Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 10/075

Lecoffre (Œuvres complètes volume 10, 1873p. 426-429).

LXXV
À M. LE COMTE DE MONTALEMBERT
Lyon, 25 juillet 1841.

Monsieur le comte,

Souvent, dans ces épanchements affectueux dont votre amitié m’honore, vous avez bien voulu m’exprimer votre admiration et votre zèle pour l’oeuvre de la Propagation de la Foi. L’intérêt que vous avez pris à la récente affaire de Mgr le Patriarche grec d’Antioche m’a laissé surtout un reconnaissant souvenir. Aujourd’hui je suis heureux d’être chargé encore, par le conseil de l’oeuvre, de solliciter pour une circonstance moins difficile, mais non moins grave, l’intervention de votre charité. Le plus beau caractère de la Propagande de la Foi, c’est l’universalité, qui l’affranchit des préoccupations nationales, lui ôte les couleurs odieuses de la politique, et lui donne la fidèle empreinte de l’Église dont elle est l’actif instrument. Aussi -t-elle bientôt rattaché tous les peuples catholiques, en ne laissant à la France que l’honneur de l’ initiative tiative. L’adhésion de l’Espagne a été la dernière. Au milieu des ruines morales et financières qui couvraient la face désolée du pays, deux hommes de cœur se sont trouvés et comme de nobles et pieux citoyens n’avaient pas désespéré de la religion parmi nous en 1850, de même M. Olombell et M. Ximena ont cru à la vieille fidélité de l’Espagne. Par leur dévouement l’Œuvrc s’est établie et développée avec un succès inattendu. Vous n’ignorez pas, monsieur le comte, les schismatiques décrets de la Régence. La propagande protestante, de concert avec le jansénisme, devait se hâter de faire proscrire une association dont le premier effet était de resserrer les liens des peuples avec le Saint-Siège. Une politique hostile s’y mêlait aussi, et l’acte du gouvernement par lequel la Propagation de la Foi fut interdite, la déclarait surtout coupable « de faire passer par des mains françaises les deniers de la bienfaisance espagnole. »

En même temps M. Olombell et M. Ximena furent mis en état d’arrestation, l’un à Cadix, l’autre à Madrid. Or, M. Olombell est sujet français, et l’intervention énergique du consul avait d’abord obtenu sa délivrance. Elle a été de courte durée. La note et les lettres ci-jointes font connaître les persécutions incessantes et la nouvelle captivité dont il est victime. Il en résulte que l’ambassade seule peut désormais lui porter un secours efficace, et par d’actives démarches mettre un terme à sa détention. Dans cette situation il a paru au conseil de l’Œuvre à Lyon, qu’une recommandation du ministère des affaires étrangères à l’ambassadeur serait le moyen le plus décisif et aussi le plus facile. L’honneur national est assez engagé pour appeler l’attention de M. le ministre ; et l’on a espéré que l’intérêt religieux était assez pressant pour motiver l’emploi de votre haute influence. Quelques lignes de vous contribueraient peut-être à ouvrir la prison d’un compatriote, qui est aussi un compagnon d’armes dans la défense de la cause divine. Après m’être acquitté des devoirs que j’avais à remplir comme interprète, permettez-moi quelques mots encore en mon nom personnel. Un dessein auquel s’étaient associées vos sympathies, s’est accompli pour moi. L’alliance déjà conclue cet hiver, a été célébrée il y a peu de jours. Dieu qui m’avait retiré ma pauvre mère, n’a pas voulu me laisser plus longtemps sans un ange gardien. Mon bonheur est grand, et tandis que j’en jouis dans sa douceur première, je me rappelle que vous me l’aviez annoncé d’avance. Je me rappelle qu’en vous quittant à notre dernière entrevue, vous me pressiez la main avec bonté, et vous me disiez que dès joies infinies couronnent ici-bas les unions chrétiennes. Dès à présent je réclame dans vos souvenirs devant Dieu la place que vous m’y promîtes comme époux chrétien. Sainte Elisabeth nous a révélé les. chastes joies de la piété conjugale l’amitié de son historien peut nous aider à la reproduire.