Œuvres complètes de Mathurin Régnier/éd. Viollet le Duc, 1853/Satyre II

Texte établi par Viollet le Duc,  (p. 12-25).
A MONSIEUR LE COMTE DE CARAMAIN[1].

SATYRE II.


Comte, de qui l’esprit pénètre l’univers[2],
Soigneux de ma fortune et facile à mes vers ;
Cher soucy de la muse, et sa gloire future,
Dont l’aimable génie et la douce nature
Fait voir, inaccessible aux efforts médisans,
Que vertu n’est pas morte en tous les courtisans :
Bien que foible et débile, et que mal reconnuë,
Son habit décousu la montre à demy nuë ;
Qu’elle ait seche la chair, le corps amenuisé,
Et serve à contre-cœurs le vice auctorisé,
Le vice qui pompeux tout mérite repousse,

Et va, comme un banquier, en carrosse et en housse[3].
Mais c’est trop sermonné de vice et de vertu.
Il faut suivre un sentier qui soit moins rebatu ;
Et, conduit d’Apollon, recognoistre la trace
Du libre Juvenal : trop discret est Horace,
Pour un homme picqué ; joint que la passion,
Comme sans jugement, est sans discrétion.
Cependant il vaut mieux sucrer nostre moutarde[4] :
L’homme, pour un caprice, est sot qui se hazarde.
Ignorez donc l’autheur de ces vers incertains,
Et, comme enfans trouvez, qu’ils soient fils de putains,
Exposez en la ruë, à qui mesme la mère,
Pour ne se descouvrir, fait plus mauvaise chère[5].
Ce n’est pas que je croye, en ces temps effrontez,
Que mes vers soient sans père et ne soient adoptez ;
Et que ces rimasseurs, pour feindre une abondance,
N’approuvent impuissans une fausse semence :

Comme nos citoyens de race désireux,
Qui bercent les enfans qui ne sont pas à eux.
Ainsi, tirant profit d’une fausse doctrine,
S’ils en sont accusés, ils feront bonne mine,
Et voudront, le niant, qu’on lise sur leur front,
S’il se fait un bon vers, que c’est eux qui le font[6] .
Jaloux d’un sot honneur, d’une bastarde gloire,
Comme gens entendus s’en veulent faire accroire :
A faux titre insolens, et ,sans fruict hazardeux,
Pissent au benestier[7], afin qu’on parle d’eux.
Or avecq’ tout cecy, le point qui me console,
C’est que la pauvreté comme moi les affole[8] ;
Et que, la grace à Dieu[9], Phœbus et son troupeau,
Nous n’eusmes sur le dos jamais un bon manteau.
Aussi lors que l’on voit un homme par la ruë,
Dont le rabat est sale et la chausse rompuë,

Ses gregues[10] aux genoux, au coude son pourpoint,
Qui soit de pauvre mine, et qui soit mal en point,
Sans demander son nom on le peut reconnoistre ;
Car si ce n’est un poëte[11], au moins il le veut estre.
Pour moy, si mon habit, par tout cicatrisé,
Ne me rendoit du peuple et des grands mesprisé,
Je prendrois patience, et parmy la misere
Je trouverois du goust ; mais ce qui doit desplaire
A l’homme de courage et d’esprit relevé,
C’est qu’un chacun le fuit ainsi qu’un réprouvé.
Car, en quelque façon, les malheurs sont propices.
Puis les gueux en gueusant trouvent maintes délices,
Un repos qui s’esgaye en quelque oysiveté.
Mais je ne puis patir[12] de me voir rejetté.

