le peuple, ni tous les vases sacrés qui servaient aux pompes et aux jeux, ni les dépouilles des Mèdes, et autres richesses du même genre qu’on ne pouvait estimer moins de cinq cents talens[7]. Il ajouta les trésors assez considérables des autres temples dont on pourrait se servir : et si toutes ces ressources ne suffisaient pas, on pourrait faire usage de l’or dont était ornée la statue de la déesse elle-même ; il montra que cet or pur pesait quarante talens[8], et qu’il pouvait s’enlever. Mais il observa que si, pour le salut public, on se servait de ces trésors, il faudrait les remplacer dans leur totalité.

Tels furent les sujets d’encouragement qu’il leur montra dans leurs richesses. Il fit voir aussi qu’on avait treize mille hommes pesamment armés, sans compter ce qui était dans les garnisons, ou employé à la défense des murailles, qui se montait à seize mille hommes : car tel était le nombre de ceux qui les gardaient à l’époque où les ennemis se jetèrent sur l’Attique. C’étaient des vieillards hors de l’âge du service, des jeunes gens qui n’avaient pas encore atteint l’âge de la milice ; et tout ce qu’il y avait de simples habitans en état de faire le service d’hoplites. Le mur de Phalère avait trente-cinq stades[9] jusqu’à l’enceinte de la ville, et la partie de cette enceinte qu’il fallait garder était de quarante-trois stades. On laissait sans gardes ce qui est entre le long mur et le mur de Phalère. Les longues murailles jusqu’au Pirée étaient de quarante stades, et l’on faisait la garde à la face extérieure. Le circuit du Pirée, en y comprenant Munychie, était en tout de soixante stades, dont on ne gardait que la moitié. Il montra qu’on avait douze cents hommes de cavalerie, en y comprenant les archers à cheval, seize cents archers, et trois cents hommes en état de tenir la mer.

Tel était l’appareil des Athéniens, sans qu’il y ait rien à réduire dans aucune partie, au moment où les Péloponnésiens allaient faire leur première invasion dans l’Attique, et qu’eux-mêmes se préparaient à la guerre. Périclès, suivant sa coutume, ajouta tout ce qui pouvait leur faire connaître qu’ils auraient la supériorité.

XIV. Ils l’écoutèrent et le crurent. Ils trans portèrent à la ville leurs femmes, leurs enfans et tous les ustensiles de leurs maisons, dont ils enlevèrent jusqu’à la charpente. Ils envoyèrent dans l’Eubée et dans les îles adjacentes, les troupeaux et les bêtes de somme. Accoutumés, comme l’étaient la plupart, à passer leur vie à la campagne, ce déplacement leur était bien dur.

XV. Dès la plus haute antiquité, les Athéniens étaient dans cet usage plus qu’aucun peuple de la Grèce. Sous Cécrops et les premiers rois, l’Attique fut toujours habitée par bourgades qui avaient leurs prytanées et leurs archontes. Dans les temps où l’on était sans crainte, ils n’allaient pas s’assembler en conseil pour délibérer avec le roi : les habitans de chaque bourgade délibéraient et prenaient conseil entre eux. Il arrivait même à quelques-unes de lui faire la guerre : ce fut ainsi que les Éleusiniens la firent à Érechtée conjointement avec Eumolpus. Mais sous le règne de Thésée, entre diverses institutions qui tendaient à l’avantage de l’Attique, ce prince, qui joignait la sagesse à la puissance, abolit les conseils et les premières magistratures des bourgades, rassembla tous les citoyens dans ce qui est à présent la ville, et y institua un seul conseil et un seul prytanée. Les Athéniens continuèrent d’habiter et de cultiver leurs champs ; mais il les força de n’avoir que cette ville : devenue un centre commun, elle s’agrandit, et elle était considérable quand Thésée la transmit à ses successeurs.

Depuis cette époque jusqu’à nos jours, les Athéniens célèbrent en l’honneur de la déesse[10] une fête publique qu’ils appellent xynœcia. Auparavant, ce qu’on nomme aujourd’hui Acropole ou citadelle, était la ville, et elle comprenait aussi la partie qu’elle domine qui est tournée du côté du midi. Il en reste une preuve ; car sans parler des temples de plusieurs divinités qui sont dans l’Acropole, c’est surtout vers cette partie de la ville, en dehors de la citadelle, que s’élève le temple de Jupiter, surnommé Olympien, celui d’Apollon Pythien, celui de la Terre et celui de Bacchus aux Étangs : c’esl en l’honneur de ce dieu que l’on célèbre les anciennes bacchanales le dixième jour du mois anthestérion[11], usage que conservent encore les peuples de l’Ionie, qui descendent des Athéniens. On voit aussi d’autres temples anciens dans ce même quartier. On peut ajouter à cette preuve la fontaine que, depuis les travaux qu’y ont faits les tyrans, on appelle les neuf canaux, mais qu’anciennement, quand la source était à découvert, on nommait Callirrhoë : comme elle était voisine de l’Acropole, on s’en servait aux usages les plus nécessaires, et maintenant il reste encore de l’antiquité la coutume de s’en servir avant les cérémonies des mariages et à d’autres usages religieux. C’est parce que les habitations étaient autrefois renfermées dans l’Acropole, que les Athéniens ont conservé jusqu’à nos jours l’habitude de l’appeler la ville.

XVI. Ainsi donc autrefois les Athéniens vécurent long-temps à la campagne dans l’indépendance, et depuis qu’ils furent attachés à une seule ville, ils conservèrent leurs vieilles habitudes. Les anciens et ceux qui leur succédèrent jusqu’à la guerre présente naquirent généralement et vécurent en familles dans leurs champs : ils ne changeaient pas volontiers de demeure, surtout après la guerre médique, parce qu’ils étaient peu éloignés de l’époque où ils avaient repris leurs établissemens. Ce fut avec peiue, et même avec un sentiment de douleur, qu’ils abandonnèrent leurs maisons et leurs temples : d’après leur ancienne manière de vivre, ils les regardaient comme un héritage paternel, et près d’adopter un nouveau genre de vie, ce n’était rien moins que leur patrie qu’ils croyaient abandonner.

XVII. Ils vinrent à la ville : mais fort peu d’entre eux y avaient des logemens, ou purent en trouver chez des parens ou des amis. La plupart s’établirent dans les endroits vagues, tels que les temples, les monumens des héros ; par tout enfin, excepté dans la citadelle, l’Eleusinium, ou quelques autres lieux exactement fermés. Ils s’emparèrent même de ce qu’on appelle le Pélasgicon[12], au-dessous de l’Acropole. Il avait été défendu avec imprécation de l’occuper, et cette défense était contenue dans ces derniers mots d’un oracle de Delphes : « Il vaut mieux que le Pélasgicon reste vide. » Cependant la nécessité força de l’habiter. Je crois que l’oracle fut accompli tout autrement qu’on ne s’y était attendu : car il ne faut pas croire que les malheurs d’Athènes vinrent de ce qu’où avait profané cet endroit en l’occupant ; mais ce fut le malheur de la guerre qui contraignit à l’occuper. C’est là ce que l’oracle n’exprima pas ; mais le dieu avait prévu qu’un fâcheux événement ferait un jour habiter ce lieu. Bien des gens s’emménagèrent aussi dans les tours des murailles, et chacun enfin comme il put ; car la ville ne pouvait contenir tant de monde qui venait s’y réfugier : on finit par se partager les longues murailles, et par s’y loger, ainsi que dans la plus grande partie du Pirée. En même temps on travaillait aux préparatifs de la guerre, on rassemblait des alliés, on appareillait cent vaisseaux pour le Péloponnèse. Telles étaient alors les occupations des Athéniens.

XVIII. Les Péloponnésiens s’avançaient. Ils entrèrent dans le dème[13] de l’Attique que l’on nomme Olînoé ; c’était de là qu’ils devaient faire leurs incursions. Quand ils eurent assis leur camp à la vue de ce fort, ils se disposèrent à en former le siège avec des machines de guerre et tous les autres moyens qu’ils pourraient employer. Comme Œnoé se trouvait sur la frontière de l’Attique, il était muré, et les Athéniens s’en servaient comme d’une citadelle en temps de guerre. Les Lacédémoniens préparèrent leurs attaques, et perdirent en vain du temps autour de la place ; ce qui ne contribua pas faiblement aux reproches que reçut Archidamus. Il semblait avoir annoncé de la mollesse au moment où l’on s’était rassemble pour délibérer sur la guerre ; et, en ne conseillant pas avec chaleur de l’entreprendre, il avait paru favoriser les Athéniens. Depuis le rassemblement des troupes, le séjour qu’il avait fait dans l’isthme, et sa lenteur dans le reste de la marche, avaient excité contre lui des rumeurs ; et il devenait encore plus suspect en s’arrêtant devant Œnoé, car c’était dans ce temps-là même que les Athéniens se retiraient dans la ville ; et si les Péloponnésiens avaient accéléré leur marche, et que le général n’eût pas mis de lenteur dans ses opérations, il est vraisemblable qu’ils auraient enlevé tout ce qui se trouvait en dehors.

C’est ainsi que les troupes d’Archidamus s’indignaient de le voir rester tranquille dans son camp. Il n’en persistait pas moins à temporiser, espérant, comme on le dit, que les Athéniens pourraient se montrer plus faciles, tant que leur territoire ne serait pas entamé ; mais ne croyant pas qu’ils se tinssent dans l’inaction, s’ils y voyaient une fois porter le ravage.

XIX. Après avoir essayé contre Œnoé tous les moyens d’attaque sans pouvoir s’en rendre maîtres, et sans recevoir aucune proposition de la part des Athéniens, ils quittèrent enfin la place, quatre-vingts jours au plus après le malheur des Thébains à Platée, et se jetèrent sur l’Attique au cœur de l’été, lorsque les blés étaient mûrs[14]. Archidamus, fils de Zeuxidamus, roi de Lacédémone, continuait de les commander. Ils s’arrêtèrent d’abord à Éleusis et dans les campagnes de Thria, les ravagèrent, et eurent l’avantage sur un corps de cavalerie vers l’endroit qu’on appelle les Ruisseaux[15]. Ils s’avancèrent ensuite à travers la Cécropie, ayant à leur droite le mont Ægaléon, et arrivèrent à Acharnes, l’endroit le plus considérable de ceux qu’on nomme dèmes dans l’Attique. Ils s’y arrêtèrent, y assirent leur camp, et y restèrent long temps à le dévaster.

XX. Voici, dit-on, sur quel motif Archidamus se tenait en ordre de bataille dans les environs d’Acharnes, sans descendre dans la plaine pendant cette première invasion. Il espérait que les Athéniens, qui avaient une nombreuse et florissante jeunesse, et dont jamais l’appareil guerrier n’avait été si imposant, sortiraient de leurs murailles, et ne verraient pas paisiblement ravager leur territoire. Comme ils n’étaient venus à sa rencontre, ni à Éleusis, ni dans les champs de Thria, il essaya s’il ne pourrait pas les attirer en campant autour d’Acharnes. D’ailleurs, l’endroit lui sembla propre à établir un camp, et il était probable que les Acharniens, qui formaient une partie considérable de la république, puisque seuls ils fournissaient trois mille hoplites, ne laisseraient pas désoler leurs campagnes, et se précipiteraient tous au combat. Il supposait encore que si les Athéniens ne sortaient pas pour s’opposer à cette invasion, on saccagerait dans la suite le territoire avec plus d’assurance, et qu’on pourrait même s’avancer jusqu’à la ville. En effet, les Acharniens, dépouillés de leurs propriétés, ne s’exposeraient pas avec le même zèle au danger pour défendre celles des autres, et il y aurait beaucoup de division dans les esprits. Ce fut dans ces sentimens qu’il investit Acharnes.

XXI. Tant que l’armée s’était tenue autour d’Éleusis et des champs de Thria, les Athéniens avaient eu quelque espérance qu’elle ne s’avancerait pas davantage. Ils se rappelaient que, quatorze ans avant cette guerre, Plistoanox, fils de Pausanias, roi de Lacédémone, à la tête d’une armée de Péloponnésiens, avait fait aussi une invasion dans l’Attique, à Éleusis et à Thria, et était retourné sur ses pas sans pousser plus loin sa course[16]. Il est vrai qu’il avait été banni de Sparte sur ce qu’on pensait qu’il s’était laissé gagner par argent pour faire cette retraite. Mais quand ils virent l’ennemi autour d’Acharnes, à soixante stades de la ville, ils perdirent patience. On sent combien devait leur sembler terrible de voir leurs campagnes ravagées sous leurs yeux, spectacle nouveau pour les jeunes gens, et même pour les vieillards, excepté dans la guerre des Mèdes. Tous, en général, et surtout la jeunesse, voulaient sortir, et ne pas mépriser un tel outrage. Il se formait des groupes tumultuaires : on se disputait vivement ; les uns voulaient qu’on sortît ; d’autres, en petit nombre, s’y opposaient. Les devins chantaient des oracles de toute espèce, et chacun les écoutait suivant les passions dont il était agité. Les Acharniens, qui ne se croyaient pas une partie méprisable de la république, et dont on ravageait les terres, pressaient la sortie plus que personne. Il n’était sorte d’agitation que n’éprouvât la république, et Périclès était l’objet de tous les ressentimens. Les conseils qu’il avait donnés étaient inutiles ; on ne se rappelait plus rien, et on lui faisait un crime d’être général, et de ne pas mener les troupes au combat. C’était lui qu’on regardait comme la cause de tout ce qu’on avait à souffrir.

XXII. Persuadé qu’irrités, comme ils l’étaient, de leurs maux, on ne pouvait attendre d’eux aucune sage résolution, et que lui-même cependant avait raison de s’opposer à leur sortie, il ne convoqua pas d’assemblée, ni ne permit de rassemblemens. Il craignait que le peuple ne fit quelque faute en délibérant avec moins de jugement que de passion. Il tint les yeux ouverts sur la ville ; et, autant qu’il le put, il y maintint le repos. Mais chaque jour il faisait sortir de la cavalerie pour incommoder les coureurs qui s’écartaient du gros de l’armée, et tombaient sur les champs voisins d’Athènes. Il y eut à Phrygies un petit choc de cavalerie athénienne et thessalienne contre la cavalerie bœotienne. Les Athéniens et les Thessaliens se soutinrent sans désavantage jusqu’à ce qu’il survînt un secours d’hoplites bœotiens qui les obligea de se retirer avec peu de perte : ce qui ne les empêcha pas le jour même d’enlever leurs morts, sans être forcés d’en obtenir la permission. Cependant le lendemain les Péloponnésiens dressèrent un trophée.

La Thessalie donnait du secours à Athènes en conséquence de l’alliance qui régnait entre les deux peuples. Il vint des Thessaliens de Larisse, de Pharsale, de Paralus, de Cranon, de Pirasus, de Gyrlone et de Phères, Ils étaient commandés par Polyinède et Aristonoüs, tous deux de Larisse, mais de deux factions différentes[17], et par Ménon, de Pharsale. Il y avait encore d’autres commandans pour les troupes de chaque ville.

XXIII. Les Péloponnésiens voyant leurs ennemis obstinés à ne pas sortir au combat, s’éloignèrent d’Acharnes, et ravagèrent quelques autres dêmes entre les monts Parnès et Britesse. Ils étaient sur le territoire de l’Attique quand les Athéniens envoyèrent autour du Péloponnèse cent vaisseaux qu’ils avaient appareillés, et que montèrent mille hoplites de leur nation et quatre cents archers. Les commandans furent Carcinus, fils de Xénotime, Protéas, fils d’Épiclès, et Socrate, fils d’Antigone. Ce fut avec ces forces qu’ils mirent en mer, et remplirent leur commission. Les Péloponnésiens restèrent dans l’Attique tant qu’ils eurent des vivres, et retournèrent par la Bœotie, au lieu de suivre le chemin par lequel ils s’y étaient jetés. En passant devant Orope, ils dévastèrent le pays qu’on appelle la Piraïque, et qui appartient aux Oropiens, sujets d’Athènes. Arrivés ensuite dans le Péloponnèse, ils se séparèrent, et chacun gagna la ville à laquelle il appartenait.

XXIV. Après leur départ, tes Athéniens établirent des gardes sur terre et sur mer, et cette disposition devait durer tout le temps de la guerre. Ils décrétèrent que du trésor de l’Acropole il serait tiré mille talens[18], qu’on mettrait à part sans pouvoir les dépenser, et que le reste serait consacré aux frais de la guerre. La peine de mort fut prononcée contre celui qui oserait proposer de toucher à cette somme, a moins que ce ne fût pour repousser l’ennemi, s’il venait attaquer Athènes par mer. Outre ce dépôt de mille talens, ils mirent aussi à part chaque année cent trirèmes de la meilleure construction, auxquelles on nommait des commandans, et l’on ne pouvait disposer de cette flotte qu’en même temps que de la somme, pour repousser le même danger, si la nécessité l’exigeait.

XXV. Les Athéniens, qui étaient partis pour tourner le Péloponnèse avec les cent vaisseaux, les Corcyréens qui les accompagnaient avec cinquante en qualité d’auxiliaires, et d’autres alliés de ces contrées infestèrent dans leurs courses plusieurs campagnes, et descendirent près de Méthone dans la Laconie. Ils attaquèrent la muraille, qui était faible et dépourvue de défenseurs : mais il se trouvait aux environs un Spartiate, à qui était confiée la garde du pays ; c’était Brasidas, fils de Tellis. Il apprend le danger de la place, vient au secours avec cent hoplites, et, traversant à la course le camp des Athéniens étendu dans la campagne, et tourné du côté des murailles, il se jette dans la ville, et la conserve, sans avoir perdu dans sa marche précipitée qu’une faible partie de son monde. Pour prix de son audace, il fut le premier qui, dans cette guerre, reçut les éloges de Sparte.

Les Athéniens remirent en mer. Ils s’arrêtèrent aux environs de Phia, ville de l’Élide, et ravagèrent le pays pendant deux jours. Ils remportèrent la victoire sur trois cents hommes d’élite de la Basse-Élide et des endroits voisins qui venaient défendre contre eux le territoire. Un vent impétueux s’éleva : tourmentés sur une plage qui manquait de ports, la plupart remontèrent sur la flotte, tournèrent le promontoire nommé Ichtys, et gagnèrent le port de Phia : ils trouvèrent que la place venait d’être prise par les Messéniens et quelques autres qui n’avaient pu monter sur les vaisseaux, et qui s’étaient avancés par terre. Ils les recueillirent, et remirent en mer, abandonnant la place, qu’une troupe nombreuse d’Éléens venait secourir. Ils continuèrent de côtoyer, et ils dévastèrent d’autres pays.

XXVI. Vers le même temps, on envoya d’Athènes trente vaisseaux faire le tour de la Locride et garder l’Eubée. Le commandant était Cléopompe, fils de Clinias : il fit des descentes, dévasta des campagnes voisines de la mer, prit Thronium, et en reçut des otages. Il combattit à Alopé les Locriens qui venaient au secours, et les vainquit.

