Discours sur la constitution à donner à la France
Discours sur la constitution à donner à la France, Texte établi par Charles Vellay, Eugène Fasquelle, éditeur (L’Élite de la Révolution)Tome premier (p. 418-454).


XI

DISCOURS SUR LA CONSTITUTION À DONNER À LA FRANCE


Élue pour donner à la France une constitution définitive, la Convention avait commencé, dès le mois de février 1793, la discussion du projet présenté par Condorcet au nom du comité de constitution. Ce fut au cours de ces débais que, le 24 avril 1793, Saint-Just prononça, à la tribune de la Convention, le discours suivant, et présenta son Essai de constitution.


Tous les tyrans avaient les yeux sur nous, lorsque nous jugeâmes un de leurs pareils aujourd’hui que, par un destin plus doux, vous méditez la liberté du monde, les peuples, qui sont les véritables grands de la terre, vont vous contempler à leur tour.

Vous avez craint le jugement des hommes, quand vous fîtes périr un roi ; cette cause n’intéressait que votre orgueil : celle que vous allez agiter est plus touchante ; elle intéresse votre gloire la constitution sera votre réponse et votre manifeste sur la terre.

Qu’il me soit permis de vous présenter quelques idées pratiques. Le droit public est très étendu dans les livres ; ils ne nous apprennent rien sur l’application et sur ce qui nous convient.

L’Europe vous demandera la paix, le jour que vous aurez donné une Constitution au peuple français.

Le même jour, les divisions cesseront ; les factions, accablées, ploieront sous le joug de la liberté ; les citoyens retourneront à leurs ateliers, à leurs travaux, et la paix, régnant dans la République, fera trembler les rois.

Soit que vous fassiez la paix ou que vous fassiez la guerre, vous avez besoin d’un gouvernement vigoureux : un gouvernement faible et déréglé qui fait la guerre, ressemble à l’homme qui commet quelque excès avec un tempérament faible ; car en cet état de délicatesse où nous sommes, si je puis parler ainsi, le peuple français a moins d’énergie contre la violence du despotisme étranger ; les lois languissent, et la jalousie de la liberté a brisé ses armes. Le temps est venu de sevrer cette liberté et de la fonder sur ses bases. La paix et l’abondance, la vertu publique, la victoire, tout est dans la vigueur des lois ; hors des lois, tout est stérile et mort.

Tout peuple est propre à la vertu et propre à vaincre ; on ne l’y force pas, on l’y conduit par la sagesse. Le Français est facile à gouverner ; il lui faut une Constitution douce, sans qu’elle perde rien de sa rectitude. Ce peuple est vif et propre à la démocratie ; mais il ne doit pas être trop lassé par l’embarras des affaires publiques ; il doit être régi sans faiblesse, il doit l’être aussi sans contrainte.

En général, l’ordre ne résulte pas des mouvements qu’imprime la force. Rien n’est réglé que ce qui se meut par soi-même et obéit à sa propre harmonie ; la force ne doit qu’écarter ce qui est étranger à cette harmonie. Ce principe est applicable surtout à la constitution naturelle des empires. Les lois ne repoussent que le mal ; l’innocence et la vertu sont indépendantes sur la terre.

J’ai pensé que l’ordre social était dans la nature même des choses, et n’empruntait de l’esprit humain que le soin d’en mettre à leur place les éléments divers ; qu’un peuple pouvait être gouverné sans être assujetti, sans être licencieux, et sans être opprimé ; que l’homme naissait pour la paix et pour la liberté, et n’était malheureux et corrompu que par les lois insidieuses de la domination.

Alors j’imaginai que si l’on donnait à l’homme des lois selon la nature et son cœur, il cesserait d’être malheureux et corrompu.

Tous les arts ont produit leurs merveilles ; l’art de gouverner n’a produit que des monstres : c’est que nous avons cherché soigneusement nos plaisirs dans la nature, et nos principes dans notre orgueil.

Ainsi les peuples ont perdu leur liberté ; ils la recouvreront lorsque les législateurs n’établiront que des rapports de justice entre les hommes, en sorte que, le mal étant comme étranger à leur intérêt, l’intérêt immuable et déterminé de chacun soit la justice.

Cet ordre est plus facile qu’on ne pense à établir. L’ordre social précède l’ordre politique ; l’origine de celui-ci fut la résistance à la conquête. Les hommes d’une même société sont en paix naturellement ; la guerre n’est qu’entre les peuples, ou plutôt qu’entre ceux qui les dominent.

L’état social est le rapport des hommes entre eux ; l’état politique est le rapport de peuple à peuple.

Si l’on fait quelque attention à ce principe, et qu’on veuille en faire l’application, on trouve que la principale force du gouvernement a des rapports extérieurs, et qu’au dedans, la justice naturelle entre les hommes étant considérée comme le principe de leur société, le gouvernement est plutôt un ressort d’harmonie que d’autorité.

Il est donc nécessaire de séparer dans le gouvernement l’énergie dont il a besoin pour résister à la force extérieure, des moyens plus simples dont il a besoin pour gouverner.

L’origine de l’asservissement des peuples est la force complexe des gouvernements ; ils usèrent contre les peuples de la même puissance dont ils s’étaient servis contre leurs ennemis.

L’altération de l’âme humaine a fait naître d’autres idées ; on supposa l’homme farouche et meurtrier dans la nature pour acquérir le droit de l’asservir.

Ainsi, le principe de l’esclavage et du malheur de l’homme s’est consacré jusque dans son cœur : il s’est cru sauvage sur la foi des tyrans, et c’est par douceur qu’il a laissé supposer et dompter sa férocité.

Les hommes n’ont été sauvages qu’au jugement des oppresseurs ; ils n’étaient point farouches entre eux ; mais ceux aujourd’hui qui font la guerre à la liberté ne nous trouvent-ils point féroces parce que notre courage a voulu secouer leur règne ?

Permettez-moi de développer mes idées ; elles amènent ce pas où je dois conclure : je saurai les plier à l’ordre présent des choses, et je ne refuserai point à la loi la force dont elle a besoin en prenant l’homme tel qu’il est, mais je conçois un gouvernement vigoureux, et légitime : il ne faut point songer à la politique naturelle, et ce n’est point là mon idée.

Mais je combats ce prétexte pris par les tyrans, de la violence naturelle de l’homme, pour le dominer. Et si l’homme eût été si farouche, le domineraient-ils ? Et n’avons-nous pas tous une même nature ? Qui donc fut sage et fut policé le premier ? Quelle langue parla-t-il à des bêtes qui ne communiquaient point ? Et si elles communiquaient, l’ordre social n’avait-il pas précédé de longtemps l’ordre politique ?

Montesquieu regarde comme un signe de stupidité l’épouvante d’un sauvage trouvé dans les bois mais ce sauvage qu’il dit trembler et fuir en nous voyant, tremblerait-il et fuirait-il devant son espèce et sa langue ? Les bêtes féroces pourraient aussi nous croire des sauvages, lorsque nous tremblons et fuyons devant elles.

Les hommes n’abandonnèrent point spontanément l’état social : ce fut par une longue altération qu’ils arrivèrent à cette politesse sauvage de l’invention des tyrans.

Les anciens Francs, les anciens Germains, n’avaient presque point de magistrats : le peuple était prince et souverain mais quand les peuples perdirent le goût des assemblées pour négocier et conquérir, le prince se sépara du souverain, et le devint lui-même par usurpation.

Ici commence la vie politique.

On ne discerna plus alors l’état des citoyens ; il ne fut plus question que de l’état du maître.

Si vous voulez rendre l’homme à la liberté, ne faites des lois que pour lui, ne l’accablez point sous le faix du pouvoir. Le temps présent est plein d’illusion ; on croit que les oppresseurs ne renaitront plus : il vint des oppresseurs après Lycurgue, qui détruisirent son ouvrage. Si Lycurgue avait institué des Conventions à Lacédémone pour conserver sa liberté, ces mêmes oppresseurs eussent étouffé ces Conventions. Minos avait, par les lois mêmes, prescrit l’insurrection : les Crétois n’en furent pas moins assujettis : la liberté d’un peuple est dans la force et la durée de sa Constitution, sa liberté périt toujours avec elle, parce qu’elle périt par des tyrans qui deviennent plus forts que la liberté même.

