Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 04/Chapitre 9

Lecoffre (Œuvres complètes volume 4, 1872p. 420-489).


CHAPITRE IX
LES ECOLES


Les siècles inspirés et les siècles laborieux

L’histoire littéraire ne compte qu’un petit nombre de siècles inspirés ; elle connaît beaucoup de siècles laborieux. L’inspiration est une grâce : elle est d’un lieu et d’un temps, elle vient et se retire. Le travail, au contraire, est une loi ; il est par conséquent de tous les temps, et Celui qui en a fait la condition de l’humanité ne souffre pas qu’il s’interrompe jamais. Cependant on s’arrête avec admiration devant l’âge d’or des littératures, aux courts moments où le rayon d’en haut vient éclairer l’époque de Périclès, d’Auguste, de Léon X : on n’a que de l’indifférence et du mépris pour les périodes difficiles et méritoires qui, d’un âge d’or à l’autre, ont gardé la tradition littéraire. Nous ne savons pas tout ce qu’il a fallu de courage à des hommes assurés qu’ils n’auraient jamais les applaudissements du monde, pour se vouer à cette tâche obscure, d’étudier, de commenter, de conserver la pensée d’autrui, la parole d’autrui, la renommée d’autrui. Il y a pourtant quelque attrait à s’enfoncer dans ces siècles injustement délaissés, à voir de près le travail dans toute son aridité, le travail sans gloire, mais sans lequel plus tard l’inspiration serait inutilement descendue sur des âmes incultes. C’est le spectacle des temps qu’on appelle barbares, dont il ne faut pas nier la barbarie, mais qu’on aurait cru moins ignorants, si on les avait moins ignorés.

Une critique plus équitable a commencé à tirer de l’oubli les générations de théologiens, de chroniqueurs, de grammairiens et de poëtes qui remplissent les siècles écoulés depuis Grégoire de Tours jusqu’à Jean Scot Erigène[1]. Sans revenir sur des études inaugurées avec tant d’éclat, je me réduis au point le plus négligé du sujet, et non le moins instructif. Je veux parler des écoles qui nourrirent ces générations laborieuses, et qui commencèrent l’instruction littéraire des peuples du Nord. On trouvera peut-être cette étude moins aride qu’elle ne semble, si on la poursuit, non dans une contrée, mais dans tout l’Occident, dont les destinées se tiennent si on la mène jusqu’à l’époque de Charlemagne, où paraît enfin l’ouvrage de tant d’efforts, où de cette longue éducation latine sortiront les premières tentatives des langues modernes, et, du silence des cloîtres, les préludes de la poésie chevaleresque.

LES ÉCOLES ROMAINES

Les écoles impériales

L’empire romain, si on le considère dans ce qu’il eut de bienfaisant et de durable, paraît comme une grande école qui fit faire aux peuples de l’Occident l’apprentissage des lois, des lettres et de toute la civilisation. Les Césars y avaient pourvu, quand ils érigèrent l’enseignement en fonction publique quand ils ouvrirent les auditoires du Capitole. et que par leurs ordres trente-quatre maîtres grecs et latins y enseignèrent la grammaire, la rhétorique, la dialectique et l’éloquence. Au moment où les Germains forçaient les frontières, les empereurs chrétiens se gardèrent bien de fermer les écoles : ils les multiplièrent, ils en ouvrirent les portes aux barbares. Pendant qu’une constitution de Valentinien prévenait à Rome le danger de ce concours d’étudiants qui s’y faisait de toutes les parties du monde, nous avons vu comment Gratien avait assuré dans les villes des Gaules la dignité du professorat et la dotation des chaires. On peut juger de l’efficacité de ces mesures, et des clartés que jeta l’enseignement durant deux siècles, par le nombre des grammairiens, des commentateurs, des compilateurs qui se produisirent, destinés à devenir les instituteurs du moyen âge. Ce fut la mission de ces maîtres si dédaignés depuis Donat, Charisius, Priscien, héritiers de toutela tradition philologique ; Macrobe et Servius, dont les interprétations altéraient quelquefois la simplicité de Cicéron et de Virgile, mais les recommandaient à la vénération des hommes ; Hermogène, Grégoire, et tous ceux qui mutilèrent les textes du droit romain, mais pour les sauver.

Caractère de l'enseignement. Martianus Capella.

Tout l’effort de la science antique est alors de ramasser ses forces, de se resserrer, pour ainsi dire, afin de traverser les siècles dangereux qu’elle prévoit. Nulle part ce besoin ne se trahit mieux que dans le livre de Martianus Capella,De Nuptiis Philologiae et Mercurii, où l’auteur célèbre, dans un langage mêlé de prose et de vers, les noces de Mercure avec une vierge que l’Olympe n’avait pas connue. Mais l’oracle d’Apollon la désigne, le ciel s’ouvre pour elle ; et, après que Jupiter a fait lire dans l’assemblée des dieux les clauses du contrat et la loi romaine des mariages, on présente à l’épousée les sept jeunes filles que l’époux lui destine pour servantes. Ce sont la Grammaire, la Dialectique, la Rhétorique, la Géométrie, l’Arithmétique, l’Astronomie et la Musique , les sept arts libéraux qui, dès le temps de Philon le Juif, formaient l’encyclopédie de l’antiquité. Sans dissimuler le vice d’une composition si étrange, on ne peut méconnaître la hardiesse. de l’écrivain qui voulut y mettre, dans la forme, toute la poésie du passé, dans le fond, toute l’érudition de son temps. Cette inspiration téméraire fit la gloire de Martianus Capella et la fortune de son livre. Ce qu’il fallait atteindre chez les barbares destinés à peupler bientôt les écoles renouvelées, c’étaient les imaginations : il fallait satisfaire les besoins poétiques de ces hommes qui n’avaient jamais ouvert de livres, mais qui passaient les veillées d’hiver à entendre les chants de leurs scaldes. Comment eussent-ils supporté le maître qui aurait voulu les engager d’abord dans les difficultés de la conjugaison ou dans les détours du syllogisme ? Mais si on leur contait les épousailles d’un dieu et d’une mortelle, ils prêtaient une oreille docile et après que le poëte avait consacré d’eux chants à décrire les merveilles de la noce divine, ils ne refusaient plus d’écouter les sept compagnes qui, dans autant de livres, se chargeaient de les initier aux mystères du savoir humain. Je ne m’étonne plus que l’ouvrage de Martianus Capella ait passé l’un des premiers dans les langues du Nord, et que nous en ayons une traduction allemande du onzième siècle[2].

Il est temps de savoir quelle fut la condition des écoles après la chute de l’empire, en commençant par l’Italie et l’Espagne, qui opposèrent à la barbarie une résistance plus longue, laissèrent aux provinces du Nord le temps de se remettre du premier désordre de l’invasion, et sauvèrent le feu sacré jusqu’au jour ou d’autres mains se trouvèrent prêtes à le recueillir.

Les écoles de Rome après la chute de l’empire.

En Italie, on voit Rome livrée aux Hérules et aux Goths, prise et reprise par Totila, Bélisaire et Narsès, essuyant toutes les horreurs de quatre assauts, aussi maltraité par ceux qui s’annonçaient comme ses libérateurs, que par les barbares qui avaient à venger sur elle les injures de leurs aïeux. Si les Goths enlevaient le plomb de la toiture des temples et le fer qui scellait les pierres des théâtres, les Grecs précipitèrent dans le Tibre les statues du mausolée d’Adrien. Les récits contemporains, dont l’exagération même témoigne de la terreur universelle, assurent que la ville éternelle fut réduite à cinq cents habitants, et que les patriciennes, mendiant leur pain de porte en porte, mouraient de faim sur le seuil des maisons désertes. Au milieu de cette désolation, en 549, Rome célébrait encore les jeux équestres, dont Virgile avait chanté l’origine à la même époque, on montrait l’antique statue de Janus debout dans son temple et, dans un arsenal, au bord du Tibre, le vaisseau d’Énée garni de toutes ses rames. Un peuple si attaché à ses traditions ne pouvait pas laisser périr l’enseignement qui les consacrait. La politique de Théodoric rendait au sénat son ancienne majesté:elle relevait les magistratures, restaurait les aqueducs et les théâtres : comment eût-elle souffert la ruine des études ? Une lettre d’Athalaric au sénat ordonne le payement régulier du salaire alloué aux professeurs publics « Car, dit le prince, c’est un crime de décourager les instituteurs de la jeunesse. La grammaire est le fondement des lettres, l’ornement du genre humain, la maîtresse de la parole : par l’exercice des bonnes lectures, elle nous éclaire de tous les conseils de l’antiquité. Les rois barbares ne la connaissent pas ; elle demeure fidèle aux maîtres légitimes du monde. Les armes sont dans les mains des autres nations, l’éloquence seule reste au service des Romains. C’est elle qui embouche la trompette, quand les orateurs engagent le combat dans l’arène du droit civil. Nous voulons donc que chaque professeur, grammairien, rhéteur ou jurisconsulte, reçoive, sans aucune réduction, ce que recevait son prédécesseur ; et, pour ne rien laisser à l’arbitraire des comptables, l’honoraire de chaque semestre sera touché au moment de son échéance. Car, si nous payons des des acteurs pour le plaisir du peuple, à plus forte raison faut-il nourrir ceux qui entretiennent la politesse dans les mœurs et l’éloquence dans notre palais. » Cette lettre reproduit l’ancienne division des études, qui faisait passer successivement les élèves par les mains des grammairiens, des rhéteurs et des jurisconsultes. En même temps, tout nous assure que des maîtres si vantés ne restaient pas seuls dans leurs chaires, et que la constitution de Valentinien continuait de régler l’admission des étudiants, les assujettissant à se faire inscrire au bureau du cens, leur interdisant les sociétés secrètes et les banquets tumultueux, les obligeant de quitter Rome quand ils atteignaient leur vingtième année. En effet, deux rescrits de Théodoric, qui permettent à de jeunes Syracusains de prolonger leur séjour, témoignent par cette exception même que l’ancienne règle subsistait, et qu’au commencementdu sixième siècle la loi s’inquiétait encore non pas de la désertion, mais de l’encombrement des écoles[3]~. il faut pénétrer à la suite d’Ennodius, de ce rhéteur devenu évêque, dans les auditoires dont il avait aimé la foule et le bruit ; il faut voir dans ses écrits les jeux d’esprit qui faisaient l’exercice et l’admiration de ses contemporains. On y retrouve tous les sujets de déclamation, dont l’école ne se lassait pas:les plaintes accoutumées de Thétis en présence des restes d’Achille, et les paroles de Ménélas devant les flammes de Troie;le plaidoyer de celui qui a sauvé la patrie, et qui demande en récompense la main d’une vestale ; les harangues solennelles pour l’inauguration d’une nouvelle école, pour féliciter un maître promu aux honneurs académiques. C’étaient les passe-temps qui enchaînaient la jeunesse de Rome, de Ravenne, de Milan, pendant que les barbares étaient aux portes, en pleine invasion et en plein christianisme. Le christianisme même, avec la gravité et l’humilité de ses mœurs, n’avait point supprimé l’usage des lectures publiques, où les poëtes de la décadence venaient demander à leurs contemporains les applaudissements que la postérité ne leur promettait pas. En 551, le sous-diacre Arator ayant présenté au pape Vigile ses deux livres des Actes des Apôtres mis en vers, tout ce qu’il y avait à Rome d’hommes lettrés en demandèrent une lecture solennelle. Le pontife indiqua l’église de Saint-Pierre-aux-Liens et la foule qui s’y pressait fut si grande, qu’il fallut consacrer plusieurs jours à relire sept fois le poëme d’unbout a l’autre, car on ne pouvait réciter plus de la moitié d’un livre à chaque séance, les auditeurs se faisant répéter les plus beaux endroits, et ne se lassant pas de les entendre. On comprend mieux les acclamations qui couvraient la voix d’Arator, quand on se souvient que, cette année, Narsès et Totila se disputaient encore l’Italie en feu, que Rome n’avait pas fermé les brèches de ses murailles, et qu’en présence de ces ruines irréparables le poëte chrétien lui promettait une autre grandeur, et terminait son livre par ces beaux vers, où il célébrait la rencontre de Pierre et de Paul dans la ville éternelle : « Alors, dit-il, Pierre se leva pour être le chef de l’Église ; Rome porta plus haut sa tête couronnée de tours,pour se faire voir aux extrémités du monde. Les grandes choses se conviennent : il faut que ces deux souverainetés fondées de Dieu dominent toute la terre, et l’honneur de la ville veut que l’univers croie. »

Urbis cogit honor subjectus ut audiat orbis.

Ainsi cette ville, instruite aux sévères leçons du malheur, ne pouvait se sevrer ni de l’ivresse des lettres ni de l’ivresse de la gloire, et prétendait, rester la maîtresse des nations. Il se trouva qu’elle ne s’était point trompée, et que, dans un siècle si dur pour elle, deux hommes se présentèrent, capables de soutenir son vieux nom et de continuer l’éducation de l’Occident[4]

Boëce.

Le premier fut Boëce, de la famille des Anicius et des Manlius, honoré du consulat, défenseur infatigable des droits du sénat, jusqu’à ce qu’il en devînt le martyr, et le dernier des Romains, comme on l’a dit, si, dans cette inépuisable race des Romains, on pouvait trouver un dernier. Mais, en même temps qu’il avait de Rome le génie des affaires, il tenait des Grecs et d’Athènes, où il passa plusieurs années, une ardeur invincible aux plus âpres études, et une passion du vrai qui ne refroidissait pas l’amour du beau. Ce personnage consulaire, cet homme obsédé des terreurs du sénat et des menaces des barbares, trouvait le temps de composer plusieurs traités de musique, de géométrie, d’arithmétique il commenta les Topiques de Cicéron, traduisit les Analytiques d’Aristote, et la fameuse Introduction de Porphyre, dont une phrase, fécondée par les disputes des réalistes et des nominaux, portait en germe toute la philosophie scolastique. Tandis que ta traduction de Porphyre devait faire la torture du moyen âge, le livre de la Consolation en fit le charme, et donna aux doctrines platoniciennes la sévérité de l’orthodoxie, avec tout l’éclat poétique qui devait ravir des peuples enfants, et populariser le livre de Boëce au point qu’avant la fin du dixième siècle, il passa dans les langues vulgaires de l’Angleterre, de la Provence et de l’Allemagne[5].