XXVII. Dans le même été, les Athéniens chassèrent les habitans d’Égine, jusqu’aux femmes et aux enfans : ils les accusaient d’être une des principales causes de la guerre. Ils sentaient qu’ils seraient plus sûrs de cette place qui touche au Péloponnèse, en y envoyant eux-mêmes une colonie tirée de leur sein : et c’est ce qu’ils exécutèrent peu de temps après. Les Lacédémoniens donnèrent aux Éginètes chassés de leur patrie, Thyrée et les campagnes qui en dépendent. Ils étaient portés à cette générosité par leur haine pour les Athéniens, et parce que les Éginètes leur avaient rendu service dans le temps du tremblement de terre et du soulèvement des Hilotes. La campagne de Thyrée confine à l’Argie et à la Laconie, et touche à la mer. Une partie des Éginètes s’y établit, et les autres se dispersèrent dans le reste de la Grèce.

XXVIII. Encore dans le même été, à la nouvelle lune, le seul temps où l’on croit que puisse arriver ce phénomène, il y eut après midi une éclipse de soleil[19] ; on le vit sous la forme d’une demi-lune ; quelques étoiles brillèrent, et le soleil reprit son disque.

XXIX. Ce fut aussi dans le même été que les Athéniens traitèrent comme ami, et appelèrent un homme qu’ils avaient auparavant regardé comme leur ennemi : c’était Nymphodore, fils de Pythès, citoyen d’Abdère, dont la sœur avait épousé Sitalcès, roi de Thrace, et qui avait au près de son beau-frère un grand crédit. Leur objet était de se faire un allié de Sitalcès. Térès, son père, s’était formé le premier à Odryse un royaume plus respectable que les autres principautés de la Thrace. Il y a même une grande partie de la Thrace qui est libre. Ce Térès n’appartenait en rien à Térée, qui eut pour épouse Procné, fille de Pandion, d’Athènes : ils n’étaient seulement pas de la même Thrace. Térée habitait Daulie, ville du pays qu’on appelle aujourd’hui Phocide. et qui était alors occupé par des Thraces. Ce fut là que les femmes commirent sur Ithys cet attentat si fameux ; et bien des poètes, en parlant du rossignol, le nomment l’oiseau de Daulie. Il est vraisemblable que Pandion rechercha l’alliance de Térée, et lui donna sa fille, pour en tirer des avantages que permettait le peu de distance où ils étaient l’un de l’autre, ce qui ne convient point à l’éloignement d’Odryse, qui est de plusieurs journées de chemin.

Térès donc, qui n’a pas même avec Térée la conformité du nom, fut le premier à Odryse un roi puissant. Les Athéniens recherchaient l’alliance de Sitalcès son fils, dans le dessein de s’unir certaines contrées de la Thrace, et d’obtenir l’amitié de Perdiccas. Nymphodore vint à Athènes, consomma l’alliance de Sitalcès, et fit accorder à Sadocus, fils de ce prince, le droit de citoyen. Il promit de mettre fin à la guerre de Thrace et d’engager son gendre à envoyer aux Athéniens une armée composée de cavalerie et de peltastes[20]. Il réconcilia aussi Perdiccas avec les Athéniens, en les engageant à lui rendre Thermé. Aussitôt Perdiccas porta les armes dans la Chalcidique conjointement avec les Athéniens et Phormion. Ce fut ainsi que Sitalcès, Térès, roi des Thraces, et Perdiccas, fils d’Alexandre, roi de Macédoine, devinrent alliés d’Athènes.

XXX. Les Athéniens qui avaient monté les cent vaisseaux, et qui se trouvaient encore autour du Péloponnèse, prirent Solium, ville des Corinthiens ; ils ne permirent qu’aux seuls Paliriens, entre tous les Acarnanes, de l’habiter et d’en cultiver les campagnes. Ils prirent de vive force Astacus, dont Évarque avait usurpé la tyrannie, le chassèrent et engagèrent le pays dans leur alliance. Ils passèrent dans l’île de Céphalénie dont ils se rendirent maîtres sans combat : Céphalénie est située en face de l’Acarnanie et de Leucade. Elle renferme quatre cités : celles des Palliens, des Crâniens, des Saméens et des Pronéens. Les vaisseaux d’Athènes s’en retournèrent peu de temps après.

XXXI. Vers l’automne du même été[21], les Athéniens en corps de peuple, tant citoyens que simples habitans, se jetèrent sur la Mégaride. Périclès, fils de Xantippe, les commandait. Les Athéniens qui avaient été en course sur les cent vaisseaux autour du Péloponnèse et qui revenaient dans leur patrie, se trouvaient alors à Égine ; ils apprirent que ceux de la ville étaient à Mégare, firent voile de leur côté et opérèrent avec eux leur jonction. Par cette réunion des Athéniens, l’armée devint très formidable. La république était alors dans toute sa vigueur, et l’on n’y ressentait pas encore la maladie qui ne tarda pas à l’attaquer. Les Athéniens seuls ne formaient pas moins de dix mille hommes pesamment armés, sans compter trois mille qui étaient à Potidée, et l’on ne comptait pas non plus moins de trois mille habitans qui partageaient cette expédition. On avait d’ailleurs un corps nombreux de troupes légères. Ils s’en retournèrent après avoir ravagé la plus grande partie du pays. Ils firent encore chaque année pendant la durée de la guerre plusieurs incursions dans la Mégaride, tantôt seulement avec de la cavalerie, tantôt en corps d’année, jusqu’à ce qu’ils se fussent rendus maîtres de Nisée.

XXXII. Les Athéniens, à la fin de l’été, ceignirent d’un mur Atalante, île auparavant déserte, voisine des Locriens d’Oponte. et ils en firent une citadelle. Leur dessein était d’empêcher que des brigands ne sortissent d’Oponte et du reste de la Locride, pour incommoder l’Eubée : voilà ce qui arriva cet été, après que les Péloponnésiens se furent retirés de l’Attique.

XXXIII. L’hiver suivant[22], Evarque l’Acarnane, qui voulait rentrer à Astacus, obtint que les Corinthiens l’y reconduiraient avec quarante vaisseaux et quinze cents hommes : lui-même soudoya quelques auxiliaires. Les généraux de l’armée étaient Euphamidas, fils d’Aristonyme : Timoxène, fils de Timocrate ; et Eumaque, fils de Chrysis. Ils s’embarquèrent et rétablirent Évarque. Ils voulaient s’emparer de quelques autres endroits de l’Acarnanie, situés sur les côtes ; mais ils ne réussirent pas dans leurs tentatives, et reprirent la route de Corinthe. En côtoyant Céphalénie, ils prirent terre et descendirent dans la campagne de Crané ; ils entrèrent en accord avec les habitans qui les trompèrent, se jetèrent sur eux par surprise, et leur tuèrent une partie de leur monde. Vivement repoussés, ils retournèrent chez eux.

XXXIV. Le même hiver, Athènes, suivant les anciennes institutions, célébra aux frais du public les funérailles des citoyens qui étaient morls dans cette guerre. Voici ce qui s’observe dans cette solennité. Trois jours avant les obsèques, ou élève un pavillon où sont déposés les os des morts, et chacun peut apporter à son gré des offrandes au mort qui lui appartient. Au moment du transport sont amenés sur des chars des cercueils de cyprès, un pour chaque tribu, dans lequel sont renfermés les os de ses morts. On porte en même temps un lit vide et tout dressé pour les morts. Les citoyens et les étrangers peuvent, à volonté, faire partie du cortège. Les parentes sont auprès du cercueil et poussent des gémissemens. Les os sont déposés dans un monument public élevé dans le plus apparent des faubourgs[23]. C’est là que toujours on inhume ceux qui sont morts à la guerre ; les guerriers qui périrent à Marathon furent seuls exceptés ; car pour rendre à leurs vertus un hommage signalé, ce fut dans les champs où ils avaient perdu la vie qu’on leur donna la sépulture. Quand les morts sont couverts de terre, un orateur choisi par la république, homme distingué par ses talens et ses dignités, prononce l’éloge que mérite leur valeur. Ce discours terminé, on se retire. C’est ainsi que se célèbrent ces funérailles, et cet usage fut observé pendant tout le cours de la guerre, autant de fois que l’occasion s’en présenta. Quand le moment fut venu, Périclès monta sur une tribune élevée près du monument et d’où le plus grand nombre des assistans pouvait l’en tendre ; il parla ainsi[24] :

XXXV. « La plupart des orateurs, qui, de ce même lieu, ont déjà fait entendre leur voix, ont célébré le législateur qui a cru devoir ajouter à l’ancienne loi sur la sépulture des citoyens, victimes de la guerre, celle de prononcer leur éloge[25] : persuadés que c’est une belle institution de louer en public ceux qui sont morts pour la patrie. Pour moi, j’oserais croire qu’à des hommes qui se sont rendus grands par leurs actions, il suffit de ce qu’ils ont fait pour justifier les honneurs qu’ils obtiennent, honneurs rendus par le peuple entier et dont ce monument vous offre le spectacle : plutôt que de livrer les vertus d’un grand nombre de héros au hasard d’être appréciées suivant qu’un seul homme en parlera plus ou moins dignement. Il est difficile à l’orateur de garder la mesure convenable, quand on peut même à peine avoir une opinion fixe sur la vérité. L’auditeur qui joint à la conscience des faits de la bienveillance pour ceux dont on prononce l’éloge, trouvera peut-être tout ce qu’on pourra dire au-dessous de ce qu’il voudrait entendre et de ce qu’il sait : et celui qui ne connaît pas les choses par lui-même, trouvera, par envie, de l’exagération dans tout ce qui s’élève au-dessus de son caractère. Car on ne supporte l’éloge des autres qu’autant que l’on se croit capable soi-même de faire ce qu’on entend célébrer : ce qui s’élève plus haut, on refuse d’y croire. Cependant, puisque les anciens ont jugé convenable qu’un tel éloge fût prononcé, je dois me conformer à la loi, et tenter de satisfaire, autant qu’il me sera possible, le désir et l’opinion de chacun d’entre vous.

XXXVI. « C’est par nos ancêtres que je vais commencer. Dans une telle solennité, il est juste, il est convenable de leur accorder les honneurs d’un souvenir. Des hommes d’une même origine ont toujours occupé cette contrée, et c’est par leurs vertus que les plus anciens l’ont transmise à leurs descendons, libre comme elle continue de l’être. Nos premiers aïeux sont dignes d’éloges, et nos pères encore plus : c’est eux qui ont ajouté à l’héritage qu’ils avaient reçu la puissance que nous possédons, et ce n’est pas sans de grands travaux qu’ils l’ont transmise. Mais nous-mêmes, nous surtout qui vivons encore, et qui sommes parvenus à l’âge de la maturité, c’est nous qui avons procuré le plus d’accroissement à cet empire, c’est à nous que sont dus tous les avantages qui rendent la république si respectable dans la guerre et dans la paix. Les exploits qui nous ont acquis les différentes parties de notre domination, les invasions des Grecs et des Barbares vaillamment repoussées par nous ou par nos pères, c’est ce que je passerai sous silence, sans vous entretenir longuement de ce qui vous est connu. Mais par quelle conduite nous sommes parvenus à tant de puissance, par quelles institutions politiques et par quelles mœurs nous avons imprimé tant de grandeur à l’état, c’est ce que je vais montrer, avant de passer à l’éloge de nos guerriers : persuadé que ces détails ne sont pas ici déplacés, et qu’il n’est pas inutile à cette assemblée de citoyens et d’étrangers de les entendre.

XXXVII. « Notre constitution politique n’est pas jalouse des lois de nos voisins, et nous servons plutôt à quelques-uns de modèles que nous n’imitons les autres[26]. Comme notre gouvernement n’est pas dans les mains d’un petit nombre de citoyens, mais dans celles du grand nombre, il a reçu le nom de démocratie. Dans les différends qui s’élèvent entre particuliers, tous, suivant les lois, jouissent de l’égalité : la considération s’accorde à celui qui se distingue par quelque mérite, et si l’on obtient de la république des honneurs, c’est par des vertus, et non parce qu’on est d’une certaine classe. Peut-on rendre quelque service à l’état, on ne se voit pas repoussé parce qu’on est obscur et pauvre. Tous, nous disons librement notre avis sur les intérêts publics ; mais dans le commerce journalier de la vie, nous ne portons pas un œil soupçonneux sur les actions des autres ; nous ne leur faisons pas un crime de leurs jouissances ; nous ne leur montrons pas un front sévère, qui afflige du moins, s’il ne blesse pas[27]. Mais, sans avoir rien d’austère dans le commerce particulier, une crainte salutaire nous empêche de prévariquer dans ce qui regarde la patrie, toujours écoutant les magistrats et les lois, surtout celles qui ont été portées en faveur des opprimés, et toutes celles même qui, sans être écrites, sont le résultat d’une convention générale et ne peuvent être enfreintes sans honte.

XXXVIII. « Par des institutions de jeux et de fêtes annuelles, par les agrémens et les douceurs de la vie privée, nous offrons à l’esprit des délassemens de ses fatigues ; et chaque jour a chez nous ses plaisirs qui dissipent les ennuis. Notre république, par l’étendue de sa domination, reçoit tout ce qui naît sur la terre entière, et nous ne recueillons pas moins pour notre jouissance les productions des contrées étrangères que celles de notre sol.

XXXIX. « Voici, dans ce qui concerne la guerre, en quoi nous différons de nos ennemis. Nous offrons notre ville en commun à tous les hommes ; aucune loi n’en écarte les étrangers, ne les prive de nos institutions, de nos spectacles[28] : chez nous rien de caché, rien dont ne puissent profiter nos ennemis. Ce n’est point en des apprêts mystérieux, en des ruses préparées, que nous mettons notre confiance : elle se fonde sur notre courage et notre activité. Nos ennemis, dès leur première enfance, se forment au courage par les plus rudes exercices ; et nous, élevés avec douceur, nous n’en avons pas moins d’ardeur à courir aux mêmes dangers C’est ce qui est bien prouvé ; car les Lacédémoniens ne viennent pas seuls, mais avec tous leurs voisins, porter la guerre dans notre pays ; et nous, pénétrant seuls chez nos ennemis, et ayant à combattre des hommes qui défendent leur propriété, nous remportons le plus souvent, sur le territoire étranger, une victoire aisée. Il n’est jamais arrivé qu’aucun de nos ennemis eût à lutter contre toute la masse de nos forces, obligés que nous sommes de monter à la fois notre marine, et d’envoyer des troupes de terre dans les diverses contrées de notre domination ; mais, s’ils se mesurent avec une faible partie de notre puissance, victorieux, ils se vantent de nous avoir tous repoussés ; vaincus, de n’avoir cédé qu’à toutes nos forces réunies. S’il est dans notre caractère de nous précipiter dans les dangers plutôt en nous jouant qu’en prenant de la peine, plutôt par l’habitude du courage que par obéissance à des lois, nous n’en sommes pas plus affligés d’avance des maux qui nous attendent ; et, dans l’action, nous ne montrons pas moins de valeur que ceux qui se condamnent à ne cesser de souffrir.

XL. « Voilà ce qui rend notre république digne d’admiration ; elle en mérite encore à d’autres égards. Nous avons le goût du beau, mais avec économie ; nous nous livrons à la philosophie, mais sans nous amollir. Si nous possédons des richesses, c’est pour les employer dans l’occasion, et non pour nous vanter d’en avoir[29]. Il n’est honteux à personne d’avouer qu’il est pauvre ; mais ne pas chasser la pauvreté par le travail, voilà ce qui est honteux[30]. Les mêmes hommes se livrent à leurs affaires particulières et à celles du gouvernement, et ceux qui font profession du travail manuel ne sont point étrangers à la politique. Seuls nous ne regardons pas seulement comme détaché des affaires l’homme qui ne prend aucune part à celles de sa patrie ; nous le traitons d’inutile. Nous jugeons bien les choses, nous les concevons de même, et nous ne croyons pas que les discours nuisent aux actions ; mais ce qui nous paraît nuisible, c’est de ne pas s’instruire d’avance par le discours de ce qu’il faut exécuter. Voici ce qui nous est encore particulier : c’est d’avoir en même temps la plus grande audace, et de bien raisonner ce que nous allons entreprendre ; tandis que, chez les autres, c’est l’ignorance qui rend audacieux et le raisonnement inactifs. Et ceux-là doivent, sans doute, être considérés comme les plus valeureux, qui connaissent bien ce qui est terrible, ce qui est agréable, sans en chercher davantage à se soustraire aux dangers. Même dans les vertus, nous différons du grand nombre, nous devenons amis, plutôt en accordant qu’en recevant des bienfaits. L’amitié du bienfaiteur est la plus solide : il veut conserver la bienveillance qui lui est due pour le bien qu’il a fait : celui qui ne fait que payer du retour éprouve un sentiment plus obtus : il sait que sa reconnaissance est une dette qu’il acquitte et qu’elle n’a rien d’obligeant. Seuls encore, c’est moins par un calcul d’intérêt que par une confiance généreuse que nous accordons des bienfaits sans mesure.

XLI. « En un mot, j’ose le dire, notre république est l’école de la Grèce. Il me semble y voir chaque citoyen doué d’une heureuse flexibilité que jamais n’abandonnent les grâces, et qui le rend capable d’un grand nombre de qualités différentes. Que ce soit moins ici une vaine pompe de paroles que la vérité des faits, c’est ce qu’indique assez la puissance où ces qualités nous ont conduits. Seule de toutes les républiques, la nôtre se montre par les effets supérieure à sa renommée[31]. Elle est la seule dont les ennemis qui l’attaquent ne puissent s’indigner de leur défaite, dont les sujets ne puissent se plaindre de n’avoir pas des maîtres dignes de les commander. Nous ne montrons pas une puissance acquise dans l’obscurité, mais brillante des signes éclatans de notre valeur : admirés dans l’âge présent, nous le serons encore par la postérité, sans avoir besoin d’être célébrés par un Homère, ni par un écrivain capable de flatter d’abord l’oreille, mais dont les beautés ambitieuses seront bientôt effacées par la vérité des faits. Par notre audace, nous avons forcé la mer et la terre entière à nous ouvrir un passage, et partout nous avons fondé des monumens impérissables des maux que nous avons faits à nos ennemis, des biens qu’ont reçus de nous nos amis. C’est pour une patrie si glorieuse que, indignés qu’elle leur pût être ravie, nos guerriers ont reçu généreusement la mort ; et tous ceux qui leur survivent brûlent de souffrir pour elle.

XLII. « Je me suis étendu sur les louanges de notre république pour montrer que le combat n’est pas égal entre nous et des ennemis qui sont loin de jouir des mêmes avantages, et pour appuyer sur des témoignages certains l’éloge des citoyens dont nous déplorons la perte. Il est déjà bien avancé, cet éloge : célébrer la gloire de notre patrie, c’est parer des louanges qu’elles méritent leurs vertus et celles des hommes qui leur ont ressemblé. Il est peu de Grecs qui, comme eux, ne soient pas au-dessus des éloges qu’on leur accorde. La mort a mis au grand jour leur valeur : elle a commencé par la faire connaître, et a fini par l’immortaliser.