C’est donc pourquoy, si jeune abandonnant la France,
J’allay, vif de courage et tout chaud d’espérance,
En la cour d’un prélat[13] qu’avec mille dangers
J’ay suivy, courtisan, aux païs estrangers.
J’ay changé mon humeur, altéré ma nature ;
j’ay beu chaud, mangé froid, j’ay couché sur la dure[14] ;
Je l’ay, sans le quitter, à toute heure suivy ;
Donnant ma liberté je me suis asservy,
En public, à l’église, à la chambre, à la table,
Et pense avoir esté maintefois agréable.
Mais, instruit par le temps, à la fin j’ay connu
Que la fidélité n’est pas grand revenu ;
Et qu’à mon temps perdu, sans nulle autre espérance,
L’honneur d’estre sujet tient lieu de récompense :
N’ayant autre interest de dix ans ja passez,
Sinon que sans regret je les ay despensez.
Puis je sçay, quant à luy, qu’il a l’ame royalle,
Et qu’il est de nature et d’humeur liberalle.
Mais, ma foy, tout son bien enrichir ne me peut,
Ny domter mon malheur, si le ciel ne le veut.

C’est pourquoy, sans me plaindre en ma desconvenuë,
Le malheur qui me suit ma foy ne diminuë ;
Et rebuté du sort, je m’asservy pourtant,
Et sans estre avancé je demeure contant :
Sçachant bien que fortune est ainsi qu’une louve,
Qui sans choix s’abandonne au plus laid qu’elle trouve ;
Qui releve un pédant de nouveau baptisé[15],
Et qui par ses larcins se rend authorisé ;
Qui le vice annoblit, et qui, tout au contraire,
Ravalant la vertu, la confine en misere.
Et puis je m’iray plaindre apres ces gens icy ?
Non, l’exemple du temps n’augmente mon soucy.
Et bien qu’elle ne m’ait sa faveur départie,
Je n’entend, quand à moy, de la prendre à partie,
Puis que, selon mon goust, son infidélité
Ne donne et n’oste rien à la félicité.
Mais que veux-tu qu’on face en ceste humeur austere ?
Il m’est, comme aux putains, mal-aisé de me taire ;
Il m’en faut discourir de tort et de travers.
Puis souvent la colère engendre de bons vers[16].
Mais, comte, que sçait-on ? elle est peut-être sage,
Voire, avecque raison, inconstante et volage ;
Et déesse avisée aux biens qu’elle départ,

Les adjuge au mérite, et non point au hazard.
Puis l’on voit de son œil, l’on juge de sa teste,
Et chacun en son dire a droict en sa requeste :
Car l’amour de soy-mesme et nostre affection
Adjouste avec usure à la perfection.
Tousiours le fond du sac ne vient en évidence,
Et bien souvent l’effet contredit l’apparence.
De Socrate à ce point l’oracle est my-party[17] ;
Et ne sçait-on au vray qui des deux a menty ;
Et si philosophant le jeune Alcibiade[18],
Comme son chevalier, en receut l’accolade.

Il n’est à décider rien de si mal aisé,
Que sous un sainct habit le vice desguisé.
Par ainsi j’ay donc tort, et ne doy pas me plaindre,
Ne pouvant par mérite autrement la contraindre
A me faire du bien, ny de me départir
Autre chose à la fin, sinon qu’un repentir.
Mais quoy, qu’y feroit on, puis qu’on ne s’ose pendre ?
Encor faut-il avoir quelque chose où se prendre,
Qui flatte, en discourant, le mal que nous sentons.
Or laissant tout cecy, retourne à nos moutons[19],
Muse, et sans varier dy nous quelques sornettes
De tes enfans bastards, ces tiercelets de poëtes[20],
Qui par les carrefours vont leurs vers grimassans,
Qui par leurs actions font rire les passans,
Et quand la faim les poind, se prenant sur le vostre,
Comme les estourneaux ils s’affament l’un l’autre.
Cependant sans souliers, ceinture, ny cordon,
L’œil farouche et troublé, l’esprit à l’abandon,
Vous viennent accoster comme personnes yvres,

