Œuvres complètes de Pierre Louÿs, tome 1/Poésies de Méléagre, suivies de Mimes des Courtisanes/IV. MYÏSKOS
IV
MYÏSKOS
LXVII
Moi que les Désirs n’avaient pas blessé, sous la poitrine Myïskos * de ses yeux m’a lancé une flèche et a crié cette parole :
« J’ai pris l’audacieux ! Dans ses yeux cette fierté * de la sceptrophore sagesse, voici que je la foule aux pieds. »
LXVIII
J’ai été pris, moi qui, autrefois, des amoureuses * orgies de jeunes gens, souvent ai ri.
Et sur ton seuil l’Erôs ailé, Myïskos, * m’a mis avec cette épigraphe :
LXIX
Il est charmant l’enfant, et à cause de son nom il m’est doux, Myïskos, * et gracieux, afin que je n’aie rien qui me détourne de l’aimer.
LXX
En sa beauté je connais tout. Mon œil avide sait seulement * voir Myïskos. Pour le reste je suis aveugle.
LXXI
LXXII
Si Dzeus est encore celui-là qui ravit la fleur de Ganymédès * pour avoir un verseur de nectar,
LXXIII
Je me dresserai même contre Dzeus, si toi, Myïskos, il veut te ravir comme verseur de nectar,
Pourtant, souvent lui-même il m’a dit ceci : « Que crains-tu ? * je ne te frapperai point de jalousie. Je sais, ayant souffert, avoir pitié. »
LXXIV
En toi, Myïskos, les câbles de ma vie sont suspendus ; * en toi aussi le souffle de mon âme ou ce qu’il en reste encore.
Par ces yeux, en effet, jeune homme, qui même aux aveugles parlent, * et par ce tien-lumineux sourcil,
LXXV
Voici le vent d’hiver. Il me porte vers toi, Myïskos, * arraché aux orgies, Erôs doucement en larmes.
D’AUTRES
LXXVI
Je ne veux pas de Kharidamos. Le bel enfant vers Dzeus regarde * comme déjà versant le nectar au dieu.
Je ne veux pas. Que ne puis-je prendre le roi des Ouraniens * comme rival vers la victoire amoureuse.
J’aime mieux que l’enfant, en montant vers l’Olympe * de la terre, comme lavement des pieds reçoive mes larmes,
Souvenirs de tendresse ; et qu’il me donne un doux signe humide de ses yeux * et quelque baiser à prendre, effleuré.
LXXVII
Altéré par la chaleur, comme j’embrassais « un enfant à la peau douce, * je dis ceci, quand ma soif aride s’en fut allée :
« Dzeus Patêr, est-ce le baiser du nectaréen Ganymédès * que tu bois, et est-ce cela qu’à tes lèvres il verse ? »
LXXVIII
Praxitélès, le sculpteur d’autrefois, a fait cette délicate statue * inanimée, aveugle image de la beauté.
À la pierre il a donné une forme. Or celui-ci, ensorcelant les vivants, * a sculpté au cœur l’Erôs trois fois rusé.
S’il porte le même nom, l’œuvre est meilleure, * car c’est ; non la pierre, mais le souffle des âmes qu’il métamorphose.
LXXIX
Ô Kharites ! le bel Aristagoras vous l’avez vu * s’avancer. Vous l’avez embrassé, dans vos bras délicats.
Aussi, de sa beauté jaillit la flamme, et agréablement il dit * des choses opportunes, et en silence avec ses yeux il dit des choses douces.
LXXX
Nuit sacrée, lampe, vous seules pour témoins * de nos serments, nous vous prîmes tous les deux.
Lui, de m’aimer, moi, de ne le jamais quitter * nous avons juré. Vous avez reçu notre mutuelle promesse.
LXXXI
Le souffle du Notos, favorable aux matelots, ô malheureux ! * m’a enlevé la moitié de mon âme : Andragathos.
Trois fois heureuses nefs, trois fois heureux flots de la mer * et, quatre fois heureux le vent qui portait l’enfant.
LXXXII
DOULOUREUSEMENT ta mère, Kharixénès, t’a donné au Haïdas, * âgé de dix-huit ans, vêtu de la khlamyde.
« Certes, même la pierre a gémi, quand depuis ta maison ceux de ton âge en se lamentant portaient ton cadavre.
C’était le deuil, non l’hyménée, que hurlaient tes parents. * Aïe ! aïe ! grâces déçues des mamelles,
Et vaines douleurs de la grossesse. Iô, mauvaise vierge, Moïra * Stérile, et qui recraches l’amour de la mère dans les vents,
LXXXIII
LA COURONNE DES ÉPHÈBES
LXXXIV
De toutes fleurs, Kypris, harmonieusement Erôs, à la main récolta la fleur des enfants, pour une adorable couronne.
Il y tressa, beau lis, Diodôros * avec Asklêpiadès, la douce violette blanche.
Certes il y ajouta Hêrakleitos, tel que sans épines une rose. Comme une vigne folle fleurit Diôn.
Il y mêla la fleur chevelue d’or, le crocos Thérôn. * Il y jeta un petit rameau de serpolet, Oudiadès.
Et le mollement chevelu Myïskos, rameau toujours vert d’olivier, * branche aimée de la vertu, y fut cueilli.
Ô la plus heureuse des îles, sacrée Tyr, qui embaumée de myrrhe * as un buisson d’enfants qui portent des fleurs de Kypris.