« Si quelques-uns d’eux se sont montrés d’ailleurs moins estimables, ils ont acquis en mourant pour leur patrie le droit de n’être jugés que sur leur courage. Par une si belle fin ils ont effacé les taches de leur vie, et ont fait plus de bien en commun que de mal en particulier. Aucun d’eux, amolli par les richesses, n’en a préféré les jouissances à son devoir ; aucun, par cette espérance que conserve la misère de se soustraire à l’infortune et de s’enrichir un jour, n’a voulu fuir les dangers. Mettant au-dessus de tous les biens la gloire de se venger de leurs ennemis, persuadés que de tous les périls ils n’en pouvaient braver un plus illustre, ils ont voulu l’affronter pour se procurer cette vengeance, et il est devenu l’objet de leurs désirs. L’espérance détruisait à leurs yeux l’incertitude de la victoire ; et, dans l’action, les périls qu’ils ne pouvaient se dissimuler s’effaçaient par la confiance qu’ils avaient en eux-mêmes. Ils ont trouvé plus beau de se défendre et de périr que de céder pour conserver leurs jours ; ils ont évité l’opprobre qui suit la réputation de lâcheté, et ont soutenu l’honneur au prix de leur vie. En un court instant le sort les a surpris moins frappés de crainte qu’occupés de leur gloire.

XLIII. « Ils furent tels qu’ils devaient être pour l’état. Que les autres, sans avoir moins de courage, fassent des vœux pour que leur vie soit plus heureusement préservée. Qu’ils ne se bornent pas à discourir sur l’utilité publique, sujet que sans rien dire qui vous soit inconnu on pourrait traiter fort au long, en s’étendant sur tout ce qu’il y a de glorieux à surmonter ses ennemis ; mais c’est en agissant pour la patrie qu’il faut s’occuper de sa puissance et s’enflammer d’amour pour elle. Contemplez sa grandeur, mais en pensant que c’est par le courage, par la connaissance du devoir, par la honte de commettre une lâcheté dans les combats, que des héros la lui ont procurée. Malheureux dans quelque entreprise, ils ne se croyaient point en droit de priver l’état de leur vertu, et le sacrifice d’eux-mêmes était un tribut qu’ils croyaient lui devoir. Tous lui ont offert en commun leurs personnes, et chacun en particulier a reçu des louanges immortelles et la plus honorable sépulture, non pas celle où ils reposent, mais le monument où leur gloire sera toujours présente au souvenir quand il s’agira de parler d’eux ou de les imiter. La tombe des grands hommes est l’univers entier : elle ne se fait pas remarquer par quelques inscriptions gravées sur des colonnes, dans une sépulture privée, mais jusque dans les contrées étrangères, et sans inscription leur mémoire est bien mieux dans les esprits que sur des monumens fastueux.

« Voilà ceux dont vous devez être jaloux. Croyez que le bonheur est dans la liberté, la liberté dans le courage, et ne dédaignez pas de partager les périls de la guerre. Ce ne sont pas ceux qui vivent dans l’adversité, sans espérance d’un meilleur sort, qui ont le plus de raison de prodiguer leur vie, mais ceux qui, si leur vie est conservée, risquent de changer le plus de fortune, et qui ont à subir la plus grande révolution s’ils tombent dans le malheur : car, pour un homme de cœur, l’humiliation, jointe à l’habitude de la mollesse, semble bien plus à redouter que ne peut l’être, au moment où l’on s’abandonne à son courage, où l’on espère bien de sa patrie, la mort qui survient et qu’on ne sent pas.

XLIV. « Aussi ne gémirai-je point sur les pères qui sont ici présens, content de les consoler. Ils savent qu’ils sont nés pour les vicissitudes de la vie. Ceux-là sont heureux qui, comme les guerriers dont nous célébrons les obsèques et qui vous laissent dans la douleur, obtiennent la plus brillante fin, et ceux qui après une vie sans infortune trouvent une mort glorieuse. C’est, je ne l’ignore pas, ce qu’il est difficile de vous persuader, à vous qui dans la félicité des autres, dans cette félicité dont vous avez joui, trouverez un sujet de vous rappeler vos peines : car la douleur n’est pas dans l’absence d’un bien qu’on n’a point éprouvé, mais dans la privation de celui dont on avait contracté l’habitude.

« Qu’ils se consolent par l’espérance d’avoir d’autres fils, ceux à qui leur âge permet encore de devenir pères. Les enfans qu’ils verront naître leur feront oublier en particulier ceux qu’ils ont perdus ; et cette consolation sera double pour la patrie, qui verra ces enfans remplir le vide de sa population, tandis que leurs pères lui garantiront la sûreté : car les citoyens qui n’ont pas d’enfans pour lesquels ils s’exposent aux périls ne lui peuvent être également affectionnés. « Et vous à qui l’âge refuse cette espérance, soyez heureux par le temps de votre vie qui s’est écoulé : il a été le plus long ; regardez-le comme un gain que vous avez fait sur le sort ; espérez que le reste sera court, et allégez-en le poids par la gloire des héros dont vous futes les pères. Seul l’amour de la gloire ne vieillit pas ; et, dans l’infirmité du grand âge, le plus grand des plaisirs n’est pas, comme on le prétend, d’amasser des richesses, mais d’obtenir des respects.

XLV. « Fils et frères de ceux qui ne sont plus, je vois pour vous une grande lutte à soutenir : car tout le monde loue volontiers ceux qui ne sont plus ; et, par un excès même de vertu, à peine ferez-vous croire que vous les égalez ; on jugera que vous leur êtes du moins un peu inférieurs. Les vivans ont des émules qui leur portent envie, mais on rend honneur avec bienveillance au mérite qui n’est plus un obstacle pour des rivaux.

« S’il faut qu’en faveur des épouses qui viennent de tomber dans le veuvage, j’ajoute ici quelque chose sur ce qui doit constituer leur vertu, je renfermerai dans bien peu de mots tous les avis qu’on peut leur donner. Vous contenir dans les devoirs prescrits à votre sexe, telle est votre plus grande gloire : elle appartient à celle dont les vices ou les vertus font le moins de bruit parmi les hommes.

XLVI. « J’ai rempli la loi, et j’ai dit tout ce que je croyais avoir d’utile à vous faire entendre. Nos illustres morts viennent de recevoir l’hommage qui leur est dû, et dès ce jour leurs enfans seront élevés aux frais de la république jusqu’à l’âge qui leur permettra de la servir. C’est une couronne que décerne la patrie, couronne utile à ceux qui ne sont plus et à ceux qui nous restent, et que l’on voudra mériter dans de semblables combats. Où les plus belles récompenses sont offertes à la vertu, là se trouvent les meilleurs citoyens.

« Payez un tribut de larmes aux morts qui vous appartiennent, et retirez-vous. »

XLVII. Ce fut dans l’hiver avec lequel finit la première année de la guerre que se célébra cette cérémonie funèbre. Dès le commencement de l’été[32] les deux tiers des troupes du Péloponnèse et des alliés se jetèrent, comme l’année précédente, sur l’Attique, y campèrent et ravagèrent le pays. C’était Archidamus, fils de Zeuxidamus, qui les commandait.

Ils n’y étaient encore que depuis peu de jours quand la contagion se déclara parmi les Athéniens. On dit que déjà plusieurs fois elle avait frappé Lemnos et d’autres contrées ; mais on ne se ressouvenait pas que nulle part se fût fait ressentir une semblable peste ni une aussi terrible mortalité. Les médecins, au commencement de la maladie, n’y purent apporter de remède, parce qu’ils ne la connaissaient pas, et la mort les atteignait encore plus que les autres, par leur commerce plus fréquent avec les malades. Toute industrie humaine était sans ressource. En vain on fit des prières dans les temples, on consulta les oracles, on eut recours à d’autres semblables pratiques : tout fut inutile, et l’on finit par y renoncer, abattu par la force du mal.

XLVIII. Il commença, dit-on, par l’Éthiopie, au-dessus de l’Égypte, descendit en Égypte et dans la Libye, gagna la plus grande partie de la domination du roi et se jeta subitement sur la république d’Athènes. Il attaqua d’abord les habitans du Pirée, qui prétendaient que les Péloponnésiens avaient empoisonné les puits, car il n’y avait point encore de fontaines dans ce quartier. Il gagna ensuite la ville haute, et ce fut alors qu’il exerça le plus de ravage. Je laisse à chacun, médecin ou particulier, le soin de dire ce qu’il sait de ce fléau, d’où l’on peut croire qu’il tire son origine, quelle cause lui semble capable d’opérer une telle résolution dans la sanié, et quel remède il croit avoir la force de guérir cette maladie ; pour moi, je dirai quel fut le mal, comme j’en ai moi-même éprouvé les atteintes et que j’en ai vu d’autres personnes attaquées. On pourra, d’après les symptômes que je vais offrir, en prévoir les effets, et n’être pas dans l’ignorance s’il arrive qu’il reparaisse.

XLIX. On convient qu’il n’y eut point d’année où les autres maladies se fissent moins sentir ; et s’il arrivait qu’on en éprouvât quelques-unes, toutes amenaient cette funeste crise. Mais en général on était frappé subitement, et sans aucune cause apparente, au milieu de la meilleure santé. D’abord on éprouvait de grandes chaleurs de tête, les yeux devenaient rouges et enflammés ; la gorge, la langue étaient sanguinolentes, la respiration déréglée, l’haleine fétide. À ces symptômes succédaient l’éternument, l’enrouement. En peu de temps le mal gagnait la poitrine et causait de fortes toux. Quand il s’attachait au cœur, il y excitait des soulèvemens, et l’on éprouvait avec de violentes douleurs toutes les éruptions de bile auxquelles les médecins ont donné des noms. La plupart des malades faisaient entendre de sourds gémissemens, que suivaient des convulsions violentes : chez les uns elles s’apaisaient bientôt ; elles étaient chez les autres beaucoup plus obstinées. La peau n’était ni fort chaude au toucher ni pâle, mais rougeâtre, livide et couverte de petites pustules et d’ulcères. L’intérieur était si brûlant que le malade ne pouvait supporter ni les manteaux les plus légers ni les couvertures les plus fines : il restait nu, et n’avait pas de plus grand plaisir que de se plonger dans l’eau froide. On en vit même beaucoup qui, n’étant pas gardés, se précipitèrent dans les puits, tourmentés d’une soif qui ne pouvait s’étancher. Cependant il était égal de prendre beaucoup ou peu de boisson. Le malade ne pouvait se procurer aucun repos, et était agité d’une insomnie continue.

Tant que la maladie était dans sa force, il ne maigrissait pas, et l’on était surpris que le corps pût résister à tant de souffrance. La plupart, conservant encore quelque vigueur, étaient consumés le neuvième ou le septième jour par le feu intérieur qui les dévorait, ou s’ils franchissaient ce terme, le mal descendait dans le bas-ventre, une violente ulcération s’y déclarait, il survenait une forte diarrhée, et en général on périssait de faiblesse : car la maladie, après avoir d’abord établi son siège dans la tête, gagnait successivement tout le corps, et ceux qui échappaient aux accidens les plus graves, gardaient aux extrémités des marques de ce qu’ils avaient souffert. Le mal s’attachait aux parties honteuses, aux pieds et aux mains, et souvent on n’échappait qu’en perdant quelqu’une de ces parties : plusieurs perdaient la vue : d’autres, à leur convalescence, se trouvaient avoir tout oublié, et ne reconnaissaient ni leurs amis ni eux-mêmes.

L. Cette maladie, plus affreuse qu’on ne saurait l’exprimer, se montrait au-dessus des forces humaines dans tous ses effets, et dans quelque sujet qu’elle attaquât ; mais ce qui faisait connaître surtout qu’elle différait des maux ordinaires à notre espèce, c’est que les oiseaux ni les quadrupèdes qui se nourrissent de cadavres humains, ou n’approchaient point des corps qui restaient en grand nombre sans sépulture, ou, s’ils osaient y goûter, ils périssaient. On en eut la preuve en voyant disparaître les oiseaux carnassiers : on n’en voyait aucun autour des corps morts ni ailleurs. Les chiens, accoutumés à vivre en société avec les hommes, faisaient encore mieux sentir les effets de la contagion.

LI. Sans s’arrêter à un grand nombre d’autres accidens, qui ne se ressemblaient pas dans les différens sujets, tels étaient en général les symptômes de la maladie. Les uns périssaient négligés ; les autres au milieu des plus grands soins. Il ne se trouva, pour ainsi dire, aucun remède qui fût utile à ceux qui l’employaient : ce qui faisait du bien à l’un nuisait à l’autre. Aucun tempérament, faible ou vigoureux, ne parut garanti du mal : il s’attachait à toutes les complexions, il résistait à tous les régimes. Ce qu’il y avait de plus terrible, c’était le découragement des malheureux qu’il attaquait : ils perdaient aussitôt toute espérance, tombaient dans un entier abandon d’eux-mêmes, et ne cherchaient point à résister : c’était encore qu’en se soignant les uns les autres on s’infectait mutuellement, comme les troupeaux malades, et l’on périssait : c’est ce qui causa la plus grande destruction. Ceux qui, par crainte, ne voulaient point approcher des autres, mouraient délaissés, et bien des maisons s’éteignirent faute de personne pour les soigner ; ceux qui approchaient des malades trouvaient la mort. Tel fut le sort des personnes surtout qui se piquaient de quelque vertu : elles avaient honte de s’épargner, et venaient soigner leurs amis ; car les gens attachés à la maison, abattus par l’excès des fatigues, finissaient par être insensibles aux plaintes des mourans. C’était ceux qui étaient échappés au mal qui avaient le plus de compassion pour les malades et les morts, parce qu’ils avaient connu les mêmes souffrances, et qu’ils se trouvaient dans la sécurité, car on n’était pas frappé deux fois mortellement. Ils recevaient les félicitations des autres ; eux mêmes jouissaient pour le présent du retour de la santé, et avaient pour l’avenir une espérance confuse que, de long-temps, ils ne seraient plus atteints d’une autre maladie mortelle.

LII. L’affluence des gens de la campagne qui venaient se réfugier dans la ville se joignit aux maux des Athéniens pour les aggraver, et ces nouveaux venus en souffraient eux-mêmes plus que les autres. Comme il n’y avait pas de maisons pour eux, et qu’ils vivaient pressés dans des cahuttes étouffées, pendant la plus grande chaleur de la saison, ils périssaient confusément et les morts étaient entassés sur les mourans. Des malheureux demi-morts, avides de trouver de l’eau, se roulaient dans les rues, et près de toutes les fontaines. Les lieux sacrés, où l’on avait dressé des tentes, étaient comblés de corps que la mort y avait frappés.

Quand le mal fut parvenu à son plus haut période, personne ne sachant plus que devenir, on perdit tout respect pour les choses divines et humaines. Toutes les cérémonies auparavant en usage pour les funérailles furent violées. Chacun ensevelissait les morts comme il pouvait. Bien des gens, par la rareté des choses nécessaires, depuis que l’on avait perdu tant de monde, recouraient à des moyens sordides de leur rendre les derniers devoirs. Les uns se hâtaient de poser leur mort et de le brûler sur un bûcher qui ne leur appartenait pas, prévenant ceux qui l’avaient dressé ; d’autres, pendant qu’on brûlait un mort, jetaient sur lui le corps qu’eux-mêmes apportaient et se retiraient aussitôt.

LIII. La peste introduisit dans la ville bien d’autres désordres. Au spectacle des promptes vicissitudes dont on était témoin, de riches subitement atteints de mort, de gens qui n’avaient rien succédant à leur fortune, on osa plus volontiers s’abandonner ouvertement à des plaisirs dont auparavant on se serait caché. On cherchait des jouissances promptes, et l’on ne croyait devoir s’occuper que de voluptés, dans l’idée qu’on ne possédait que pour un jour et ses biens et sa vie. Personne ne daignait se donner aucune peine pour des choses honnêtes, dans l’incertitude où l’on était si l’on ne cesserait pas d’exister avant d’y avoir atteint. Le plaisir, et tous les moyens de gagner pour se le procurer, voilà ce qui devint utile et beau. On n’était retenu ni par la crainte des dieux ni par les lois humaines : il semblait égal de révérer les dieux ou de les négliger, quand on voyait périr indifféremment tout le monde. Le coupable ne croyait pas avoir assez à vivre pour recevoir sa condamnation ; il se figurait bien plutôt voir suspendue sur sa tête une peine déjà prononcée, et, avant de la subir, il croyait juste de profiter de ce qui pouvait lui rester à vivre.

LIV. Voilà dequels maux les Athéniens furent accablés. Dans leurs murs, ils voyaient périr les citoyens ; et, au dehors, leurs campagnes ravagées. On se ressouvint alors, comme il arrive dans de telles circonstances, d’une prédiction que les vieillards disaient avoir entendu chanter autrefois ; la voici :

Athène un jour verra dans ses champs malheureux,
Entrer les Doriens et la peste avec eux.

Comme, dans la langue grecque, le mot qui signifie la peste et celui qui signifie la famine diffèrent très peu dans la prononciation[33], on disputa sur le fléau dont on était menacé : mais, dans le temps de la contagion, l’opinion qui dut naturellement l’emporter fut que c’était de la peste : car on ajustait le sens de l’oracle aux maux que l’on souffrait. S’il survient un jour une nouvelle guerre des Doriens, et qu’elle soit accompagnée de la famine, je crois que ce sera pour lors à la famine qu’on appliquera la prédiction.

Ceux qui connaissaient l’oracle qu’avaient reçu les Lacédémoniens se le rappelèrent aussi. Quand ils avaient interrogé le dieu pour savoir s’ils entreprendraient la guerre, il avait répondu que s’ils combattaient de toutes leurs forces, ils auraient la victoire, et il avait prononcé que lui-même viendrait à leur secours[34]. On trouva que l’oracle s’accordait avec l’événement. La maladie se déclara dès que les Péloponnésiens eurent commencé leur invasion, et ne pénétra pas dans le Péloponnèse de manière à mériter qu’on en parle : ce fut Athènes surtout qu’elle dévasta, et ensuite les autres endroits les plus peuplés. Voilà ce qui arriva de relatif à la peste.

LV. Les Péloponnésiens, après avoir ravagé la plaine, s’avancèrent dans la partie de l’Attique qu’on appelle maritime, jusqu’au mont Laurium, où les Athéniens ont des mines d’argent. D’abord, ils dévastèrent cette contrée du côté qui regarde le Péloponnèse, et ensuite dans la partie qui regarde l’Eubée et l’Ile d’Andros. Périclès était encore général, et il persistait dans le même avis qu’au temps de la première invasion : qu’il ne fallait pas que les Athéniens sortissent.