Songez donc, Citoyens, à fortifier la Constitution contre ses pouvoirs et la corruption de ses principes. Toute sa faiblesse ne serait point au profit du peuple ; elle tournerait contre lui-même au profit de l’usurpateur.

Vous avez décrété qu’une génération ne pouvait point enchaîner l’autre ; mais les générations fluctuent entre elles ; elles sont toutes en minorité, et sont trop faibles pour réclamer leurs droits. Il ne suffit point de décréter les droits des hommes ; il se pourra qu’un tyran s’élève et s’arme même de ces droits contre le peuple ; et celui de tous les peuples le plus opprimé sera celui qui, par une tyrannie pleine de douceur, le serait au nom de ses propres droits. Sous une tyrannie aussi sainte, ce peuple n’oserait plus rien sans crime pour sa liberté. Le crime adroit plus s’érigerait en une sorte de religion, et les fripons seraient dans l’arche sacrée.

Nous n’avons point à craindre maintenant une violente domination l’oppression sera plus dangereuse et plus délicate. Rien ne garantira le peuple qu’une Constitution forte et durable, et que le gouvernement ne pourra ébranler.

Le législateur commande à l’avenir ; il ne lui sert de rien d’être faible : c’est à lui de vouloir le bien et de le perpétuer ; c’est à lui de rendre les hommes ce qu’il veut qu’ils soient : selon que les lois animent le corps social, inerte par lui-même, il en résulte les vertus ou les crimes, les bonnes mœurs ou la férocité. La vertu de Lacédémone était dans le cœur de Lycurgue, et l’inconstance des Crétois dans le cœur de Minos.

Notre corruption dans la monarchie fut dans le cœur de tous ses rois : la corruption n’est point naturelle aux peuples.

Mais lorsqu’une révolution change tout à coup un peuple, et qu’en le prenant tel qu’il est on essaye de le réformer, il se faut ployer à ses faiblesses, et le soumettre avec discernement au génie de l’institution ; il ne faut point faire qu’il convienne aux lois, il vaut mieux faire en sorte que les lois lui conviennent. Notre Constitution doit être propre au peuple français. Les mauvaises lois l’ont soumis longtemps au gouvernement d’un seul : c’est un végetal transplanté dans un autre hémisphère, qu’il faut que l’art aide à produire des fruits mûrs sous un climat nouveau.

Il faut dire un mot de la nature de la législation.

Il y a deux manières de l’envisager ; elle gît en préceptes, elle gît en lois.

La législation en préceptes n’est point durable ; les préceptes sont les principes des lois ; ils ne sont pas les lois. Lorsqu’on déplace de leur sens ces deux idées, les droits et les devoirs du peuple et du magistrat sont dénués de sanction. Les lois, qui doivent être des rapports, ne sont plus que des leçons isolées, auxquelles la violence, à défaut d’harmonie, oblige tôt ou tard de se conformer ; et c’est ainsi que les principes de la liberté autorisent l’excès du pouvoir, faute de lois et d’application. Les droits de l’homme étaient dans la tête de Solon ; il ne les écrivit point, mais il les consacra et les rendit pratiques.

On a paru penser que cet ordre pratique devait résulter de l’instruction et des mœurs ; la science des mœurs est bien dans l’instruction ; les mœurs mêmes résultent de la nature du gouvernement.

Sous la monarchie, les principes des mœurs étaient consacrés comme une politesse de l’esprit ; et cependant tous ceux qui avaient appris ces principes sont aujourd’hui les ennemis du peuple et de la liberté. Aucune idée de justice n’atteignait le cœur. La tête pleine d’exemples de vertus, de traits de courage, de leçons et de vérités sublimes, on était un lâche, un méchant dans le monde ; le savoir était la gentillesse du vice, et la vertu semblait être le luxe du crime.

Le gouvernement entraînait tout ; tout allait se confondre dans l’idée du prince ; l’État était rempli de professions criminelles et honorables ; c’était pour elles que travaillait l’éducation. Dans une société pareille, où il ne fallait que des voleurs, des hommes faux, déterminés à tous les crimes, l’éducation qui consistait en préceptes était oubliée au moment même qu’on entrait dans le monde ; elle ne servait qu’à raffiner l’esprit aux dépens du cœur : alors, pour être un homme de bien, il fallait fouler aux pieds la nature. La loi faisait un crime des penchants les plus purs. Le sentiment et l’amitié étaient des ridicules. Pour être sage, il fallait être un monstre. La prudence, dans l’âge mûr, était la défiance de ses semblables, le désespoir du bien, la persuasion que tout allait et devait aller mal ; on ne vivait que pour tromper ou que pour l’être, et l’on regardait comme attachés à la nature humaine ces affreux travers qui ne dérivaient que du prince et de la nature du gouvernement.

La tyrannie déprave l’homme, et par une longue altération le rend à ses propres yeux incapable du bien. Ôtez la tyrannie du monde, vous y rétablirez la paix et la vertu.

La tyrannie est intéressée à la mollesse du peuple ; elle est intéressée aux crimes ; elle est de moitié dans toutes les bassesses et les attentats ; elle arma le fils contre le père par la loi civile, elle arme les morts contre les vivants ; tout est pression et répression. C’est elle qui assassine sur un chemin par le bras d’un voleur ; c’est elle qui corrompt les cœurs et les déprave sous le joug. Elle endort l’âme humaine. Si donc un pareil ordre de choses cesse, le peuple, qui n’a plus devant les yeux cet appareil du faste qui ne corrompt pas moins le pauvre que le riche, par l’envie, le fait s’avilir par l’appât du gain, ou le pousse à de lâches professions, ou le séduit ; le peuple alors se régénère et redevient lui-même.

De ce que je viens de dire, il dérive que la médiocrité de la personne qui gouverne est la source des mœurs et de la liberté dans un État ; il faut que ceux qui sont dépositaires de vos lois soient condamnés à la frugalité, afin que l’esprit et les goûts publics naissent de l’amour des lois et de la patrie.

Le peuple doit respecter les magistrats ; il ne doit ni les flatter ni les craindre, il ne doit point considérer les lois comme leur volonté, car bientôt les lois ne servent plus qu’à le réprimer au lieu de le conduire. Il ne suffit point de détourner l’attention du peuple de l’orgueil des magistrats pour l’appliquer aux lois ; il faut que l’intérêt public occupe aussi sans cesse son activité, car le législateur doit faire en sorte que tout le peuple marche dans le sens et vers le but qu’il s’est proposé.

La corruption chez un peuple est le fruit de la paresse et du pouvoir ; le principe des mœurs est que tout le monde travaille au profit de la patrie, et que personne ne soit asservi ni oisif.

Une monarchie se soutient tant que la moitié du peuple travaille, et tant que l’autre moitié a de l’économie au lieu de vertu.

La monarchie française a péri, parce que la classe riche a dégoûté l’autre du travail. Plus il y a de travail ou d’activité dans un État, plus cet État est affermi : aussi, la mesure de la liberté et des mœurs est-elle moindre dans le gouvernement d’un seul que dans celui de plusieurs, parce que dans le premier, le prince enrichit beaucoup de gens à rien faire, et que, dans le second, l’aristocratie répand moins de faveurs ; et de même dans le gouvernement populaire, les mœurs s’établissent d’elles-mêmes, parce que le magistrat ne corrompt personne, que tout le monde y est libre et y travaille.

Si vous voulez savoir combien de temps doit durer votre République, calculez la somme de travail que vous y pouvez introduire, et le degré de modestie compatible avec l’énergie du magistrat dans un grand domaine.

Dans la Constitution qu’on vous a présentée, ceci soit dit sans offenser le mérite, que je ne sais ni outrager ni flatter, il y a peut-être plus de préceptes que de lois, plus de pouvoirs que d’harmonie, plus de mouvements que de démocratie. Elle est l’image sacrée de la liberté, elle n’est point la liberté même. Voici son plan : une représentation fédérative qui fait les lois, un conseil représentatif qui les exécute. Une représentation générale, formée des représentations particulières de chacun des départements, n’est plus une représentation, mais un congrès : des ministres qui exécutent les lois ne peuvent point devenir un conseil ; ce conseil est contre nature ; les ministres exécutent en particulier ce qu’ils délibèrent en commun, et peuvent transiger sans cesse : ce conseil est le ministre de ses propres volontés ; sa vigilance sur lui-même est illusoire.