Cassiodore

Boëce appartenait encore au passé; Cassiodore se tint plus près de l’avenir, plus près des barbares. Ministre de Théodoric, d’Amalasonthe, d’Athalaric, de Théodat, il avait usé de leur pouvoir pour sauver les restes de l’antiquité : les rescrits des princes, rédigés par lui, donnaient à Rome les titres magnifiques de mère de l’éloquence, de temple des vertus ; et c’était lui qui tenait la plume, lorsque Athalaric dictait l’ordre qui assurait la perpétuité des études. Après avoir servi pendant quarante ans les rois des Goths, il eut le mérite de voir finir cette monarchie sur les champs de bataille, sans désespérer des lettres, dont tous les appuis semblaient manquer. A soixante ans, il eut le génie de comprendre qu’à des temps nouveaux il fallait d’autres efforts, et contre les tempêtes qui s’approchaient un asile mieux défendu. Il le chercha dans le monastère de Vivaria, qu’it bâtit au bord du golfe de Squillace, non loin des villes de la Grande Grèce où Pythagore avait enseigné. Lui-même se plaît à décrire ces beaux lieux, qui invitaient les pauvres et les pèlerins aux douceurs de l’hospitalité les jardins arrosés d’eau courante, les bains Cassiodore.

et les viviers creusés dans le roc ; les portiques, sous lesquels erraient les cénobites enveloppés de leur pallium enfin le travail commun, et la bibliothèque enrichie de manuscrits qu’on allait recueillir jusqu’en Afrique. C’est là qu’il fonda une école plus féconde et plus durable que les bruyants auditoires des grammairiens et des rhéteurs, et qu’au lieu de la faveur des princes et des applaudissements de la foule, il donna aux études d’autres soutiens qu’elles n’avaient pas connus, la prière, le silence, et la pensée du devoir. C’est toute l’inspiration de son traité des Institutions divines et humaines où après avoir tracé le plan de l’enseignement théologique tel qu’il s’était proposé de le faire fleurir à Rome, a l’exemple des écoles chrétiennes de Nisibe et d’Alexandrie, il établit la nécessité des lettres profanes pour l’interprétation des textes sacrés. « Car, dit-il, les saints Pères « n’ont point méprisé les sciences, et Moïse, le très-fidèle serviteur de Dieu, fut instruit de toute la sagesse des Égyptiens.  » Et considérant que, dans les Écritures, comme chez les commentateurs, beaucoup de vérités sont exprimées par des figures et peuvent s’entendre par la grammaire, par la rhétorique, par la dialectique, par l’arithmétique, la géométrie, la musique et l’astronomie, il consacre une seconde partie a traiter des sept arts libéraux. Ce serait le lieu d’analyser un écrit destiné a devenir le code de tout l’enseignement monastique moins faut-il en citer une page, la plus utile peut-être qu’une main d’homme ait écrite, si l’on considère ce qu’elle a fait écrire et ce qu’elle a sauvé. « Parmi les ouvrages des mains, celui pour lequel j’avouerai une préférence, c’est le travail des copistes, pourvu qu’il se fasse avec une scrupuleuse exactitude ; car, en relisant les divines Écritures, ils enrichissent leur intelligence,ils multiplient par la transcription les préceptes du Seigneur. Heureuse application, étude digne de louanges prêcher par le travail des mains, ouvrir de ses doigts des langues muettes, porter silencieusement la vie éternelle aux hommes, combattre de la plume les suggestions du mauvais esprit ! Du lieu où le copiste est assis, par la propagation de ses écrits, il visite de nombreuses provinces:on lit son livre dans les lieux saints, les peuples l’entendent, et apprennent à se détourner de leurs passions pour se convertir au service de Dieu. 0 glorieux spectacle à qui sait le contempler Un roseau taillé, en volant sur l’écorce, y trace la parole céleste, comme pour réparer l’injure de cet autre roseau dont fut frappée, au jour de la Passion, la tête du Sauveur. Mais gardez-vous de confondre le mal avec le bien, par une téméraire altération des textes. Lisez ceux des anciens qui ont traité de l’orthographe, Vélius Longus, Curtius Valérianus, Martyrius sur l’emploi du B et du V, Eutychès sur l’aspiration, Phocas sur la différence des genres : car j’ai mis tout mon zèle à recueillir leurs écrits. Ajoutons à ces soins l’art des ouvriers qui savent couvrir les livres, afin que la beauté des saintes lettres soit rehaussée de l’éclat du vêtement, imitant en quelque sorte la parabole du Seigneur, qui invite ses élus au festin du ciel, mais qui les veut parés de la robe nuptiale. » Voilà des paroles bien pompeuses pour recommander aux moines de transcrire des manuscrits, de les collationner, de les relier : elles touchent cependant, quand on songe aux générations de copistes qu’elles suscitèrent ; et on ne peut considérer sans respect ce savant vieillard qui, voyant venir avec l’invasion lombarde des siècles terribles, ne pense qu’à la conservation des livres, et qui, à l’âge de quatre-vingt-treize ans, écrit encore un traité d’orthographe[6] .

Les écoles du temps des Lombards.

C’était vers l’an 575 et cette puissante institution de l’enseignement public, dont les racines tenaient aux traditions municipales des cités, devait résister comme elles à la violence des Lombards. En présence des bandes d’Agilulfe campées sous les murs de Rome, saint Grégoire le Grand jette un cri de détresse : « Voilà donc, s’écrie-t-il, celle qu’on appelait la reine du monde Où est le sénat ? où est le peuple ? » Il ne demande pas où est l’école, et tout donne lieu de croire, en effet, qu’elle n’a pas péri, puisque, vers 590, on voit un jeune Romain nommé Betharius venir à Chartres, et, par l’élégance de ses mœurs et de son langage, par son grand savoir dans les lettres et dans la philosophie, ravir tous les esprits, à ce point qu’il fut élevé d’abord à la charge de chapelain du palais, et plus tard à l’épiscopat. En même temps Fortunat parle encore des lectures publiques qui se faisaient au forum de Trajan. On y lisait l’Énéide ; les poëtes du temps y trouvaient aussi un auditoire, et s’y livraient à des combats littéraires, dont le vainqueur, couronné par les magistrats, était promené en triomphe dans les rues, couvertes de draps d’or. Les provinces les plus maltraitées conservent au moins quelques restes de culture intellectuelle. A la fin du septième siècle, on trouve à Pavie, dans la capitale même des conquérants, un grammairien nommé Félix, dont les leçons eurent tant d’éclat, que le roi Cunibert lui fit présent d’un bâton orné d’or et d’argent. Après lui, son neveu Flavien soutint l’honneur de l’école de Pavie, d’où allait sortir l’historien Paul Diacre. Ainsi l’Italie, qui devait inaugurer les écoles ecclésiastiques, ne laissait pas périr l’enseignement profane ; et s’il parut s’effacer un moment derrière la fumée des villes brûlées par les barbares, c’est alors même qu’il jeta un éclat plus vif à l’autre extrémité de l’Europe latine, je veux dire en Espagne[7].

Les écoles en Espagne sous les Visigoths.

Cette contrée, qui donna à la décadence romaine tant de beaux esprits, était échue aux moins violents des barbares, aux Visigoths, dont le chef Astaulfe aimait à paraître vêtu de la toge, à se faire promener comme un proconsul sur un char à quatre chevaux, et à rêver la restauration de l’empire par les mains de son —peuple. Là, dans les villes illustrées par la naissance de Sénèque, de Lucain, de Martial, après les premières terreurs de la conquête, rien n’aurait troublé le calme des intelligences, sans les persécutions de l’arianisme, ennemi secret du nom romain. Les menaces d’une secte jalouse, et quelquefois sanguinaire, n’avaient pourtant pas découragé les hommes savants qui honorèrent l’Espagne au sixième siècle comme Martin de Dume, évêque de Braga, dont nous avons des vers, et Jean de Béclar, auteur d’une chronique célèbre, versé dans les lettres grecques et latines. Mais l’arianisme allait finir, au moment même où parut une famille appelée à de hautes destinées. Un homme de race latine, appelé Séverien, eut de son épouse Turtur cinq enfants. Théodora, l’aînée des filles, devint reine, partagea le trône de Leuwigilde et donna le jour au premier roi catholique, Reccared. La seconde, Florentina, demeura vierge, et consacra sa vie-à seconder les travaux de ses trois frères. Léandre, le premier de ceux-ci, porté au siége épiscopal, fit l’admiration des contemporains par son éloquence et son savoir, en même temps qu’il décida de l’avenir de son pays en ramenant Reccared à l’orthodoxie. Fulgence fut aussi évêque, et les historiens louent sa doctrine autant que sa sainteté. Mais cette famille entière ne sembla suscitée que pour veiller sur l’enfance du plus jeune et du plus illustre de tous, Isidore de Séville[8]

Isidore de Séville.

Un récit de la jeunesse d’Isidore prouve la perpétuité de l’enseignement public en Espagne, et jette quelque jour sur les études auxquelles on exerçait non-seulement les moines, mais les fils des nobles et les parents des rois. On raconte que l’enfant, resté orphelin, fut élevé auprès de son frère Léandre, évêque de Séville, et qu’il trouva si peu d’attrait aux premiers éléments des lettres, qu’il résolut d’y renoncer, et quitta furtivement la maison fraternelle. Après avoir longtemps erré dans la plaine aride, il s’arrêta mourant de fatigue près d’un puits, et, en se reposant, il regardait avec curiosité les sillons qui creusaient la margelle. Et s’étant fait expliquer par un voyageur comment la corde, toute faible qu’elle était, à force de passer et repasser, avait fini par sillonner la pierre, il en conclut que toute la dureté de son intelligence n’empêcherait pas les lettres d’y ouvrir à la fin leur sillon. Il retourna donc chez son frère ; et celui-ci, peu rassuré d’une conversion si brusque, enferma le jeune fugitif dans une cellule, où, durant plusieurs années, il reçut les leçons des plus savants maîtres. Il ne faut pas accuser la sévérité de Léandre, car en même temps il écrivait à Florentina les lignes que voici: « Je vous conjure, comme une sœur très-chère, de ne point m’oublier dans vos oraisons, non plus que notre jeune frère Isidore, que nos parents nous ont légué, retournant au Seigneur avec joie et sans crainte pour ce dernier fils, puisqu’ils le laissaient à la garde de Dieu, d’une sœur et de deux frères. » En effet, tant de soins ne furent pas perdus. Isidore grandit en savoir et en sainteté, devint le successeur de son frère au siège épiscopal de Séville, la lumière de l’Espagne, et un des plus grands serviteurs de la science dans un temps où il était méritoire de la servir[9].

En écartant les nombreux écrits d’lsidore de Séville qui touchent à tous les points des connaissances humaines, ses livres Sur la nature des choses, celui De la Propriété du discours, la vie des Pères, la Chronique des rois visigoths il faut bien s’arrêter a son traité des Origines. Au premier abord, l’auteur n’y semble occupé que des mots, des étymologies souvent détestables dont Platon, Varron, les grammairiens et les jurisconsultes romains ont prodigué les exemples. Mais il ne peut s’engager dans la définition des mots sans se mettre à la poursuite des idées, sans pénétrer jusqu’au fond de chaque science, sans se trouver sur les traces de ceux qui s’y enfoncèrent avant lui. Il résume donc en vingt livres les principes des sept arts libéraux, ceux de la médecine, de la jurisprudence, de la théologie, de l’histoire naturelle, de l’agriculture et des arts mécaniques. Les citations des écrivains grecs et latins sont innombrables et l’ouvrage, annoncé comme un dictionnaire, devient une encyclopédie, le sommaire d’une lecture immense, et pour ainsi dire le dépouillement d’une bibliothèque dont la moitié aurait péri pour nous, si l’évêque de Séville n’en avait sauvé les faibles restes. Le moyen âge connut tout le prix de ce travail, et c’est pourquoi il ne se lassa pas de reproduire le livre des Origines, comme celui des Institutions divines et humaines, comme tous les écrits où il trouvait les sept arts des anciens. Le rude génie de ces temps ne se lassait pas de tant de répétitions ; et, comme l’enfant auprès du puits, il comprenait que la corde devait souvent repasser sur la pierre pour l’entamer. Isidore de Séville compte avec Cassiodore et Boëce parmi les instituteurs de l’Occident: ils forment ensemble comme une chaîne d’hommes qui d’une part touchent à l’antiquité, et, de l’autre, s’avancent jusqu’au plus profond de la barbarie, se passant de main en main le flambeau. Isidore mourut en 656 : ses disciples continuent l’école espagnole pendant que les Anglo-Saxons commencent, et que de loin on voit venir Bède et Alcuin pour soutenir la lumière, et pour attester que le flambeau ne s’éteindra pas[10] .

Les écoles de la Gaule jusque la fin du septième siècle.