LVI. Les ennemis étaient encore dans la plaine et n’avaient pas encore gagné le pays voisin des côtes, quand il fit appareiller cent vaisseaux pour le Péloponnèse. Ces dispositions terminées, il se mit en mer, embarquant quatre mille hoplites et trois cents hommes de cavalerie. Ces derniers montaient des bâtimens propres au transport des chevaux, et que, pour la première fois, on construisit avec des vieux navires. Les troupes de Chio et de Lesbos étaient de cette expédition avec cinquante vaisseaux. Cette flotte, à son départ, laissa les Péloponnésieus sur les côtes de l’Attique. Les Athéniens, arrivés à Épidaure, dans le Péloponnèse, saccagèrent une grande étendue de pays. Ils attaquèrent la ville dans l’espérance de la prendre ; mais ils ne réussirent pas. Ils quittèrent Épidaure, et ruinèrent le pays de Trézène, d’Halia et d’Hermione, toutes contrées maritimes du Péloponnèse. Ils remirent en mer, allèrent à Prasies, ville maritime de la Laconie, dévastèrent une partie de la campagne, prirent la place et la détruisirent. Après cette expédition, ils revinrent chez eux, et trouvèrent à leur retour que les Péloponnésiens s’étaient retirés de l’Attique.

LVII. Pendant tout le temps qu’ils y avaient passé et que les Athéniens avaient été en course, la peste avait exercé ses fureurs sur l’armée athénienne et dans la ville. C’est ce qui a fait dire que les Péloponnésiens instruits par des déserteurs de la maladie qui régnait dans les murs, et voyant de leurs propres yeux les funérailles, s’étaient hâtés d’abandonner le pays. La vérité est qu’ils restèrent fort long-temps à cette seconde expédition, qu’ils ruinèrent tout le territoire, et qu’ils séjournèrent à peu près quarante jours dans l’Attique.

LVIII. Le même été[35], Agnon, fils de Nicias, et Cléopompe, fils de Clinias, collègues de Périclès, prirent l’armée qu’il avait commandée et portèrent la guerre contre les Chalcidiens de Thrace et devant Potidée dont le siège continuait. A leur arrivée, ils appliquèrent à la place les machines de guerre, et ne négligèrent aucun moyen de s’en rendre maîtres : mais ils ne la prirent pas et ne firent rien d’ailleurs qui répondit à la grandeur de l’expédition ; car la peste, s’étant déclarée, frappa dans ce pays les Athéniens avec fureur et ruina leur armée. Les troupes qui étaient arrivées les premières et qui étaient saines furent infectées par celles qu’Agnon venait d’amener. Phormion, qui avait seize cents hommes, n’était plus dans la Chalcidique. Agnon retourna sur sa flotte à Athènes, et, dans l’espace d’environ quarante jours, la peste lui avait enlevé quinze cents hommes sur quatre mille. L’ancienne armée resta dans le pays, et continua le siège de Potidée.

LIX. Après la seconde invasion des peuples du Péloponnèse, il se fit une grande révolution dans l’esprit des Athéniens, qui voyaient leur pays dévasté, et que désolaient à la fois et la peste et la guerre. Ils accusaient Périclès qui leur avait conseillé de rompre la paix, et rejetaient sur lui les malheurs où ils étaient tombés. Empressés de s’accorder avec les Lacédémoniens, ils leur envoyèrent des députés qui n’eurent aucun succès. Trompés de toutes parts dans leurs desseins, c’était sur Périclès que pesait leur ressentiment. Quand il les vit, irrités de leurs maux, faire tout ce qu’il avait prévu, il les convoqua, comme il en avait le droit, puisque le commandement était encore entre ses mains. Son dessein était de les encourager, d’apaiser leur colère, de les ramener à des sentimens plus doux et à plus de confiance. Il parut et leur parla ainsi :

LX. « Devenu l’objet de votre colère, je m’y étais attendu, et je n’en ignore pas les causes. Si je vous ai convoqués, c’est pour vous rappeler ce qui ne devrait pas être sorti de votre mémoire ; pour vous reprocher d’avoir conçu contre moi d’injustes ressentimens et de céder à vos malheurs.

« Je ne doute pas qu’un état bien constitué dans son ensemble ne procure plus d’avantages aux particuliers qu’un état fleurissant du bonheur privé de chaque citoyen, et malheureux dans sa masse. Le citoyen fortuné par lui-même n’en périt pas moins sous les ruines de sa patrie ; mais infortuné dans une patrie heureuse, il lui est plus facile de se conserver. Si donc l’état a la force de supporter les calamités privées de ses membres, tandis que chacun d’eux ne peut soutenir celles de l’état, comment tous ne se réuniraient-ils pas pour le secourir ? N’abandonnez pas, comme vous le faites aujourd’hui, le salut commun, trop abattus de vos souffrances personnelles, et n’accusez pas tout ensemble et moi qui vous ai conseillé la guerre, et vous-mêmes qui partagiez alors mes sentimens. Ne vous irritez pas contre un homme qui, comme moi, croit n’avoir pas moins que personne la connaissance des grands intérêts de l’état, et le talent de les expliquer ; qui aime la patrie et est au-dessus de l’intérêt. Avoir des connaissances, sans le talent de les communiquer aux autres, ce n’est pas être au-dessus de celui qui ne pense pas : avec ces deux qualités, sans amour pour la patrie, on ne donnera pas de bons conseils ; qu’on ait cet amour, sans être invincible à la cupidité, tout, par ce seul vice, sera mis à prix d’argent. Si, dans la persuasion que je possédais mieux qu’aucun autre ces qualités réunies, au moins à un degré suffisant, vous m’avez cru quand je vous ai conseillé de faire la guerre, vous auriez tort aujourd’hui de me supposer coupable.

LXI. « Lorsqu’on a le choix, et que d’ailleurs on est heureux, c’est une grande folie de choisir la guerre ; mais si l’on se trouve dans la nécessité de se voir soumis à ses voisins dès qu’on aura la faiblesse de leur céder, ou de se sauver en se jetant dans les hasards, le blâme est pour celui qui fuit les dangers, non pour celui qui les brave. Ce dernier, c’est moi, et je n’ai pas changé d’avis. C’est vous qui en avez changé, parce que vos affaires étaient en bon état quand vous goûtiez mes conseils, et que vos maux vous ont conduits au repentir de les avoir écoutés. Vos âmes sont tombées dans le découragement, et dès lors il vous semble que je vous ai mal conseillés : chacun de vous a le sentiment de ce qu’il souffre, et l’utilité de mes avis ne se montre pas encore sensiblement à tous : un grand malheur est survenu, il est tombé subitement sur vos têtes, et vos esprits abattus ne savent plus se tenir fermes dans leurs premières résolutions. C’est qu’un mal inattendu, et que la raison était absolument incapable de prévoir, captive l’entendement. Voilà où vous jette surtout la maladie qui s’est jointe à vos autres calamités. Cependant, citoyens d’une république respectable, élevés dans des sentimens dignes de votre patrie, il faut savoir soutenir les calamités les plus terribles, et ne pas flétrir votre dignité ; écarter le sentiment douloureux de vos peines domestiques, et ne vous occuper que du salut de la patrie : car on ne croit pas avoir moins raison d’accuser celui qui, par sa faiblesse, laisse perdre la gloire qui lui appartient, que de haïr l’insolent qui ose affecter une gloire dont il est indigne.

LXII. « Vous craignez d’avoir à supporter long-temps les fatigues de la guerre, sans finir par avoir la supériorité. Qu’il me suffise de vous répéter ce que je vous ai déjà montré bien des fois dans d’autres occasions, que c’est à tort que l’issue vous en est suspecte. Mais ce que je dois vous mettre au grand jour, ce dont vous semblez n’avoir jamais fait l’objet de vos méditations, et dont je n’ai point encore parlé dans mes autres discours, c’est la grandeur de votre empire. Je ne vous adresserais pas même aujourd’hui des paroles qui ont quelque chose de présomptueux, si je ne vous voyais dans un abattement qui ne vous convient pas. Vous croyez ne commander qu’à vos alliés ; et moi je déclare que de deux parties qui composent le globe, la terre et la mer, celle-ci vous est soumise tout entière par la domination que vous y exercez maintenant, et qu’il ne tient qu’à vous d’augmenter encore avec la marine que vous possédez. Il n’est ni nation ni roi qui puisse mettre obstacle à votre navigation. Voilà ce qui fait votre puissance, et non des maisons, des campagnes, richesses que vous croyez d’un haut prix, en ce moment que vous en êtes privés, et que vous ne devriez pas plus regretter que des bijoux et de vaines parures. Sachez que c’est la liberté qu’il s’agit de sauver, et qu’elle vous restituera sans peine ces objets de vos regrets, mais que la servitude nous ravira tout le reste. Dans l’art d’acquérir et de conserver, ne nous montrons pas au-dessous de nos pères, qui n’ont pas reçu ce qu’ils ont possédé, mais qui se le sont procuré par leurs travaux, et qui ont su le garder et nous le transmettre. Il est plus honteux de se laisser enlever ce qu’on possède que d’éprouver des disgrâces en tâchant d’acquérir. Marchons aux ennemis, non pas seulement avec un sentiment d’orgueil pour notre courage, mais de mépris pour eux. La présomption est le vice de l’ignorance heureuse ; c’est le propre du lâche ; le mépris de nos ennemis nous est inspiré pur la raison même qui nous fait connaître notre supériorité : ce sentiment nous convient. À égalité de fortune, l’habileté rend le courage plus ferme, en le soutenant d’une juste confiance ; elle se repose moins sur l’espérance qui peut être trompeuse que sur la connaissance de ses avantages, qui lui montre comme assurés les succès qu’elle prévoit.

LXIII. « C’est à l’empire qu’exerce la république, et qui vous en donne une juste fierté, qu’elle doit le respect qu’elle inspire : votre devoir est de le défendre. Ou ne fuyez pas les travaux, ou ne poursuivez pas la gloire, et ne croyez pas qu’il s’agisse seulement de combattre pour savoir si vous servirez au lieu d’être libres ; mais si, privés du plaisir de commander aux autres, vous serez exposés aux dangers de la haine qu’inspire le commandement. Il ne vous est pas permis de l’abdiquer, quoiqu’il se trouve peut-être des personnes qui, dans les circonstances actuelles, prennent par crainte l’inactivité pour de la vertu. Il en est de votre domination comme de la tyrannie : la saisir semble injuste ; s’en démettre est périlleux. Si ces gens faisaient adopter aux autres leurs sentimens, ils perdraient la république quand on supposerait qu’eux-mêmes pussent garder la liberté. Le repos ne peut se conserver qu’en se combinant avec le travail : il ne convient point à une ville qui commande ; ce n’est que dans une ville sujette qu’on peut être esclave sans danger.

LXIV. « Ne vous laissez pas entraîner par des citoyens qui vous égarent, et après vous être déclarés avec moi pour la guerre, ne me faites pas un crime de l’avoir conseillée, quoique vous voyiez les ennemis faire, dans leurs incursions, ce qu’il fallait attendre de leur part, puisque enfin nous refusions de leur obéir. La peste est survenue ; elle n’entrait pas dans le nombre des maux que nous devions attendre, et seule elle les a tous surpassés. Je n’ignore pas qu’elle fait partie des causes qui m’attirent votre haine, bien injustement sans doute ; à moins que vous ne vouliez m’attribuer aussi les événemens heureux que vous pourrez éprouver et qu’on ne saurait prévoir. Il faut supporter avec résignation les maux que nous envoient les dieux, avec courage ceux que nous font les ennemis. C’était des vertus familières autrefois à cette république : qu’elle ne trouve pas en vous un obstacle à les exercer. Si le nom d’Athènes est célèbre chez tous les hommes, sachez que c’est parce qu’elle ne cède point à l’adversité ; qu’elle a fait à la guerre de grands frais d’hommes et de travaux ; mais qu’elle a possédé, jusqu’à ce jour, la plus respectable puissance, et que s’il faut que nous dégénérions un jour, car tout est destiné à décroître, il en restera du moins un éternel souvenir. Grecs, nous avons dominé sur la plupart des Grecs ; nous avons résisté, dans des guerres formidables, aux ennemis les plus puissant, unis et séparés, et nous avons institué la république la plus respectable par sa grandeur et ses richesses. Voilà ce que l’indolence pourra blâmer ; ce qu’imitera quiconque voudra faire des actions d’éclat ; ce que ne manquera pas d’envier celui qui est incapable de s’agrandir. Être haïs pour le moment présent et traités de vexateurs, c’est le sort de ceux qui se croient dignes de commander aux autres ; provoquer l’envie pour de grands objets, c’est prendre une résolution généreuse. La haine dure peu ; on répand, dès l’instant même, un grand éclat, et on laisse pour l’avenir une gloire qui ne sera jamais oubliée. Connaissez ce qui sera beau pour la postérité ; ce qui, pour le présent, n’a rien de honteux[36] : tels doivent être les deux objets de votre zèle. N’envoyez pas de hérauts aux Lacédémoniens, et ne manifestez pas que vous soyez accablés des maux qui vous frappant. Il en est des peuples comme des particuliers : les plus illustres sont ceux dont le courage se laisse le moins accabler par le malheur, et qui, par leurs actions, luttent le plus généreusement contre lui. »

LXV. Périclès, en s’exprimant ainsi, tâchait d’apaiser le ressentiment des Athéniens, et de les détourner de la pensée de leurs maux. Ils se rendirent à ses discours en ce qui concernait les affaires publiques : ils n’envoyèrent plus de députations à Lacédémone, et se portèrent avec plus d’ardeur à continuer la guerre ; mais, en particulier, ils s’affligeaient de leurs souffrances ; le pauvre, parce qu’ayant déjà peu de chose, il s’en voyait privé ; le riche, parce qu’il perdait les magnifiques propriétés qu’il avait dans les campagnes, de beaux édifices, des ameublemens somptueux ; et, ce qui était plus dur encore, on avait la guerre au lieu de la paix. La colère de tous contre Périclès ne fut apaisée qu’après qu’ils l’eurent mis à l’amende. Mais, peu de temps après, par une inconstance familière au peuple, on l’élut général, et tous les intérêts de l’état furent remis entre ses mains. C’est que le sentiment des maux particuliers que chacun avait soufferts commençait à s’émousser, et qu’on le croyait, bien plus que personne, en état de répondre aux besoins de la république. Tout le temps que, pendant la paix, il avait été à la tête des affaires, ils les avait conduites avec modération ; il avait maintenu la sûreté de la patrie ; et, sous son administration, elle s’était élevée à un très haut degré de puissance. Après que la guerre fut déclarée, on voit qu’il avait prévu ce qui devait donner à l’état la force de la soutenir.

Il ne survécut que deux ans et six mois ; et, après sa mort, on connut encore mieux combien, à cet égard, sa prévoyance avait été juste. Il avait dit qu’on aurait la supériorité, mais à condition que, se tenant tranquilles dans l’intérieur, on se tournerait absolument du côté de la marine, sans chercher à augmenter la domination de la république, et sans la mettre en danger pendant la durée de la guerre. Mais on fit le contraire à tous les égards ; et, dans les choses même qui semblaient étrangères à la guerre, on vit, par l’ambition et la cupidité de quelques citoyens, administrer les affaires d’une manière funeste à l’état et aux alliés. Avait-on des succès : ce n’était guère que des particuliers qui en recueillaient la gloire et le profil ; les entreprises manquaient-elles : le malheur tombait sur la république, et la guerre en souffrait. Voici la cause de ce changement : puissant par sa dignité personnelle et par sa sagesse, et reconnu plus que personne pour incapable de se laisser corrompre par des présens, Périclès contenait la multitude par le noble ascendant qu’il prenait sur elle ; ce n’était pas elle qui le menait, mais lui qui savait la conduire. C’est que n’ayant pas acquis son autorité par des moyens illégitimes, il ne cherchait pas à dire au peuple des choses qui lui fussent agréables ; mais il conservait sa dignité, et osait même le contredire, et lui témoigner son ressentiment. Quand il voyait les Athéniens se livrer à l’audace hors de saison, et se porter à l’insolence, il parlait et abattait leur fougue en les frappant de terreur ; tombaient-ils mal à propos dans l’abattement, il les relevait et ranimait leur courage. Le gouvernement populaire subsistait de nom, et l’on était en effet sous la domination d’un chef. Mais ceux qui vinrent après lui, plus égaux entre eux, et voulant tous avoir le premier crédit, étaient réduits à flatter le peuple et à lui abandonner les affaires. De là, comme il doit arriver dans une république d’une grande étendue, et qui possède une domination, résultèrent bien des fautes, et entre autres l’expédition de Sicile. On doit moins en rejeter la faute sur ceux qui la sollicitèrent, et qu’on alla secourir, que sur ceux qui l’ordonnèrent et qui ne savaient pas ce qui était nécessaire aux troupes qu’on expédiait. Par la dissension qu’excitait en eux l’ambition de conduire le peuple, ils émoussèrent les opérations de l’armée, et dans l’intérieur ils furent les premiers dont les querelles réciproques troublèrent les affaires de l’état.

Cependant, quoique les Athéniens eussent manqué leur projet sur la Sicile, que leur armée et la plus grande partie de leur flotte eût été détruite, que leur ville fût plongée dans la sédition, ils ne laissèrent pas de résister pendant trois ans à leurs premiers ennemis, à ceux de la Sicile qui vinrent les renforcer, au plus grand nombre de leurs alliés qui se soulevèrent, et enfin à Cyrus fils du roi, qui se joignit à la cause de Lacédémone, et qui fournit aux Péloponnésiens de l’argent pour l’entretien de leur flotte. Ils ne cédèrent qu’après avoir croulé eux-mêmes, par leurs querelles intestines, sous les débris de l’état ; tant s’était montré supérieur le génie de Périclès, quand il avait prévu les moyens qui pouvaient assurer une victoire complète et facile à sa patrie dans la guerre du Péloponnèse.

LXVI. Les Lacédémoniens et leurs alliés se portèrent le même été[37] avec cent vaisseaux, contre Zacynthe, île située en face de l’Élide. Elle a pour habilans des Achéens, sortis en colonie du Péloponnèse, et qui étaient alliés d’Athènes. Mille hoplites de Lacédémone s’embarquèrent sur la flotte dont Cnémus de Sparte avait le commandement : ils firent une descente, et ravagèrent la plus grande partie de l’île ; mais ils se retirèrent sans être parvenus à s’en rendre maîtres.