Un conseil et des ministres sont deux choses hétérogènes et séparées : si on les confond, le peuple doit chercher des dieux pour être ses ministres, car le conseil rend les ministres inviolables, et les ministres rendent le peuple sans garantie contre le conseil. La mobilité de ce double caractère en fait une arme à deux tranchants l’un menace la représentation, l’autre les citoyens ; chaque ministre trouve dans le conseil des voix toujours prêtes à consacrer réciproquement l’injustice. L’autorité qui exécute gagne peu à peu dans le gouvernement le plus libre qu’on puisse imaginer ; mais, si cette autorité délibère et exécute, elle est bientôt une indépendance. Les tyrans divisent le peuple pour régner ; divisez le pouvoir si vous voulez que la liberté règne à son tour : la royauté n’est pas le gouvernement d’un seul, elle est dans toute puissance qui délibère et qui gouverne ; que la Constitution qu’on vous présente soit établie deux ans, et la représentation nationale n’aura plus le prestige que vous lui voyez aujourd’hui ; elle suspendra ses sessions lorsqu’il n’y aura plus matière à législation alors, je ne vois plus que le conseil sans règle et sans frein.

Ce conseil est nommé par le souverain ; ses membres sont les seuls et véritables représentants du peuple. Tous les moyens de corruption sont dans leurs mains, les armées sont sous leur empire, l’opinion publique est ralliée facilement à leurs attentats par l’abus légal qu’ils font des lois ; l’esprit public est dans leurs mains avec tous les moyens de contrainte et de séduction considérez, en outre, que par la nature du scrutin de présentation et d’épuration qui les a formés, cette royauté de ministres n’appartient qu’à des gens célèbres ; et si vous considérez de quel poids est leur autorité, combinée sur leur caractère de représentation, sur leur puissance, sur leur influence personnelle, sur la rectitude de leur pouvoir immédiat, sur la volonté générale qui les constitue et qu’ils peuvent opposer sans cesse à la résistance particulière de chacun ; si vous considérez le corps législatif dépouillé de tout ce prestige : quelle est alors la garantie de la liberté ? Vous avez éprouvé quels changements peuvent s’opérer en six mois dans un empire : et qui peut vous répondre, dans six mois, de la liberté publique, abandonnée à la fortune comme un enfant et son berceau sur l’onde :

Car il serait possible de vous donner une Constitution libre, qui fut une transition flatteuse et triomphante à l’esclavage.

Une Constitution faible en ce moment peut entraîner de grands malheurs et de nouvelles révolutions funestes à la liberté. Il faut un ouvrage durable.

Si la République n’était point renversée, il s’établirait sous vingt ans un patriciat avec un conseil de ministres : les hommes célèbres et leurs familles ensuite arriveraient seuls au ministère ; car le concours de tant de suffrages, sur un aussi petit nombre d’hommes, le respect qu’on porterait bientôt à ceux qui auraient été revêtus de pareils pouvoirs, leur jalousie, leur ambition : tont écarterait le peuple de ces emplois. Le même inconvénient n’existe point par rapport aux législatures ; elles sont plus nombreuses ; elles ne manient point les deniers publics : leur caractère est moins politique. Vous avez aboli l’hérédité des magistratures ; mais dans quinze ans où serez-vous ? Et qui sait si vous ne seriez point alors proscrits vous-mêmes par ces ouvrages de vos mains, et si vous ne seriez point poursuivis comme rebelles ? La garantie d’une Constitution n’est point ailleurs que dans elle-même ; une Constitution faible ne durera point ; elle aplanira la voie au despotisme, qui étouffera l’insurrection, et, sous prétexte de préparer la liberté du peuple, préparera le retour facile et l’impunité des tyrans.

Tel est le spectacle que me présente dans l’avenir une puissance exécutrice, maîtresse de la République, contre laquelle la liberté est dénuée de sanction. Si je considère la représentation nationale telle que le comité l’a conçue, je le répète, elle ne me semble qu’un congrès.

Le conseil des ministres est en quelque sorte nommé par la République entière ; la représentation est formée par département. N’aurait-il pas été plus naturel que la représentation, gardienne de l’unité de l’État, et dépositaire suprême des lois, fût élue par le peuple en corps, et le conseil de toute autre manière pour sa subordination et la facilité des suffrages ?

Au contraire, le conseil des ministres, élu par la République, la représente et devient le premier corps ; le congrès législatif, nommé par les départements, n’est que mandataire du peuple, et dans l’ordre moral tient le second rang. Lorsque j’ai lu, avec l’attention dont elle est digne, l’exposition des principes et des motifs de la Constitution offerte par le comité, comme le principe de la législation dans un État libre est la volonté générale, et que le principe détermine tout, j’ai cherché dans cette exposition quelle idée on avait eue de la volonté générale, parce que de cette idée seule dérivait tout le reste.

La volonté générale, proprement dite, et dans la langue de la liberté, se forme de la majorité des volontés particulières, individuellement recueillies sans une influence étrangère la loi, ainsi formée, consacre nécessairement l’intérêt général, parce que, chacun réglant sa volonté sur son intérêt, de la majorité des volontés a dû résulter celle des intérêts.

Il m’a paru que le comité avait considéré la volonté générale sous son rapport intellectuel ; en sorte que la volonté générale, purement spéculative, résultant plutôt des vues de l’esprit que de l’intérêt du corps social, les lois étaient l’expression du goût plutôt que de la volonté générale.

Sous ce rapport, la volonté générale est dépravée : la liberté n’appartient plus en effet au peuple ; elle est une loi étrangère à la prospérité publique ; c’est Athènes votant vers sa fin, sans démocratie, et décrétant la perte de sa liberté.

Cette idée de la volonté générale, si elle fait fortune sur la terre, en bannira la liberté ; cette liberté sortira du cœur et deviendra le goût mobile de l’esprit : la liberté sera conçue sous toutes les formes de gouvernement possibles ; car dans l’imagination, tout perd ses formes naturelles et tout s’altère, et l’on y crée des libertés comme les yeux créent des figures dans les nuages. En restreignant donc la volonté générale à son véritable principe, elle est la volonté matérielle du peuple, sa volonté simultanée ; elle a pour but de consacrer l’intérêt actif du plus grand nombre, et non son intérêt passif.

Rousseau, qui écrivait avec son cœur, et qui voulait au monde tout le bien qu’il n’a pu que dire, ne songeait point qu’en établissant la volonté générale pour principe des lois, la volonté générale pût jamais avoir un principe étranger à elle-même.

Il ne tient qu’à vous de faire en sorte que dans vingt ans le trône soit rétabli par les fluctuations et les illusions offertes à la volonté générale devenue spéculative.

Si vous voulez la république, attachez-vous au peuple, et ne faites rien que pour lui ; la forme de son bonheur est simple, et le bonheur n’est pas plus loin des peuples qu’il n’est loin de l’homme privé.

Le gouvernement le plus simple n’est pas toujours celui qui semble l’être. Le gouvernement du Japon est simple aussi ; mais le peuple y est accablé. Un gouvernement simple est celui où le peuple est indépendant sous des lois justes et garanties, et où le peuple n’a pas besoin de résister à l’oppression, parce qu’on ne peut point l’opprimer : aussitôt qu’on peut l’opprimer, il est opprimé et languit longtemps sous l’esclavage avant de parvenir à briser ses fers. Il est possible qu’on accorde au peuple le droit de résister à l’oppression, mais à condition qu’on établit ensuite une résistance plus forte au peuple et à sa liberté.

Un sultan pourrait présenter son peuple un code de ses droits, mais il lui dirait : Ma volonté est que ces droits soient respectés, et si quelqu’un de vous offense ma volonté de vous rendre libres, je le ferai mourir.

La liberté ne doit pas être dans un livre, elle doit être dans le peuple, et réduite en pratique.