Quand les lettres se maintenaient ainsi aux portes de la Gaule, comment auraient-elles succombé sans résistance dans cette savante province où elles avaient eu tant d’autorité ? Comment les écoles restaurées par Gratien, célébrées par Ausone et Sidoine Apollinaire, toutes debout au cinquième siècle, après le premier choc de l’invasion, seraient-elles tombées au.sixième, sans laisser un historien de leur chute ? J’entends bien Grégoire de Tours s’écrier: « Malheur aux jours où nous sommes, parce que l’étude des lettres a péri » Mais je reconnais dans ce cri la plainte accoutumée de tous les temps orageux, et cette tristesse de tant de grands esprits chrétiens, qui ont cru toucher à la fin des siècles. C’est l’histoire même de Grégoire de Tours qui me rassure contre ses alarmes, puisque je le trouve tout pénétré de l’antiquité, familier, non avec Virgile seulement, mais avec Salluste, Pline, Aulu-Gelle. S’il proteste de son dédain pour les artifices de la parole, s’il fait gloire de ne point reculer devant un solécisme, on s’aperçoit qu’il connaît des esprits plus délicats dont il redoute le jugement. Il demande grâce pour la rustique simplicité de son style à ceux qui ont étudié les éléments des sept arts à la suite de Martianus Capella ; qui ont appris avec la grammaire à lire les écrivains classiques, avec la dialectique à démêler les propositions contradictoires, avec la rhétorique à discerner les différentes sortes de mètres ; avec la géométrie, l’astronomie, l’arithmétique et la musique, à mesurer la terre, à contempler les révolutions des astres, à combiner les nombres, à marier les modulations du chant au rhythme des vers. C’est tout le cours des études classiques ; et la jurisprudence même n’y manque point, si l’on en juge par l’exemple du sénateur Félix,, qui, envoyé aux écoles, y fut nourri des poëmes de Virgile, du code Théodosien et de l’art du calcul. Virgile commenté par Servius et Macrobe, c’était toute la poésie, toute la philosophie, toute la mythotogie latine. Le code Théodosien résumait la législation des empereurs chrétiens ; le calcul comprenait toutes les sciences mathématiques. Saint Didier de Cahors, qui achevait ses études vers l’an 613 dans une ville d’Aquitaine, avait passé par les trois degrés d’enseignement que nous trouvions a Rome au temps d’Athalaric et de Cassiodore. Car, « premièrement, il avait appris les lettres latines en second lieu, on l’avait exercé a l’éloquence, dont la Gaule conservait le culte ; enfin il s’était appliqué à l’étude des lois, pour tempérer par l’abondance et l’éclat des orateurs gaulois la gravité des Romains. » Vers le même temps, et en Austrasie, saint Paul de Verdun (mort vers 647) était nourri dès le berceau dans les lettres et les arts libéraux qu’on enseignait aux enfants des nobles ; et il y faisait des progrès si rapides, qu’il n’ignora aucune des règles de la grammaire, de la dialectique, de la rhétorique, ni des autres sciences. Plus tard encore, et au milieu du septième siècle, on enseignait à Clermont les principes de la grammaire et le code de Théodose. Sans doute un petit nombre de grandes villes conservèrent seules le privilége d’un enseignement complet ; mais on a lieu de croire que les maîtres élémentaires, non plus que les copistes, ne manquaient point, lorsque, Chilpéric ayant voulu enrichir l’alphabet de quatre lettres, l’histoire ajoute que, par un rescrit adressé à toutes les cités du royaume, il ordonna que les enfants apprissent à lire, et que les livres anciens fussent passées à la pierre ponce, et recopiés selon l’orthographe nouvelle[11].

Les nobles familles gallo-romaines n’avaient garde de renoncer à ce prestigede l’éducation, qui leur conservait le respect des barbares et l’accès du palais des rois. Tous les grands évêques du temps, tous ces hommes de race sénatoriale, Nicétius de Trèves, Agricola de Châlons, Grégoire de Langres, Ferréol d’Uzès, sont loués de leur éloquence, de leurs écrits, de leurs merveilleux progrès dans l’étude des lettres et dans l’art des rhéteurs. J’omets saint Avitus et saint Remi, qui appartiennent à l’âge précédent. Félix de Nantes parlait le grec comme sa langue maternelle. Le successeur de saint Remi au siége de Reims ne le cédait à qui que ce fût pour la

correction et l’élégance de ses vers. Il ne s’agit point encore d’une littérature ecclésiastique réfugiée dans le sanctuaire tout annonce la perpétuité de l’enseignement séculier, dont les portes ne se fermaient à personne. L’esclave Andarchius, en accompagnant aux écoles le sénateur Félix, devint si savant, qu’il méprisa ses maîtres, voulut, épouser de force la fille d’un homme riche, et finit par se faire brûler vif. Théodebert comptait parmi ses courtisans deux lettrés, Asteriolus et Secundinus, qui se ressentaient assurément de la barbarie de l’époque, puisqu’ils poussèrent la violence de leurs querelles jusqu’à se déchirer le visage avec les ongles : cependant on les vantait comme des maîtres consommés dans l’art de bien dire. Les lettres vivaient encore, non de secret, mais de publicité, mais du commerce d’esprit qui continuait de lier les provinces morcelées de l’empire. Nous avons vu Nicétius de Trèves appeler d’Italie les ouvriers qui relèvent les ruines de ses basiliques Martin de Dume, évêque de Braga, composait des vers pour le tombeau de son patron, saint Martin de Tours. Les rois de France envoyaient en ambassade à Constantinople ce qu’il y avait de plus habile parmi les courtisans gallo-romains. Reovalis, médecin de Poitiers, avait étudié en Grèce. Des moines grecs, comme Egidius, venaient chercher dans les Gaules un ciel plus sévère et des mœurs moins faciles et telle était encore en 585 l’affluence des étrangers de toutes les nations, que le roi Gontran faisant son entrée solennelle à Orléans, y fut complimenté en trois langue~, par les Latins, les Syriens et les Juifs.[12]

Fortunat.

Cette société polie et lettrée du sixième siècle, qui occupe encore les siéges épiscopaux, les sénats des villes, et qui pénètre dans la familiarité des rois barbares, n’a pas de représentant plus fidèle que le poëte Fortunat. Les historiens modernes ont fait revivre avec un rare bonheur la figure de ce disciple des écoles de Ravenne, qui, poussé par la passion des pèlerinages, entreprit en 565 de visiter les sanctuaires des Gaules, passa les Alpes, traversa les provinces des Bavarois, des Alemans, des’Francs orientaux, séjourna quelque temps à la cour d’Austrasie, et, après s’être agenouillé au tombeau de saint Martin de Tours, s’arrêta à Poitiers, retenu par l’amitié de sainte Radegonde et d’Agnès, abbesse de Sainte-Croix. On a relevé tout ce qu’il y a d’étrange dans l’intimité irréprochable, et pour ainsi dire platonique, de l’étranger avec les deux nobles religieuses, les noms qu’il leur prodigue, les appelant non-seulement sa mère et sa soeur, mais sa vie, sa lumière et les délices de son âme enfin le retour dont on le paye, les soins charmants qui préviennent ses goûts et ses désirs surtout les repas exquis, les tables couronnées de roses, chargées de viandes et de fruits, où Fortunat finissait par s’oublier, s’il faut croire à son aveu, quand il s’excuse de quelques vers improvisés après boire. « Mes yeux demi-fermés, dit-il, croyaient voir la table nager dans le vin pur, et ma muse trop égayée n’était pas sûre de sa main. » Une justice un peu rigoureuse a peut-être exagéré les faiblesses du poète, en prenant au mot ses hyperboles ; on a sévèrement traité ses quatorze livres de poésies, trop atteints, comme il le dit lui-même, de la rouille de leur temps. Sans doute Fortunat ne compte point parmi les grands esprits ; il confesse son ignorance, et qu’il a bu seulement quelques misérables gouttes aux fontaines de la rhétorique et de la grammaire. Toutefois, cet Italien, cet émigré d’une contrée plus polie et d’une civilisation plus délicate, n’est point aussi inutile qu’on le pense à Poitiers, au cœur de l’Aquitaine, auprès du sanctuaire de saint Hilaire sur lequel toute la Gaule tenait les yeux fixés : il y remplit une mission qu’on n’a point assez reconnue, comme gardien des traditions du monde lettré, et comme instituteur des barbares[13] .

Ce qui frappe d’abord dans les écrite de Fortunat, c’est le spectacle de ce monde romain qui semblait en ruines, et dont on retrouve partout les opinions, les coutumes et les vices. Les désastres de l’invasion se réparent, et dans vingt pièces le poëte célèbre les églises, les palais, les villes que des mains libérales ont relevés. Toutes tes vieilles cités de Neustrie rivalisent à ériger sur les tombes de leurs saints patrons des basiliques ornées de colonnades, garnies de vitraux, rehaussées d’or, toutes vivantes de sculptures et de peintures. Les villes austrasiennes de Trêves, de Cologne, de Mayence, imitent cet exemple, et ne se souviennent plus des

Vandales. Les évêques unissent au zèle de l’orthodoxie la passion des arts et le goût de la politesse antique ; ils voyagent dans la pesante voiture des nobles gaulois ; ils ne dédaignent point le luxe des jardins ; si leur table est frugale, de riches tapis la couvrent, brodés de feuillages et de vigne et le convive charmé y voit verdir la vigne dont il boit le fruit. Ces graves personnages aiment les vers, et Fortunat ne les en laisse point manquer. Il correspond avec tous il a des félicitations pour leur avénement, des hymnes pour leurs fêtes, des inscriptions pour leurs églises, des distiques improvisés pour recommander à leur charité un pèlerin qui passe, une jeune fille qui plaide. Les plus saints ne résistent pas toujours à la satisfaction d’être célébrés dans la langue des dieux ils finissent par croire à cette immortalité que le poëte leur promet, et qu’il leur assure selon son pouvoir, en dictant l’épitaphe de leurs tombeaux. Je trouve en lui l’interprète, le lien, l’âme de cette société qu’il chante. L’élégance qu’il aime dans les moindres détails de la vie passe dans ses vers, et leur prête des tours heureux qu’un temps meilleur n’eût pas désavoués. Et si je m’indigne de la pauvreté de ses jeux d’esprit, je n’y reconnais rien que je n’aie vu, non-seulement au siècle d’Ausone, mais chez les contemporains de Théocrite et de Callimaque[14].

Il y avait quelque honneur à consoler ainsi les dernières générations du monde ancien, à les encourager au travail d’esprit, à maintenir chez elles le culte des lettres il y en avait davantage à le populariser chez les Germains. Tandis que Radegonde la Thuringienne rassemble autour d’elle les filles des Francs pour les exercer aux méditations du christianisme, Fortunat la soutient de ses louanges, il la félicite de lire les Pères grecs et latins c’est pour elle qu’il réserve.ses plus gracieuses compositions. S’il lui adresse des vers pour déplorer le moment où elle s’enferme dans sa cellule, et d’autres pour célébrer le jour où elle en sort des vers pour la remercier d’une jatte de lait, des vers en lui envoyant une corbeille de châtaignes, des vers avec des fleurs ; il fallait peut-être ces puérilités, qui ne sont pas toujours sans charme, pour faire entrer les lettres latines dans l’éducation des femmes[15]. En même temps, il cherche des disciples plus puissants et moins dociles parmi les gens de cour et les gens de guerre. Assurément lorsque, pour célébrer les noces de Sigebert et de Brunehaut, il fait descendre du. ciel Vénus et Cupidon, ou que, pour consoler Frédégonde de la perte de ses fils, il fait l’énumération de tous les hommes illustres qui sont morts, on peut sourire de la gaucherie de cette muse classique, fourvoyée dans le sanglant palais des Mérovingiens. Mais c’était beaucoup de l’y avoir fait entrer, d’avoir triomphé des mépris des vainqueurs, et de dire à Chiipéric que, l’égal des rois par la puissance, il pouvait devenir plus qu'eux par le savoir[16]. En gagnant le prince, Fortunat assurait aux lettres la faveur des grands. Ses correspondances poétiques vont trouver dans les camps Chrodinus, Bodegisel, Faramond, Bérulf, tous les Germains d’origine;Magnulf, qu'il loue de son grand savoir en jurisprudence ; Gogo, dont il compare l’éloquence à la lyre d’Orphée, et dont tous les discours sont des rayons de miel. A leur tour, les barbares, jaloux de se perfectionner dans les lettres latines, consultent le savant maître qui leur est venu d’Italie. Un évêque franc, nommé Bertramm, lui envoie des vers, et Fortunatlui répond « .La feuille que tu m’adressais m’a porté des vers sublimes, et des paroles dignes d’un sage qui chausse le cothurne. Pendant que je parcourais les lignes retentissantes de tes vers écumants, j’ai cru livrer mes voiles à une mer agitée. Ton poëme roulait des flots orageux, comme l’Océan quand il semble soulever les eaux de ses sources, pour les jeter sur ses rivages. Je doute que Rome, la ville vénérée, entende des chants si pompeux aux lectures qu’applaudit le forum de Trajan. Certes, si tu avais récité de si nobles paroles en présence du sénat, on eût mis des tapis d’or sous tes pieds ; tu verrais tes vers, portés par la faveur du peuple, courir sur les places, dans les carrefours, et passer de ville en ville. Toutefois, seigneur, j’ai noté quelques endroits où la nouveauté s’introduit furtivement à la place de la règle antique. Dans un petit nombre de vers, une syllabe de trop a rompu la mesure, et la muse gémit de se sentir un pied boiteux. » On voit que Fortunat ménageait ses disciples, mais sans leur taire la vérité. Au fond de sa retraite, il tenait école d’éloquence et de poésie, pardonnant à ses turbulents élèves plus d’une infraction aux règles de la langue, espérant bien de cet âge violent dont Grégoire de Tours avait désespéré. Sans doute il n’eut ni la verve, ni l’élévation ni la tristesse solennelle de Grégoire de Tours ; mais il n’eut pas à essuyer les mêmes tempêtes il vit l’avenir d’un lieu plus serein, et se trouva plus juste pour avoir été plus indulgent[17].