LXVII. A la fin du même été[38], Aristée de Corinthe et les ambassadeurs de Lacédémone, Anériste, Nicolaûs et Stratodème, avec Timagoras de Tégée, partirent pour l’Asie : Polis d’Argos se joignit à cette ambassade en son propre nom. Ils se rendaient auprès du roi, pour essayer s’ils ne pourraient pas l’engager à fournir de l’argent et des troupes auxiliaires. Ils allèrent d’abord en Thrace conférer avec Sitalcès, fils de Térès, pour lui persuader, s’il leur était possible, de renoncer à l’alliance d’Athènes et de secourir Potidée que les Athéniens assiégeaient. Ils voulaient qu’il cessât de prêter à ceux-ci des secours, et qu’il leur facilitât à eux-mêmes le passage de l’Hellespont. Ils avaient dessein de le traverser pour se rendre auprès de Pharnace, fils de Pharnabase, qui, de son côté, devait envoyer une ambassade auprès du roi. Mais des députés d’Athènes, Léarque, fils de Callimaque, et Aminiade, fils de Philémon, se trouvaient auprès de Sitalcès. Ils engagèrent Sadocus son fils, qui était devenu Athénien, à leur livrer ces ambassadeurs, dans la crainte qu’ils ne contribuassent à faire attaquer sa ville, si l’on souffrait qu’ils parvinssent jusqu’au roi.

Les ambassadeurs traversaient la Thrace, pour gagner le bâtiment sur lequel ils devaient passer l’Hellespont : ils furent pris avant de s’embarquer. Sadocus avait fait partir avec Léarque et Aminiade des émissaires chargés d’arrêter ces ministres, et de les remettre dans leurs mains. Ils furent conduits à Athènes. Les Athéniens craignaient qu’Aristée, reconnu pour l’auteur de tout ce qui s’était déjà passé à Potidée et en Thrace, ne leur fît encore plus de mal s’il leur échappait. Ainsi le même jour que les ambassadeurs leur furent amenés, ils les firent mourir sans les juger, et même sans les entendre, quoiqu’ils demandassent à parler. Leurs corps furent jetés dans les pharanges. C’était une représaille qu’ils crurent devoir faire contre les Lacédémoniens, qui mettaient à mort et jetaient dans des précipices les marchands d’Athènes et des alliés qu’ils prenaient en mer autour du Péloponnèse. Car, au commencement de la guerre, les Lacédémoniens traitaient en ennemis et faisaient mourir tous ceux qu’ils arrêtaient en mer, soit qu’ils appartinssent à des villes alliées d’Athènes, ou même à des villes neutres.

LXVIII. Vers le même temps, à la fin de l’été, les Ampraciotes, avec un grand nombre de Barbares qu’ils avaient engagés à prendre les armes, attaquèrent Argos, ville d’Amphiloquie, et tout le reste de la contrée. Voici comment avait commencé leur haine contre les Argiens. Amphiloque, fils d’Amphiaraûs, retournant chez lui après le siège de Troie, et mécontent de ce qui s’était passé à Argos[39], conduisit une colonie dans l’Amphiloquie, y fonda, sur le golfe d’Ampracie, une ville nouvelle, et lui donna le nom de celle d’Argos, où il avait reçu le jour. C’était la ville la plus considérable du pays, et elle avait de très riches habitans. Plusieurs générations après, accablés d’adversités, ils engagèrent les Ampraciotes, leurs voisins, à partager leur ville avec eux. Ce fut par ce commerce qu’ils adoptèrent la langue grecque : car le reste de l’Amphiloquie est barbare. Avec le temps, les Ampraciotes chassèrent les Argiens et gardèrent la ville. Ceux d’Amphiloquie, expulsés de leurs foyers, se donnèrent eux-mêmes aux Acarnanes, et les deux peuples réunis implorèrent le secours d’Athènes, qui leur envoya cent vaisseaux sous le commandement de Phormion. A l’arrivée de ce général, ils forcèrent Argos, et réduisirent les Ampraciotes en esclavage. Ceux d’Amphiloquie et les Acarnanes occupèrent la ville en commun. Ce fut à la suite de cet événement que se contracta la première alliance entre Athènes et l’Acarnanie. La haine des Ampraciotes contre les Argiens avait pour principe la servitude à laquelle ils avaient été réduits ; et dans la guerre actuelle, ils s’armèrent contre eux avec les Chaoniens et quelques autres Barbares du voisinage. Ils s’approchèrent d’Argos, se rendirent maîtres du pays, et attaquèrent la ville, mais sans parvenir à la forcer. Ils firent leur retraite, et les différentes nations rentrèrent chez elles. Voilà ce qui se passa pendant l’été.

LXIX. Au commencement de l’hiver, les Athéniens envoyèrent vingt vaisseaux en course autour du Péloponnèse. C’était Phormion qui en avait le commandement. Parti de Naupacte, il garda la mer, pour empêcher qu’on ne pût entrer à Corinthe et dans le golfe de Crisa, ni en sortir. On expédia encore six bâtimens pour la Carie et la Lycie, sous le commandement de Mélésandre. Sa commission était d’y lever les tributs, de s’opposer à la piraterie des Péloponnésiens, et d’entraver la navigation des vaisseaux marchands de Phaselis, de Phœnicie et de toute cette partie du continent. Mélésandre fit une descente en Lycie avec les Athéniens et les alliés qui l’avaient suivi ; il fut vaincu dans une action, et y périt lui-même avec une partie de son armée.

LXX. Dans le même hiver[40] les habitans de Potidée ne purent plus supporter les misères du siège. Les incursions des Péloponnésiens dans l’Attique n’empêchaient pas les Athéniens de le continuer : le pain manquait aux assiégés ; ils étaient réduits à la dernière disette, et déjà plusieurs s’étaient mangés les uns les autres. Ils résolurent de se rendre, et entrèrent en conférence avec les généraux ennemis : c’était Xénophon, fils d’Euripide ; Hésiodore, fils d’Aristoclide ; et Phanomaque, fils de Callimaque. Ceux-ci les reçurent à composition, témoins des souffrances de leur propre armée, dans une contrée où l’hiver est rigoureux : d’ailleurs, la république avait déjà dépensé deux mille talens[41] à ce siège. La capitulation portait que les habitans, leurs enfans, leurs femmes et leurs alliés sortiraient de la ville, les hommes avec un seul manteau et les femmes avec deux, n’emportant qu’une somme fixée pour le voyage. Ces malheureux se retirèrent dans la Chalcidique, et partout où chacun put chercher un asile. Les Athéniens firent un crime à leurs généraux d’avoir traité sans leur aveu ; car ils croyaient se rendre maîtres de la ville à discrétion ; ils y envoyèrent une colonie tirée de leur sein, et la repeuplèrent. Ainsi finit la seconde année de la guerre que Thucydide a écrite.

LXXI. Au commencement de l’été[42], les Péloponnésiens et les alliés ne firent pas d’incursions dans l’Attique ; mais ils attaquèrent Platée. Archidamus, fils de Zeuxidamus, roi de Lacédémone, les commandait. Il prit ses campemens, et il se préparait à dévaster les campagnes, quand les Platéens se hâtèrent de lui envoyer des députés, qui parlèrent ainsi : « Archidamus, et vous, Lacêdémoniens, vous vous rendez coupables d’injustice, et c’est une conduite indigne de vous et de vos ancêtres, de porter la guerre dans le pays des Platéens. Quand Pausanias, fils de Cléombrote, délivra la Grèce des Mèdes, avec le secours de ceux des Grecs qui osèrent, dans nos campagnes, s’exposer au danger du combat, il offrit dans le marché de Platée un sacrifice à Jupiter Libérateur ; et, prenant à témoin tous les alliés, il rendit aux Platéens leur ville et leur pays, pour y vivre sous leurs propres lois. Il prononça que si jamais personne s’armait contre eux pour les insulter ou les asservir, les alliés présens leur donneraient des secours en proportion de leurs forces. Voilà ce que nous accordèrent vos ancêtres : c’était la récompensé de notre valeur, et du zèle que nous avions fait paraître dans ces fameux dangers. Et vous, vous faites le contraire. Vous venez avec les Thébains nos plus cruels ennemis, et c’est pour nous asservir. Nous prenons à témoin les dieux de vos pères et ceux de cette contrée, ces dieux qui entendirent alors vos sermens, et nous vous ordonnons de ne point offenser notre pays, de ne point enfreindre les engagemens de vos pères, et de nous laisser vivre dans notre patrie sous nos propres lois, suivant les promesses de Pausanias. »

LXXII. Ainsi parlèrent les Platéens. Archidamus répliqua en ces termes :

« Ce que vous dites est juste, ô Platéens, si vos actions répondent à vos discours. Suivant ce que vous accorda Pausanias, soyez libres sous vos propres lois, et délivrez les autres Grecs, qui partagèrent alors vos dangers, qui se lièrent avec vous par les mêmes sermens, et qui se trouvent aujourd’hui sous le joug des Athéniens. L’objet de cet appareil et de cette guerre est de leur rendre, ainsi qu’aux autres, la liberté. Vous participez plus que personne à cette liberté. Restez donc fidèles à vos promesses, ou du moins, et c’est ce que déjà nous vous avons conseillé, demeurez en repos, jouissez de vos propriétés, et restez neutres. Conservez l’amitié des puissances belligérantes, sans aider ni l’une ni l’autre à la guerre. Voilà ce qui nous plait[43]. »

Telle fut la réponse d’Archidamus. Les députés, après l’avoir reçue, retournèrent chez eux, et firent au peuple le rapport de ce qui leur avait été dit. Ils furent chargés de répondre que les Platéens ne pouvaient faire ce qu’on leur demandait, sans l’aveu des Athéniens ; que leurs femmes et leurs enfans étaient à Athènes ; qu’ils avaient à craindre, pour leur ville entière, qu’après le départ des Lacédémoniens, les Athéniens ne vinssent les empêcher de tenir ce qu’ils auraient promis ; qu’ils avaient les mêmes craintes de la part des Thébains, puisqu’ils étaient engagés par serment à recevoir les deux peuples, et que ceux-ci tâcheraient encore une fois de prendre leur ville.

Archidamus essaya de les rassurer, et il ajouta : « Remettez-nous votre ville et vos maisons, faites-nous connaître vos limites, donnez-nous en compte vos arbres et tout ce qui peut se compter, et retirez-vous où vous jugerez à propos pendant la durée de la guerre. A la paix, nous vous rendrons tout ; et, jusqu’à cette époque, ce sera un dépôt qui nous sera confié ; nous ferons cultiver vos terres, et nous vous paierons un subside proportionné à vos besoins. »

LXXIII. Les députés rapportèrent ces propositions, et délibérèrent avec le peuple assemblé. La dernière réponse des Platéens fut qu’ils voulaient d’abord communiquer aux Athéniens ce qui leur était prescrit, et qu’ils s’y soumettraient, s’ils pouvaient les y faire consentir. En attendant, ils prièrent les Lacédémoniens de leur accorder une suspension d’armes, et de ne pas ravager leur territoire. Archidamus conclut avec eux un armistice pour le nombre de jours que devait durer vraisemblablement leur voyage, et il respecta la campagne. Les députés de Platée arrivèrent à Athènes, se consultèrent avec les Athéniens ; et, à leur retour, voici ce qu’ils annoncèrent :

« Les Athéniens disent, ô Platéens, que depuis que nous sommes devenus leurs alliés, ils ne vous ont jamais abandonnés quand on vous a fait injure ; qu’ils ne vous abandonneront pas non plus aujourd’hui, et qu’ils vous secourront de toute leur puissance. Ils vous recommandent fortement, d’après le serment de vos pères, de rester fidèles à leur alliance. »

LXXIV. Sur ce rapport des députés, les Platéens arrêtèrent de ne pas trahir les Athéniens, de souffrir, s’il le fallait, que leur pays fût ravagé sous leurs yeux, et de se résoudre à tous les événemens. Ils ordonnèrent que personne ne sortirait plus pour conférer avec les Lacédémoniens, et qu’on leur répondrait du haut des remparts qu’il était impossible de faire ce qu’ils demandaient.

Archidamus prit à témoin, sur cette réponse, les dieux et les héros de la contrée, et prononça ces paroles : « Dieux, qui avez sous votre protection la terre de Platée, et vous, héros, soyez témoins que les Platéens ont les premiers abjuré les sermens que nous avons prêtés en commun ; que nous ne sommes pas venus injustement dans ce pays où nos pères, après vous avoir invoqués, défirent les Mèdes dans cette campagne, que vous leur accordâtes pour leur champ de victoire ; que maintenant, dans ce que nous pourrons entreprendre, nous ne serons point injustes, puisque, sur des demandes convenables, et plusieurs fois réitérées, nous ne recevons que des refus. Permettez que ceux dont l’injustice provoque nos armes soient punis, et que ceux qui viennent légitimement les châtier satisfassent leur vengeance. »

LXXV. Après cette invocation, il fit travailler son armée aux dispositions du siège. D’abord il fit abattre des arbres, et investir la place de palissades pour empêcher personne d’en sortir. On éleva ensuite contre la ville une terrasse : toute l’armée partageait les travaux, et l’on espérait ne pas tarder à s’en rendre maître. On coupa des arbres sur le mont Cithéron, et l’on construisit des deux côtés de la terrasse une charpente qui la soutenait comme un mur et l’empêchait de crouler. Les intervalles furent remplis de bois, de pierres, et de tout ce qui pouvait servir à les combler. Soixante-dix jours entiers et autant de nuits furent employés à cet ouvrage. On se relayait pour goûter quelque repos, les uns dormant, ou prenant leurs repas, pendant que les autres apportaient les matériaux nécessaires. Ceux des Lacédémoniens qui commandaient les troupes de chaque ville avaient en commun l’inspection des travaux et pressaient les ouvriers.

Quand les Platéens virent s’élever la terrasse, ils surmontèrent d’une muraille de bois leurs anciens murs, du côté où les travaux des assiégeans les menaçaient : ils remplissaient les vides de cette charpente avec les briques qu’ils prenaient des maisons voisines : la charpente servait de liens aux briques, et prévenait l’écroulement de cette construction, que sa grande hauteur eût rendue trop faible. Elle était couverte de cuirs et de peaux garnies de leurs poils, pour protéger les travailleurs et empêcher l’effet des traits enduits de matières combustibles que lançaient les assiégeans. Ce mur acquérait une très grande élévation, et la terrasse qu’on lui opposait ne s’élevait pas avec moins de célérité. Mais les Platéens s’avisèrent de faire des ouvertures à leur muraille du côté de cette plate-forme, et par-là ils enlevaient la terre qu’entassaient les assiégeans.

LXXVI. Les Péloponnésiens s’aperçurent de cette manœuvre : ils remplirent de mortier des paniers de jonc qu’ils jetaient dans les vides, et qui ne pouvaient ni s’ébouler, ni être emportés aussi facilement que la terre. Les assiégés, à qui leur premier essai devenait inutile, en prirent un autre : ils creusèrent des mines, et, les dirigeant, par conjectures, jusque sous la terrasse, ils commencèrent à entraîner la terre. Les assiégeans furent long-temps à s’apercevoir de ce travail. Plus ils jetaient de nouvelle terre, et moins ils avançaient : comme on excavait toujours en dessous, elle s’affaissait pour remplir le vide. Cependant les assiégés craignirent de ne pouvoir, en petit nombre comme ils étaient, résister, par ces sortes de travaux, à la multitude des assiégeans. Voici le nouveau moyen qu’ils imaginèrent. Ils cessèrent de travailler à la haute muraille qu’ils opposaient à la terrasse ; mais ils construisirent, dans l’intérieur de la place, un nouveau mur en forme de croissant, qui aboutissait des deux côtés à l’endroit où l’ancienne muraille avait le moins d’élévation. C’était une dernière retraite qu’ils se ménageaient, si la grande muraille venait à être forcée : les ennemis se trouveraient dans la nécessité d’élever alors une nouvelle plate-forme, et de prendre, en s’avançant, une double peine, avec une plus grande incertitude du succès. Cependant les Péloponnésiens, tout en continuant de travailler à leur terrasse, approchaient de la place des machines de guerre[44]. L’une, amenée sur la plate-forme, ébranla une partie considérable du grand ouvrage, et porta l’effroi dans l’âme des Platéens ; d’autres furent appliquées à d’autres parties des fortifications. Mais les assiégés parvenaient à les enlever, en les engageant dans des câbles en formes de lacets. On attachait aussi par les deux bouts à des chaînes de fer de forts madriers ; ils tenaient par ces chaînes à deux poutres inclinées, qui s’avançaient transversalement par-dessus le rempart, et aux quelles ils étaient suspendus : quand la machine allait frapper quelque partie de la muraille, on lâchait les chaînes, les madriers tombaient de leur propre poids, et, se précipitant avec force, ils en brisaient la tête.

LXXVII. Les Péloponnésiens ne pouvant plus tirer aucun parti des machines, et voyant un mur s’élever en face de leur terrasse, jugèrent impossible de prendre la place par ces moyens, tout terribles qu’ils étaient, et ils se disposèrent à l’investir d’une muraille. Cependant, comme la ville n’était pas grande, ils voulurent essayer d’abord si, en profitant d’un vent favorable, ils ne pourraient pas y mettre le feu ; car il n’était rien qu’ils n’imaginassent pour s’en rendre maîtres sans dépense, et sans essuyer les fatigues d’un long siège. Ils jetèrent des fascines du haut de la terrasse dans le vide qui restait entre elle et le mur. Comme bien des mains partageaient ce travail, l’espace fut bientôt rempli, et profitant de la hauteur où ils étaient placés, ils comblèrent, autant qu’ils le purent, de ces fascines, différentes parties de la ville. Ils jetèrent du feu, du soufre, de la poix ; le bois s’enflamma, et jamais on n’a vu de nos jours un semblable incendie, excité du moins artificiellement ; car il arrive à des forêts entières que tourmentent des vents impétueux, de prendre feu d’elles-mêmes par le frottement. L’embrasement fut terrible, et les Platéens, après avoir échappé aux autres dangers, furent au moment d’être détruits par le feu. Il y avait une grande partie de la ville d’où l’on ne pouvait approcher ; et si la flamme avait été poussée par le vent, comme l’ennemi l’espérait, ils auraient été perdus. On prétend qu’il vint à tomber du ciel une forte pluie mêlée de tonnerre, qui éteignit la flamme, et mit fin au danger.

LXXVIII. Les Péloponnésiens, encore trompés dans cette tentative, congédièrent une partie de l’armée[45], occupèrent l’autre à construire un mur autour de la place ; un certain espace de terrain était assigné, dans ce travail, aux soldats des différentes villes. Un fossé fut creusé du côté de la place, et un autre du côté opposé ; ce fut avec la terre de ces fossés que l’on fit les briques. L’ouvrage fut achevé vers le lever de la grande Ourse[46] : les Péloponnésiens laissèrent des troupes pour en garder la moitié ; l’autre était gardée par les Bœotiens ; ils se retirèrent, et chacun rentra dans son pays.

Dès auparavant, les Platéens avaient fait passer à Athènes leurs enfans, leurs femmes, les vieillards, toutes les bouches inutiles ; quatre cents hommes restaient pour soutenir le siège : quatre-vingts Athéniens étaient avec eux, et cent dix femmes pour faire le pain. Il n’y avait personne de plus dans la ville, ni homme libre ni esclave. Tels furent les apprêts du siège de Platée.

