Œuvres complètes de Saint-Just/Tome 1/IX. Lettre à Adrien Bayard

Lettre à Adrien Bayard, Texte établi par Charles Vellay, Eugène Fasquelle, éditeur (L’Élite de la Révolution)Tome premier (p. 346-347).


IX

LETTRE À ADRIEN BAYARD


La plus jeune des deux sœurs de Saint-Just. Marie-Françoise-Victoire de Saint-Just, avait épousé, le 21 novembre 1791, Adrien Bayard, notaire et juge de paix du canton de Chaulnes (Somme). Quelques jours après ce mariage, Saint-Just écrivait à son beau-frère la lettre suivante :


J’ignorais, mon cher frère, que l’indisposition de notre sœur eût eu des suites ; maman nous avait dit l’avoir laissée tout à fait de retour à la santé. Prenez garde que les eaux et l’air cru de vos montagnes ne soient la cause de son mal. Je vous conseille de lui faire prendre beaucoup de lait et de ne lui point faire boire d’eau.

Je ne puis vous promettre précisément quand je pourrai aller vous voir ; je suis accablé d’affaires, et voici des jours bien humides et bien courts. Cependant, d’ici à Noël, j’aurai le plaisir de vous embrasser tous les deux.

Si vous vous aperceviez que l’air incommodât votre femme, envoyez-nous-la quelque temps ; elle ne doute point de l’amitié tendre avec laquelle elle sera toujours reçue de nous. J’espère que son mariage ne nous aura point séparés, et que nous n’oublierons, ni les uns ni les autres, les sentiments qui nous doivent unir. Écrivez-nous, l’un et l’autre, de temps en temps, et surtout ne nous laissez point ignorer, d’ici au moment où je partirai pour aller vous voir, quelles seront les suites de la maladie de ma sœur. Il me tarde de l’avoir vue pour me rassurer. Égayez votre jeune mariée, et, surtout, veillez à ce qu’elle n’éprouve aucun chagrin domestique de la nature de ceux qu’elle n’oserait point vous confier. L’idée que j’ai conçue de votre famille me fait croire qu’ils aimeront tendrement cette nouvelle sœur et cette nouvelle fille. Rendez-la souveraine après vous, mais souveraine débonnaire ; c’est ainsi que je l’entends. Vous êtes fait pour lui tenir lieu de tout au monde ; mais l’amour ne console point l’amour-propre, et l’amour-propre d’une femme, vous le connaissez. Elle vous rendra heureux, je l’espère, et j’en suis convaincu. Je n’épouserais point ses torts à votre égard : vous m’êtes également chers l’un et l’autre, et, dans toutes les circonstances, je vous montrerai le cœur d’un frère et d’un bon ami.

Adieu. Embrassez votre chère épousée, embrassez-la même de temps en temps pour moi, afin qu’elle se souvienne que je l’aime, et qu’elle vous le rende.

Je suis votre frère et votre serviteur.

Saint-Just.


À Blérancourt, ce 9 décembre 1791.


P. S. — Je vous prie de présenter mon respect à madame Hannotier et à M. le curé, et à votre famille que j’aime comme la mienne.

On vous embrasse ici, et l’on se porte bien.