Les Francs initiés aux lettres latines

En effet, ces Germains que nous avons vus si longtemps impatients de toute règle, commençaient a se plier aux lois du travail, à souffrir qu’un maître châtiât leur langage, chargeât leur mémoire, disciplinât leur pensée. Quand tout l’effort de la royauté mérovingienne était de rappeler les temps romains, il fallait bien qu’elle en adoptât la langue. Childebert avait appris le latin, s’honorait d’aimer la paix, la justice et les lettres, et se faisait représenter à la porte de l’église de Saint-Vincent en robe longue et tenant un livre. Charibert semait sa prose de toutes les fleurs de l’ancienne rhétorique. Chilpéric s’était élevé jusqu’à la poésie, et avait composé deux livres de vers. Si Grégoire de Tours affirme que les vers du poëte couronné se tenaient mal sur leurs pieds, la postérité, plus complaisante, n’en jugea pas de même, et la statue de Chiipéric fut sculptée au portail de Notre-Dame, un violon à la main, dans l’attitude d’Apolloli. Clotaire II avait reçu une éducation savante, qui lui apprit à craindre Dieu et à supporter les hommes[18]. L’exemple des rois entraînait leurs compagnons de guerre. Les chefs tes plus belliqueux, aux jours de fête, aimaient à entendre alternativement la harpe du chantre barbare et la lyre du Romain. Dans cette impatience de jouir, qui leur faisait essayer tous les enchantements de la civilisation, plusieurs finissaient par s’attacher aux plaisirs d’esprit. Ce même Gogo, célébré par Fortunat, et devenu plus tard maire du palais d’Austrasie, adresse des vers à un ami, et s’excuse si un trop long séjour chez les Germains, au milieu de tant de nations dont il faut parler les idiomes, lui a fait oublier les leçons du rhéteur Parthénius. Le Franc Ebrulf, honoré depuis sous le nom de saint Evroult, avait été appliqué dès l’enfance aux sciences divines et humaines, et y fit des progrès si rapides, que le roi Childebert l’appela au palais, dont il devint l’ornement par l’éloquence de ses plaidoyers et par la sagesse de ses conseils. Attala, fils d’un seigneur bourguignon, fut nourri dans l’étude des arts libéraux longtemps avant l’âge où la vocation religieuse le poussa à s’enrôler dans la milice de saint Colomban. La noblesse germanique commence à rivaliser de zèle avec les sénateurs gallo-romains, à faire asseoir ses enfants dans les écoles pour y recevoir une instruction, non pas ecclésiastique seulement, comme on a coutume de le supposer, mais littéraire et capable de les préparer aux fonctions de la cour comme aux dignités de l’Eglise (1). Les lettres pénètrent dans l’éducation des femmes, et une illustre personne nommée Wilithruda, épouse de Dagulf, est louée, dans son épitaphe, d’avoir été Romaine par la science, quand la naissance la faisait barbare. Le besoin de savoir allait tourmenter jusqu’aux derniers rangs de ces peuples grossiers, qui étaient venus chercher dans les Gaules autre chose que des livres et (1)[19] des maîtres. Un jeune pâtre nommé Walaric, en menant les moutons de son père sur les montagnes d’Auvergne, entendit parler des leçons qu’on donnait aux fils des nobles. La passion d’étudier s’empara de lui, et, s’étant fait une tablette, il alla prier humblement un maître du voisinage de lui tracer un alphabet. Il obtint ce qu’il demandait, et se mit à l’étude avec tant d’ardeur, qu’en peu de temps il sut le psautier d’un bout à l’autre. Tous eus exemples sont du sixième siècle. Ainsi, cent ans après que Clovis avait fait son entrée dans l’Église, les derniers de son peuple faisaient leur entrée dans l’école. Il ne faut pas s’étonner si les souvenirs de l’antiquité latine, descendus jusqu’au fond même de la nation, s’y confondent avec les fables germaniques ; si le nœud se forme entre les deux traditions, et si Frédégaire raconte déjà comment les Francs, échappés à la ruine de Troie, vinrent, sous la conduite de Francion, bâtir une Troie nouvelle au bord du Rhin, et comment les Mérovingiens, issus du même sang qu’Énée, sont les héritiers naturels des Césars[20].

Virgilius Maro, grammairien.

Fortunat mourut vers 609. Il était nécessaire de pénétrer avec lui dans les mœurs littéraires de la Gaule, et particulièrement de l’Aquitaine, afin de savoir si l’on peut trouver place dans la même province, à la même époque, pour un écrivain qui éclairerait d’une lumière bien plus vive l’histoire des écoles et de l’enseignement. Il s’agit du grammairien de Toulouse, Virgilius Maro. Le savant éditeur de ses écrits le place à la fin du sixième siècle. Plusieurs critiques refusent de croire qu’un livre si étrange, mais qui suppose une culture active des lettres, puisse être contemporain de Frédégonde et de Brunehaut. Tout ce qui précède détruit cette objection, et nous permet de laisser, au moins provisoirement, le grammairien Virgile en possession de sa date présumée, sauf à la confirmer plus sûrement par les preuves qui résulteront d’une étude rapide de l’écrivain et de ses ouvrages. Ce que le temps en a sauvé se réduit à huit Épîtres au diacre Germain sur les parties du discours, suivies de quinze Lettres à Fabianus sur divers sujets de grammaire. Sous des titres si arides on ne s’attend assurément, pas à trouver la succession des professeurs aquitains, les traditions mystérieuses qu’ils se transmettaient depuis un siècle, les disputes qu’ils soutenaient jour et nuit, pendant que, sous les murs de leurs villes, les Francs et les Visigoths s’entr’égorgeaient[21] .

Voici en quels termes Virgile commence l’histoire de son école, et ce qu’il appelle le Catalogue des grammairiens « Le premier fut un vieillard nommé Donatus, qui habitait Troie, et dont on assure qu’il vécut mille ans. Il vint auprès de Romulus, le fondateur de Rome, qui le reçut avec beaucoup d’honneur. Il y passa quatre ans, y fonda une école, et laissa à sa mort un nombre infini d’ouvrages, où il proposait des questions comme celle-ci a Quelle est la femme, ô mon fils ! qui allaite d’innombrables enfants, et dont le sein s’épuise d’autant moins qu’on le presse davantage ? C’est la science. Il y eut au même lieu de Troie un Virgile auditeur du même Donatus, très-habile à composer des vers, qui écrivit soixante-dix volumes sur la métrique, et une lettre d’éclaircissements sur le verbe, à Virgile l’Asiatique. Virgile l’Asiatique fut le disciple du premier, homme d’un grand génie, si prompt à rendre service, que jamais la parole de celui qui l’appelait ne le trouvait assis. Tout enfant je l’ai connu, et de sa main il me traçait des leçons. Il était souverainement honoré en Cappadoce, d’un commerce très-doux, versé dans les sciences physiques, dans le comput de la lune et des mois. Il expliquait à ses écoliers le bruit du tonnerre par un vent qui souffle plus haut que tes autres, et qui se fait entendre à des moments marqués. J’ai aussi connu l’Espagnol Histrius, qui a porté tout l’éclat de son éloquence dans ses livres d’histoire. Grégoire l’Égyptien s’était appliqué avec zèle aux lettres grecques ; il avait composé une histoire de la Grèce en trois mille livres. Balapsitus de Nicomédie, mort il y a peu de temps, avait traduit en latin des livres de notre loi, que j’avais en grec. Il y eut aussi trois Julien, l’un en Arabie, l’autre en Inde, le troisième en Afrique, qui furent les précepteurs de mon maître Énée, et dont il recueillit les livres, grâce à l’art qu’il avait d’écrire en notes. J’y trouva qu’à peu près au temps du déluge il y eut un grand homme du nom de Maro, dont les siècles ne suffiront pas à célébrer la sagesse. C’est en mémoire de lui qu’Enée a voulu m’appeler du nom que je porte. Car, remarquant les grandes dispositions qui étaienten moi : Celui-ci de mes fils, dit-il, se nommera Virgilius Maro, car l’âme de l’antique Maro revit en sa personne[22] . »

Assurément, si de tels récits ne sont pas d’un homme en délire, il faut leur prêter un sens allégorique. En effet, de nombreux détails ne permettent pas de contester la réalité des personnages qui se cachent sous ces noms étrangers et nous trouvons la première clef de l’énigme dans le témoignage d’Abbon de Fleury, qui fait vivre notre auteur à Toulouse. Toulouse était donc la Rome des Gaules, de même que Rome était la seconde Troie. En continuant l’interprétation, nous pourrions reconnaître dans le nouveau Romulus le roi Euric, fondateur de la monarchie des Visigoths. Il ne faut point s’étonner de voir au sixième siècle fleurir tant de Virgiles. Les temps barbares aimèrent ce nom c’était pour eux le nom d’un sage, d’un prophète, qui, dans la quatrième églogue, avait prédit l’avénement du Sauveur ; j’allais dire le nom d’un saint. On connaît un Virgile diacre de Ravenne, un Virgile archevêque d’Arles, sans parler de Virgile que nous avons vu porte au siége de Salzbourg. Ceux qui se vouaient aux lettres, à l’Église, aux soins de l’État, n’hésitaient point a faire d’autres emprunts à l’antiquité. Et quand notre grammairien cite Homère, Caton, Térence, Varron, Cicéron, Horace, Lucain, gardons-nous de croire qu’il s’agisse des grands écrivains classiques nous n’avons affaire qu’aux maîtres de grammaire, parés de ces noms pompeux qu’ils mettaient volontiers sur le voile de pourpre suspendu comme une enseigne à la porte de leurs écoles[23].

Il est vrai que ces écoles rivalisaient d’activité, d’opiniâtreté, avec celles qui firent la gloire d’Alexandrie, de Rome et de Milan. Virgile avait assisté, dans sa jeunesse, à une assemblée de trente grammairiens réunis pour traiter des intérêts de l’art. On y décida que rien n’était plus digne d’occuper les méditations des savants que la conjugaison du verbe, dont l’emploi dominait toute la syntaxe latine..Lors de ces délibérations communes qui réunissaient tous les maîtres, ils se divisaient en deux sectes vouées à des disputes éternelles. Les deux chefs, Térentius et Galbungus, avaient passé, disait-on, quatorze jours et quatorze nuits à débattre si le pronom ego avait un vocatif ; et comme ils ne pouvaient s’entendre, la question fut renvoyée au grammairien Enée, qui accorda le vocatif au pronom, pour le cas seulement ou on l’emploie dans une phrase interrogative. Mais cette controverse n’égala pas l’éclat de celle qui mit aux prises Régulus de Cappadoce et Sédulius le Romain. Il s’agissait de savoir si tous les verbes ont un fréquentatif : les deux savants, touchés d’une question si grave, restèrent en conférence quinze jours et quinze nuits sans se mettre à table et l’affaire en vint presque aux couteaux tirés. Les femmes elles-mêmes cédaient à l’attrait de ces études : elles ne reculaient pas devant la publicité de l’enseignement. On citait les écrits de Sulpicia mais cette docte personne n’avait point l’autorité de Fassica, qui avait professé, et dont la gloire devait durer autant que l’univers. Le feu sacré ne s’était pas éteint en arrivant jusqu’à Virgile ; le gouvernement des syllabes ne lui laissait pas de repos il raconte qu’une nuit l’Espagnol Mitterius, qu’il honorait comme un prophète, vint frapper a sa porte, et, en retour de son hospitalité, lui promit de répondre à ses questions. Le grammairien, tiré de son sommeil, ne demanda qu’une chose : le moyen de discerner la valeur d’un terme qui peut offrir deux sens sous les mêmes lettres, et comment savoir quand le mot hic est adverbe et quand il est pronom[24] Si leurs contemporains blâmaient cette passion de disputer, et tant d’ardeur à tourmenter les huit parties du discours, ces savants maîtres prenaient en pitié les profanes qui ne connaissaient pas toute la profondeur de la grammaire latine. « Car, disent-ils, qui croira jamais à la latinité si étroite et si pauvre, que chaque mot n’ait qu’un sens et qu’un emploi, quand on compte douze genres de latinité, et que chacune a plusieurs grammaires ? C’est ici, en effet, que le voile de l’école commence à se lever, et nous introduit dans un monde littéraire où tout est nouveau[25]


La doctrine secrète et les douze latinités.

Les bornes étroites dans lesquelles s’étaient ren fermés les anciens grammairiens ne pouvaient plus contenir l’ambition de leurs successeurs. Las de relire et d’interpréter sans fin les écrivains classiques; ne trouvant plus un vers de l’Enéide qui ne fût chargé de commentaires ; poussés d’ailleurs par ce besoin d’innover qui poursuit l’esprit humain, ils en étaient venus à se créer pour eux seuls, et pour leurs disciples favoris, un autre idiome et une autre littérature. Ils en donnaient trois raisons : Ils se proposaient d’abord d’exercer la sagacité des élevés ensuite de prêter à l’éloquence un ornement de plus enfin de ne point livrer aux profanes les connaissances réservées au petit nombre des adeptes, selon cette maxime antique « Ne jetez point les perles aux pourceaux. Et en effet. ajoutaient-ils, si ces sortes de gens éventaient notre science, non-seulement ils traiteraient sans pitié le peuple des campagnes, ils n’auraient, pour nous ni honneur ni respect ; mais, à la manière des pourceaux, ils se jetteraient sur ceux qui auraient voulu les parer. Voilà pourquoi Virgile l’Asiatique avait distingué douze sortes de latinité. La première était la langue de tous, vulgaris. Il avait appelé la seconde assena, désignant ainsi le langage abrégé, sténographique des notaires qui faisaient profession de recueillir les actes publics. La troisième, semedia, tenait de l’idiome vulgaire et de l’idiome savant. La quatrième, numeria, altérait les noms de nombre Celle qu’on nommait lumbrosa allongeait le discours, et employait quatre mots pour un ; celle qu’on appelait syncolla abrégeait tout, et par un mot en remplaçait quatre. Les six autres metrofia, belsabia, bresina, militena, spela, polema faisaient subir au langage des changements dont on ne se rendrait point compte, si Virgile ne prenait la peine de citer les douze noms du feu. Le vulgaire l’appelle ignis ; mais les sages le nomment quoquevihabis, parce qu’il cuit ; ardon, parce qu’il s’embrase ; calax, parce qu’il chauffe ; spiridon, parce qu’il exhale une vapeur ; rusin, de la rougeur du charbon ; fragon, des fracas de la flamme ; fumaton, de la fumée ; ustrax puisque le feu consume ; seluseus, à cause du silex d’où on le tire ; aeneon, du vase d’airain qu’on lui confie. C’est ainsi qu’on arrivait à créer douze signes pour une même pensée, et qu’on se réservait une langue philosophique, mystique, au-dessus de celle qu’on avait l’humiliation de parler avec tout le monde[26].

Toute l’école admit les douze latinités de Virgile l’Asiatique, et ne s’occupa désormais que d’y porter de nouveaux raffinements. Le premier soin était de créer des mots on empruntait à la langue grecque des racines dont on modifiait la dissidence ; on disait charaxare pour écrire ; de thronos, trône, on faisait thors, le roi qui s’y assied. D’autres fois on se contentait de supprimer des lettres ou de les déplacer : le commun des hommes disait heri . hier : les savants disaient rhei. S’il était permis d’écrire en langue intelligible, il fallait cependant que la main des maîtres se fit sentir par l’emploi des prépositions qui leur étaient particulières : con pour apud, salion pour ante, cyron pour contra. En second lieu, on recourait aux artifices de l’écriture, et à ce qu’on appelait scinderatio phonorum ; tout se réduisait à rompre les constructions, les mots, les syllabes à écrire en chiffres, et, par exemple, à tracer sur les tablettes rr ss pp mm nt ee oo au ii. Le correspondant, qui avait le secret du chiffre, lisait Spes Romanorum periit. Troisièmement, on bouleversait la grammaire en donnant aux noms d’autres cas, aux verbes d’autres temps et d’autres modes. Les grammairiens n’ avaient garde d’user des déclinaisons qu’ils faisaient répéter aux écoliers : ils avaient doctus doctii, sanctus sanctii. Leurs conjugaisons enrichissaient la grammaire : Navigare pontum ne remplissaient pas l’oreille : quand on avait la passion de l’harmonie imitative, on disait à l’infinitif Navigabere pontum. Enfin, à la prosodie des poètes classiques, on substituait une versification nouvelle, dont les dactyles et les spondées semblent mesurés, non par la quantité, mais par l’accent. Au milieu des obscurités de cette étrange poétique, on remarque cependant les compositions que Virgile nomme des proses, et qui rappellent en effet les proses de l’Église, composées de vers de huit syllabes, comme ce chant sur le lever du soleil :

Phœbus surgit, coelum scandit,
Polo claret, cunctis paret.