La Constitution des Français doit consumer le ridicule de la royauté dans toute l’Europe, en la montrant dénuée de mission, de représentation, de moralité ; elle doit être simple, facile à établir, à exécuter et à répandre. La morale est plus forte que les tyrans ; toutes ses nouveautés ont couvert le monde, quand les formes en étaient simples ; les révolutions arrivées dans l’esprit humain dévorent ceux qui les combattent. On creva l’œil à Lycurgue, dans Lacédémone on suivit ses lois ; les tyrans combattent contre vous, ils subiront les vôtres.

Bientôt les nations éclairées feront le procès à ceux qui ont régné sur elles ; les rois fuiront dans les déserts, parmi les animaux féroces leurs semblables, et la nature reprendra ses droits.

Tout cela doit être le fruit des lois que vous nous donnerez. Non, vous ne laisserez rien subsister qui soit un germe d’assujettissement et d’usurpation ; toutes les pierres sont taillées pour l’édifice de la liberté : vous lui pouvez bâtir un temple ou un tombeau des mêmes pierres.

Il y a peu d’hommes qui n’aient un penchant secret vers la fortune. Les calculs de l’ambition sont impénétrables ; rompez, rompez tous les chemins qui mènent au crime. Les époques ont été rares dans le monde, où la vertu a pu donner aux hommes des lois qui les affranchissent ; n’en perdez point l’occasion : il est peu d’hommes qui veulent du bien au peuple pour lui-même ; l’orgueil et l’ambition ont fait beaucoup de choses sur la terre : son ouvrage est mort avec elle. Vous, enfin, vous travaillerez pour l’humanité ; vous serez les premiers, car depuis longtemps on a tout fait contre elle ; et que de vertus ont emporté leur secret ! Le mépris des principes doit être la mesure des prétentions cachées : je reviens naturellement à ce que je disais.

Je regarde comme le principe fondamental de notre république, que la représentation nationale y doit être élue par le peuple en corps.

Celui qui n’est pas élu immédiatement par le peuple ne le représente pas. Lorsque je parle de la représentation du peuple, je n’entends point que sa souveraineté soit représentée on délibère simplement à sa place, et le peuple refuse ou il accepte.

Celui qui n’est pas nommé dans le concours simultané de la volonté générale, ne représente que la portion du peuple qui l’a nommé ; et les divers représentants de ces fractions, s’ils se rassemblent pour représenter le tout, sont isolés, sans liaison dans leurs suffrages, et ne forment point de majorité légitime. La volonté générale est indivisible, vous l’avez déclaré vous-mêmes avant-hier : cette volonté ne s’applique pas seulement aux lois, elle s’applique à la représentation ; et cela doit être, puisqu’elle délibère à la place du peuple dans les actes ordinaires, où sa voix n’est point entendue. La représentation et la loi ont donc un principe commun. Celle-là ne peut émaner ni du territoire ni de la population divisée et représentée par nombres ; celle-ci ne peut émaner d’une représentation fédérative, même dans les actes ordinaires, car la majorité d’un congrès n’a d’autorité que par l’adhésion volontaire des parties de l’empire, et le souverain n’existe plus, car il est divisé.

Ainsi les représentants sortent du recensement de la volonté générale, par ordre de majorités.

Selon ce que j’ai précédemment établi, les ministres de l’exécution ne peuvent point former un conseil.

Le conseil est un corps intermédiaire entre la représentation et les ministres, pour la garantie du peuple : cette garantie n’existe plus si les ministres et le conseil ne sont séparés.

Le conseil, dans ses actes, ne porte point de caractère de représentation : on ne représente point le peuple dans l’exécution de sa volonté ; et si le conseil est élu par la volonté générale, l’autorité devient dangereuse et redoutable, érigée en représentation : je crois donc que les membres du conseil doivent être élus par les départements ; l’a ce conseil indivisible concourt à l’unité de la république, par la concentration du gouvernement.

L’unité de la république est conservée par l’unité du gouvernement ; mais elle ne peut être garantie que par l’exercice de la volonté générale et l’unité de la représentation. En subordonnant ainsi le conseil vous lui pouvez confier sans péril la garde des lois fondamentales sans qu’il puisse jamais les enfreindre.

Tout congrès rend la constitution fédérative ; et quoi qu’on fasse, quoi qu’on feigne et imagine, la république doit se dissoudre un jour, et sa perte sortir du congrès représentatif.

Tels sont les principes d’une constitution balancée par son propre poids : quelque mérite que puisse avoir d’ailleurs une constitution, elle ne peut durer longtemps si la volonté générale n’est point exactement appliquée à la formation des lois et de la représentation, et si elle est appliquée à des autorités qu’elle rend rivales de la représentation et de la loi.

Permettez-moi de vous présenter un faible essai, conçu selon ce principe : il peut donner d’autres idées à ceux qui pensent mieux que moi.


ESSAI DE CONSTITUTION
On ne peut pas régner innocemment.
Dispositions fondamentales.

Art. 1er. — La constitution d’un État consiste dans l’application des droits et des devoirs légitimes des hommes. Tout peuple chez lequel l’exercice et la garantie de ces mêmes droits, de ces mêmes devoirs, n’est pas le principe de l’ordre social, n’a point de constitution.

Art. 2. — Les représentants du peuple, les magistrats, ne sont point au-dessus des citoyens. La subordination établie pour l’harmonie du gouvernement n’est pas prééminence ; toute puissance est dans les lois, et toute dignité dans les nations.

Art. 3. — Les citoyens sont inviolables et sacrés entre eux ils ne peuvent, dans aucun cas, se contraindre que. par la loi.

Art. 4. — Les étrangers, la foi du commerce et des traités, l’hospitalité, la paix, la souveraineté des peuples sont choses sacrées. La patrie d’un peuple libre est ouverte à tous les hommes de la terre.

Art. 5. — Le pouvoir de l’homme est injuste et tyrannique : le pouvoir légitime est dans les lois.


ESSAI DE CONSTITUTION POUR LA FRANCE
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE PREMIER
De la nature du gouvernement.

Art. 1er. — La France est une République ; sa constitution est représentative : la représentation nationale ne résulte point de la division du territoire, ni du vœu séparé des parties de la population ; elle émane expressément de la volonté générale.

La volonté générale est indivisible ; elle est recensée en commun.

La représentation nationale est essentiellement délibérante.

Art. 2. — La République est une et indivisible.

Art. 3. — La représentation nationale, le gouvernement, le commandement des armées, les magistratures, sont temporaires.

Art. 4. — Le peuple français est représenté par une Assemblée nationale qui fait les lois.

Art. 5. — Le gouvernement est délégué à un conseil qui fait exécuter les lois.

Art. 6. — Le conseil fait exécuter les lois par ses ministres et ses agents.

Art. 7. — L’administration locale est exercée sous la vigilance du conseil, par des directoires, et sous la vigilance des directoires par des conseils de communautés.

Art. 8. — Les membres du conseil de la République, les ministres, les administrateurs, sont les mandataires de la nation ; ils ne la représentent point.

Art. 9. — Les représentants du peuple sont élus immédiatement par lui ; ses mandataires sont nommés par des assemblées secondaires, selon le mode qui sera déterminé par la constitution.


CHAPITRE II
De la division de la France.

Art. 1er. — Le territoire est sous la garantie et la protection du souverain ; il est indivisible comme lui.

Art. 2. — La division de l’État n’est point dans le territoire, cette division est dans la population ; elle est établie pour l’exercice des droits du peuple, pour l’exercice et l’unité du gouvernement.

Art. 3. — La division de la France en départements est maintenue chaque département a un chef-lieu central.

Art. 4. — La population de chaque département est divisée en trois arrondissements ; chaque arrondissement a un chef-lieu central.

Art. 5. — La population des villes et des campagnes que renferme un arrondissement est divisée en communes de 6 à 800 votants ; chaque commune a un chef-lieu central.

Art. 6. — La souveraineté de la nation réside dans les communes.


CHAPITRE III
De l'état des citoyens.

Art. 1er. — Tout homme âgé de vingt-et-un ans, et domicilié depuis un an et un jour dans la même commune, a droit de voter dans les assemblées du peuple.