Et disent pour bon-jour : Monsieur, je fais des livres[21],
On les vend au Palais, et les doctes du temps
A les lire amusez, n’ont autre passe-temps.
De là, sans vous laisser, importuns ils vous suivent,
Vous alourdent de vers, d’alegresse vous privent,
Vous parlent de fortune, et qu’il faut acquérir
Du crédit, de l’honneur, avant que de mourir ;
Mais que pour leur respect l’ingrat siècle où nous sommes,
Au prix de la vertu n’estime point les hommes ;
Que Ronsard, du Bellay, vivants ont eu du bien.
Et que c’est honte au Roy de ne leur donner rien.
Puis, sans qu’on les convie, ainsi que vénérables,
S’assient[22] en prélats les premiers à vos tables,
Où le caquet leur manque, et des dents discourant,
Semblent avoir des yeux regret au demeurant[23].
Or la table levée, ils curent la mâchoire.
Apres grâces Dieu beut[24], ils demandent a boire ;

Vous font un sot discours, puis au partir de là,
Vous disent : Mais, monsieur, me donnez-vous cela ?
C’est tousjours le refrein qu’ils font à leur balade.
Pour moy je n’en voy point que je n’en sois malade ;
J’en perds le sentiment, du corps tout mutilé,
Et durant quelques jours j’en demeure opilé.
Un autre, renfrogné, resveur, mélancolique,
Grimassant son discours, semble avoir la colique.
Suant, crachant, toussant, pensant venir au point,
Parle si finement que l’on ne l’entend point.
Un autre, ambitieux, pour les vers qu’il compose,
Quelque bon bénéfice en l’esprit se propose,
Et, dessus un cheval comme un singe attaché,
Méditant un sonnet, médite un évesché[25].
Si quelqu’un, comme moy, leurs ouvrages n’estime,
Il est lourd, ignorant, il n’ayme point la rime ;
Difficile, hargneux, de leur vertu jaloux,
Contraire en jugement au commun bruit de tous :

Que leur gloire il desrobe, avec ses artifices.
Les dames cependant se fondent en délices,
Lisant leurs beaux escrits, et de jour et de nuict
Les ont au cabinet souz le chevet du lict ;
Que portez à l’église, ils vallent des matines :
Tant, selon leurs discours, leurs œuvres sont divines.
Encore après cela, ils sont enfans des cieux,
Ils font journellement carrousse[26] avecq’ les dieux :
Compagnons de Minerve, et confis en science,
Un chacun d’eux pense estre une lumière en France.
Ronsard, fay-m’en raison, et vous autres esprits,
Que pour estre vivans en mes vers je n’escrits,
Pouvez-vous endurer que ces rauques cygalles
Esgallent leurs chansons à vos œuvres royalles,
Ayant vostre beau nom laschement démenty ?
Ha ! c’est que nostre siècle est en tout perverty.
Mais pourtant quel esprit, entre tant d’insolence,
Sçait trier[27] le sçavoir d’avecques l’ignorance,
Le naturel de l’art, et d’un œil avisé
Voit qui de Calliope est plus favorisé ?
Juste postérité, à tesmoin je t’appelle[28],
Toy qui, sans passion, maintiens l’œuvre immortelle,
Et qui, selon l’esprit, la grâce, et le sçavoir,

De race en race au peuple un ouvrage fais voir :
Venge ceste querelle, et justement sépare
Du cigne d’Apollon la corneille barbare,
Qui, croassant partout d’un orgueil effronté,
Ne couche de rien moins que l’immortalité[29].
Mais, comte, que sert-il d’en entrer en colère ?
Puisque le temps le veut, nous n’y pouvons rien faire[30].
Il faut rire de tout : aussi bien ne peut-on
Changer chose en Virgile, ou bien l’autre en Platon[31].
Quel plaisir penses-tu que dans l’ame je sente,
Quand l’un de ceste trouppe, en audace insolente,
Vient à Vanves[32] à pied pour grimper au coupeau