LXXIX. Dans le même été, et pendant l’expédition contre Platée[47] les Athéniens portèrent la guerre chez les Chalcidiens, peuple de la Thrace, et chez les Bœotiéens : ils avaient deux mille hoplites de leur nation et deux cents hommes de cavalerie : ils prirent le temps où le blé était mûr. Xénophon, fils d’Euripide, les commandait avec deux autres généraux. Ils approchèrent de Spartolus, ville de la Bottique, et ravagèrent les blés. On avait lieu de croire que la place se rendrait par les manœuvres de quelques habitans. Mais ceux de la faction contraire avaient fait venir d’Olynthe une garnison d’hoplites et d’autres troupes : on fit une sortie ; et les Athéniens engagèrent le combat sous les murs. Les hoplites chalcidiens et quelques auxiliaires furent battus, et se retirèrent dans la place ; mais la cavalerie chalcidienne et les troupes légères battirent les troupes légères et la cavalerie des Athéniens.

Les Chalcidiens avaient, en petit nombre, quelques peltastes du pays nommé Crusis ; l’action venait de se passer, quand d’autres peltastes sortis d’Olynthe vinrent donner du renfort. Dés que les troupes légères de Spartolus les aperçurent, cette augmentation de force leur donna du courage ; comme elles n’avaient pas été repoussées à la première attaque, elles en firent une nouvelle avec la cavalerie chalcidienne et les auxiliaires. Les Athéniens reculèrent jusqu’aux bagages où ils avaient laissé deux corps de troupes ; dès qu’ils s’avançaient, l’ennemi cédait, quand ils reculaient, il les pressait et les accablait de traits. La cavalerie chalcidienne fondait partout où elle trouvait jour ; ce fut elle surtout qui effraya les Athéniens, elle les mit en fuite et les poursuivit au loin. Les vaincus se retirèrent à Potidée ; ils furent obligés de traiter pour enlever leurs morts et ils retournèrent à Athènes avec ce qui leur restait de troupes ; ils avaient perdu quatre cent trente hommes et tous leurs généraux. Les Chalcidiens et les Bottiéens élevèrent un trophée, recueillirent leurs morts et se séparèrent.

LXXX. Le même été, peu après ces événemens[48], les Ampraciotes et les Chaoniens, voulant se rendre maîtres de toute l’Acarnanie et la détacher d’Athènes, persuadèrent aux Lacédémoniens d’équiper une flotte de leurs alliés, et de faire passer dans ce pays mille hoplites. Ils leur montraient qu’en l’attaquant d’intelligence et à la fois par terre et par mer, les Acarnanes de la côte ne pourraient donner de secours à ceux de l’intérieur et qu’on enlèverait aisément toute la contrée ; que maître de l’Acarnanie, on le deviendrait de Zacynthe et de Céphalénie, et qu’il ne serait plus si facile aux Athéniens de faire des courses autour du Péloponnèse ; qu’enfin on pouvait espérer de prendre aussi Naupacte.

Les Lacédémoniens, persuadés, expédient aussitôt sur un petit nombre de bâtimens des hoplites aux ordres de Cnémus, qui avait encore le commandement de la flotte ; ils envoient ordre aux alliés de faire passer aussitôt à Leucade ce qu’ils avaient de vaisseaux appareillés. Les Corinthiens, surtout, témoignaient beaucoup de zèle aux Ampraciotes, qui étaient une de leurs colonies, et la flotte de Corinthe, de Sicyone et des autres contrées voisines, se disposait au départ. Celle de Leucade, d’Ambracie, d’Anactorium avait mis en mer la première, et attendait à Leucade. Cnémus avec les mille hoplites qu’il conduisait, échappa, dans sa traversée, à Phormion, commandant des vingt vaisseaux athéniens qui gardaient les côtes de Naupacte ; il fit mettre en marche sans délai l’armée de terre. Les Grecs qui la composaient étaient les Ampraciotes, les Leucadiens, les Anactoriens et les mille hommes du Péloponnèse qu’il avait amenés. Des Barbares se joignirent à eux. On voyait mille Chaoniens qui ne reconnaissent pas de roi ; chez eux le commandement est annuel ; il était alors exercé par Photius et Nicanor, de la race à qui cet honneur est affecté. Avec eux marchaient les Thesprotiens, qui n’ont pas non plus de roi ; les Molosses et les Antitanes étaient conduits par Sabylinthus, tuteur du roi Tharyps, encore enfant, et les Paravéens, par Oræde leur roi. Antiochus, roi des Orestes, avait confié mille hommes de ses troupes à Oræde, et il devait combattre avec les Paravéens. Perdiccas, à l’insu d’Athènes, envoya mille Macédoniens qui arrivèrent trop tard.

Ce fut avec cette année que Cnémus partit, sans attendre la flotte de Corinthe. En traversant le pays des Agræns, on ravagea le bourg de Lymnée, qui n’avait pas de murailles. On gagna Stratos, très grande ville de l’Acarnanie, dans la pensée que, si l’on pouvait d’abord s’en rendre maître, le reste se soumettrait aisément.

LXXXI. Les Acarnanes, à la nouvelle qu’une puissante armée était entrée chez eux par terre, et qu’en même temps ils allaient voir arriver par mer les ennemis, ne se réunirent pas pour la défense de cette place ; mais chacun ne songea qu’à garder son pays. Sur la prière qu’ils adressèrent à Phormion de venir à leur secours, il répondit qu’il ne pouvait laisser Naupacte sans défense, tandis que la flotte de Corinthe était prête à partir. Les Péloponnésiens et les alliés se partagèrent en trois corps, et marchèrent vers Stratos, pour établir leur camp à la vue de la place et être prêts à former l’attaque des murailles, si l’on ne se rendait pas à leurs insinuations.

Les Chaoniens et les autres Barbares occupaient le centre ; les Leucadiens, les Anactoriens et le reste des alliés étaient à droite ; Cnémus, avec les Péloponnésiens et les Ampraciotes, formait la gauche. Ces trois corps étaient à de grandes distances les uns des autres, et quelquefois même ils ne se voyaient pas. Les Grecs s’avançaient en bon ordre et se tenaient toujours sur leurs gardes, jusqu’à ce qu’ils trouvassent à camper dans un lieu sûr. Mais les Chaoniens, pleins de confiance en eux-mêmes et fiers de la haute réputation de valeur dont ils jouissaient dans cette partie du continent, n’eurent pas la patience de choisir un camp ; ils firent une marche précipitée vers les autres Barbares, dans l’espérance de prendre la ville d’emblée et d’avoir la gloire de cette conquête. Les Stratiens, instruits de leur approche, sentirent que s’ils pouvaient les battre pendant qu’ils étaient seuls, ils auraient ensuite moins à craindre de la part des Grecs. Ils leur dressèrent des embûches aux environs de la ville, et quand ils les virent assez près, ils fondirent sur eux à la fois et de la place et des embuscades. Frappés d’effroi, les Chaoniens périrent en grand nombre, et le reste des Barbares, en les voyant fléchir, n’attendit pas l’ennemi et prit la fuite. Les Grecs des deux ailes ne savaient rien de ce combat, les Barbares étaient trop loin d’eux, et l’on croyait qu’ils ne s’étaient avancés avec tant de précipitation que pour choisir un endroit où ils pussent établir leur camp. Ils ne furent instruits de l’événement que par les fuyards qui vinrent se jeter au milieu d’eux. Ils les reçurent, ne formèrent qu’un seul camp, et se tinrent en repos toute la journée. Les Siratiens n’en vinrent pas aux mains avec eux, parce qu’ils n’étaient pas encore renforcés par les autres Acarnanes, et ils ne pouvaient s’ébranler sans être soutenus par des troupes d’armure complète. Ils se contentèrent donc de leur lancer des pierres et de les harceler. Les Acarnanes passent pour d’excellens frondeurs.

LXXXII. La nuit venue, Cnémus se hâta de gagner avec son armée le fleuve Anapus, à quatre-vingts stades[49] de Stratos, et le lendemain il obtint la permission d’enlever les corps des hommes qu’il avait perdus. Les Œniades vinrent le trouver en qualité d’amis ; il se retira sur leurs terres avant que les alliés ennemis fussent arrivés, et de là chacun rentra dans son pays. Les Siratiens dressèrent un trophée pour la victoire qu’ils avaient remportée sur les Barbares.

LXXXIII. La flotte des Corinthiens et des autres alliés, qui devait partir du golfe de Crisa pour se joindre à Cnémus et empêcher les Acarnanes des bords de la mer de venir au secours des autres, ne put remplir sa destination : précisément lorsqu’on s’était battu à Stratos, elle avait été forcée d’accepter le combat contre les vingt vaisseaux d’Athènes qui gardaient Naupacte, et que commandait Phormion. Il observait le moment où elle sortirait du golfe en rasant la côte, et son dessein était de l’attaquer dans une mer ouverte. Les Corinthiens et les alliés voguaient vers l’Acarnanie, disposés à combattre sur terre et non pas à soutenir un combat naval, ils n’imaginaient pas que les Athéniens, avec vingt vaisseaux, eussent l’audace d’en attaquer quarante-sept. Ils longeaient la côte, et de Patrès, ville d’Achaïe, ils passaient au continent opposé, où est située l’Acarnanie, quand ils les virent déboucher de Chalcis et du fleuve Événus et s’avancer à leur rencontre. La nuit ne put les empêcher de les voir mettre en rade, ce fut ainsi qu’ils furent obligés d’accepter la bataille au milieu du détroit. Chaque ville avait ses commandans qui les disposèrent au combat ; ceux de Corinthe étaient Machon, Isocrate et Agatarchidas. Les Péloponnésiens rangèrent leurs navires en cercle et tinrent ce cercle le plus étendu qu’il leur fut possible, pour empêcher les ennemis de pénétrer dans leur flotte : les proues étaient en dehors et les poupes en dedans. Ils placèrent au centre les petits bâtimens qui les accompagnaient, et cinq de leurs vaisseaux qui manœuvraient le mieux et qui devaient se jeter, de peu de distance, sur les ennemis, s’il leur arrivait de faire quelque attaque.

LXXXIV. Les vaisseaux athéniens, rangés en file, couraient autour du cercle, le resserraient toujours davantage et ne cessaient de raser les vaisseaux ennemis qu’ils semblaient près d’attaquer. Mais Phormion avait défendu d’en venir aux mains avant que lui même eût donné le signal ; il espérait que la flotte ennemie ne garderait pas son ordre de bataille comme une armée de terre ; mais que les vaisseaux seraient poussés les uns contre les autres et que les petits bâtimens ne manqueraient pas de causer du trouble. Il continuait sa course circulaire, en attendant un vent qui a coutume de s’élever au point du jour, et qui, soufflant du golfe, ne permettrait pas aux ennemis de garder un instant le même ordre. Comme ses vaisseaux manœuvraient bien mieux, il se croyait maître de choisir à son gré le moment de l’attaque, et il pensait que ce devait être celui oû le vent viendrait à souffler. Il s’éleva ; déjà la flotte ennemie se trouvait resserrée, parce que le vent la tourmentait et qu’elle se trouvait embarrassée par les petits bâtimens. Tout était en désordre, les vaisseaux heurtaient les vaisseaux ; on se repoussait à coups d’avirons, on criait, on tâchait de s’éviter, on se disait des injures : ordres, conseils, rien n’était entendu ; les équipages sans expérience ne pouvaient lever les rames contre les efforts de la mer agitée, et les navires n’obéissaient pas aux manœuvres des pilotes.

Le moment était favorable : Phormion donna le signal, les Athéniens attaquent, et pour premier exploit, ils coulent bas l’un des navires montés par les généraux. Partout où ils s’ouvrent un passage, ils brisent les vaisseaux ; personne n’ose revenir à la charge et leur opposer la force : tout est dans l’épouvante, tout fuit vers Patrès et Dymé, dans l’Achaïe. Les Athéniens poursuivent les vaincus, prennent douze vaisseaux, égorgent la plupart de ceux qui les montent, et naviguent vers Molycrium. Ils élevèrent un trophée sur le promontoire de Rhium, consacrèrent une de leurs prises à Neptune, et retournèrent à Naupacte. Les Péloponnésiens, avec ce qui leur restait de batimens, se hâtèrent de passer de Dymé et de Patrès à Cyllène, qui est l’arsenal maritime des Éléens. Ce fut la que se rendirent aussi de Leucade, après la bataille de Stratos, Cnémus et les vaisseaux du pays qui devaient se joindre à la flotte du Péloponnèse.

LXXXV. Les Lacédémoniens envoyèrent Timocrate, Brasidas et Lycophron pour servir de conseil à Cnémus dans ses opérations navales. Ils lui firent donner ordre de mieux se préparer à un nouveau combat, et de ne pas souffrir que la mer lui fût interdite par un petit nombre de vaisseaux. Comme c’était la première fois qu’ils s’étaient essayés dans un combat naval, l’événement leur en semblait fort étrange. Ils croyaient moins devoir l’attribuer à leur infériorité dans la marine qu’à la mollesse de leurs combattans ; incapables qu’ils étaient de comparer la longue pratique des Athéniens à leur inexpérience novice. Ce fut avec des sentimens d’indignation qu’ils envoyèrent des commissaires à Cnémus : ceux-ci, à leur arrivée, ordonnèrent conjointement avec lui aux différentes villes de fournir des vaisseaux, et firent mettre en état de combat ceux dont il disposait.

De son côté, Phormion fait porter à Athènes la nouvelle de l’action dans laquelle il a remporté la victoire, et celle des nouveaux préparatifs de l’ennemi. Il demande qu’on lui envoie, saus délai, le plus grand nombre de batimens qu’il sera possible, parce qu’on devait chaque jour s’attendre à une affaire. On lui expédia vingt vaisseaux, avec ordre à celui qui les conduisait de passer d’abord en Crète. Un Crétois de Gortyna, nommé Nicias, était lié d’hospitalité avec les Athéniens : c’était lui qui les engageait à passer à Cydonie, ville ennemie d’Athènes, et il les flattait de la leur soumettre. Son objet était de complaire aux habitans de Polychna, voisins de Cydonie. Il passa en Crète avec les vaisseaux qu’on lui prêtait, et secondé par les Polychnites, il ravagea le pays des Cydoniates. Les tempêtes et les vents contraires lui firent perdre beaucoup de temps.

LXXXVI La flotte du Péloponnèse, qui était à Cyllène pendant que les Athéniens étaient retenus autour de la Crète, fit voile pour Panorme en Achaïe, disposée à combattre. Là se trouvait rassemblée l’armée de terre, prête à la favoriser. En même temps Phormion passa à Rhium de Molycrie, et se tint à l’ancre en dehors du promontoire, avec les vingt vaisseaux qui avaient déjà combattu ; les gens du pays étaient amis des Athéniens. En face de ce promontoire, en est un autre appelé de même, qui fait partie du Péloponnèse ; un trajet de sept stades au plus[50] les sépare l’un de l’autre ; c’est l’embouchure du golfe de Crisa. Les Péloponnésiens, après avoir aperçu l’ennemi, abordèrent à ce Rhium de l’Achaïe qui n’est pas loin de Panorme : leur armée de terre y était ; ils mirent aussi à l’ancre avec soixante-dix-sept vaisseaux. On resta de part et d’autre à s’observer pendant six à sept jours, faisant les préparatifs du combat qu’on était résolu de livrer. Les Péloponnésiens ne voulaient pas sortir de l’espace contenu entre les deux promontoires, et s’exposer au large, dans la crainte d’un malheur semblable à celui qu’ils avaient éprouvé ; ni les Athéniens s’engager dans une mer resserrée, ce qu’ils regardaient comme un avantage pour leurs ennemis. Enfin, Cnémus, Brasidas et les autres généraux Péloponnésiens voulurent presser le combat naval avant qu’il pût venir d’Athènes quelque renfort ; ils convoquèrent d’abord les soldats, et les voyant presque tous effrayés de leur première défaite, ils tâchèrent de les rassurer et leur parlèrent ainsi :

LXXXVII. « Ceux de vous, ô Péloponnésiens, à qui le mauvais succès de la dernière affaire inspire des craintes pour celle qui se prépare, ont tort de se livrer à la terreur. Nos dispositions, vous le savez, étaient défectueuses, et notre objet était d’aller combattre sur terre, et non de soutenir un combat naval. La fortune d’ailleurs rassembla contre nous bien des circonstances. On peut ajouter que l’inexpérience nous fit commettre des fautes, parce que nous combattions sur mer pour la première fois. Non, ce n’est point par lâcheté que nous avons été vaincus. Quand l’esprit n’est pas entièrement tombé dans l’abattement, quand on trouve en soi-même des raisons de se justifier, il ne faut pas se laisser consterner par les atteintes imprévues du sort. Pensez que c’est le destin des hommes d’être trompés par les événemens ; que les braves gens restent toujours les mêmes par le cœur, et qu’avec du courage on ne s’excuse pas sur son inexpérience pour se donner le droit de montrer de la faiblesse. Vous êtes moins au-dessous des ennemis par votre défaut d’expérience qu’au-dessus d’eux par votre audace. La science qu’ils ont acquise est ce qui vous donne le plus de crainte. Par elle, en effet, si elle était accompagnée du courage, ils pourraient, dans le péril, se rappeler ce qu’ils ont appris, et en faire un bon usage ; mais sans la valeur toute la science ne peut rien contre le danger, car la crainte frappe la mémoire de stupeur, et l’art sans courage n’est d’aucun secours.