Art. 2. — Tout homme âgé de vingt-cinq ans, et domicilié depuis un an et un jour dans la même commune, est éligible à tous les emplois.

Art. 3. — La loi ne reconnaît pas de maître entre les citoyens ; elle ne reconnaît point de domesticité. Elle reconnaît un engagement égal et sacré de soins entre l’homme qui travaille et celui qui le paie.

Art. 4. — Les fonctionnaires publics, les militaires hors de leurs foyers, les représentants du peuple, les membres du conseil, les ministres, sont suspendus du droit de voter pendant la durée de leurs fonctions.

Art. 5. — Tout homme a droit de pétition devant l’Assemblée nationale ; un pétitionnaire ne peut être inquiété en raison de son opinion. Si l’Assemblée nationale refuse de l’entendre, il est opprimé ; le peuple a le droit d’ôter sa confiance à ceux qui ne se sont point déclarés ouvertement contre cette violation des droits de l’homme.


CHAPITRE IV
Des élections.

Art. 1er. — Les communes et les assemblées secondaires se forment de la manière suivante :

Art. 2. — Le plus ancien d’âge est président ; les trois plus anciens d’âge, après lui, sont scrutateurs ; le plus jeune est secrétaire provisoirement.

Art. 3. — Les assemblées nomment ensuite, à la majorité absolue des voix, un président, trois scrutateurs et un secrétaire.

Art. 4. — Tous les suffrages sont donnés à voix haute.

Art. 5. — Nul ne se fait représenter dans les communes et dans les assemblées secondaires ; l’absence, sans cause légitime, est un déshonneur.

Art. 6. — Les absents, sans cause légitime, sont condamnés par les assemblées à une amende, qui ne peut excéder 100 livres.

Art. 7. — Les contestations élevées entre des citoyens dans les communes et les assemblées secondaires sont portées devant les juges de leur attribution.


CHAPITRE V
De l’Assemblée nationale et des communes.

Art. 1er. — L’Assemblée nationale est une et indivisible.

Art. 2. — Tous les actes d’une portion d’elle-même, séparée de sa majorité, sont nuls.

Art. 3. — Elle est formée pour deux ans : chaque période est une législature.

Art. 4. — Le nombre des représentants est de 341.

Art. 5. — Les communes s’assemblent de droit tous les deux ans, le 1er de mai, pour renouveler l’Assemblée nationale.

Art. 6. — Le conseil proclame l’époque du renouvellement des législatures.

Art. 7. — Chaque citoyen donne son suffrage pour le choix d’un représentant la représentation est formée par un seul scrutin du peuple ; chaque citoyen donne son suffrage pour l’élection d’un seul représentant.

L’élection est fermée de droit le 4 de mai ; après ce terme les suffrages pour l’élection des représentants ne sont plus comptés.

Art. 8. — Les présidents des communes font passer aux directoires d’arrondissements la liste des suffrages, signée d’eux, des scrutateurs et du secrétaire.

Art. 9. — Les directoires font passer au ministre des suffrages, dont il sera parlé ci-après, le recensement total des arrondissements respectifs.

Art. 10. — Les directoires rendent les recensements publics.

Art. 11. — Le ministre des suffrages présente à l’Assemblée nationale, au nom du conseil, le recensement général par ordre de majorité. Ce recensement est signé du ministre des suffrages, sous sa responsabilité ; il est déposé aux archives du conseil.

Art. 12. — Les 341 citoyens qui ont obtenu le plus de suffrages dans la République sont proclamés représentants du peuple par le président de l’Assemblée nationale.

Art. 13. — Le recensement général est rendu public.

Art. 14. — Si les suffrages sont partagés, le plus âgé est préféré.

Art. 15. — Les communes ne peuvent interdire un citoyen du droit de suffrage, hors des cas déterminés par la constitution.

Art. 16. — Pendant le cours d’une législature, tout citoyen a le droit de proposer des candidats pour la législature suivante : on a le droit de les censurer publiquement.


CHAPITRE VI
Du régime de l’Assemblée nationale.

Art. 1er. — Les citoyens élus à l’Assemblée nationale en sont prévenus par une proclamation du conseil.

Art. 2. — Ils se réunissent le 20 de mai dans le lieu des séances de l’Assemblée précédente.

Art. 3. — L’Assemblée est provisoirement installée et présidée par le plus âgé de l’Assemblée précédente ; il lui met sous les yeux l’état et les comptes de la République.

Art. 4. — Le plus jeune de l’assemblée remplit provisoirement les fonctions de secrétaire.

Art. 5. — L'Assemblée élit ensuite à voix haute son président et quatre secrétaires; ils sont proclamés par le président provisoire.

Art. 6. — Les séances de l'Assemblée nationale sont publiques.

Art. 7. — Elle peut suspendre ses séances et s'ajourner; elle ne peut point se dissoudre.

Art. 8. — Son président est élu pour quinze jours; ses secrétaires sont renouvelés tous les mois.

Art. 9. — Lorsque l'Assemblée nationale se réunit, après s'être ajournée, le plus âgé remplit les fonctions de président, le plus jeune celles de secrétaire, provisoirement.

Art. 10. — L'Assemblée nationale ne peut se séparer sans s'ajourner.

Art. 11. — Lorsque l'Assemblée nationale ne se trouve point complète, vingt jours après une proclamation par laquelle elle rappelle tous ses membres, elle mande irrévocablement à la place des absents sans cause légitime autant de suppléants pris à la suite des 341, dans l'ordre du recensement général; tout remplacement s'effectue de la même manière dans l'ordre du recensement. Si la liste se trouve épuisée, le peuple est convoqué.

Art. 12. — L'Assemblée nationale ne peut, dans aucun cas, se diviser en comités; elle délibère sur la proposition de ses membres, dans l'ordre où ces propositions lui sont soumises.

Art. 13. — Dans les intervalles de leur session, les membres de l'Assemblée nationale ne peuvent être arbitres ni jurés: ils ne peuvent remplir aucune fonction civile ou militaire; ils ne peuvent voter.

Art. 14. — Les décrets et actes de l'Assemblée nationale ne peuvent être exécutés, s'ils n'ont été lus trois fois à trois jours différents, et si le nombre des votants a été moindre de 251.

Art. 15. — L'Assemblée nationale ne peut nommer de commissions particulières prises dans son sein, si ce n'est pour lui rendre un compte particulier; elle ne peut déléguer des fonctions, créer d’attributions, ni violer celles qui existent.

Art. 16. — Les suffrages sont donnés à voix haute dans l’Assemblée nationale : toute autre manière d’y recueillir les voix est interdite.

Art. 17. — L’Assemblée nationale a le droit de censure sur la conduite de ses membres dans son sein ; elle n’a point ce droit sur leurs opinions. Elle n’a point le droit d’accuser ses membres ; si on les accuse devant elle, elle les renvoie, s’il y a lieu, devant un tribunal.

Elle ne peut ôter la parole à ses membres, dans l’ordre où ils l’ont obtenue ; elle ne peut refuser d’aller aux voix le lendemain sur leur proposition ; elle ne peut les priver du droit de suffrages ; elle ne peut délibérer secrètement.

Art. 18. — Les membres de l’Assemblée nationale ne peuvent être réélus qu’après l’intervalle de deux ans ; ils peuvent être élus à tout autre emploi. Ils ne peuvent être recherchés par qui que ce soit, à raison des opinions qu’ils ont manifestées dans les législatures.


CHAPITRE VII
Des fonctions de l’Assemblée nationale.

Art. 1er. — L’Assemblée nationale ratifie les déclarations de guerre, elle ratifie les traités, elle ratifie le choix des ambassadeurs.

Art. 2. — Elle élit, destitue, accuse devant les cours criminelles de la République les généraux de terre et de mer ; elle accuse les ministres, les agents de l’administration générale ; elle renvoie devant une cour criminelle ses membres et ceux du conseil, accusés devant elle.

Art. 3. — Elle aliène les propriétés nationales, décrète les contributions publiques, détermine leur quotité, leur nature, leur durée, le mode de leur recouvrement.

Elle décerne les pensions, les récompenses, les honneurs à la mémoire des grands hommes, le triomphe aux armées.

Elle détermine la forme, le titre, le poids, l’empreinte des monnaies.