À ces coupes faciles, à ces rimes, on commence à soupçonner que le grammairien se méprend, et qu’au moment où il promet les règles d’une métrique savante, c’est le secret de la poésie populaire qu’il laisse échapper. A Dieu ne plaise toutefois qu’il ait voulu encourager les poëtes à chanter pour tous, ni se départir de cet art qui tourne tout l’effort de la parole à cacher la pensée ! Il en multiplie les exemples, et finit par une énigme de sa façon, qui atteint si bien le sublime du genre, que nous n’avons assurément pas la présomption de l’expliquer[27].

Ce qu’il y avait de séreux dans l’école de Toulouse. — Religion. — Les deux bibliothèques de l’église.

Arrivée à ce point, il semble que l’école de Toulouse ne soit plus qu’un refuge de gens de’lettres en délire ; et on a peine à croire Virgile, quand il cite des ouvrages entiers composés par les Cicérons et les Lucains de son temps, dans ce prodigieux système de grammaire, d’orthographe et de versification. Toutefois, sous tant de puérilités, on finit par découvrir des pensées plus graves, des croyances religieuses, des doctrines philosophiques. Virgile est chrétien : en adressant au diacre Germain ses lettres sur les parties du discours, il lui demande des prières; c’est au service de la loi divine qu’il veut mettre toute l’éloquence et tout le savoir des hommes. Si donc, dans l’étude des choses humaines, quelques difficultés se soulèvent contre les antiques doctrines des Hébreux, il faut que les oracles de la terre se taisent devant ceux du ciel. Car, dit-il, ceux-là font un emploi misérable de leur courage, qui veulent défendre la science des philosophes en attaquant l’autorité de la sagesse hébraïque, parce qu’ils la trouvent vieille et inculte. Pour lui, fidèle aux saines maximes des Pères, il ne juge pas que ce soit trop pour éclairer le monde des deux lumières de la foi et de la raison. Il loue l’Église de la coutume qu’elle garde, selon la tradition apostolique, « de conserver séparément les écrits des philosophes païens et ceux des chrétiens. Car, voyant que les hommes nourris dans les études libérales et dans les lettres séculières, en se faisant chrétiens, avaient besoin de conserver l’habitude de la science considérant d’ailleurs qu’on ne pouvait les arracher à leurs travaux accoutumés et qu’enfin des hommes éloquents rendraient le service de commenter et de relever les livres de la sagesse divine, si, en se convertissant au Seigneur, ils persévéraient dans l’exercice de l’éloquence : les docteurs de l'Eglise décidèrent prudemment qu’on ferait deux bibliothèques, l’une pour les livres des philosophes chrétiens, l’autre pour les écrits des gentils, de peur que, si l’on confondait les infidèles avec les fidèles, il n’y eût pas de distinction entre ce qui est pur et ce qui ne l’est pas. » Ce témoignage est considérable, comme preuve de la tolérance de l’Église à l’égard des écrivains païens : il éclaire d’un jour nouveau l’époque du grammairien de Toulouse. On assiste aux dernièeres luttes de la philosophie ancienne avec la nouvelle religion, qui lui dispute encore un petit nombre de cœurs indécis. Fabianus, disciple de Virgile, avait fait profession de paganisme avant d’être purifié par. le baptême. Un autre maître du même temps, nommé Don, grammairien et rhéteur, était devenu prêtre de l’Eglise chrétienne ; Virgile lui-même ne devait pas rester spectateur oisif du combat : il écrivit contre les infidèles un livre de la Création du Monde [28].

Philosophie.

Mais, en prenant parti pour la révélation, il ne s’était point déclaré l’ennemi de la saine philosophie. Il honorait comme philosophe « quiconque porte à l’étude des choses divines ou terrestres un cœur pur et une active sollicitude. » Pour lui, la philosophie digne de ce nom était la source et la mère de tout art et de toute science elle embrassait la poésie, la rhétorique, la grammaire, la dialectique, la géométrie, c’est-à-dire la connaissance de la terre et des herbes qu’elle produit. « D’où vient, remarque-t-il, que nous rangeons les médecins parmi les géomètres. » Il y ajoute l’astronomie et la physique, qui dispute, dit-il, de la nature des choses. Au milieu de tant de sujets d’étude, la première préoccupation du sage et le fond même de toute philosophie, c’est la connaissance de l’homme et on ne peut s’empêcher de reconnaître un souvenir confus de la doctrine platonicienne, quand Virgile, pour animer ce composé d’éléments arides, liquides et froids qui doivent former l’homme, veut la réunion de trois âmes. La première (anima) donne la vie au corps, reçoit les impressions de la nature, et ne distingue pas l’homme du reste des animaux ; la seconde (mens) recueille les impressions des sens, les retient, les combine, et s’élève aux vérités abstraites la troisième (ratio) est la raison d’en haut, qui descend dans la pensée ainsi préparée, lui apporte la lumière et le feu, et lui livre les choses célestes. C’est donc avec raison qu’on a considéré l’homme comme un monde en abrégé, puisqu’il contient tout ce qui compose le monde visible : « terre par le corps, feu par l’âme, ses pensées ont la rapidité de l’air, sa science l’éclat du soleil, sa fortune l’instabilité des phases de la lune ; sa jeunesse est un printemps fleuri, ses vices sont des monstres, et son cœur une tempête[29]. »

De telles doctrines n’étaient pas sans grandeur, et on ne peut d’ailleurs méconnaître ce qu’il y avait de connaissances réelles dans une école où l’on faisait profession d’étudier le latin, le grec et l’hébreu. Toutefois ce qui me touche davantage, c’est que ces esprits égarés finissent par douter de leur science, et par soupçonner la vanité des travaux qui dévoraient leurs veilles. Énée, le maître de Virgile, avait coutume de l’instruire par des comparaisons et des paraboles. Un jour qu’il lui montrait un rocher creusé par les eaux : « Vois, mon fils, lui dit-il, cette pierre nue que les flots ont rongée ainsi le sage est rongé par les flots du savoir où il s’enfonce ; et, au milieu de ses plus chères études, il se sent encore malheureux.  » On aime à saisir ces rares accents d’une sagesse véritable, et à retrouver des hommes là où l’on ne croyait plus voir que des vieillards redevenus enfants [30].

Date précise du grammairien Virgile


Et maintenant nous connaissons assez les écrits de Virgile, pour en fixer la date au milieu des conjectures contraires des critiques, qui hésitent entre le cinquième siècle et le huitième, entre le temps de Sidoine Apollinaire et celui de Charlemagne. Premièrement, tout indique une époque où le paganisme vaincu résiste encore, où il se réfugie dans le culte de la philosophie et des lettres, et s’efforce de sauver au moins l’autel des muses. On voit des infidèles, non-seulement parmi les barbares, mais parmi les lettrés on se félicite de la conversion des uns, on écrit contre les autres. En second lieu, il faut que l’antiquité n’ait pas péri, qu’elle vive encore, quoique défigurée, dans ces assemblées de grammairiens convoquées pour sauver la langue au moment de la ruine des institutions. Il faut enfin que la barbarie soit bien menaçante, puisqu’elle réduit les lettres à se cacher car des différents motifs par lesquels Virgile justifie l’emploi d’un langage secret, celui qu’il développe davantage est assurément le plus sincère. En présence de ces terribles Germains, hauts de sept pieds, et qui passaient pour anthropophages ; quand, du fond de leurs manoirs, ils tenaient les campagnes dans l’épouvante et les villes voisines en respect quand déjà la plupart savaient assez de latin pour épier les discours et surprendre les correspondances, il fut pardonnable à de pauvres rhéteurs de se faire un idiome inintelligible à leurs ennemis, de s’écrire en chiffres, et de se constituer en société secrète[31].

Aucun de ces traits ne convient aux temps carlovingiens, à une époque toute chrétienne, où l’on convertissait encore des Saxons, mais où l’on ne baptisait plus de rhéteurs latins. Comment admettre au huitième siècle, lorsque la France était réduite à recevoir presque toutes ses lumières de l’Italie, de l’Angleterre et de l’Irlande, l’existence d’une école nationale à Toulouse, qui compterait quatre générations et cent vingt ans de durée ? Enfin, ce qui fait la grandeur littéraire du règne de Charlemagne, c’est la passion, non de cacher, mais de populariser la science c’est le besoin, non de fermer les portes de l’école, mais de les ouvrir, et d’y pousser, de gré ou de force, le clergé, la noblesse, et jusqu’aux enfants des serfs c’est enfin la pratique sincère de l’enseignement chrétien, qui n’a pas de doctrines ésotériques, qui ne partage pas les hommes en deux classes, l’une d’initiés, l’autre de profanes. Au contraire tout conviendrait

au cinquième siècle, si ce n’est que, Virgile supposant toute une suite d’écrivains engages avant lui au service de la même doctrine secrète, il faudrait le faire remonter plus haut, et jusqu’au temps d’Ausonc. Mais le poëte Ausone, si intarissable et si instructif dans ses éloges des rhéteurs aquitains, ne laisse rien pressentir de pareil aux inventions grammaticales de l’école de Toulouse. Tant que l’épée de Théodose et la politique de Stilicon couvrirent les frontières, les lettrés s’occupèrent de célébrer la gloire de l’empire, et non pas de se dérober aux menaces des barbares[32].

Les dernières difficultés s’évanouissent, si l’on place Virgile à la fin du sixième siècle. Nous savons quels combats se livraient alors la civilisation et la barbarie dans l’Église, dans l’État, dans les lettres ; et nous avons assez vu où en étaient les partisans de l’antiquité, pour ne nous étonner ni de leur opiniâtreté ni de leurs terreurs. Il ne faut pas dire que le paganisme n’avait plus de disciples, puisque Théodoric avait dû renouveler les lois des empereurs chrétiens contre ceux qui offraient des sacrifices et qu’en 545, pendant le siége de Rome par Bélisaire, les païens voulurent rouvrir les portes du temple de Janus. Si la capitale du christianisme tolérait encore des infidèles, on devait les trouver plus nombreux dans les provinces, où la foi répandait moins de lumières. Rien n’empêche donc de faire fleurir l’école de Toulouse vers l’an 600, et des indications décisives y conduisent.

Et d’abord le savant éditeur de Virgile avait déjà reconnu que cet écrivain cite un chant composé en l’honneur de la reine Rigadis, probablement la même que Rigonthe, fille de Chilpéric et de Frédégonde. Maison n’avait peut-être pas assez remarqué tout ce qu’il y avait de poétique, de populaire et d’attachant pour les Aquitains dans les aventures de cette princesse, fiancée, en 584, au roi des Visigoths Reccared, partie avec des trésors prodigieux et une escorte de quatre mille hommes ; obligée de séjourner à Toulouse pour ravitaillers a troupe, et surprise dans cette ville par une révolte qui la dépouilla de ses richesses, rompit son mariage, et lui fit reprendre le chemin de Paris, mourant de honte et de douleur. Ceux qui avaient vu la fière Mérovingienne entrer dans leur ville, entourée de gens de guerre, traînant cinquante chariots chargés d’or, d’argent, et de vêtements précieux, et quelques jours après, obligée de chercher un asile dans la basilique de Sainte-Marie, ou se réfugiaient les coupables et les accusés en péril de mort, ceux-là durent assurément s’émouvoir d’une si grande infortune ; et le poëte Sarbon, père de Glengus, put y trouver, comme il disait, « le sujet d’un chant digne de l’admiration des hommes[33]

Mais le malheur de la fille de Chilpéric se rattache à une suite d’événements qui mirent l’ Aquitaine en feu, et dont je trouve la trace encore brulante dans les écrits du grammairien Virgile. Un barbare appelé Gondowald, qui se donnait pour fils du roi Clotaire, après un long séjour à Constantinople, avait débarqué à Marseille et, gagnant les montagnes d’Auvergne, il s’y était fait élever sur le pavois par une troupe de nobles à la tête desquels paraissait Bladastes, chargé d’un commandement militaire dans la Gaule méridionale. L’armée du prétendant, grossie par le succès et par l’espoir du pillage, envahit l’Aquitaine par le nord, réduisit en son pouvoir Périgueux, Angoulême, Agen, et, à la fin de 584, vint mettre le siège devant Toulouse. A l’aspect des bandes innombrables qui pressaient les remparts de la cité, deux partis se déclarèrent, l’un pour la résistance, l’autre pour la soumission. Leur division livra les portes à l’ennemi, les trésors de Rigonthe à Gondowald, et la ville entière aux violences d’une armée victorieuse. Le souvenir de cette guerre civile ne pouvait s’effacer le maître de Virgile, le grammairien Enée, en avait écrit l’histoire, ou plutôt, disait-il, la déplorable tragédie, dans ce langage emphatique et figuré dont l’école de Toulouse gardait le secret. Il l’avait appelé la seconde guerre de Mithridate, et commençait en ces termes : « En ce temps-là, Blastus, Phrygien d’origine, vint du Nord, sa patrie ; il entra dans Rome avec une troupe de Germains, dont il s’était assuré l’amitié et l’alliance. Il causa de grands désordres en divisant la ville en sept factions qui en vinrent aux mains, de sorte que tout le peuple s’entr’égorgeait. » Il faut se rappeler que, chez nos grammairiens, Rome désigne Toulouse ; que Frédégaire donne aux Francs le nom de Phrygiens ; et l’on ne pourra s’empêcher de reconnaître sous le nom de Blastus le duc Bladastes, engagé dans la conspiration de Gondowald, où il entraîna une partie de l’Aquitaine. Or, comme Énée ajoute qu’il avait vingt-cinq ans à l’époque des événements qu’il décrit comme le poète Sarbon, qui, vers le même temps, composa le chant de la reine Rigonthe, fut le père de Glengus et l’aïeul de Maximien, contemporain de Virgile, on ne saurait guère placer Virgile même que sur la limite du sixième et du septième siècle ; et la date que la critique cherchait semble désormais fixée[34].