Du Parnasse françois et boire de son eau ;
Que, froidement reçeu, on l’escoute à grand peine[33] ;
Que la muse en groignant luy deffend sa fontaine,
Et, se bouchant l’oreille au récit de ses vers,
Tourne les yeux à gauche et les lit de travers ;
Et, pour fruit de sa peine aux grands vens dispersée,
Tous ses papiers servir à la chaise percée[34] ?
Mais comme eux je suis poëte, et sans discrétion
Je deviens importun avec présomption.
Il faut que la raison retienne le caprice,
Et que mon vers ne soit qu’ainsi qu’un exercice
Qui par le jugement doit estre limité,
Selon que le requiert ou l’âge ou la santé.
Je ne sçay quel démon m’a fait devenir poète :
Je n’ay, comme ce Grec, des dieux grand interprète,
Dormy sur Helicon[35], où ces doctes mignons
Naissent en une nuict, comme les champignons.
Si ce n’est que ces jours, allant à l’adventure,
Resvant comme un oyson allant à la pasture,
À Vanves j’arrivay, où, suivant maint discours,
On me fit au jardin faire cinq ou six tours ;
Et comme un conclaviste entre dans le conclave,

Le sommelier me prit et m’enferme en la cave,
Où beuvant et mangeant, je fis mon coup d’essay,
Et où, si je sçay rien, j’appris ce que je sçay.
Voyla ce qui m’a fait et poëte et satyrique,
Reglant la mesdisance à la façon antique.
Mais à ce que je voy, simpatisant d’humeur,
J’ay peur que tout à fait je deviendray rimeur.
J’entre sur ma loüange, et, bouffi d’arrogance,
Si je n’en ay l’esprit, j’en auray l’insolence.
Mais retournons à nous, et sages devenus,
Soyons à leurs dépens un peu plus retenus.
Or, comte, pour finir, ly doncqu’ ceste satyre,
Et voy ceux de ce temps que je pince sans rire ;
Pendant qu’à ce printemps retournant à la cour,
J’ïray revoir mon maistre[36] et lui dire bon jour.


  1. Ou plutôt le comte de Cramail, nom qui, selon Ménage, se dit par corruption, pour Carmain, changé en Cramail dans l’édition de 1642, et dans toutes celles qui l’ont suivie. On lit Caramain dans les éditions précédentes, à remonter jusqu’à la première, de 1608, où il y a Caramain.

    Adrien de Montluc, comte de Cramail, fut l’un des beaux esprits de la cour de Louis XIII. Il étoit né l’an 1568, de Fabien de Montluc, fils du fameux maréchal Blaise de Montluc, et mourut en 1646. On lui attribue la comédie des Proverbes, pièce singulière, et l’une des plus comiques de son temps, ainsi qu’un livre rempli de quolibets, intitulé les Jeux de l’inconnu.

  2. Comte, de qui l’esprit…] Les douze premiers vers contiennent une apostrophe imparfaite dont le sens n’est point fini.
  3. En housse, c’est-à-dire à cheval. Du temps de Regnier, les carrosses n’étoient pas si communs qu’ils le sont devenus dans la suite. On n’alloit par la ville qu’à cheval, ou monté
    sur des mules couvertes d’une grande housse qui descendoit presque jusqu’à terre. Cet usage s’est maintenu fort longtemps parmi les médecins de Paris, témoin ce vers de Boileau, satire viii, en 1667 :
    . . . . . . . . . Quand il voit . . . . . .
    Courir chez un malade un assassin en housse.
  4. Expression proverbiale bien énergique.

    Ce vers ferait soupçonner que c’est ici la première satire de Regnier, qui ne vouloit pas alors que l’on sût qu’il en étoit l’auteur.

  5. Chère, accueil, visage : du latin cara, pour facies, vultus.
     
    . . . . . Postquam venêre verendam
    Cæsaris ante caram.
    Corippus de Laudibus Justini, lib. ii.