Elle permet ou refuse le passage aux troupes étrangères sur le territoire de la République.

Art. 4. — L’Assemblée nationale ne peut par aucun traité changer les lois de la République, céder une partie du territoire, engager la République à payer tribut, ni livrer un homme.

Art. 5. — Elle licencie les armées.

Art. 6. — Tous les actes publics et correspondances officielles portent le nom des législatures.


CHAPITRE VIII
Des assemblées secondaires.

Art. 1er. — Les membres des communes, après avoir donné leur voix pour le choix des représentants, élisent dans la même forme et avant de se séparer un électeur, à raison de 200 votants dans la commune, présents ou absents ; les nombres rompus, qui excéderont 50 votants, donneront un électeur de plus.

Art. 2. — Les électeurs s’assemblent, sur la convocation de l’Assemblée nationale, aux chefs-lieux des départements respectifs, pour renouveler ou remplacer les membres du conseil et leurs suppléants.

Art. 3. — Les assemblées secondaires ne délibèrent que sur le choix des magistrats et la police de leur sein.

Art. 4. — L’indemnité due aux électeurs est fixée tous les ans par un décret des législatures.

Art. 5. — Les électeurs sont renouvelés tous les ans au mois de mai.


CHAPITRE IX
Du conseil.

Art. 1er. — Le conseil est un et indivisible : il est permanent.

Art. 2. — Il est composé d’un membre et de deux suppléants par chacun des départements.

Art. 2. — La session du conseil est de trois ans. Les assemblées secondaires se réunissent le 15 novembre pour le renouveler.

Art. 4. — Les membres du conseil ne peuvent être réélus qu'après l'intervalle de trois ans. Ils peuvent être élus à tout autre emploi.


CHAPITRE X
Du régime du conseil.

Art. 1er. — Les membres nommés au conseil se réunissent le 1er janvier dans le lieu des séances du conseil précédent.

Art. 2. — Le plus ancien du conseil précédent installe et préside provisoirement le nouveau conseil; il lui met sous les yeux l'état et les comptes de la République; le plus jeune des nouveaux membres remplit provisoirement les fonctions de secrétaire.

Art. 3. — Le conseil nomme ensuite à voix haute son président et deux secrétaires; le président est renouvelé tous les quinze jours; les secrétaires sont renouvelés tous les mois.

Art. 4. — Le conseil ne peut suspendre sa session; il ne peut se dissoudre, il ne peut être dissous.

Art. 5. — Les séances du conseil sont publiques.

Art. 6. — Dans toutes les délibérations du conseil, les suffrages sont donnés à voix haute.

Art. 7. — Le conseil ne peut se former en comité; il délibère sur la proposition de ses membres dans l'ordre où ces propositions sont soumises. Le conseil a droit de censure sur la conduite de ses membres dans son sein; il n'a point ce droit sur leurs opinions; il les accuse devant l'Assemblée nationale, qui les renvoie, s'il y a lieu, devant un tribunal.


CHAPITRE XI
Des fonctions du conseil.

Art. 1er. — Le conseil est chargé de l'exécution des lois, des décrets et actes des législatures; l'activité, la fidélité du recensement des suffrages est confiée à sa vigilance.

Art. 2. — Il dirige les opérations de la guerre ; il reçoit et nomme les ambassadeurs ; il propose à l’Assemblée nationale la paix et la guerre, les traités, les dépenses publiques, les levées des troupes, la somme des contributions ; il fait fabriquer les monnaies ; il surveille la liberté intérieure et extérieure du commerce, l’exécution des traités et des engagements publics ; il correspond avec les gouvernements étrangers et les colonies.

Art. 3. — Il ne nomme, il ne destitue aucun chef militaire ; il nomme et destitue les agents de l’administration militaire ; il nomme au service des postes, des ports, des douanes.

Art. 4. — La liste de tous les agents employés par le conseil est rendue publique ; tout citoyen a le droit de censure sur eux : il peut les accuser devant l’Assemblée nationale ; il peut accuser les membres du conseil devant l’Assemblée nationale. Le conseil accuse ses ministres et ses agents devant l’Assemblée nationale.

Art. 5. — Le conseil protège l’agriculture, il entretient l’abondance, il répartit les contributions directes, il présente à l’Assemblée nationale les vues d’amélioration, les récompenses et indemnités à accorder.

Il veille à l’entretien des routes, des postes, des fortifications, de la navigation intérieure, des mines, des forêts, des propriétés nationales ; il surveille la fabrication des armes, des poudres.

Art. 6. — Il dispose le triomphe des armées, il protège les arts, les talents, les institutions publiques.

Art. 7. — Le conseil n’agit qu’en vertu des lois et des décrets de l’Assemblée nationale ; il est seul chargé de l’administration générale ; il ne peut connaître des conventions entre particuliers, ni de l’état des citoyens.

Art. 8. — Le conseil emploie les généraux nommés par l’Assemblée nationale ; il ne les accuse que devant elle.


CHAPITRE XII
Des ministres.

Art. 1er. — Les ministres n’exécutent que les délibérations du conseil.

Art. 2. — Les ministres sont élus par le conseil, à la majorité absolue des voix.

Art. 3. — Les ministres ne forment point un conseil ; ils sont séparés et sans rapport entre eux.

Art. 4. — Il y a un ministre des armées de terre ;

Un ministre des armées de mer ;

Un ministre des affaires étrangères ;

Un ministre du commerce et des subsistances ;

Un ministre de la police générale ;

Un ministre des suffrages et des lois ;

Un ministre des finances ;

Un ministre des comptes ;

Un ministre du Trésor public.

Art. 5. — Les ministres sont nommés et révoqués par le conseil ; ils ont une place particulière dans le lieu de ses séances ; ils y ont voix consultative.

Le conseil ne délibère point en leur présence.

Art. 6. — Les ministres n’exercent aucune autorité personnelle.


CHAPITRE XIII
Des rapports du conseil et de l’Assemblée nationale.

Art. 1er. — L’Assemblée nationale et le conseil sont dépositaires de la constitution.

Art. 2. — Aussitôt que les membres du conseil sont installés, ils en donnent avis à l’Assemblée nationale par un message de six membres.

Art. 3. — L’Assemblée nationale appelle le conseil dans son sein toutes les fois qu’elle le juge convenable.

Art. 4. — Le conseil a, dans le lieu des séances de l’Assemblée nationale, une place distinctive et séparée.

Art. 5. — Le conseil réside près des législatures ; il les convoque dans des temps de calamités, et en cas de guerre.

Art. 6. — L’Assemblée nationale charge le conseil de proposer la paix.

Art. 7. — Les décrets de l’Assemblée nationale sont présentés au conseil par le ministre des lois ; le conseil les fait enregistrer et exécuter.

Art. 8. — Le conseil peut renvoyer le décret au peuple, s’il est contraire au texte précis de la déclaration des droits de l’homme, et si le nombre des votants dans l’Assemblée nationale a été moindre de 251.

Le conseil ne peut dans aucun autre cas suspendre l’exécution des lois.

Art. 9. — Lorsque le conseil a délibéré de renvoyer au peuple, il se rend dans le sein de l’Assemblée nationale ; le président du conseil motive le renvoi, et prononce cette formule : que le peuple soit entendu ; le conseil se retire à l’instant.

Art. 10. — L’Assemblée nationale peut rapporter le décret ou le proposer au peuple de la manière qui sera déterminée ci-après.

Art. 11. — L’Assemblée nationale et le conseil ne peuvent délibérer en présence l’un de l’autre : le président de l’Assemblée nationale est couvert.


CHAPITRE XIV
De la sanction des lois, du vœu des communes et des conventions.
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Art. 1er. — Les actes accidentels de législation nécessités par les événements et par l’administration publique ne sont point sanctionnés par le peuple.

La constitution de l’État est soumise à l’acceptation du peuple ; toute disposition qui tend à la changer après cette acceptation est soumise au jugement du peuple.

Art. 2. — Le principe de tout changement à la constitution est dans les communes.

Art. 3. — Si la majorité des communes a approuvé un décret renvoyé au peuple ; si, pendant le cours d’une législature, le vœu de la majorité des communes s’est expliqué sur un changement, l’Assemblée nationale doit convoquer une convention spéciale sur ce décret ou ce changement.