« À ce que les Athéniens ont de plus en expérience, opposez ce que vous avez de plus en bravoure ; et à la crainte que vous inspire votre défaite, l’idée que vous étiez mal préparés. Vous avez pour vous le grand nombre de vaisseaux, et l’avantage de combattre près d’une côte qui vous appartient, et près de votre armée de terre. La victoire est ordinairement du parti le plus nombreux et le mieux fourni des choses nécessaires. A peser toutes les circonstances, il est probable que nous ne serons pas vaincus, et nos premières fautes vont nous servir d’utiles leçons. Pilotes et matelots, que chacun de vous suive, avec une valeureuse confiance, les ordres de ses chefs, sans quitter la place qui lui sera marquée. Nous allons vous préparer, avec le même zèle que vos premiers commandans, l’occasion d’en venir aux mains, et nous ne fournirons à personne le prétexte de manquer de courage. Si quelqu’un de vous se conduit en lâche, il subira la peine due à sa faute ; et les hommes de cœur honorés recevront les récompenses que méritera leur vertu. »

LXXXVIII. Ce fut par de tels discours que les commandans animèrent le courage des Péloponnésiens. Phormion ne craignait pas moins le découragement de ses soldats : il n’ignorait pas qu’ils formaient des rassemblemens et que le nombre des vaisseaux ennemis leur inspirait de l’épouvante. Il crut devoir les encourager, les rassurer et leur donner les conseils que dictait la circonstance. Dès auparavant, il avait pris l’habitude de leur parler en toute occasion, et il avait si bien préparé d’avance leurs esprits, qu’il ne pouvait survenir une flotte assez formidable pour les empêcher de l’attendre. D’ailleurs, depuis long-temps, ses soldats avaient conçu d’eux-mêmes une si haute opinion, qu’ils ne croyaient pas que des Athéniens pussent reculer devant des vaisseaux du Péloponnèse, quel que pût en être le nombre. Comme il les vit cependant consternés à l’aspect de leurs ennemis, il crut devoir les rappeler à leur première valeur. Il les fit assembler, et leur parla ainsi :

LXXXIX. « Soldats, je me suis aperçu que le nombre de vos ennemis vous causait de l’effroi, et je vous ai convoqués pour ne pas vous laisser de crainte sur ce qui n’a rien de redoutable. D'abord, c’est pour avoir été déjà vaincus, et parce qu’eux-mêmes ne se regardent pas comme vos égaux, qu’ils ont rassemblé tant de vaisseaux, sans oser se mesurer contre vous à forces égales. Ensuite, ce qui leur donne surtout la confiance de s’avancer, comme s’ils avaient seuls le privilège du courage, ce qui seul leur inspire de l’audace, c’est leur expérience de la guerre de terre. Comme ils y ont eu le plus souvent l’avantage, ils pensent que sur mer ils n’auront pas moins de succès. Mais vous devez d’autant plus compter sur la supériorité dans les actions maritimes, qu’ils en jouissent dans les combats de terre : car ce n’est assurément pas en courage qu’ils l'emportent sur vous ; mais plus les uns et les autres nous avons d’habileté dans une partie, et plus nous avons d’audace. Les Lacédémoniens, à qui leur réputation donne le commandement sur les alliés, conduisent des gens qui, la plupart, ne marchent au danger que par force, puisque d’eux-mêmes, sans doute, après leur défaite, ils ne s’exposeraient pas une seconde fois à un combat naval. Ne craignez donc pas leur valeur. Vous leur causez bien plus de crainte qu’ils ne peuvent vous en inspirer, et avec bien plus de raison, puisque vous les avez vaincus, et qu’ils pensent qu’en vous présentant devant eux, vous êtes bien décidés à faire de grandes choses. Des ennemis qui ont pour eux, comme ceux-ci, l’avantage du nombre, ont bien plus de confiance dans leurs forces que dans leur habileté ; mais ceux qui, bien inférieurs, et sans y être forcés, osent se mesurer contre eux, ont quelque grande pensée qui leur donne de l’assurance. Tels sont les raisonnemens de vos ennemis, et ce que votre conduite a d’étrange leur cause plus d’effroi que si vos préparatifs s’accordaient avec les règles communes.

« On a vu bien des armées succomber sous des ennemis moins respectables qu’elles, tantôt par impéritie, et tantôt aussi par lâcheté : ce sont deux vices qu’on ne nous reprochera pas. Autant qu’il dépendra de moi, je n’engagerai pas l’action dans le golfe. Je n’y entrerai même pas. Je sais trop que, contre de nombreux vaisseaux malhabiles à la manœuvre, une mer resserrée ne convient pas à une petite flotte, qui a, dans ses mouvemens, plus d’art et de légèreté. Comme on ne verrait pas d’assez loin les ennemis, on ne pourrait s’avancer, comme il le faut, à l’attaque ; trop pressé, on ne pourrait se retirer à propos : on ne saurait ni se faire jour à travers la flotte ennemie, ni retourner librement en arrière ; manœuvre convenable aux vaisseaux les plus légers. Il faudrait changer le combat naval en un combat de terre, et c’est alors que les flottes les plus nombreuses ont l’avantage. C’est à quoi j’aurai soin de pourvoir autant qu’il me sera possible. Et vous, gardant votre poste sur les vaisseaux, exécutez les ordres avec célérité ; ce qui sera facile, puisque c’est d’une faible distance que vous vous élancerez sur l’ennemi. Dans l’action, regardez comme bien importent le bon ordre et le silence : rien de plus utile à la guerre, et surtout dans les actions navales. Défendez-vous de manière à ne pas flétrir vos premiers exploits. Cette journée doit avoir une grande issue : elle va ravir aux Péloponnésiens toute espérance d’une marine, ou faire craindre aux Athéniens de perdre bientôt l’empire de la mer. Je dois vous rappeler encore une fois que vous venez de vaincre la plupart de ceux que vous allez combattre : l’âme des vaincus n’est plus la même pour se présenter aux mêmes dangers. »

XC. Ce fut à peu près en ces termes que Phormion encouragea ses soldats. Comme il n’entrait pas dans le golfe, et qu’il évitait une mer étroite, les Péloponnésiens voulurent l’y engager malgré lui. Ils prirent le large au lever de l’aurore, et, rangés sur quatre vaisseaux de front, ils voguèrent dans l’intérieur du golfe comme s’ils eussent voulu gagner leur pays. Ils défilaient par leur aile droite, dans le même ordre qu’ils s’étaient tenus à l’ancre ; et ils ajoutèrent seulement à cette aile vingt vaisseaux des plus légers. C’était pour empêcher les Athéniens d’éviter leur attaque en se tenant à quelque distance, et pour envelopper leur flotte, si Phormion, dans l’idée qu’on allait attaquer Naupacte, s’avançait au secours de cette place. Ce qu’ils attendaient arriva. Dès que ce général vit les ennemis appareiller, il craignit pour Naupacte qui était sans défense, et se hâta, malgré lui, d’embarquer ses soldats. Il rasait la côte, et l’infanterie des Messéniens défilait en même temps pour le soutenir. Les Péloponnésiens ne virent pas plus tôt la flotte athénienne arriver sur une seule ligne, et déjà engagée dans le golfe et près de terre, comme ils l’avaient tant souhaité, qu’ils donnèrent le signal, virèrent de bord et vinrent à sa rencontre avec toute la vitesse dont ils étaient capables. Ils espéraient s’emparer de la flotte entière ; mais onze vaisseaux, qui devançaient le reste, évitèrent la ligne des Péloponnésiens et regagnèrent la haute mer. Les ennemis atteignirent les autres, les poussèrent à la côte dans leur fuite, et les firent échouer. Ils tuèrent tous les Athéniens qui ne purent se sauver à la nage, se mirent à remorquer une partie des vaisseaux abandonnés, et déjà ils en avaient pris un avec tous ceux qui le montaient ; mais les Messéniens vinrent au secours, entrèrent tout armés dans la mer, montèrent sur quelques-uns des bâtimens qu’entraînaient déjà les ennemis, combattirent du haut des ponts et les sauvèrent.

XCI. De ce côté les Péloponnésiens étaient victorieux, puisqu’ils avaient fait échouer des vaisseaux ennemis. Mais leurs vingt bâtimens de l’aile droite se mirent à la poursuite des onze vaisseaux athéniens qui avaient évité l’attaque et gagné la haute mer. Ceux-ci, à l’exception d’un seul, les devancèrent, et se réfugièrent dans la rade de Naupacte. Là, ils se mirent en bataille, la proue en dehors, à la vue du temple d’Apollon, disposés à se défendre si l’on approchait de terre pour les attaquer. Les Péloponnésiens les suivirent de près. Ils naviguaient en chantant le pæan, comme des gens qui avaient remporté la victoire. Un vaisseau de Leucade, qui seul voguait bien en avant des autres, joignit celui d’Athènes qui était resté seul en arrière. Il se trouva que, par hasard, un vaisseau marchand était à l’ancre hors de la rade. Le navire athénien est le premier à l’atteindre, en fait le tour, va donner au milieu du vaisseau qui le poursuit et le submerge. Les Péloponnésiens ne s’attendaient pas à cet événement ; il les étonne et les effraie. Comme ils étaient victorieux, ils s’étaient mis sans ordre à la poursuite : les équipages de quelques vaisseaux tinrent les rames basses et s’arrêtèrent pour attendre les autres : manœuvre inutile, parce que l’ennemi n’avait que peu d’espace à franchir pour venir les attaquer : d’autres, pour ne pas connaître cette plage, échouèrent contre des écueils.

XCII. Ce spectacle anime les Athéniens : l’ordre leur est donné, ils poussent un grand cri et s’avancent contre eux. Ceux-ci, troublés, de leurs fautes et du désordre où ils se trouvent, résistent peu de temps, et tournent vers Panorme d’où ils sont partis. Les Athéniens les poursuivent ; ils leur enlèvent les vaisseaux les moins éloignés, au nombre de six, et reprennent ceux des leurs que les Péloponnésiens avaient mis hors de combat, et amarrés au rivage. Ils tuèrent une partie des hommes et en firent quelques-uns prisonniers. Le Lacédémonien Timocrate était sur le vaisseau de Leucade qui fut submergé près du bâtiment de charge. Pendant que le navire coulait bas, il se tua lui-même, et son çorps fut porté dans le port de Naupacte.

Les Athéniens, au retour de la poursuite, élevèrent un trophée au lieu d’où ils étaient partis pour la victoire ; ils recueillirent les morts et les débris des vaisseaux qui furent apportés sur la côte, et rendirent, par un traité, ceux des ennemis. Les Péloponnésiens élevèrent aussi un trophée pour avoir été victorieux quand ils avaient obligé les ennemis à fuir, et avoir fait échouer quelques-uns de leurs vaisseaux. Ils consacrèrent sur le Rhium d’Achaïe, près de leur trophée, le vaisseau qu’ils avaient pris ; mais à l’arrivée de la nuit, craignant qu’il ne tint contre eux quelques secours de la part des Alhéniens, ils rentrèrent tous, excepté ceux de Leucade, dans le golphe de Crisa et dans celui de Corinthe — Les Athéniens qui venaient de Crète avec vingt vaisseaux, et qui auraient dû se joindre à Phormion avant le combat, abordèrent à Naupacte peu après la retraite des ennemis : et l’été finit.

XCIII. Avant que la flotte du Péloponnèse se séparât[51], Cnémus, Brasidas et les autres commandans, voulurent, au commencement de l’hiver, et sur les renseignemens des Mégariens, faire une tentative sur le Pirée, port d’Athènes. Ce port n’était ni gardé ni fermé ; ce qui ne doit pas étonner, par la grande supériorité que les Athéniens avaient dans la marine. Il fut résolu que chaque matelot se chargerait de sa rame, de la courroie qui sert à l’attacher, et de son coussin, et qu’ils passeraient par terre de Corinthe à la mer qui regarde Athènes ; qu’ils se hâteraient d’arriver à Mégare, qu’ils tireraient de leur chantier de Nisée quarante vaisseaux qui s’y trouvaient, et vogueraient droit au Pirée. Il n’y avait aucune flotte qui en fît la garde, et l’on était loin de s’attendre à voir jamais les ennemis aborder à l’improviste. Les Athéniens croyaient que c’était une entreprise que jamais on n’oserait faire ouvertement, même en se donnant tout le loisir de s’y préparer ; et que, si l’on osait la former, ils ne pourraient manquer de la prévoir.

Aussitôt qu’il fut conçu, le projet fut mis à exécution. Les matelots, arrivés de nuit, mirent à flot les vaisseaux de Nisée, et voguèrent, non vers le Pirée, comme il avait été résolu : le danger les effraya ; on prétend aussi qu’ils furent contrariés par le vent : mais ils allèrent à Salamine, promontoire qui regarde Mégare. Là était une garnison et une garde de trois vaisseaux, pour empêcher que rien ne pût entrer à Mégare, ni en sortir. Ils attaquèrent la garnison, amenèrent les trois vaisseaux qui étaient vides, surprirent Salamine et la pillèrent.

XCIV. Des feux furent allumés pour faire connaître à Athènes l’arrivée des ennemis[52]. Jamais on n’avait éprouvé, dans cette guerre, une plus grande consternation. On croyait dans la ville que les ennemis étaient déjà dans le Pirée, que déjà maîtres de Salamine, ils étaient sur le point d’arriver, C’est ce qu’ils auraient fait sans peine, s’ils avaient voulu ne pas perdre du temps, et si le vent ne les avait pas retenus. Les Athéniens, dès le point du jour, coururent en foule au Pirée, tirèrent les vaisseaux à flot, les montèrent tumultuairement et cinglèrent vers Salamine : ils laissèrent des gens de pied à la garde du Pirée. Les Péloponnésiens apprirent qu’il venait du secours, et après avoir fait des courses dans la plus grande partie du pays, ils prirent les hommes, le butin et les trois vaisseaux de la garnison de Boudore, et se hâtèrent de partir pour Nisée. Ils n’étaient pas sans crainte sur leurs propres vaisseaux, qu’ils avaient tirés du chantier, où ils étaient restés long-temps à sec, et qui faisaient eau de tous côtés. Retournés à Mégare, ils firent à pied le chemin de Corinthe, et les Athéniens revinrent aussi sur leurs pas, ne les ayant pas trouvés aux environs de Salamine. Depuis cet événement, ils gardèrent mieux le Pirée, tinrent le port fermé et prirent les autres précautions nécessaires.

XCV. Dans le même temps, au commencement de l’hiver, Sitalcès d’Odryse, fils de Térès, roi de Thrace, fit la guerre à Perdiccas, fils d’Alexandre, roi de Macédoine, et aux Chalcidiens de Thrace. Il s’agissait de deux promesses dont il voulait remplir l’une et faire exécuter l’autre. Perdiccas, se voyant pressé au commencement de la guerre, lui avait fait certaines promesses s’il le réconciliait avec les Athéniens, et s’il ne remettait pas sur le trône Philippe, son frère et son ennemi ; mais il ne les avait pas tenues, et lui-même était convenu avec les Athéniens, quand il était entré dans leur alliance, de mettre fin à la guerre de la Chalcidique. Ce fut pour ces deux objets qu’il se mit en campagne. Il conduisait avec lui, pour le mettre sur le trône, Amyntas, fils de Philippe. Agnon l’accompagnait en qualité de général : il avait aussi avec lui des députés d’Athènes qui se trouvaient pour cette affaire auprès de sa personne : car les Athéniens s’étaient engagés à fournir des vaisseaux et le plus grand nombre de troupes qu’il serait possible contre les Chalcidiens.

XCVI. Parti de chez les Odryses, il mit d’abord en mouvement les Thraces qui habitent entre les monts Æmus et Rhodope, et qui étaient sous sa domination jusqu’au Pont-Euxin et à l’Hellespont ; ensuite les Gètes qui vivent au-delà de l’Æmus, et tous les autres peuples qui habitent en deçà de l’Ister, dans le voisinage du Pont-Euxin. Les Gètes et les peuples de cette contrée limitrophe des Scythes, ont tous les mêmes armes, et sont tous archers à cheval. Il appela un grand nombre de montagnards libres de la Thrace ; ils portent des coutelas, et sont connus sous le nom de Diens : la plupart occupent le mont Rhodope. Il attira les uns par l’appât de la solde ; les autres le suivirent volontairement. Il fit aussi lever les Agrianes, les Léæens et toutes les autres nations de la Pœonie qu’il commandait. C’étaient les derniers peuples de sa domination qui s’étendait jusqu’aux Grains et aux Léæens de la Pœonie, et jusqu’au fleuve Strymon, qui, du mont Scomius, coule à travers le pays des Graærns et des Léæens. Tel était le terme de son empire du côté des Pœoniens, qui dès lors jouissaient de la liberté. Du côté des Triballes, qui vivent aussi sous leurs propres lois, sa domination était terminée par les Trères et les Lilatæens : ceux-ci logent au nord du mont Scomius, et s’étendent vers l’occident jusqu’au fleuve Oscius, qui tombe de la même montagne que le Nestus et l’Èbre ; elle est déserte et fort élevée, et tient au mont Rhodope.

XCVII. Le domaine des Odryses, du côté où il s’étend vers la mer, prend de la ville d’Abdères, jusqu’à l’embouchure de l’Ister dans le Pont-Euxin. Cette côte, en prenant le plus court sur un vaisseau rond, et avec le vent toujours en poupe, est de quatre journées et d’autant de nuits de navigation. Par terre, en suivant aussi le plus court, un homme qui marche bien peut faire en onze jours la route d’Abdères à l’Ister. La traversée du continent depuis Bysance jusqu’au pays des Léæens, est de treize jours pour un homme qui marche bien. C’est la plus grande largeur de ce pays en remontant depuis la mer. Le tribut des Barbares et des villes grecques, tel que le recevait Seuthès, qui à succédé à Sitalcès, et qui l’a augmenté, pouvait être estimé à quatre cents talens d’argent[53], en comptant ensemble l’argent et l’or. Les présens en or et en argent ne s’élevaient pas à moins, sans compter ce qui se recevait en étoffes pleines ou brodées, et en ustensiles de différentes espèces. Et ce n’était pas seulement au roi que l’on faisait de ces présens, mais aux Odryses les plus en crédit et les plus distingués par la naissance. Car ces peuples, comme tous ceux de la Thrace, ont cet usage opposé à celui des Perses : c’est de recevoir plutôt que de donner, et chez eux, il est plus honteux de ne pas donner quand on vous demande, que d’être refusé quand vous demandez. Il est vrai qu’on abuse du pouvoir pour tirer parti de cet usage, car on ne peut rien faire qu’avec des présens. On voit que ce royaume est parvenu à une grande puissance. De toutes les dominations qui se trouvent en Europe entre le golfe d’Ionie et le Pont-Euxin, c’est celle qui jouit des plus grands revenus en argent et autres espèces de richesses. Pour la force militaire et le nombre des troupes, elle le cède beaucoup à celle des Scythes. Il n’est point de puissance en Europe qui leur puisse être comparée, et même il n’est aucune nation de l’Asie qui, prise séparément, fût capable de résister aux Scythes, s’ils étaient tous réunis : mais pour la prudence et la conduite qu’exigent les diverses circonstances de la vie, ils n’égalent pas les autres peuples.

XCVIII. Sitalcès, maître d’une si puissante contrée, se disposa donc à la guerre. Ses préparatifs terminés, il se mit en marche pour la Macédoine. Après être sorti de ses états, il franchit Cercine, montagne déserte, qui sépare les Sintes des Pœoniens. Il la traversa par un chemin qu’il avait ouvert lui-même en coupant les forêts, lorsqu’il avait porté la guerre à ce dernier peuple. Dans leur route à travers cette montagne, en partant de chez les Odryses, ses troupes avaient à droite les Pœoniens, à gauche les Sintes et les Mèdes. Elles arrivèrent à Dobère, ville de Pœonie. Sitalcès, dans cette marche, ne perdit aucun homme, si ce n’est quelques-uns par maladie ; il en gagna même de nouveaux, car bien des Thraces libres le suivirent pour faire du butin, sans qu’il eût besoin de les inviter. Aussi dit-on que son armée ne montait pas à moins de cent cinquante mille hommes. La plupart étaient de l’infanterie, le tiers au plus de la cavalerie. C’était surtout les Odryses eux-mêmes qui composaient cette cavalerie, et ensuite des Gètes. Les plus belliqueux de l’infanterie étaient les peuples libres descendus du mont Rhodope, et qui étaient armés de coutelas ; le reste était une multitude mêlée, redoutable surtout par le nombre.