En effet, les preuves tirées des écrits du grammairien de Toulouse trouvent un nouvel appui dans les témoignages étrangers qu’on leur confronte. Si le rhéteur Ennodius, mort en 516, tourne ses épigràmmes contre un poëte de son temps qui se fait appeler Virgile, et qu’il tient pour insensé, je crois reconnaître le premier des faux Virgile, celui qui vivait a Troie, c’est-à-dire à Rome, tellement habile dans l’art des vers, qu’il écrivait soixante-dix livres sur la versification. D’un autre côté, l’Ànglo-Saxon Aldhelm, mort en 709, cite un jeu de mots de Glengus, et bientôt après Bède reproduit un texte du faux. Horace, déjà allégué par notre grammairien. Enfin l’Irlandais Clemens, contemporain de Chartemagne, compose un traité des parties du discours, où il insère de longs extraits du Virgile de Toulouse. Il y a plus, et l’autorité de l’école d’Aquitaine, qui eut bientôt des disciples et des émules d’un bout à l’autre de l’Occident, nous explique plusieurs passages qui nous arrêtaient d’abord chez les écrivains contemporains. Quand Grégoire de Tours déclare que peu d’hommes comprennent un rhéteur qui s’exprime en philosophe ; quand saint. Ouen se défend de parler le langage des scolastices

ques, qu’il accuse les grammairiens de se perdre dans leurs fumées et de détruire plus qu’ils n’édifient comment ne pas soupçonner quelque allusion à cette latinité philosophique dont le propre était de fuir la clarté, à ces artifices d’une grammaire qui épuisait, dans ses misérables exercices, les dernières forces de l’intelligence ? On commence à entrevoir l’origine de tant de plagiats qui ont troublé toute l’histoire littéraire, des faux Caton, et des autres pseudonymes anciens. Ainsi, dans l’énumération générale des auteurs les plus vantés de son temps, saint Ouen cite d’abord Tullius, et plus loin Cicéron je ne crois plus qu’il ait fait deux écrivains d’un seul, et je soupçonne qu’il s’agit du Cicéron fils de Sarricius, dont on disait « Qui ne l’a pas lu n’a rien lu. » Et je ne serais pas étonné de retrouver encore quelqu’un des faux Virgile dans celui dont Frédégaire s’autorise pour faire sortir les Francs de l’incendie d’Ilion. [35]

La doctrine de grammairiens aquitains se propage.

Ainsi, ce qu’on pouvait, prendre pour l’erreur passagère de quelques lettrés devient la tradition de plusieurs siècles. Nous verrons la doctrine secrète des rhéteurs aquitains passer la mer, se propager dans les monastères d’Irlande et d’Angleterre, et, après avoir traversé les temps barbares, venir expirer à la lumière du moyen âge. Ou plutôt, en y regardant de plus près, nous ne verrons jamais finir ce travers de l’esprit humain, ce goût des raffinements , des fictions, des contrefaçons de l’antiquité, qui s’empare des plus florissantes littératures ce plaisir vaniteux, qui tente les sociétés les plus polies, de se dégager de la toute, de se faire une langue inaccessible aux profanes, de s’entendre et de s’admirer à huis clos. Nous serons moins sévères pour les obscurs grammairiens du sixième siècle et du septième, si nous songeons aux jeux d’esprit qui inaugurèrent le règne de Louis XIV, aux Sapphos, aux Ânacréons de l’hôtel de Rambouillet, lorsque Paris s’appetait Athènes, que Vincennes se nommait Venouse, Meudon Tibur ; lorsque les précieuses n’avaient plus le déplaisir de parler comme tout le monde, et que les solitaires de Port-Royal exerçaient encore leurs élèves aux formes du syllogisme, à l’aide de ces vers que Galbungus aurait signés :

Barbara celarent Darii ferio Baralipton.
Cesare camestres festino Baroco darapti.

Quels services redit cette école.

Mais ce qu’on ne prévoyait pas, c’est que ce dernier effort de la décadence latine eût prise sur la barbarie ; c’est qu’une littérature tout occupée de dérober ses secrets aux ignorants, aux hommes de l’invasion, les attirât par ses obscurités, les attachât par ses difficultés, et, avec tout ce qu’elle fit pour les repousser, ne réussît qu’à les séduire. On s’en aperçoit déjà aux noms étrangers et tout germaniques de quelques maîtres mêlés aux Virgile et aux Cicéron de Toulouse je veux dire Glengus, Galbungus, et je ne puis guère m’empêcher de prendre ce dernier pour quelque Visigoth furtivement introduit dans le sanctuaire de l’enseignement. Les Germains retrouvaient chez ces grammairiens l’usage de l’allitération, c’est-à-dire l’ornement accoutumé de leur poésie : ils y voyaient la même passion des termes obscurs et des figures téméraires, la même fidélité à ne rien nommer par son nom, les mêmes traits qui caractérisaient les chants de leurs scaldes, qui nous étonnent encore dans les fragments de l’Edda et dans l’épopée anglo-saxonne de Beowulf. Les bardes gallois du septième siècle aimaient à hérisser leurs compositions de mots latins qu’ils n’entendaient pas. Les Irlandais feront mieux, et produiront des livres entiers dans la plus ténébreuse des douze latinités. Les poëtes anglo-saxons poussent le génie de la périphrase à ce point, que l’un d’eux trouve vingt six manières de désigner l’arche du déluge. Dans la langue lyrique de ces hommes ; dont les pères offraient encore des sacrifices humains, une harpe s’appelait « le bois du plaisir » et les larmes, « l’eau du cœur. La rhétorique n’a plus de secrets pour des imaginations si bien préparées, et le dernier écolier anglais écrira aussi métaphoriquement, aussi inintelligiblement que les docteurs aquitains. Enfin, si ces maîtres habiles avaient pensé sauver la science en l’ enveloppant de voiles ; si Donatus, Enée et les autres avaient réduit toute leur philosophie en énigmes qu’ils proposaient à leurs disciples, ils ne pouvaient lui prêter des dehors plus attrayants pour des peuples enfants, ni plus flatteurs pour les habitudes des Germains. Dans le loisir de leurs longues nuits, ils aimaient à se proposer, à résoudre des questions difficiles. Les recueils de poésies anglo-saxonnes sont pleins d’énigmes en vers que les chanteurs ambulants portaient de manoir en manoir ; et nous avons vu les dieux, les géants et les nains de l’Edda s’exercer à ces assauts de l’intelligence, où la mort est la peine du vaincu. Quand le nain Alvis va trouver le dieu Thor, il lui récite les noms des astres et des éléments dans les langues différentes des Ases, des ilfes et des hommes, il faut bien admettre un idiome théologique, une science réservée aux prêtres, transmise avec l’écriture mystérieuse des Runes ; en sorte que cette discipline du secret, que nous regardions comme la dernière ressource d’une civilisation vieillie, est en même temps un des premiers instincts des peuples qui commencent. Tant la nature humaine semble éprise de l’inconnu, insatiable d’apprendre, inconsolable s’il arrivait un moment où elle aurait tout appris ! Comme le jour ne lui vient qu’entre deux nuits, la science ne lui plaît qu’entourée de mystères et, si tourmentée qu’elle soit du besoin de connaître, elle t’est encore plus du besoin d’ignorer[36] .

Ainsi, au commencement du septième siècle, au moment où l’on a coutume de croire qu’i) n’y a plus d’enseignement littéraire, nous en trouvons deux d’un côte, ce qui reste des lettres classiques, la grammaire, l’éloquence et le droit, professés dans les écoles où s’achève l’éducation des nobles, des évêques, et de toute cette société chantée par le poète Fortunat ; de l’autre côté, la doctrine du faux Virgile et de ses maîtres, qui croit sauver les traditions littéraires en les cachant, qui les étoufferait si elle réussissait dans son dessein, mais qui n’arrive qu’à leur donner la forme la plus propre à fixer le respect, la curiosité, la docilité des peuples nouveaux. Nous avons fixé l’époque de cette école. Nous commençons à pressentir sa mission, la suite achèvera de l’éclaircir, et nous reconnaîtrons que la Providence a traité les lettres aux temps barbares comme ces semences précieuses qu’elle destine à rouler dans les ronces et les rochers la plus épineuse des deux n’est pas la moins utile elle résiste, et finit par attacher la graine au lieu ou elle germera.

  1. Tiraboschi, Storia della Litteratura italiana, Nicolas Antonio, Bibliotheca Hispana vetus : Lingard, History of Antiquities of anglosaxon Church; Wright, Biographia Britannica, Baehr , Geschichte der raemischen Litteratur in dem Karolingischen zeitalter. Guizot, Histoire de la civilisation et Ampère, Histoire Litteraire de la France, t II et III.
  2. Martianus Capella, de Nuptiis Mercurii et Philologiae, edidit Kopp : Francfort, 1836. La division des sept arts est déjà indiquée par l’hilon, de Congressu qui définit aussi la grammaire, en lui donnant toute l’étendue qu’elle garde au moyen âge. Je cite la traduction latine : « Scribere legere est minus perfectae grammaticae quam quidam, torquentes vocabulum, grammatisticam vocant, perfectoris autem poetarum historicorumque explicatio. » Cf. loi II au Digeste, De Vacatione et Excusatione, 8. Wackernagel, Altdeutsches Lesebuch, p. 150., donne des fragments considérables de la version allemande de Martianus Capella.
  3. Cassiodore,Variarum, IX, cap 21 « Ut successor scholae liberalium artium,tam grammaticus quam orator, necnon et juris expositor, comnmoda sui decessoris ab eis quorum interest sine aliqua imminutione percipiat. » Cf. I,39 IV,6.
  4. Enodii Opera. Declamatioin eum quiprœmii nomine vestalis virginis nuptias postulavit. Verba Thetidis, quum Achillem videret extinctum. Dictio in dedicatione auditorii, etc. Cf. Ampère,Histoire littérairet.II, cap VII. Sur le poëme d’Arator et la lecture publique qui s’en fit, Mazzucheli, Script. Italic I, p 2, p. 953, et Tiraboschi,Storia della Letteratura italiana,t V, lib I, cap III.
  5. Boetii Opera : In Porphyrium a se latinum, libri V.-In Aristoteli Praedicamenta, de interpretatione Analyticorum, de syllogismis, topicorum libris, elenchum sophistarum. - in topica Ciceronis.- De aritmetica, de geometria, de musica. La traduction de la Consolation de Boèce, publiée par Raynouard, parait du dixième siècle : c’est à la même époque qu’il faut rapporter la version anglo-saxonne par Alfred le Grand, et probablement aussi la version allemande publiée par Hattemer, S. Gallens, Altdeutsche Sprachsätze., t. III, p. 11.
  6. Cassiodore, de Institutione divinarum Scripturarum, lib. 1, 27, 28, 30 « Felix intentio, laudanda sedulitas, manu hominibus praedicare, digitis linguas sperire, salutem mortalibus tacitam dare. uno itaque loco situs, operis sui disseminatione per diversas provincias vadit. In locis sanctis legitur labor ipsius audiunt populi unde se a prava voluntate convertant. Arundine currente verba cœtestia describuntur, ut unde diabolus caput Domini in Passione fecit percuti, inde ejus calliditas possit exstingui. » Cf. cap. XXIX De positione monasterii Vivariensis Cf. Tiraboschi, Storia della letteratura italiana, t. V, lib I; cap II.
  7. S. Gregor., Homil 18 in Ezechiel. Acta S Betharii, episcopi Carnotensis (auctore coaetaneo), apud Bolland. 11 August. : « Beatus Betharius, urbis Romae oriundus… denique a parentibus philosophiae traditur… litteris enim decentissime erat ornatus. tantoque honore institutus, ut doctor divinarum litterarum et magister totius civitatis (Carnutensis) diceretur » Fortunat., Carmina.III, 20

    Vix modo tam nitido pomposa poemata cultu
    Audit Trajano Roma verenda foro.
    Quod si tale decus récitasses aure senatus,
    Stravissent plantis aurea fila tuis.
    Per loca, per populos, per compita cuncta videres,
    Currere versiculos plebe favente tuos.

    Il semble résulter, d’un autre passage de Fortunat, qu’on faisait encore au forum de Trajan des lectures publiques de Virgile : Carmin., lib. VI, 8, ad Lupum ducem

    Si tibi forte fuit sapiens bene notus Homerus,
    Aut Maro Trajano lectus in urbe foro.

    Ces traces de culture littéraire à la fin du sixième siècle ont échappé à la critique de Tiraboschi, si judicieuse et si savante, mais un peu troublée par son hostilité systématique contre les Lombards, qui avaient, du reste, en la personne de Muratori, un zélé défenseur. Cependant Tiraboschi lui -même (t. V, lib. II cap III) cite l’exemple du grammairien Félix de Pavie. C. Paul. Diacon. ; Hist. Long., lib. VI, cap. VII.