Art. 4. — Les conventions ne statuent que sur le changement ou le décret proposé ; elles sont composées d’un nombre égal à celui des représentants ; elles se forment de même et s’assemblent dans le lieu désigné par l’Assemblée nationale, à vingt lieues d’elle au moins : la session de ces conventions est d’un mois ; après ce terme, l’Assemblée nationale les dissout.

Art. 5. — La convention recense de nouveau, vérifie le vœu des communes, rédige la loi, et la soumet à la sanction du peuple assemblé.

Art. 6. — Le peuple ne s’assemble qu’un mois après la convocation.

Art. 7. — Si un représentant du peuple, ou un membre du conseil, ont trahi la nation et perdu sa confiance, les communes ont le droit de s’assembler et de le déclarer.

Art. 8. — Soit que les communes émettent leur vœu sur un changement à la constitution, soit qu’elles émettent leur vœu sur un décret, ou sur un ou sur plusieurs membres du conseil et des législatures, leur vou est recueilli de la manière suivante :

Art. 9. — Les communes se forment de la même façon que pour élire les représentants.

Art. 10. — Chaque citoyen prononce son vœu par oui et par non.

Art. 11. — Le vœu de la majorité est celui de la commune. Le vœu d’une commune n’est pas compté, s’il n’est point le vœu de cette commune légalement assemblée.

Art. 12. — Le président fait passer aux directoires le vœu de la commune. Le directoire rend sur-le-champ public le vœu des communes de l’arrondissement.

Art. 13. — Les directoires font passer le vœu des communes au ministre des suffrages.

Art. 14. — Le ministre des suffrages en rend compte à l’Assemblée nationale, à mesure qu’ils lui parviennent.

Art. 15. — Le vou des communes sur les lois et sur les membres du conseil ou de l’Assemblée nationale est reçu pendant le cours d’une législature ; après la législature, les vœux en retard ne sont plus comptés.

Art. 16. — Si la majorité des communes n’a pas émis son vœu, ce vœu n’a point de suite.

Art. 17. — Un membre accusé par une seule commune est tenu d’expliquer sa conduite ou de se retirer.

Un membre qui a perdu la confiance de la majorité des communes est renvoyé devant un tribunal et ne peut être acquitté que par un jugement.

Art. 18. — Toute violation dans le recensement des suffrages est punie par les lois.


CHAPITRE XV
Des directoires d’arrondissement.

Article 1er. — Les directoires sont composés de huit membres et d’un procureur-syndic nommés à la majorité absolue des voix par les assemblées secondaires d’arrondissement.

Dans les villes qui réuniront plusieurs arrondissements, il n’y aura qu’un directoire ; ce directoire sera composé de huit membres par chaque arrondissement, nommés par l’assemblée secondaire d’arrondissement, et d’un procureur-syndic nommé par l’assemblée secondaire du département.

Art. 2. — Ces assemblées nommeront en outre huit suppléants des membres des directoires, un suppléant du procureur-syndic ; les directoires nomment leurs secrétaires.

Art. 3. — Le procureur-syndic requiert l’exécution des lois et des mandements du conseil ; il a voix délibérative.

Art. 4. — Les séances des directoires sont publiques ; ils élisent un président hors de leur sein.

Art. 5. — Le président a voix consultative.

Art. 6. — Les directoires sont chargés de l’administration politique de l’arrondissement.

Ils ne peuvent connaître des contestations entre communautés : ces contestations se règlent par des arbitres; ils ne peuvent connaître de l'état des citoyens; ils ne poursuivent point en justice; ils ne disposent point des deniers publics, ne lèvent point des contributions; ils lèvent les troupes sur les mandements du conseil.

Art. 7. — Les directoires exercent la police générale sous la surveillance du conseil.

Art. 8. — Ils peuvent être accusés par le conseil devant l'Assemblée nationale, qui ordonne, s'il y a lieu, le renouvellement, et les traduit devant les cours criminelles.

Art. 9. — Les requêtes qui leur sont présentées doivent être répondues dans le mois, à peine d'être poursuivis par les partis devant les cours criminelles, et condamnés à des dommages.

Art. 10. — Les réclamations contre les décisions des directoires sont portées aux ministres, qui les présentent dans le mois au conseil, à peine d'être accusés par l'Assemblée nationale.

Art. 11. — Les juges ne peuvent connaître des décisions des directoires.

Art. 12. — Les directoires ne peuvent connaître des jugements.

Art. 13. — Les membres des directoires, les secrétaires, les procureurs-syndics et leurs suppléants, sont renouvelés tous les deux ans le 1er de mars. Ils ne peuvent être réélus qu'après l'intervalle de deux ans.


CHAPITRE XVI
Des conseils de communautés.

Article 1er. — Il y a un conseil de communautés dans chaque commune de campagne.

Art. 2. — Les membres de ces conseils sont nommés par les habitants des communautés respectives, à raison d'un membre par communauté.

Art. 3. — Ces conseils se réunissent dans les campagnes, aux chefs-lieux des communes.

Art. 4. — Ils élisent un président et un secrétaire hors de leur sein.

Art. 5. — Le président correspond avec les directoires. Il reçoit les mandements et convoque le conseil.

Art. 6. — Ces conseils sont chargés de la répartition des contributions directes, de la réparation, de la confection des routes, de l’entretien des ouvrages publics, des levées de troupes dans les communes, et autres objets d’administration qui leur sont confiés par les directoires.

Art. 7. — Dans les villes, chaque commune élit un membre du conseil de la communauté.

Il y a un seul conseil de communauté dans les villes, quelle que soit leur population.

Ce conseil remplit les mêmes fonctions que dans les campagnes il élit son président et son secrétaire, et correspond de la même manière avec les directoires.

Art. 8. — Les communautés rurales comprises dans les communes des villes ont leur conseil particulier.

Les portions des communes des villes élisent un membre au conseil de communauté des villes.

Art. 9. — Les présidents des conseils de communautés ont droit de suffrage, en cas de partage des voix.

Art. 10. — Les conseils des communautés, leurs présidents, sont renouvelés tous les ans le 1er janvier ; le secrétaires peuvent être conservés.


CHAPITRE XVII
De la promulgation des lois.

Art. 1er. — Les lois sont ainsi promulguées par le conseil : Au nom de l’Assemblée nationale et du peuple français, à tous, etc., mandons, etc., etc.

Art. 2. — Elles sont enregistrées par le conseil, par les directoires, par les cours criminelles, par le tribunal national, par le tribunal de cassation, par les juges de paix, les conseils de communautés et les maires.

Elles sont proclamées à la tête des corps militaires.


SECONDE PARTIE
CHAPITRE PREMIER
De la justice civile.

Art. 1er. — La justice civile est rendue par des arbitres.

Art. 2. — Les arbitres sont âgés de trente ans accomplis.

Art. 3. — Les sentences des arbitres sont sans appel, au-dessous de 100 livres.


CHAPITRE II
Du maire et du juré de sûreté.

Art. 1er. — Chaque communauté de ville ou de campagne élit un maire et un procureur de la communauté ; ils sont renouvelés tous les ans, en même temps que les conseils de communautés.

Art. 2. — Les communautés dans les campagnes, les communes dans les villes, élisent le greffier chargé de l’expédition des sentences de police.

Art. 3. — Le greffier est élu pour un an, et peut être réélu.

Art. 4. — Le maire ordonne seul en ce qui concerne la salubrité, les cérémonies publiques, les spectacles, les précautions contre les animaux malfaisants et les épidémies.

Art. 5. — Dans tous les cas de la police contentieuse, le procureur de la communauté cite les parties par un officier de police militaire ; le juré de sûreté qualifie le délit ; le maire applique la loi ou prononce le renvoi devant le tribunal compétent.

Art. 6. — Le juré de sûreté est composé de citoyens tirés au sort, tous les mois, parmi tous les citoyens de la communauté.

Le maire et le procureur de la communauté sont élus pour un an, et ne peuvent être réélus qu’après l’intervalle d’une année.


CHAPITRE III
Des troubles publics.