    (Voyez Du Cange, Ménage, etc.)
  6. Vers monosyllabique.
  7. Autre expression proverbiale non moins énergique que la précédente. Les Grecs avoient un proverbe semblable, Ἐν Πυθιον χέσαι qu’on peut rendre ainsi en latin : In Pythii templo cacare. Erasm. Adag., chil. 4, cent. 2, 65. Benestier : Anciennement on disoit benoitier et benêtier ; aujourd’hui on ne dit que bénitier.
  8. Les affole.] Les foule, les blesse, les incommode. Affoler, en ce sens, n’est plus en usage :
    Encor est-ce un confort à l’homme malheureux,
    D’avoir un compagnon au malheur qui l’affole.
    C’est la fin d’un des sonnets de Philippe Desportes, Amours de Diane, sonnet 14.
  9. On dit maintenant grâces à Dieu ; mais la grâce à Dieu étoit la façon de parler usitée du temps de Régnier, et même plus anciennement, car dans les Nouvelles Récréations de Bonaventure Des Periers, imprimées en 1558, et dont le privilège est de 1557, on lit : « Le bon homme lui respond qu’il n’en avoit point été malade, et qu’il avoit tousjours bien ouy, la grâce à Dieu. » Nouv. x, p. 42.
  10. Les grègues étoient une espèce de haut-de-chausses ou de culottes. Le pourpoint étoit une sorte de vêtement à manches, et que notre habit a remplacé.
  11. Regnier fait toujours ce mot poëte de deux syllabes, quoiqu’il en ait trois, suivant son étymologie, ποιητὴς, poëta, et suivant l’usage. Dans la première édition, de 1608, ce même mot est partout imprimé avec une diphtongue, en cette manière : pœte. Notre auteur n’a fait ce mot de trois syllabes que dans un seul endroit, qui est le vers 49 de la satire xii. L’usage de faire poëte et poëme de deux syllabes s’est conservé long-temps après Régnier :
    Tout vient dans ce grand poëme admirablement bien
    dit Th. Corneille.
    Comme un poëte fameux il se fait regarder.
    P. Corneille.

    Quintilien, Instit, orat., lib. i, cap. 5, cite un vers de Varron où ce poëte avoit aussi resserré deux syllabes en une
    dans le mot Phaéton, qui en a trois :
    Cum te flagranti dejectum fulmine Phæton.

  12. Pâtir est hors d’usage dans le sens de ce vers ; on dit à présent souffrir, mot qu’on a substitué à l’autre dans l’édition de 1642 et dans les suivantes.
  13. En la cour d’un prélat…] Ne serait-ce pas François de Joyeuse, cardinal en 1583, et archevêque de Toulouse en 1585 ? Ce prélat fit plusieurs voyages à Rome, où Regnier, en 1583, n’ayant encore que vingt ans, le suivit, et s’attacha à lui jusqu’à la fin de 1603, sans en avoir tiré de récompense, puisque le premier bénéfice qu’il ait eu, et qu’il obtint par une autre voie, fut un canonicat de Chartres, en possession duquel il entra le 30 juillet 1604. J’ajoute à ces conjectures le mot cour, dont le poëte use ici, et l’idée qu’il donne, dans les vers suivants, de la magnificence du prélat.
  14. J’ai beu chaud.....] J.-B. Rousseau, épigr. xxv, liv. 2 , définit ainsi un courtisan :
    . . . . . . . . . . . . . C’est un être
    Qui ne connoît rien de froid ni de chaud ;
    Et qui se rend précieux à son maître,
    Par ce qu’il coûte, et non par ce qu’il vaut.
  15. De nouveau baptisé.] Parvenu à quelque dignité. Boileau a dit de même dans sa première satire :
    Et que le sort burlesque, en ce siècle de fer,
    D’un pédant, quand il veut, sait faire un duc et pair.
  16. Puis souvent la colère engendre de bons vers.]
    Et sans aller rêver dans le sacré vallon,
    La colère suffit, et vaut un Apollon.
    Boileau, sat. I.

    Régnier et Boileau ont imité ce vers fameux de Juvénal, satire I, vers 79.
    Si natura negat, facit indignatio versum.