  8. Nicolas Antonio, Bibliotheca Hispana vetus. Andrès, Storia d'ogni letteratura, t. 1.
  9. Nicolas Antonio, Biblioth. Hisp. Vetus Epist. S Leandri ad Florentinam  : « Postremo te, carissimam germanam, quaeso ut mei orando memineris, nec junioris fratris Isidori obliviscaris quem quia sub Dei tuitione et tribus germanis superstitibus parentes retiquerunt communes, laeti, et de hujus nihil reformidantes infantia, ad Dominum migraverunt. »
  10. Nicolas Antonio, Biblioth. Hisp. Isidori Hispalensis episcopi Originum sive etymologiarum libri XX. Au sixième livre, douze chapitres consacrés à l’histoire de l’écriture, des bibliothèques, des copistes.
  11. Gregorius Turonensis, Hist. Praefatio : « Vae diebus nostris, quia periit studium litterarum !» Cf.lib. V : « Tempus illud, quod Dominus de dolorum praedixit initio, jam videmus. » Lib X, 31 : « Quod-si te, sacerdos Dei, quicumque es, Martianus noster septem disciplinis crudiit, id est si te in grammaticis docuit legere, in dialeticis altercationum propositiones advertere, in rhetoricis genera metrorum agnoscere, in geometricis terrarum linearumque mensuras colligere, in astrologieis cursus siderum contemplari, in arithmeticis numerorum partes colligere, in harmoniis sonorum modulationes suavium accentuum carminibus concrepare. » On est moins étonné de la popularité de Martianus Capella dans les écoles de la Gaule, quand on se souvient que le rhéteur Métier Félix, qui enseignait à Clermont, s’étant trouvé à Rome en 534, y corrigea de sa main un exemplaire des Noces de Mercure et de la Philologie. Voyez Tillemont, Empereurs t. V, p. 665, et l’Histoire littéraire, par les Bénédictins de Saint-Maur, t. III, p.195.
    Gregor Turon., IV, 47 « De operibus Virgilii, legis Theodosianae libris arteque calculi adplene eruditus est. »
    Vita S. Desiderii (auctore ut videtur coœtaneo), apud D. Bouquet, III, 527 « Summa parentum cura enutritus, litterarum studiis ad plénum eruditus est: quorum diligentia nactus est post litterarum insignia studia, gallicanamque eloquentiam (quae vel florentissima sunt, vel eximia, contubernii regalis adductis inde dignitatibus), ac deinde iegum romanarum indagationi studuit, ut ubertatem eloquii gallicani nitoremque gravitas sermonis romani temperaret. »
    Vita S. Pauli Virudonensis n°1 (auctore cosevo), apud Mabillon, A SS. 0. S. B., sec. II: « Liberalium studiis litterarum (sicut olim moris erat nobilibus) traditur imbuendus, ut non cum grammaticœ, seu dialecticœ, vel etiam rhetoricae c~terarumque disciplinarum fugerent ingénia. »
    Vita S. Boniti (mort vers 709), apud Mabillon A. SS. 0. S. B., sec. III, p. 1, p. 90 : « Grammaticorum imbutus initiis, nec non Theodosii edoctus decretis, csaeteros coaetanos excellens, a sophistis probus atque praelatus est. »
    Gregor. Turoneusis, Hist., V. 4 « Et misit epistolas in universas civitates regni sui, ut sic pueri docerentur, ac libri antiquitus scripti, planati pumice, rescriberentur. »
  12. Gregorius Turon., Hist, X, 29. Vitae patrum, VI, 3 ; V, 46 ; Vitae Patrum, VII; Hist, VI, 7
    Gregor. Turon., Hist., IV, 47 « Hic igitur (Andarchius) Folicis senatoris servus fuit, qui ad obsequium domini deputatus, ad studia litterarum cum eo positus, bene institutus emicuit » de lit III 33 X, 15, Vita S Egidii, Bolland. 1° septembre.
    Gregor. Turon.,Hist. VIII, 1 « Et hinc lingua Syrorum, hinc Latinorum, hinc etiam ipsorum Judeorum in diversis laudibus varie concrepabat.  »
  13. M. Ampère a consacre deux chapitres (Histoire littéraire t. II, p. 312 et suiv.)à ce poëte, que M. Thierry a fait aussi revivre dans un des plus heureux tableaux de ses Récits mérovingiensAprès de tels historiens, il ne restait qu’à traiter le seul point de la vie de Fortunat qu’ils eussent néglige. Venant. Hon. Fortun. Carmina Libri IX, 23:

    Non digitis poteram, calamo neque pingere versus
    Fecerat incertas ebria musa manus.
    Nam mihi, vel reliquis sic vina bibentibus apta,
    Ipsa videbatur mensa natare mero.


    Idem, lib. II, 10 :

    Scabrida nunc resonat mea lingua rubigine verba,
    Exit et incompto raucus ab ore fragor.

    Idem, de Vita S. Martini, lib I, 29 :

    Parvula grammaticae lambens refluamina guttae
    Rhetoricae exiguum praelibans gurgitis haustum,
    Cote ex juridica cui vix rubigo recessit.

    Ces vers montrent que les écoles de Ravenne, où Fortunat avait bien ou mal étudié, conservaient les trois degrés de l'enseignement que nous trouvons à Rome et dans les Gaules : la grammaire, la rhétorique et la jurisprudence.

  14. Sur les basiliques de Bordeaux, de Saintes, de Tours, de Paris, de Mayence, de Nantes, de Metz, de Cologne, de Verdun, Carmina Lib. I, 10, 13 II, 4, 9, 10, 11 ; III, 4, 11, 16, 26. Sur le luxe et l’élégance des mœures contemporaines, Carmin.III , 10, 19, 14 De Piçtura vitis in mensa :


    Vitibus intextis ales sub palmite cernât,
    Et leviter pictas cernit ab ore dapes.
    Multiptices epulas meruit conviva tenere
    Aspicit hinc uvas, inde Falerna bibit.

    Tout le livre IV est consacré aux épitaphes et aux lettres de recommandation. Il serait trop long d’énumerer tous les évêques célébrés par Fortunat. Ceux dont le nom revient le plus souvent dans ses vers sont Léontius de Bordeaux, Félix de Nantes, Nicetius de Trèves, et Grégoire de Tours. Parmi les laïques gallo-romains, Fortunat célèbre surtout le patrice Dynamius, dont les poëmes allaient, dit-il, aux quatre coins de l’univers. Carmina, V, 10, 11.
    On ne peut méconnaitre un reste d’élégance et une aimable facilité dans plusieurs compositions de Fortunat je remarque surtout un poëme sur la croix, dont quelques traits expliquent parfaitement les symboles des vieilles mosaïques chrétiennes. Carmina lib. II, 3 :


    Crux Benedicta nitet Dominus qua carne pependit,
    Atque cruore suo vulnera nostra lavat.
    Hic manus illa fuit clavis confixa cruentis,
    Quae Paulum eripuit erimine, morte Petrum.
    Fertilitate potens, O dulce et nobile lignum !
    Quando tuis ramis tam nova poma geris
    Appensa est vitis inter tua brachia, de qua
    Dulcia sanguinea vina rubore fluent.

    La mosaïque qui orne l’abside de Saint-Clément à Rome représente le Christ attaché à une croix, du pied de laquelle sort une vigne, image de l’Église universelle.

  15. Fortunat, Carmina lib. VII, 1, 5, 6, 7, 8, 9, 10 ad Radegundem post reditum  :


    Unde mihi rediit radianti lumine vultus ?
    Quaenimis absentem te tenuere morœ ?
    Abstleras tecum, revocas me gaudia tecum,
    Paschale facis bis celebrare diem.

    Carmin., lib X, passim.

  16. Fortunat, Carmina, lib V. 1,De Nuptiis Sigesberti Brunechildis reginae :

    Clarior aethera Brunechildis lampade fulgens,
    Altera nata Venus, regno ditata decoris,
    Nullaque Nercidum de gurgite talis Ibero,
    Oceani sub fonte nata non ulla napaea
    Pulchrior : ipsa suas subdunt tibi flumina nymphas.

    Ibid., 2, 7 VIII, 1,Ad Chilpericum regem

    Regibus sequalis de carmine major haberis.

    Ibid., 2 Ad Chilpericum regem et FredegundemIbid.3.

  17. Fortunat,Carmin.VI, 1, 5, 7, 10, 15, 21 ; VII, 11, 12,’16, 20, ad Bertegrammum episcopum :

    Ardua suscepit missis epigrammata chartis.
    Atque cothurnato verba rotata sopho.
    Percurrens tumido spumantia carmina versu,

    Credidi in undoso me dare vela freto.
    Ex quibus in paucis superaddita syllaba fregit,
    Et pede laesa suo musica clauda gémit.

    Carmina III, 16 Il célèbre ainsi l’évêque Baudoald

    Florens in studiis, et sacra lege fidelis

    .
  18. Fortunat : Quum bella odisset (Childebertus), pacem, et litteras ac justitiam amabat, primus enim regum nostrorum latine scivit. »
    Idem, Carmina. V, 2, Ad regem Charibertum  :

    Quum sis progenitus clara de stirpe, Sicamber,
    Floret in eloquio lingua latina tuo.

    Idem, Carmina VII, Ad regem Chilperic, Gregor. Turonen., IV, 46. Aimoin juge moins sévèrement les vers de Chilpéric. Pour les deux statues de Childebert et de Chilpéric, voyez Montfaucon, Monuments de la monarchie, t. I.
    Fredegar., 42 « Iste Chlotarius (secundus) fuit patientiœ deditus, litteris eruditus, timens Deum. »

  19. Fortunat,Carmin.VI, 8, Ad Lupum ducem :

    Romanusque lyra, plaudat tibi barbarus harpa.


    Gogonis Epistola Chamingo ducis ap. Duchesne, I, 859. Idem Traserico  : « Barbarum dictatorem, qui potius apud Dorodorum didicit gentium linguas discerpere, quam cum bonae memoriae Parthenio obtinuisse rhetorica dictione. » Ce Parthenius est probablement le même qui encouragea le sous-diacre Arator à mettre en vers les Actes des Apôtres. Nouvel indice du commerce litteraire que la Gaule entretenait avec l’Italie.

    Vita S. Ebrulfi (auctore perantiquo), apud Mabillon,A.SS. 0. S. B.,sec I, 334.« Qui, mira velocitate, divina et humana diligenter percurrens studia, etiam adhuc puer ipsos magistros dicitur praecessisse doctrina. Oratoris quippe facundia praeditus, ad agendas causas inter aulicos residebat doctissimus. »
    Vita S Attalae, auctore Jona Bobbiensi. Mabillon, sec.II, 125 « Hic ex Burgundionum genere, nobilis natione fuit. Itaque, quum patris studio nobili liberalibus litteris imbutus fuisset, Arigio cuidam pontifici a genitore commendatus est. »

  20. Fortunat, Carmin., IV, 17.Epitaphium Wilithrudae

    Sanguine nobilium generata Parisius urbe
    Romana studio, barbara prole fuit.
    Ingenium mite torva de gente trahebat
    Vincere naturam gloria major erat.

    Vita S. Wallarici (auctore quodam VIII seculi), apud Mabillon, A. SS. 0. S. B., II, 77 : « .Nam quum esset in Alvernia regione ortus et adhuc puerulus…oviculas patris sui ibidem per pascua laeta circumagens,. et per amœna vireta eas conservans, audivit in

     locis vicinorum propinquis qualiter nobilium parvulorum mos est 
    

    doctoribus instruere scholas. Exin, tali desiderio provocatus, tabellam sibi faciens, cum summa veneratione, humili prece a praeceptore infantium, depoposcit ut sibi alphabetum scriberet... etc... Cf. Gregor Turon.,Vitae Patrum, de S. Patroclo « Quum decem esset anonrum, pastor ovium destinatur, fratre Antonio tradito ad studia litterarum. reliquit oves, et studia puerorum expetivit. » Mais le nom de Patrocle indique un Gaulois plutôt qu’un barbare.

    Fredegar.,Hist. Francorum. epitomat. Quod prius Virgilii poetae narrat historia, Priamum primum habuisse regem, quum fraude Ulyxis caperetur, exindeque fuisse egressos. Postea Frigam habuisse regem. Denuo, bifaria divisione, Europam media ex ipsis pars cum Francione eorum rege ingressa fuit, etc.