Art. 1er. — Les communes éliront tous les deux ans, lors du renouvellement des législatures, six vieillards recommandables par leurs vertus, dont les fonctions seront d’apaiser les séditions.

Art. 2. — Ces vieillards sont décorés d’une écharpe tricolore et d’un panache blanc ; lorsqu’ils paraissent revêtus de leurs attributs, le peuple garde le silence et arrête quiconque poursuivrait le tumulte ; le peuple prend les vieillards pour arbitres.

Art. 3. — Si le trouble continue, les vieillards annonceront le deuil de la loi. Ceux qui insultent les vieillards sont réputés méchants, et sont déchus de la qualité de citoyens.

Art. 4. — En cas de violences graves, les directoires, les maires des communautés peuvent requérir la force publique.

Les vieillards ne requièrent point la force.

Ils ne se retirent point que le rassemblement ne soit dissipé.

S’il se manifeste des troubles dans toute l’étendue de la République, les communes sont assemblées, et le maintien des lois est remis au peuple.

Art. 5. — Si un vieillard est assassiné, la République est en deuil un jour et tous les travaux cesseront.

Art. 6. — Les vieillards ne peuvent être élus à aucun emploi pendant la durée de leurs fonctions.


CHAPITRE IV
Du juge et juré de paix.

Art. 1er. — Les tribunaux rendent la justice au nom du peuple souverain.

Art. 2. — Il y aura un juge de paix et un juré de paix dans chaque arrondissement.

Art. 3. — Les juges de paix et leurs greffiers sont élus par les assemblées secondaires des arrondissements.

Art. 4. — Le juge et le juré de paix prononcent sur l'appel des jugements des arbitres, au-dessus de cent livres. Ils ne prononcent point sur le fond des contestations; ils renvoient les parties, s'il y a lieu, devant d'autres arbitres, et le nouveau jugement est sans appel.

Art. 5. — Le juge de paix constate les délits commis envers les propriétés dans l'arrondissement, et livre les coupables aux accusateurs publics des cours criminelles.

Art. 6. — Le juré de paix qualifie la contravention aux sentences arbitrales, et prononce l'amende.

Art. 7. — Le juré de paix est renouvelé tous les mois : il est composé de cinq citoyens tirés au sort parmi ceux de l'arrondissement.

Art. 8. — Les contraventions aux sentences des juges et jurés de paix sont dénoncées dans les cours criminelles et sont punies d'une peine infamante.


CHAPITRE V
Des cours criminelles.

Art. 1er. — Les cours criminelles sont nommées par les assemblées secondaires de département.

Art. 2. — Elles résident dans le chef-lieu du département.

Art. 3. — Elles sont composées de quinze juges.

Art. 4. — Elles sont divisées en trois tribunaux composés chacun de cinq juges.

Art. 5. — Les cinq juges nommés les premiers composent le premier tribunal; les cinq juges nommés après composent le second; les juges nommés ensuite composent le troisième.

Art. 6. — Les assemblées secondaires nomment près de chacun des trois tribunaux un accusateur public, un censeur, un greffier.

Art. 7. — Chacun des tribunaux est présidé par le plus âgé des juges.

Art. 8. — Le premier tribunal connaît des assassinats, et ne prononce que la mort.

Le deuxième tribunal connaît des délits contre l’état des citoyens, commis par des particuliers ; il connait des délits contre la propriété, et ne prononce que la peine des fers.

Le troisième tribunal connait des contraventions aux sentences des juges et jurés de paix ; il ne prononce que les peines infamantes.

Les amendes prononcées dans les communes et les assemblées secondaires sont poursuivies par l’accusateur public de ce tribunal.

Art. 9. — Les trois tribunaux se réunissent en cour criminelle pour juger les crimes des fonctionnaires publics, sur l’accusation de l’Assemblée nationaie. Il y a près des cours criminelles un censeur.

Art. 10. — La cour criminelle est présidée par le plus âgé des juges.

Art. 11. — La procédure s’instruit par jurés devant la cour criminelle et les tribunaux.

Art. 12. — Les censeurs requièrent l’exécution des lois ; ils sont entendus en faveur de l’innocence ; ils défèrent les jugements irréguliers des tribunaux et des cours criminelles au tribunal de cassation.

Art. 13. — Les juges, les accusateurs publics, les censeurs, les greffiers des cours criminelles, sont renouvelés tous les cinq ans, le premier de juin, et peuvent être réélus.

Art. 14. — Les tribunaux sont gardiens des mœurs et dépositaires des lois : ils sont inflexibles.


CHAPITRE VI
Du tribunal de cassation.

Art. 1er. — Le tribunal de cassation est composé de 43 juges, pris tour à tour dans les départements, et nommés par les assemblées secondaires de département.

Art. 2. — L’Assemblée nationale nomme un censeur près de ce tribunal ; ce censeur est renouvelé tous les ans le premier juillet ; il ne peut être réélu qu’après une année.

Art. 3. — Le tribunal de cassation est présidé par le plus âgé des juges, et choisit son greffier.

Art. 4. — Ce tribunal ne prononce point sur le fond des affaires ; il connaît des contraventions expresses aux lois et de la violation des formes ; il annule les jugements et renvoie la connaissance des affaires devant d’autres juges.

Art. 5. — Les jugements des arbitres sont sans recours en cassation.

Art. 6. — Les membres du tribunal de cassation sont renouvelés tous les six ans, et ne peuvent être réélus qu’après six années.


CHAPITRE VII
Articles généraux.

Art. 1er. — Nul, après un jugement définitif, par lequel il a été absous, ne peut être repris pour le même fait.

Art. 2. — Nul ne peut être distrait des attributions déterminées par la loi.

Art. 3. — Les cas qui n’ont pas été prévus par la loi sont soumis par les juges aux législatures.

La loi n’a d’effet rétroactif que contre les traîtres à la patrie.

Art. 4. — Quiconque a violé les droits de l’homme par rapport à un criminel ou un accusé, doit être puni.

Art. 5. — Les tribunaux ne remplissent point de fonctions administratives.

Art. 6. — Il sera fait un code de lois civiles et criminelles.


CHAPITRE VIII
De la force publique.

Art. 1er. — La force publique est le peuple en corps, armé pour faire exécuter les lois.

Art. 2. — Les armées font partie de la nation.

Art. 3. — La République entretient en temps de paix une force suffisante pour résister à toute attaque imprévue, et maintenir l’autorité des lois.

Art. 4. — En temps de guerre, tout citoyen est en état de réquisition ; la jeunesse française est élevée au maniement des armes.

Art. 5. — Il n’y a point de généralissime.

Art. 6. — Les drapeaux des armées de terre et de mer portent les couleurs nationales.

Art. 7. — Une armée qui élit un chef est déclarée rebelle elle est licenciée.

Art. 8. — Dans les triomphes, les généraux marchent après leur armée.

Art. 9. — Une armée française ne peut point se rendre sans infamie.


CHAPITRE IX
Des relations extérieures.

Art. 1er. — Le peuple français se déclare l’ami de tous les peuples ; il respectera religieusement les traités et les pavillons ; il offre asile dans ses ports à tous les vaisseaux du monde ; il offre un asile aux grands hommes, aux vertus malheureuses de tous les pays ; ses vaisseaux protègeront en mer les vaisseaux étrangers contre les tempêtes.

Les étrangers et leurs usages seront respectés dans son sein.

Art. 2. — Le Français établi en pays étranger, l’étranger établi en France, peuvent hériter et acquérir ; mais ils ne peuvent point aliéner.

Art. 3. — Les orphelins de père et mère étrangers, morts en France, seront élevés aux dépens de la République, et rendus à leurs familles si elles les réclament.

Art. 4. — La République protège ceux qui sont bannis de leur patrie pour la cause sacrée de la liberté.

Art. 5. — Elle refuse asile aux homicides et aux tyrans.

Art. 6. — La République française ne prendra point les armes pour asservir un peuple et l’opprimer.

Art. 7. — Elle ne fait point la paix avec un ennemi qui occupe son territoire.

Art. 8. — Elle ne conclura point de traités qui n’aient pour objet la paix et le bonheur des nations.

Art. 9. — Le peuple français vote la liberté du monde.