Œuvres complètes de Pierre Louÿs, tome 1/Poésies de Méléagre, suivies de Mimes des Courtisanes/III. LES AMOURS D’HÉLIODORA
III
LES AMOURS D’HÉLIODORA
XXII
Je tresserai la giroflée blanche ; je tresserai mollement avec des myrtes * le narcisse ; je tresserai aussi de riants lis ;
Je tresserai aussi le doux crocos, et sur le tout l’hyacinthe * pourprée ; je tresserai aussi les amoureuses roses ;
XXIII
XXIV
Je dis que dans les causeries la belle diseuse
Héliodora * vaincra même les Grâces par sa grâce.XXV
XXVI
XXVII
Verse, et : « Encore ! », dis : « Encore ! Encore ! à la santé d’Héliodora ! » * Dis, et dans le vin mêle la douceur de son nom.
Et, mouillée de parfum, bien qu’elle soit d’hier * en souvenir d’elle, ceins-moi d’une couronne.
XXVIII
Verse, à la santé de Peïthô et de Kypris : d’Héliodora ! * et encore à la même, à l’harmonieuse Kharite !
XXIX
Buveuse de fleurs, abeille, pourquoi sur la peau d’Héliodora * te poses-tu, toi qui viens des corolles du printemps ?
Est-ce pour révéler que cette chose douce et intolérable *, toujours amère au cœur, l’aiguillon d’Erôs, elle l’a ?
XXX
Il joue à la balle, l’Erôs que je nourris ; à toi, Héliodora, * il lance le cœur qui pantelait en moi.
XXXI
Je t’implore, Erôs ! Que l’insomnie en moi et le désir d’Héliodora * tu endormes, respectueux de ma muse suppliante.
Ou, par tes flèches, qui n’ont appris à frapper * que moi seul, flèches ailées toujours contre moi lancées,
XXXII
XXXIII
Ô nuit, ô insomnie dans le désir d’Héliodora, * et à l’aube morose, ô frissons, volupté des larmes…
Est-ce qu’elle a gardé de ma tendresse un peu ? et du baiser * se souvient-elle ? est-il encore brûlant dans ses froides pensées ?
Est-ce qu’elle se couche avec des larmes ? mon ombre en rêve * l’embrasse-t-elle vainement contre sa poitrine avec des baisers ?
XXXIV
Astres et, ô favorable aux amants, belle lumineuse Sélène, * ô Nuit, ô petit instrument compagnon des festins,
Est-ce que l’amoureuse encore dans son lit je la trouverai * éveillée, et vers sa lampe toujours lamentant ?
Ou bien, a-t-elle un amant auprès d’elle ? Sur le seuil, fanées * par les larmes, je suspendrai les suppliantes couronnes.
XXXV
Pour cela seul, mère de tous les dieux, je te supplie, chère Nuit, * oui je te supplie, compagne éhontée des orgies, redoutable Nuit.
Si quelqu’un, introduit sous la couverture d’Héliodora, * se réchauffe et oublie le sommeil contre cette peau douce,
XXXVI
On l’a enlevée ! Qui a été assez méchant pour l’attaquer ? * Qui est celui-là qui a osé, même contre Erôs, le combat ?
XXXVII
(ÉPITAPHE D’HÉLIODORA)
Mes larmes là-bas à travers la terre, Héliodora, * je te les donne, derniers restes d’amour, jusque dans le Haïdas,
Larmes douloureusement pleurées. Sur la lugubre tombe * je verse en libations le souvenir de nos désirs, le souvenir de notre vie intime.
Tristement, car tristement, amie, même dans la pourriture, moi Méléagros * je te pleure, vaine supplication devant l’Akhérôn.
Aïe ! aïe ! où est ma fleur désirée ? Il l’a prise, Haïdas, * il l’a prise ; il a souillé de poussière la fleur nubile.
LES AMOURS DE DZÉNOPHILA
XXXVIII
Les trois Grâces ont donné trois couronnes à ma maîtresse * Dzénophila, symboles d’une triple beauté.
L’une sur la peau lui a mis le désir, l’autre sur ses formes la passion, * l’autre dans sa voix la douce parole.
XXXIX
Les harmonieuses Muses la Pêctis, et la parole sage * avec Peïthô, et le bel Erôs qui dirige,
XL
XLI
Qui a peint pour moi l’éloquente Dzénophila, mon amie ? * qui m’a amené d’entre les Trois une Grâce ?
XLII
Déjà la giroflée blanche fleurit, et fleurit sous la pluie * le narcisse, et fleurissent au hasard des montagnes les lis.
Et déjà l’amoureuse, parmi les fleurs devenue fleur, * Dzénophila fleurit, douce rose de Poïthô.
XLIII
Douce est ta voix, par Pân l’Arkadien, quand pour la lyre tu chantes * Dzénophila, et c’est un doux air que tu joues.
Où te fuir ? partout m’environnent les Erôs. * Ils ne me laissent pas respirer quelque temps.
XLIV
Le vase est tout joyeux. Il dit que l’amoureuse * Dzénophila le touche avec sa bouche harmonieuse.
XLV
Bruyants moustiques, impudents et de sang humain * siphons, nocturnes bêtes à deux ailes,
Laissez Dzénophila, je vous supplie, abandonnée au calme sommeil * dormir. Voilà ma peau, mangez-en pour vous occuper.
Mais pourquoi parler ? Les bêtes aussi, sans m’écouter, * jouissent sur cette peau molle où elles s’échauffent.