  17. Ce vers a beaucoup varié. Dans la première édition on lit : De Socrate à ce point l’arrest est my-party. Dans celles de 1612 et 1613, faites pendant la vie de l’auteur, et dans les éditions suivantes, il y a l’oracle au lieu de l’arrest. Dans celle de 1642, et les autres qui ont été faites après, on a mis : De Socrate en ce point, etc. L’expression de ce vers et des trois suivants est embarrassée. Oracle ou arrest, que portoit la première version, ne signifie peut-être en cet endroit que opinion publique, qui, en effet, est double sur le compte de Socrate, sa liaison avec Alcibiade ayant été l’objet de soupçons que Cicéron lui-même a tournés en plaisanterie : Quid ? Socratem nonne legimus quemadmodum notarit Zopyrus ?..... addidit etiam mulierosum : in quo Alcibiades cachinnum dicitur sustulisse. Cic. de Fato.
    Boileau, satire xii, s’est emparé de la pensée de Regnier, qu’il a rendue avec son élégance accoutumée.
    Et Socrate, l’honneur de la profane Grèce,
    Qu’étoit-il, en effet, de près examiné,
    Qu’un mortel par lui-même au seul mal entraîné,
    Et, malgré la vertu dont il faisoit parade,
    Très équivoque ami du jeune Alcibiade ?
  18. Ce vers est encore amphibologique ; on ne sait si Regnier a voulu dire : Et si Socrate philosophant le jeune Alcibiade, pour enseignant la philosophie au jeune Alcibiade ; ou, par une inversion forcée : Et si le jeune Alcibiade philosophant. Ce dernier sens a paru plus convenable à quelques éditeurs, qui, depuis 1642, ont mis une virgule après le mot philosophant. Nous croyons devoir rétablir le premier texte, dans la crainte de prêter à l’auteur un sens autre que celui qu’il a voulu donner à la phrase.
  19. C’est un proverbe pris de la farce de Patelin. Martial, liv. vi, 19, a dit de même : Jam dic, Postume, de tribus capellis. (Voyez Henri Etienne, en son Dial. du nouveau langage françois italianisé, édit. d’Anvers, 1579, page 137 ; et Pasquier, Recherches, liv. viii, chap. 59.) On pourroit, touchant ce proverbe, remonter jusqu’à celui-ci : Alia Menecles, alia porcellus loquitur, et voir l’explication qu’Erasme en donne. Rabelais a employé plus d’une fois ce proverbe, retourner à ses moutons, liv. i, chap. 1 et 2 ; liv. iii, chap. 33.
  20. Tiercelets de poëtes.] Parmi les oiseaux de fauconnerie, les femelles portent le nom de l’espèce, parce qu’elles surpassent les mâles en grandeur de corps, en courage et en force. Leurs mâles sont nommés tiercelets, parce qu’ils sont un tiers plus petits qu’elles. Tiercelet de faucon, d’autour, etc.
    Rabelais a dit : Tiercelet de Job. Pantagr. 3, 9.
  21. Horace, dans sa satire de l’Importun, liv. i, satire 9, dit :
    Noris nos, inquit, docti sumus.
  22. Dans les éditions de 1608 et 1614 on lit s’assiessent ; celles de 1613 et suivantes, s’assient.
  23. Demourant, édition de 1608.
  24. Un auteur grave (Boetius Epo) dit que les Allemands, fort adonnés à la débauche, ne se mettoient point en peine de dire grâces après leur repas. Pour réprimer cet abus, le pape Honorius III donna des indulgences aux Allemands qui boiroient un coup après avoir dit grâces. Boetius Epo, Comment. sur le chap. des Décrétales : Ne clerici vel monachi, etc. cap. i, n. 13.