  21. Virgilii Maronis Epis. de octo partibus orationis, ejusdem Epitome, apud Mai, Auctores classici e codicibus Vaticanis, t. V. p. 1, 97. Editoris praefatio, V-XXXIII.
  22. Virgilii Epitom. V. De catalogo grammaticorum p. 123 « Primus igitur fuit quidam senex Donatus apud Trojam, quem ferunt mille vixisse annos. Hic quum ad Romulum, a quo condita est Roma urbs, venisset, gratulantissime ab eodem susceptus, quatuor continuos ibi fecit annos, scholam construens et innumerabilia opuscula relinquens, in quibus problemata proponebat, dicens :« Quae sit mulier illa, o fili, quae ubera sua innumeris filii porrigit ?. » etc. Unde Aeneas, quum me vidisset ingeniosum hominem, me hoc vocabulo jussit nominari, dicens : « Hic filius meus Maro vocabitur, quia in eo antiqui Maronis spiritus redivivit.»
  23. Maii Praefatio, VII, VIII, et sqq. Virgilius, p.32 « Gallus noster, » p. 44 « Multi nostrorum maxime Gallorum in quibusdam Gallorum nostrorum sçriptis.» Abbo Florianensis, apud Mai, t. V, 349 « Licet Virgilius Tolosanus in suis opusculis asserat.» Maii Praefatio, XIV: Auctores apud Virgilium grammaticum memorati Les auteurs cités sont au nombre de quatre-vingt-sept.
  24. Virgilii Epitome, X, p. 140 : « Memini me, quum essem adolescentulus scholaribus studiis deditus, quodam interfuisse die conventui grammaticorum, qui non minus quam triginta in unum positi, in laude artium et decore componendo multa quaesivere, » etc. Ibid., p. 24 « Dispute de Galbungus et de Terentius. Ibid., p. 45 « De his formis verborum inter Regulus Cappadocem et Sedulium Romanum non minima quaestio habita est, quae usque ad gladiorum pêne conflictum pervenit. Quindecim namque diebus totidemque noctibus insomnes et indapes permansere. » P. 23 « Fassica quoque foemina tam sapiens et scholastica, ut nomen ejus quamdiu orbis erit certissime celebretur.» P. 12, visite nocturne de Mitterius à Virgilius.
  25. Virgilii Epist. III, de Verbo : « Respondendum his qui nos profane ac canino ore adlatrant et lacerant, dicentes nos in omnibus artibus contradicos videri nobis invicem, quum id quod alius affirmat alius destruere videatur, nescientes quod latinitas tanta sit et tam profunda, ut multis modis ac fanisfaris (sic) sensibus explicare necesse sit, praesertim quum latinitatis ipsius genera duodecim numero habeantur, et unumquodque genus multas in se complectatur artes.»
  26. Virgilius Maro, Epitom., p. 100 : « Ob tres causas phona scinduntur : prima est ut sagacitatem discentium nostrorum in inquirendis atque inveniendis his quae obscura sunt, adprobemus ; secunda, propter decorem œdificationemque eloquentiœ ; tertia, ne mystica quae~ solis gnaris pandi debent passim, ab infimis ac stultis facile reperiantur ; ac, secundum antiquum, sues margaritas calcent. Etenim si illi didicerint hanc sectam, non solum in agris nihil agent pietatis, verum etiam porcorum more ornatores suos laniabunt. » Epitom., p. 124 « Hic (Virgilius Asianus) scripsit librum nobilem de duodecim latinitatibus quas his nominibus vocavit. Prima latinitas usitata, secunda assena, tertia semedia, etc. 99. Ut autem duodecim generum experimentum habeas, unius licet nominis monstrabimus exemplo. In usitata enim latinitate, 1 ignis habetur qui sua omnia ignit natura ; 2 quoquevihabis,quod incocta coquendi’habeat ditionem ; 3 ardondicitur, quod ardeat ; 4 calax, calacis, ex calore.» Je soupçonne que ces grammairiens se vantaient beaucoup, et je doute qu’ils eussent jamais complété le dictionnaire de leurs douze langues.
  27. Virgilius, Epistol., p. 9 « Quod graece dicitur Thronus, unde et qui in eo sedet thors, id est rex, nominatur. » P.13, Charaxare ; p. 94, Anthropeus ; p. 97, Catizo ; p. 89 : «Quia de usitatis praepositionibus usitatus sermo pene pueris philosophorum est, idcirco et inusitatas praepositiones ex quarto philosophicae latinitatis sumamus. » It faudrait citer tout l’Epitome II, de Scinderatione phonorum p. 100 et suivantes, et l’Epitome III, de Metris . Voici le commencement de l’enigme de Virgile. Epistolog. p. 94 « Vastum personet ponticum ponto : ex natum naturo natum naturam nataturus terni terna flumen fontes fronda ex una undatim daturi sepna semper atur aspir... »
  28. Virgilius Maro, Praefatio, p.5 Epitome, I ,p.99. Epistol p. 41. Ce passage est de la plus haute importance pour l’histoire de l’Eglise et des lettres aux temps barbares, puisqu’il établit en quelque sorte la jurisprudence ecclésiastique en matière de livres païens. Il aurait plus de gravite s’il s’agissait expressément de l’Église romaine ; mais, dans le langage de notre Virgile, Rome désigne Toulouse, qui, du reste, devait avoir la tradition commune de l’Occident.
    . « Hunc namque morem, ex apostolicorum auctoritate virorum, romana tenuit ac servavit Ecclesia, ut christianorum libri philosophorum sepositi a gentilium libris haberentur. Quum enim necesse haberent homines in liberalibus secularis littérature studiis nati educatique, ut sapientiae ! ipsius consuetudinem fideles adhuc retinerent. hocce subtilissime statuerunt ut, duobus iibrariis compositis, una fidelium pliilosophorum libros, et altéra gentilium scripta contineret. »
    Praefatio, p. 3 «Fabianum puerum meum peritissimum ac docillimum, tunc gentilem, nunc fidelem baptismate purificatum. » P. 38 Donem prius rhetorem simul et grammaticum, postea fidelem, modo presbyterum. » P. 92 « Quum librum de Creatione mundi adversus paganos ediderimus.
  29. Epitome, III, p.113: «Philosophia est amor quidam et intentio sapientiœ .quia fons et matrix est omnis artis ac disciplinae ; 115 « Geometria est ars quae omnium herbarum graminumque experimentum enuntiat: unde medicos, geometros vocamus, id est, expertos herbarum »116 « Triplex quidem in homine status est : anima quidem naturalia sapit. Mens autem moralia intelligit. Ratio vero superiora et caelestia perlustrans, intellectum quodammodo ignitum flammosumque possidet.Non immerito itaque praeceptores nostri, Sulpicia atque Istius, hominem mundi minoris nomine censuerunt ; quippe qui in se ipso habet omnia, ex quibus mundus constat visibilis terra enim in corpore, ignis in animo, aqua in frigiditate. mare quoque undosum bellosumque in turbinosa cordis profunditate et in ipsa ratione.» Ce passage rappelle les mythes de la mythologie germanique et scandinave, qui représentent tantôt le monde formé des membres du premier homme, tantôt le premier homme formé de tous les éléments du monde. Cf. les Germains avant le christianisme, chap. I et II. L’Epitome IV donne une suite d’étymologies dont plusieurs rappellent celles d’Isidore de Séville, des grammairiens et des jurisconsultes latins. Quelques-unes peuvent servir à faire connaître les idées de l’auteur et de ses contemporains en matière de physique et d’histoire naturelle. Cf Epitome V, p. 127 : Comment Virgilius Asianus expliquait le tonnerre.
  30. Epistol. 94 : « Dixit mihi (Aeneas) : Vide, fili doceat te tapis hic nudus, quem vides aquis corrosum sic sapiens aquis suis corroditur ; hoc est, sapientiœ studiis infelix in mundo habetur ».
  31. Sur l’époque du grammairien Virgile on a propose trois opinions. Le cardinal Mai, Introduction, p. x, indique, comme la date la plus probable, la fin du sixième siècle, et s’appuie surtout du passage ou Virgile cite le chant de la reine Rigadis, c’est-à-dire Rigonthe, fille de Chilpéric. M. Orelli (Lectiones petronian., p. 3) adhère a cette conjecture. Au contraire, M. Quicherat, dans un savant travail (Bibliothèque de l’école des Chartes, II, 3) fait remonter le grammairien de Toutonse jusqu’à la fin du cinquième siècle : il en donne pour raison-principale qu’au temps de Chilpéric il n’y avait plus ni païens à convertir, ni culture intellectuelle. Nous croyons avoir repondu a ces deux difficultés. Enfin M. Osann (Beitraege zur gr. und lat. Litteratur Geschichte t II, p. 125 et Hall. litt. Zeitung, 1836, Erganzbl. n° 48) fait descendre le faux Virgile jusqu’au temps de Charlemagne. La plus forte raison qu’il en donne est cette mention écrite en marge d’un manuscrit de la bibliothèque de Leyde, contenant des fragments de notre grammairien « Virginus fuit Caroli Magni temporibus. » Mais Lindemann a remarque que les notes marginales de ce manuscrit étaient d’une main plus récente. M. Osann croit reconnaitre, dans le Sedulius et l’Etherius du faux Virgile, un grammairien irlandais du neuvième siècle, et un évêque espagnol qui figura dans la controverse de l’Adoptianisme enfin il pense retrouver Virgile lui-méme dans ce vers d’une ëpitre d’Alcuin à Charlemagne :

    Quid Maro versificus solus peccavit in aula ?

    Mais, tout en craignant de nous trouver en contradiction avec un philologue d’une si grande autorité, nous aurons lieu de prouver dans la suite de ce travail, que le Virgile dont il s’agit dans ce vers d’Alcuin est le véritable, et que les pseudonymes de la cour de Charlemagne ne sont qu’une imitation tardive de l’école de Toulouse. Les noms de Sedulius, d’Etherius. etc., sont d’ailleurs assez communs aux temps barbares pour avoir pu être portés à trois siècles de distance par des écrivains différents.

  32. Beugnot, Histoire de la chute du paganisme en Occident. Le cardinal Mai croit trouver chez le rhéteur Fronto les premières traces du langage mystérieux adopté par les grammairiens de Toulouse. Voici le passage de Fronto, de Feriis Alsiensibus Mai 1° édit., t.1, p. 177 « Ut homo ego multum facundus et Senecae Annaei sectator, faustiana vina de Sullae Fausti cognomento (felicia appello calicem vero sine delatoria nota cum dico, sine puncto dico. Neque enim me decet, qui sim jam homo doctus, volgi verbis falernum vinum aut calicem acentetum(Plin., 37. 10) appellare. Nam qua te dicam gratia Alsium maritimum et voluptarium locum, et, ut ait Plautus, lucum lubricum delegisse, nisi ut bene haberes genio, utique verbo vetere faceres animo volup? Qua malum volup? Immo si dimidiatis verbis verum dicendum est ubi tu animo faceres vigil vigilias dico, aut ut faceres labo, aut ut faceres mole labores et molestias dico. » Quintilien, 1, 7 : « Vesperug, quod vesperuginem accipimus. » On reconnait bien ici l’inclination qu’eurent toujours les gens d’école à parler le moins possible la langue du vulgaire. Mais il fallait les dangers de l’invasion pour donner à cette vanité l’appui d’un motif sérieux, pour que ce caprice des anciens grammairiens fut réduit en système, et qu’au lieu de quelques mots entendus à demi par les initiés, on en vint aux douze latinités de Virgile l’Asiatique.
  33. Virgilius Maro, Epistol., 23 «Sarbon quoque, pater Glengi, in Rigadis reginae cantico « Digna ab ego (sic) laudari carmento mirabili. » Cf. Gregor. Turon., VI, 54 « Legati iterum ab Hispania venerunt, deferentes munera, et placitum accipientes cum Chilperico rege, ut filiam suam (Rigunthem), secundum conniven tiam anteriorem (Reccaredo), filio regis Leuvichildi tradere deberet in matrimonium. 45 Nam tanta fuit multitudo rerum, ut aurum argentumque et rotiqua ornamenta qumquaginta plaustra levarent. Sed quoniam suspicio erat regi ne frater aut nepos aliquas insidias puellae in via pararent vatatam ab exercitu pergere jussit. VII, 9 Rigunthis, Chilperici régis filia, cum thesauris suprascriptis usque Tholosam secessit. Mors Chilperici régis in aures Desiderii ducis inlabilur. Ipse quoque, collectis secum viris fortissimus, Tholosam urbem ingreditur, repertosque thesauros abstulit de potestate reginae... 10 Rigunthis vero in basilica Sanctae Mariae Tholosae residebat». Cf. VII, 15, 32, 35, 39; IX, 34.
  34. Virgilius Maro, Epitome, II, p. 107 « Exquibus est illud Aeneae Mithridatici belli historiam, immo tragœdiam, lacrymabiliter enarrantis. Illo, inquit, enim narrare proponimus (quo métro ? dactylico) quod maximum scimus gestum est bellum in illo, inquam, eodemque quo xxv aetatis expleveram annum, tempore, Blastus quidam genere Pheregus (sic) Julius… a septentrione (ex hac quippe parte oriundus erat) Romam, Germanorum sibi quorum societatem amicitiamque pariter adquisiverat, satellitibus adjunctis veniens, ingente urbi, populo, plebique perditione per eundem facta, in septem siquidcm contra sese dimicaturas civitatem divisit partes, et intolerabilem inussit plagam, ut pene tota civitas internecioni se daret. » Sur Bladastes et le rôle qu’il joua dans l’entreprise de Gondowald, Gregor. Turon., VI, 12, 31 ; VII, 28, 34, 37; VIII, 6. Les passages sont trop longs pour trouver place dans notes. Cf. Fauriel, Histoire de la Gaule méridionale t. Il. Si Virgile cherche à expliquer le nom de Blastus en lui donnant le sens d’anthropophage, il ne faut voir là qu’un exemple de plus de ces étymologies arbitraires dont son école était si prodigue.
  35. Ennodius, Epigramm., 118, 122 :


    In tantum prisci defluxit fama Maronis,
    Ut te Virgilium saecula nostra darent
    Cur te Virgitium mentiris pessime nostrum ?
    Non potes esse Maro, sed potes esse moro.

    Aldhelm, Epist. ad Eadfridumapud Userh, Hibernicarum epistolarum sylloge « Digna fiat faute Glengio, gurgo fugax fambulo. » Cf. Virgilius, Epistol.p.22 « Verumtamen ne in illud Glengi incidam, quod cuidam conflictum fugienti dicere fidenter ausus est « Gurgo, inquit, fugax fabulo dignus est. » Le même Aldhelm, dans son traité de Métrique (apud Mai, auct. classic. t. V, p. 520), cite un Virgile que je crois être celui d’Ennodius et

    l’auteur 
    

    des soixante-dix livres sur la Versification : « Virgilius item libro quem Paedagogus praeetitulavit, cujus principium est


    Carmina si fuerint, te judice, digna favore,
    Reddetur titulus purpureusque nitor.

    Bède, de Orthographia (édit. Putsch, p. 2345 a Sol in utroque numéro declinatur. Sed singulariter sol ipsum luminare signifient ut soles ipsos dies nominamus, in quibus sol totum illuminat potum. Nonnuli tamen veterum ipsa soles nominavere, sicut Horatius exorsus est, « Soles meos omni ecclesiae: vestrae commendo». Le même passage se retrouve dans l'Epitome VIII p. 156. Le même faux Horace est cité plusieurs fois par Virgile, p. 62. 80, 155. Je dois ce rapprochement aux obligeantes communications de M. Marty-Laveaux, qui a soutenu à l’École des Chartes une thèse remarquable sur Virgilius Maro, le grammairien

    Osann, Beitraege, t. II, p. 131, cite un passage considérable du manuscrit de Clemens, conservé à la bibliothèque de Berne, et Indiqué dans le catalogue de Sinner, p. 545 c’est un extrait de Virgile, Epistol., p. 14 ; plus loin, Clemens nomme Virgile : « Virgilius multi adverbia de conjunctivis faciunt, ut ergo pro saepe ponant, etc. C’est en effet le texte de Virgile, Epitome , p.146.
    Cf. Gregor, Turon., Praefatio « Philosophantem rhetorem intelligent pauci, loquentem rusticum multi.» S. Audoenus Praefatio ad vitam S. Eligii. Cf. Virgil., Epist., p. 14 <« Non legit, qui non legit Ciceronem. »
    Frédégaire, Hist. epitomat., 2 « Quod prius Virgilii poetae narrât historia » x M. Quicherat, dans la savante dissertation citée plus haut, croit retrouver ici le Virgile de Toulouse.

  36. Sur les habitudes poétiques des Scandinaves, voyez les Germains avant le christianisme, chap. v. L’allitération, c’est-à-dire la répétition des mêmes initiales, parait dans l’énigme de Virgile citée ci-dessus : « Natum naturo naturam nataturus. » En ce qui touche les Irlandais et les Anglo-Saxons, on trouvera les textes indiques et cités dans la suite de ce chapitre. Le premier volume de l’archéologie de Myvyr contient de nombreux fragments poétiques, où l’on voit l’effort des bardes gallois pour s’envelopper d’obscurités. Si j’appelle l’école du faux Virgile, école de Toulouse, école d’Aquitaine, c’est pour abréger, et sans prétendre qu’elle fut resserrée dans les limites d’une seule province. Au contraire, on a tout lieu de croire qu’elle venait de plus loin, et qu’elle s’étendit dans tout l’Occident.