Œuvres complètes de Pierre Louÿs, tome 1/Poésies de Méléagre, suivies de Mimes des Courtisanes/III. LE PLAISIR D’ÊTRE BATTUE
III
LE PLAISIR D’ÊTRE BATTUE
Je te parle ainsi, moi qui fais le métier depuis vingt ans, et toi tu en as dix-huit, je crois, et même moins. Si tu veux je te raconterai ce que j’ai souffert il n’y a pas beaucoup d’années.
J’avais pour amant Dêmophantos l’usurier, qui demeure près de la Poikilê. Jamais il ne m’avait donné plus de cinq drachmes et il prétendait être le maître. Il ne m’aimait, ô Chrysis, que d’un amour de surface ; jamais il ne soupirait, jamais il ne pleurait, jamais il ne restait la nuit devant ma porte ; il couchait avec moi quelquefois, mais de loin en loin. Un jour qu’il était venu me voir je, ne lui ai pas ouvert la porte, car le peintre Callidês était chez moi, qui m’avait envoyé dix drachmes. Dêmophantos s’en alla en m’injuriant. Quelques jours se passent sans que je l’envoie chercher : Callidês était encore chez moi. Dêmophantos, qui était déjà très échauffé, entre en fureur en voyant cela, pénètre par la porte ouverte, pleure, me bat, me menace de me tuer, déchire ma tunique, fait tout, et enfin me donne six mille drachmes pour lesquelles il m’a eue tout seul pendant huit mois entiers ! Sa femme disait à tout le monde que je l’avais rendu fou avec des poisons. Le poison, c’était la jalousie.
C’est pourquoi, Chrysis, sers-toi du même poison avec Gorgias. Ce garçon-là sera riche s’il arrive quelque chose à son père.