    L’origine de cette façon de parler, apres graces Dieu beut, ne vient-elle point plutôt de cet endroit de l’Evangile ? Et, accepto calice, gratias agens dedit eis, et biberunt ex illo omnes. La Monnoye croit qu’il faut peut-être lire : Après Grace-Dieu bue, ils demandent à boire, pour donner à entendre que, non contens d’avoir bu le coup d’après grâces, ils demandent à boire sur nouveaux frais. Ainsi, boire Grace-Dieu, ce seroit boire un seul coup après avoir dit ses grâces ; et en demander davantage seroit manquer de savoir-vivre et de tempérance.
  25. Dans l’édition de 1608 on lit une évesché. Toutes les autres éditions portent un évesché ; mais dans la satire iii, page 35, notre auteur a fait évêché du genre féminin : Et si le faix léger d’une double évesché. Quarante ans après la composition de cette satire, le genre du mot évêché n’étoit pas encore bien déterminé ; car Ménage, dans sa Requête des Dictionnaires, imprimée en 1649, assure qu’il n’y avoit que les puristes qui dissent une évesché :
    Ils veulent, malgré la raison,
    Qu’on dise aujourd’hui la poison,
    Une épitaphe, une épigramme,
    Une navire, une anagramme,
    Une reproche, une duché,
    Une mensonge, une évesché.
  26. Ce mot a vieilli ; il signifie débauche de vin, du mot allemand garauss, tout vidé ; on sous-entend le verre. Ménage.
  27. Trier, c’est ainsi qu’il faut lire, suivant la première édition, de 1608, et non pas tirer, qui est dans les autres éditions.
  28. Ce vers a été employé par Desmarestz de Saint-Sorlin, dans une ode qui est à la tête de son poème de Clovis, et dans un ouvrage de sa façon, intitulé : La Comparaison de la langue et de la poésie française, etc., 1670.
    Car le siècle envieux juge sans équité ;
    Mais j’en appelle à toy, juste postérité.
  29. Ce vers est ainsi dans l’édition de 1608, et il doit être ainsi, à moins qu’on n’aime mieux lire : Ne couche rien de moins. D’autres éditions portent :
    Ne couche de rien moins de l’immortalité ;
    c’est-à-dire, Ne vise, n’aspire à rien moins qu’à l’immortalité.
  30. Édition de 1642 et suivantes : Nous n’y pouvons que faire.
  31. Les éditeurs se sont efforcés de torturer ce vers naïf et plaisant pour le rendre lourd et commun. L’édition de 1642 porte : Changer chose, pour aucune chose, en Virgile, ou reprendre Platon. Celles de 1655 et de 1667 : Changer rien dans Virgile, ou reprendre en Platon. Lenglet-Dufresnoy, qui a compris le sens de Régnier, propose aussi sa variante : Changer l’un en Virgile, etc.
    Il est évident que chose est là pour un tel.
  32. Village près de Paris, qu’on appelle aujourd’hui Vanves. Ce village est renommé pour le beurre excellent qu’il fournit.
    Hic truncis ubi burra fluunt Vanvæa cavatis.
    Ant. De Arena, poëma Macaronic. de Bello huguenotico.
    François Ier, pour se moquer de la longue liste de titres qu’étaloit l’empereur Charles-Quint, ne prenoit d’autre qualité dans ses réponses que celle de roi de France, seigneur de Gonesse et de Vanvres. Au reste, ce vers 201 fait présumer que le comte de Cramail avoit une maison à Vanvres, et que cette maison étoit ouverte aux gens de lettres et aux poètes célèbres.
  33. L’hiatus qui se trouve à la césure de ce vers pouvoit se sauver facilement en mettant que receu froidement ; mais, du temps de Régnier, la rencontre de deux voyelles dans les vers n’étoit pas regardée comme un défaut.
  34. N’est-ce point là l’original du vers de Molière ?
    Franchement il est bon à mettre au cabinet.
    Misanthrope, act. I, sc. ii.
  35. Hésiode, s’étant endormi sur le mont Hélicon après avoir bu de l’eau d’Hippocrène, devint poète par une faveur singulière des muses.
  36. Voyez la note 12, page 12.