Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 10/074

Lecoffre (Œuvres complètes volume 10, 1873p. 424-425).

LXXIV
À M AMPÈRE
Château de Vernay, près Lyon. 29 juin 1841.

Monsieur et cher ami,

Permettez-moi de vous donner ce titre d’affectueuse familiarité que vous prîtes tant de fois en partageant mes joies et mes peines longtemps une sorte de retenue respectueuse me faisait hésiter encore mais aujourd’hui il faut que je prenne toutes les libertés qu’aime le cœur et dans mon doux orgueil de nouvel époux, je me sens plus hardi. C’est donc avec une simplicité toute fraternelle que je viens vous faire part de mon bonheur. Il est bien grand, il dépasse toutes les espérances et tous les rêves, et depuis mercredi dernier, jour auquel la bénédiction de Dieu est descendue sur ma tête, je suis dans un enchantement calme, serein, délicieux, dont rien ne m’avait donné l’idée. L’ange qui est venu à moi avec tant de grâces et de vertus est comme une révélation nouvelle de la Providence dans mon obscure et laborieuse destinée. Je suis’ tout illuminé de plaisir intérieur. Mais cette lumière qui me remplit l’âme n’y saurait laisser dans l’ombre les souvenirs du passé, et surtout ceux qu’accompagne la reconnaissance. Votre pensée a eu sa place au milieu des amis présents dont la foule se pressait au pied de l’autel. Et ensuite dans ces charmantes conversations où ma nouvelle famille se plaît à me faire parler des années écoulées, à chaque instant votre nom, et celui de votre père vénéré, revient pour être accueilli par la gratitude la plus sincère. Incapable de la témoigner jamais comme j’aurais voulu, je me sens, souffrez que je le dise, presque quitte envers vous quand j’entends votre éloge sur ces lèvres si chères, dont un seul mot me fait tressaillir. On me charge de vous dire qu’on sera bien heureuse de vous connaître sa Paris et que dans ce moment même, où la présence des tiers est ordinairement une importunité, on aimerait que le pèlerinage de la Grèce eût une station auprès de, nous.

Adieu, monsieur et cher ami, laissez-moi vous embrasser avec toute l’effusion du jour de mon départ, et croyez au dévouement de toute ma vie elle sera en partie votre ouvrage, et si ma position actuelle est une espérance de plus dans ce bel avenir, vous savez quelle part vous y avez prise.