Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 11/070

Lecoffre (Œuvres complètes volume 11, 1873p. 388-389).
LXX
AU R.P. LACORDAIRE.
Sceaux, lundi soir, 29 septembre 1851.

Mon Révérend Père,

Vous m’avez fait ce matin une question d’ami, et j’y ai répondu comme un étranger, comme un homme à qui vous ne donneriez pas l’affectueuse liberté de tout dire. J’en ai du remords, et vraiment je suis trop tendrement attaché à votre personne, je suis un admirateur trop passionné de votre prédication, pour ne pas vous répéter les observations que j’entends faire, quand vous me les demandez et qu’elles peuvent servir au bien des âmes. Il est donc vrai que les classiques, puristes de leur métier, ne vous trouvent pas toujours assez sévère dans le choix des expressions. On vous querelle, par exemple, pour cette certitude translumineuse que vous avez hasardée quelque part. On critique aussi la hardiesse de certains rapprochements, et dans un sujet sacré, le retour trop fréquent des allusions profanes. Mais qu’est-ce que ces pailles au milieu du flot de votre inspiration ? Quelle merveille, au contraire, que le premier jet de votre pensée trouve aussitôt une forme belle, ’harmonieuse et telle que souvent l’art le plus’exquis n’y pourrait rien ajouter ! Je trouve d’ailleurs que vous devenez toujours plus- rigoureux pour vous même, et que vous secouez toujours davantage ce peu de poussière romantique. Personne assurément, depuis Bossuet, n’a prêché comme vous. S’il vous restait quelque chose à faire, ce serait tout au plus de châtier encore vos Conférences en les imprimant, pour leur donner l’irréprochable perfection qui achèvera de les rendre immortelles. Car, mon Révérend Père, ce grand auditoire de Notre-Dame est encore bien petit, en comparaison des absents et des générations futures que vous forcerez de vous entendre.

Adieu, pardonnez-moi l’extrême liberté que vous m’avez donnée, et croyez, mon Révérend Père, à la reconnaissance d’un homme à qui vous avez fait beaucoup de bien.


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