XLVI
Vole pour moi, moucheron, messager rapide, au bord de l’oreille * de Dzénophila ; touche-la, et murmure ceci :
« Il est éveillé. Il t’attend. Et toi, ô oublieuse de tes amants, * tu dors. » Va, vole… Oui, ami des Muses, vole !
Parle bas pour ne pas éveiller aussi celui qui couche avec elle : * tu exciterais sur moi de jalouses colères.
XLVII
Tu dors, Dzénophila, branche alanguie. Puissé-je en toi maintenant * comme un sommeil sans ailes entrer dans tes paupières,*
LYKAÏNIS
XLVIII
XLIX
Va lui dire ces choses, Dorcas. Et deux fois à elle-même * et trois fois, Dorcas, dis-lui tout. Cours.
Ne tarde plus, vole… un instant, un instant, Dorcas, attends ! * Dorcas, où cours-tu avant d’avoir tout compris ?
Ajoute à ce que je t’ai dit depuis longtemps… je suis encore plus fou, * ne dis absolument rien… ou rien que… dis tout !
L
Je sais que pour moi fut vain ton serment. Ta débauche * se voit aux parfums qui mouillent ta chevelure,
À tes yeux alourdis d’avoir veillé, * à la marque des couronnes autour de tes cheveux serrées ;
On a défait en jouant et mêlé tes boucles ; * sous le vin pur tous tes membres tremblent.
LI
Je sais : j’ai tout vu. Laisse les dieux. J’ai tout vu jusqu’au bout. * Je sais. Ne jure plus maintenant. J’ai tout compris.
C’était donc cela, cela, parjure ? Toute seule ailleurs, toute seule, tu voulais dormir, * que d’audace ! et encore, encore elle le dit toute seule !
Ton bel amant ne t’a pas appelée ? Si je ne… Mais pourquoi menacer ? * Va-t’en, mauvaise bête de lit, va-t’en vite…
PHANION
LII
Légères nefs marines, qui dans le détroit d’Hellé * passez ayant reçu dans vos voiles le beau Boréès.
Si quelque part sur la plage de l’île de Kôs vous voyez * Phanion regardant les yeux bleus brillants de la mer,
Cette parole annoncez-lui : « Belle fille, j’arrive, * désireux de toi, et non par mer mais à pied. »
LIII
Je me hâtais de fuir l’Erôs ; mais lui, ayant allumé * un petit phanion dans la cendre me trouva qui me cachais.
Sans avoir tendu son arc, avec le bout de deux ongles de la main * il prit une étincelle, et en moi furtivement la lança.
LIV
Il ne m’a pas blessée avec des flèches, Erôs, ni avec une torche allumée * comme avant, mise en flammes sous mon cœur.
Mais portant le compagnon des désirs, le phanion parfumé de Kypris, * il a jeté dans mes yeux la pointe de flamme.
DÊMO
LV
Dêmô aux joues blanches, celui qui t’a sous la peau * jouit ; mais en moi maintenant le cœur gémit.
LVI
Aube, mauvaise amie, pourquoi vite sur le lit te lèves-tu ? * À peine sur la peau de ma Dêmô aimée je m’étais échauffé.
Puisses-tu retourner vite en arrière et devenir le Soir, * ô toi qui jettes une lumière douce, pour moi si amère.
LVII
Aube, pourquoi, mauvaise amie, lentement autour du monde tournes-tu * quand un autre se réchauffe sous la couverture de Dêmô ?
LVIII
LIX
ASKLÉPIAS
LX
XLI
LXII
LXIII
LXIV
Plus maintenant Timarion, qui autrefois était comme la charpente d’une nef creuse, * ne porte le riche rang de rames de Kypris.
Le haut de son dos, comme la corne d’un mât, * est courbé, sa tresse blanche flotte comme le grand câble.
Comme des voiles retombantes pendent les lambeaux de ses mamelles ; * comme par la mer sa poitrine est sillonnée de rides.
En bas, toutes les avaries du vaisseau. Dans la coque, la mer * monte ; et les genoux ont le tremblement de l’Océan.
LXV
Le flot amer d’Erôs, les souffleuses d’insomnie : * les jalousies et la mer hivernale des orgies…
LXVI
ÉPITAPHE DE KLEARISTA
Ce n’est pas son fiancé, c’est le Haïdas qu’à ses noces Klearista * a reçu, ayant délié sa ceinture de virginité.
Tout à l’heure, les flûtes du soir disaient la douleur joyeuse de la vierge * et les portes de la chambre étaient frappées bruyamment.
Les flûtes du matin ont poussé des hurlements, et l’hyménée * silencieux en lamentable cri s’est changé.
Ce sont les mêmes qui éclairaient les rideaux de ton lit de noces, * ces torches de pin, ô morte, qui t’ont montré la route…
- ↑ L’épigramme sur Dêmo la « sabbatique » concerne évidemment une Israélite qui pourtant porte un nom grec ; le nom grec de Méléagre n’est donc pas une preuve de sa prétendue origine hellénique.
Cette même épigramme ne prouve pas non plus, par son esprit, cette origine. En s’hellénisant, Méléagre avait pu renier sa religion natale comme les Augustin, les Clément d’Alexandrie le firent plus tard.Comparer minutieusement telles images et expressions de M. avec le style du Cantique des Cantiques et des Moallakât (nombreux exemples). (Note de P.-L.)