XCIX. Rassemblées à Dobère, ces troupes se disposèrent à tomber de la haute Macédoine sur la basse, où régnait Perdiccas. On comprend dans celle-ci les Lyncestes, les Hélimiotes, et d’autres nations de l’intérieur des terres qui leur sont alliées et soumises, mais qui forment des royaumes particuliers. Alexandre, père de Perdiccas, et ses ancêtres les descendans de Téménus, originaires d’Argos, conquirent les premiers ce qu’on appelle aujourd’hui la Macédoine maritime. Ils commencèrent par vaincre dans un combat et par chasser de la Piérie les Pières, qui dans la suite occupèrent Phagrès et d’autres pays au-dessous du mont Pangée, au-delà du Strymon. La côte qui court au pied du Pangée, près de la mer, embrasse ce qu’on appelle encore aujourd’hui golfe Piérique. Ces princes repoussèrent aussi, de ce qu’on nomme la Bottie, les Bottiéens, qui confinent maintenant à la Chalcidique. Ils conquirent une portion étroite de la Pœonie, près du fleuve Axius, depuis les montagnes jusqu’à Pella et la mer. Ils ont aussi sous leur puissance, au-delà de l’Axius, jusqu’au Strymon, ce qu’on appelle la Mygdonie, d’où ils ont chassé les Édoniens. Ils ont repoussé du pays nommé Éordie les Éordiens, dont le plus grand nombre a été détruit et dont les faibles restes se sont établis autour de Physca. Ils ont aussi chassé de l’Almopie les Almopes. Enfin, ces Macédoniens établirent leur puissance sur d’autres nations qui leur sont encore soumises, sur l’Anthémonte, la Grestonie, la Bisaltie, et une grande partie de la haute Macédoine elle-même. Toute cette domination est comprise sous le nom de Macédoine, et quand Sitalcès y porta la guerre, Perdiccas, fils d’Alexandre, y régnait.

C. Les Macédoniens, incapables de résister à l’armée formidable qui s’avançait contre eux, se retirèrent dans les lieux fortifiés par la nature et dans toutes les citadelles. Elles n’étaient pas en grand nombre. C’est Achélaûs, fils de Perdiccas, qui, parvenu à la royauté, éleva dans la suite celles qu’on voit dans ce pays. Il aligna les chemins, mit l’ordre dans les différentes parties du gouvernement, régla ce qui concernait la guerre, monta la cavalerie, arma l’infanterie, et fit plus lui seul, pour rendre son royaume florissant, que les huit souverains ensemble qui l’avaient précédé[54].

De Dobère, l’armée des Thraces tomba sur ce qui avait composé la domination de Philippe, prit de force Idomène, et par accord, Gortynie, Atalante et quelques autres places. Elles se rendirent par inclination pour Amyntas, fils de Philippe, qui se trouvait dans cette armée. Ils assiégèrent Europus et ne purent s’en rendre maîtres. Ils s’avancèrent ensuite dans la partie de la Macédoine qui est à gauche de Pella et de Cyrrhus, et ne pénétrèrent pas plus avant sur le territoire de la Bottie et la Picrie ; mais ils ravagèrent la Mygdonie, la Grestonie et l’Anthémonte. Les Macédoniens ne crurent pas devoir leur opposer de l’infanterie, mais ils tirèrent de leurs alliés de l’intérieur de la cavalerie, et malgré l’infériorité du nombre, ils se jetaient sur le camp des Thraces quand ils pouvaient espérer de l’avantage. Vaillante et bien cuirassée, partout où fondait cette cavalerie, personne n’osait en soutenir le choc. Cernée par la foule des ennemis, elle osait encore braver le danger, et la grande supériorité du nombre ; mais elle cessa d’agir enfin, se croyant incapable de résister à des forces trop disproportionnées.

CI. Cependant Sitalcès fit porter des paroles à Perdiccas, et lui envoya déclarer les motifs de son expédition. La flotte des Athéniens n’arrivait pas ; ils avaient douté qu’il se mît en marche, et ne lui avaient fait passer qu’une députation et des présens. Il fit donc marcher seulement une partie de son armée contre les Chalcidiens et les Bottiéens, les poussa dans leurs forts et ravagea leur pays. Pendant qu’il y campait, les Thessaliens méridionaux, les Magnètes, les autres sujets de la Thessalie et même les Grecs, jusqu’aux Termopyles, craignirent que cette armée ne vînt les attaquer et se tinrent sur leurs gardes. Les mêmes craintes étaient partagées par les Thraces septentrionaux qui occupent les plaines situées au-delà du Strymon, par les Panéens, les Odomantes, les Droens et les Derséens, tous peuples libres. Sitalcès donna lieu au bruit qui court parmi les Grecs ennemis d’Athènes, que ceux qui avaient été attirés par cette république elle-même à titre d’alliés, pourraient bien finir par marcher contre elle. Il occupait et ravageait à la fois la Chalcidique, la Bottique et la Macédoine ; cependant il ne remplit aucun objet de son entreprise : son armée manquait de vivres et avait beaucoup à souffrir des rigueurs de l’hiver. Il se laissa donc persuader par Seuthès son neveu, fils de Sparadocus, qui avait après lui le plus grand pouvoir, de ne pas différer sa retraite[55]. Perdiccas s’était attaché secrètement Seuthès, par la promesse de lui donner sa sœur en mariage avec de grandes richesses. Sitalcès, subjugué par les avis de son neveu, regagna précipitamment ses états, après avoir tenu la campagne trente jours entiers, dont il avait passé dix dans la Chalcidique. Perdiccas remplit sa promesse, et donna dans la suite sa sœur Stratonice à Seuthès. Voilà quelle fut l’expédition de Sitalcès.

CII. Dans le même hiver[56], après que la flotte du Péloponnèse fut retirée, les Athéniens, qui étaient à Naupacte sous le commandement de Phormion, suivirent la côte et attaquèrent Astacus. Ils firent une descente et pénétrèrent dans l’intérieur de l’Acarnanie. Ils avaient quatre cents hoplites athéniens qui étaient venus sur la flotte, et autant d’hoplites de Messène. Avec ces forces, ils chassèrent de Stratos, de Corontes et d’autres endroits les hommes dont ils soupçonnaient la fidélité, ils rétablirent à Corontes Cynès, fils de Théolutus, et remontèrent sur leurs vaisseaux : car ils ne croyaient pas pouvoir attaquer, en hiver, les Œniades, seuls ennemis irréconciliables des Acarnanes. En effet, le fleuve Achéloüs, qui coule du Pinde à travers le pays des Dolopes, des Agraens, des Amphiloques et les plaines de l’Acarnanie, se jette à la mer entre Stratos et les Œniades, et, changeant en marais les environs de leur ville, il les inonde, et les rend en hiver impraticables aux ennemis. La plupart des îles Échinades gisent en face des Œniades, et sont près de l’embouchure de l’Achéloüs. Comme ce fleuve est considérable, il y porte sans cesse des sables, et plusieurs de ces îles se sont changées en continent. On croit qu’il ne faudra pas un long espace de temps pour qu’il en soit de même de toutes. Car le cours du fleuve est abondant ei rapide, et entraine avec lui beaucoup de limon ; les îles, serrées les unes contre les autres, forment entre elles une chaîne qui s’oppose à l’écoulement des sables ; comme elles se croisent, et ne sont pas disposées régulièrement, elles ne permettent point aux eaux de s’écouler directement à la mer. D’ailleurs elles sont désertes et ont peu d’étendue. On dit qu’Apollon, par un oracle, les marqua pour retraite à Alcméon, fils d’Amphiaraüs, lorsque ce prince menait une vie errante, après le meurtre de sa mère. Le dieu lui annonça qu’il ne serait délivré de ses terreurs qu’après avoir trouvé pour habitation un lieu qui n’eût pas encore aperçu le soleil, et qui ne fût pas encore terre quand il avait donné la mort à sa mère, parce que toute la terre avait été souillée de son crime. Alcméon ne pouvait pénétrer le sens de cet oracle ; il comprit enfin qu’il s’agissait de cet atterrissement causé par l’Achéloüs. Comme il y avait long-temps qu’il errait depuis le meurtre de sa mère, il crut qu’il pouvait ne s’être formé que depuis son malheur, et il lui parut suffisant pour sa retraite. Il s’établit dans le pays qui entoure les Œniades, il y régna, et laissa le nom d’Acarnan, son fils, à cette contrée. Telle est la tradition que nous avons reçue au sujet d’Alcméon.

CIII. Les Athéniens et Phormion, partis de l’Acarnanie, retournèrent à Athènes au commencement du printemps. Ils amenèrent les hommes de condition libre qu’ils avaient fait prisonniers dans les batailles navales, et qui furent échangés homme pour homme. Ils amenèrent aussi les vaisseaux dont ils s’étaient rendus maîtres. Cet hiver finit, et en même temps se termina la troisième année de la guerre que Thucydide a écrite.

  1. Première année de la quatre-vingt-septième olympiade, quatre cent trente-deux ans avant l’ère vulgaire, 7 mai. Nous suivons toujours Dodwell pour la chronologie de Thucydide.
  2. Le stade olympique était de quatre-vingt-quatorze toises et demie. Les quatre-vingt-dix stades faisaient un peu plus de trois de nos lieues de deux milles cinq cents toises. Les anciens avaient un autre stade plus court ; il n’était que de soixante-seize toises et demie. Dix de ces stades faisaient un mille. Ils avaient aussi le petit stade, que d’Anville évalue à cinquante-sept toises.
  3. Les deux tiers des troupes entraient en campagne ; un tiers restait pour la garde des villes. (Scoliaste.)
  4. Trois millions deux cent quarante mille livres.
  5. Trente-deux millions quatre cent mille livres.
  6. Harpocration rapporte, d’après Héliodore, que les Propylées avaient coûté deux mille douze talens, ou dix millions soixante et quatre mille huit cents livres.
  7. Deux millions sept cent mille livres.
  8. Deux cent seize mille livres.
  9. Il faut compter vingt-sept stades, cinquante-une toises et demie pour une de nos lieues de deux mille cinq cent toises.
  10. Quand il s’agit d’Athènes, la déesse par excellence es Minerve, qui se nommait en grec Athéné.
  11. Le mois anthestérion répondait au mois pluviôse du calendrier républicain des français, c’est-à-dire aux mois de janvier et février.
  12. Pélasgicon était l’endroit où s’étaient anciennement établis les Pélasges pendant la guerre qu’ils avaient faite contre Athènes. Ils furent chassés et les Athéniens défendirent d’habiter désormais ce lieu.
  13. L’Attique était partagée en dix phylés ou tribus, qui étaient elles-mêmes subdivisées eu un plus ou moins grand nombre de dèmes.
  14. Seconde année de la quatre-vingt-septième olympiade, quatre cent trente-un ans avant l’ère vulgaire ; 26 juillet.
  15. Rhiti : c’était une source d’eau saumâtre : on la croyait produite par les eaux de l’Euripe qui filtraient par-dessous la terre. (Pausan. Attic.)
  16. Comme l’armée ennemie était nombreuse, Périclès, qui cherchait toujours à épargner le sang, ne voulut pas tenter le sort d’une bataille. Mais voyant que Plistoanax était fort jeune, et que les éphores lui avaient donné pour conseil un Lacédémonien nommé Cléandridas, il essaya de gagner ce dernier et parvint en effet à le corrompre par argent. Plisioanax, sur l’avis de Cléandridas, retira son armée : mais de retour à Sparte, les Lacédémoniens le condamnèrent à une amende si forte qu’il ne put la payer, et il fut obligé de quitter sa patrie : Cléandridas prit la fuite et fut condamné à mort. (Plut. Peric, tom. I, p. 362, édit. Lond.)
  17. Larisse était alors partagée entre deux factions, dont l’une favorable à la démocratie et l’autre à l’oligarchie. (Scol.) On peut être étonné que la dernière ne se fût pas déclarée pour les Lacédémoniens qui partout se montraient les protecteurs de l’aristocratie et de l’oligarchie.
  18. Cinq millions quatre cent mille livres.
  19. 3 aout.
  20. Les peltastes, que les Romains nommaient cetrati, étaient des troupes légères qui tiraient leur nom de leurs petits boucliers appelés peltæ. Ces boucliers étaient échancrés à la partie supérieure en forme de croissant, et avaient, dit Julius Pollux, la figure d’une feuille de lierre
  21. En septembre. Les Grecs ne comptaient alors que deux saisons ; la dernière partie du printemps et la première de l’automne appartenaient à l’été. Thucydide, au commencement de son quatrième livre, fait remarquer que l’on est en été, et il commence le paragraphe suivant par ces mots : Vers la même époque du printemps. Il dit au paragraphe cxvii du même livre : Dès le commencement du printemps de l’été suivant, et au dernier paragraphe : A la fin de l’hiver, lorsque déjà le printemps commençait. Toutes bizarres que puissent paraître dans notre langue ces manières de s’exprimer, j’ai cru devoir les adopter, parce qu’elles tiennent au costume du temps de Thucydide, et que le costume doit toujours être respecté. Les traducteurs se sont trop souvent permis de le changer, et par cette licence, ils donnent aux lecteurs des connaissances fausses ou imparfaites de l’antiquité.
  22. Après le 2 octobre.
  23. Ce faubourg était le Céramique.
  24. Périclès, au rapport de Plutarque, n’avait laissé par écrit que des plébiscites. Il était cependant l’orateur le plus éloquent de son temps ; mais on a lieu de présumer qu’alors les orateurs n’écrivaient point encore leurs discours. On avait retenu de l’oraison funèbre prononcée par Périclès une pensée qu’Aristote nous a conservée, et que n’a pas recueillie Thucydide ; c’est qu’enlever la jeunesse d’une république, c’est dépouiller l’année du printemps.
  25. La loi qui ordonnait de faire aux frais du public les funérailles des guerriers morts en combattant, remontait a une haute antiquité. On ajouta depuis à cette loi celle de faire l’éloge de ces guerriers, et cette nouvelle disposition a été attribuée à Solon.
  26. Il attaque en passant les Lacédémoniens, dont les lois n’étaient qu’une imitation de celles de Crète.
  27. Les Lacédémoniens étaient sans liberté dans la vie privée, ou plutôt leur vie était toute publique. Toujours ils étaient gênés, toujours éclairés dans toutes leurs actions. Ils ne voyaient dans leurs concitoyens que d’autres censeurs ; jamais ils ne cessaient d’être les esclaves de leurs sévères coutumes, et ce dur esclavage commençait à l’enfance.
  28. Thucydide oppose les coutumes hospitalières d’Athènes aux lois féroces des Lacédémoniens, qui repoussent de chez eux les étrangers. Un peu plus bas, il compare l’éducation douce des Athéniens aux durs exercices de la jeunesse lacedémonienne, et prouve que les Athéniens n’en sont pas moins courageux pour ne pas se refuser, à tous les âges, tous les agrémens de la vie.
  29. Ce sont toujours les mœurs des Lacédémoniens que Thucydide oppose à celles de sa patrie. Ainsi, contre l’opinion commune sur la pauvreté de Sparte, il reproche ici aux Lacédémoniens d’être riches, mais seulement pour tirer de l’orgueil de leur richesse, et non pour en faire usage.
  30. Le travail était honteux à Lacédémone : il était abandonné aux serf, hilotes et messéniens. Les femmes même auraient rougi de s’appliquer aux travaux de leur sexe.
  31. Les députés de Corinthe avaient reproché aux Lacédémoniens d’être au-dessous de leur renommée. (Liv. i,
  32. Seconde année de la guerre du Péloponnèse, seconde année de la quatre-vingt-septième olympiade, quatre cent trente-un an avant l’ère vulgaire. Après le 28 mars.
  33. La peste se nomme en grec loimos et la famine limos Il parait que, dès le temps de Thucydide, la prononciation de la diphthongue oi, et de la voyelle i, différait peu. Elle est absolument la même pour les Grecs modernes, et ils prononcent également limos, le mot qui signifie la peste et celui qui signifie la famine.
  34. C’était Apollon qui envoyait la peste et les morts subites. Il était donc venu au secours des Lacédémoniens en envoyant la peste à leurs ennemi.
  35. Seconde année de la guerre du Péloponnèse, troisième année de la quatre-vingt-septième olympiade, quatre cent trente ans avant l’ère vulgaire. Avant le 25 juin.
  36. Périclès entend par ce qui sera beau pour l’avenir, cette gloire qui ne sera jamais oubliée ; et par ce qui n’a rien de honteux pour le présent, la vaine haine qui poursuit les hommes ou les peuples qui se distinguent par de grandes choses : haine qui se dissipe bientôt, et que remplace l’admiration.
  37. fin de mai.
  38. Avant le 21 septembre.
  39. Il s’agit ici de la mort de sa mère Êriphile, tuée par Alcméon, son frère.
  40. Seconde année de la guerre du Péloponnèse, troisième année de la quatre-vingt-septième olympiade, quatre cent trente ans avant l’ère vulgaire. Avant le 16 mars.
  41. Dix millions huit cent mille livres.
  42. Après le 16 mars.
  43. C’est le devoir d’un traducteur de conserver le costume des anciens, et par conséquent de rendre leurs formules avec une exactitude scrupuleuse. Nous avons eu déjà occasion d’observer que manquer à cette loi, c’est ne donner qu’une idée imparfaite de l’antiquité. Cette formule, voilà ce qui nous plait, n’avait pas pour les Grecs toute l’insolence qu’elle aurait pour nous.
  44. Ces machines, que l’auteur ne nomme pas, étaient des béliers. Les madriers suspendus, que les assiégés lâchaient pour briser la tête des béliers, se nommaient des loups (Just. Lipsii Poliorceticôn, lib. v, dial. viii.
  45. Troisième année de la guerre du Péloponnèse, troisième année de la quatre-vingt-septième olympiade, quatre cent trente ans avant l’ère vulgaire. 6 juillet.
  46. Troisième année de la guerre du Péloponnèse, quatrième année de la quatre-vingt-septième olympiade, quatre cent vingt-neuf ans avant l’ère vulgaire. 19 septembre.
  47. A la fin de juillet.
  48. Septembre.
  49. Un peu plus de trois lieues.
  50. Un quart de lieue.
  51. Après le 8 octobre.
  52. Les Grecs se servaient pour signaux de torches que des hommes tenaient allumées sur les remparts. Si l’on voulait signifier l’arrivée d’un ennemi, on agitait les torches ; mais, pour marquer l’arrivée d’un secours, on les tenait tranquilles.
  53. Vingt-un millions six cent mille livres.
  54. Ces huit souverains avaient été Perdiccas, Arée ou Argée, Philippe, Æropus, Alcétas, Amyntas, Alexandre, Perdiccas.
  55. Novembre.
  56. Troisième année de la guerre du Péloponnèse, quatrième année de la quatre-vingt-septième olympiade, quatre cent vingt-neuf ans avant l’ère vulgaire. Après le mois de janvier et avant le mois d’avril.