Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui ont rapport aux vautours

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 94-102).

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI ONT RAPPORT AUX VAUTOURS

I. — L’oiseau envoyé d’Afrique et de l’île de Malte sous le nom de vautour brun, dont nous avons parlé dans l’article précédent, qui est une espèce ou une variété particulière dans le genre des vautours, et qui, ne se trouvant point en Europe, doit être regardée comme appartenant au climat de l’Afrique et surtout aux terres voisines de la mer Méditerranée[NdÉ 1].

II. — L’oiseau appelé par Belon le sacre d’Égypte, et que le docteur Shaw indique sous le nom achbobba. Cet oiseau se voit par troupes dans les terres stériles et sablonneuses qui avoisinent les pyramides d’Égypte ; il se tient presque toujours à terre et se repaît comme les vautours, de toute viande et de chair corrompue. « Il est, dit Belon, oiseau sordide et non gentil, et quiconque feindra voir un oiseau ayant la corpulence d’un milan, le bec entre le corbeau et l’oiseau de proie, crochu par le fin bout, et les jambes et pieds, et marcher comme le corbeau, aura l’idée de cet oiseau, qui est fréquent en Égypte, mais rare ailleurs, quoiqu’il y en ait quelques-uns en Syrie, et que j’en aie, ajoute-t-il, vu quelques-uns dans la Caramanie. » Au reste, cet oiseau varie pour les couleurs ; c’est, à ce que croit Belon, l’hierax ou accipiter Ægyptius d’Hérodote, qui, comme l’ibis, était en vénération chez les anciens Égyptiens, parce que tous deux tuent et mangent les serpents et autres bêtes immondes qui infestent l’Égypte[1]. « Auprès du Caire, dit le docteur Shaw, nous rencontrâmes plusieurs troupes d’achbobbas, qui, comme nos corbeaux, vivent de charogne… C’est peut-être l’épervier d’Égypte, dont Strabon dit que, contre le naturel de ces sortes d’oiseaux, il n’est pas fort sauvage, car l’achbobba est un oiseau qui ne fait pas de mal et que les mahométans regardent comme sacré ; c’est pourquoi le Bacha donne tous les jours deux bœufs pour les nourrir, ce qui paraît être un reste de l’ancienne superstition des Égyptiens[2]. » C’est de ce même oiseau dont parle Paul Lucas. « On rencontre en Égypte, dit-il, de ces éperviers à qui on rendait, ainsi qu’à l’ibis, un autre culte religieux ; c’est un oiseau de proie de la grosseur d’un corbeau, dont la tête ressemble à celle d’un vautour et les plumes à celles d’un faucon ; les prêtres de ce pays représentaient de grands mystères sous le symbole de cet oiseau ; ils le faisaient graver sur leurs obélisques et sur les murailles de leurs temples pour représenter le soleil ; la vivacité de ses yeux qu’il tourne incessamment vers cet astre, la rapidité de son vol, sa longue vie, tout leur parut propre à marquer la nature du soleil, etc.[3]. » Au reste, cet oiseau, qui, comme l’on voit, n’est pas assez décrit, pourrait bien être le même que le galinache ou marchand, dont nous ferons mention article IV.

III. — L’oiseau de L’Amérique méridionale, que les Européens qui habitent les colonies ont appelé roi des vautours[NdÉ 2], et qui est en effet le plus bel oiseau de ce genre. C’est d’après celui qui est au Cabinet du roi que M. Brisson en a donné une bonne et ample description. M. Edwards, qui a vu plusieurs de ces oiseaux à Londres, l’a aussi très bien décrit et dessiné. Nous réunirons ici les remarques de ces deux auteurs et de ceux qui les ont précédés avec celles que nous avons faites nous-mêmes sur la forme et la nature de cet oiseau ; c’est certainement un vautour, car il a la tête et le cou dénués de plumes, ce qui est le caractère le plus distinctif de ce genre ; mais il n’est pas des plus grands, n’ayant que deux pieds deux ou trois pouces de longueur de corps, depuis le bout du bec jusqu’à celui des pieds ou de la queue, n’étant pas plus gros qu’un dindon femelle, et n’ayant pas les ailes à proportion si grandes que les autres vautours, quoiqu’elles s’étendent, lorsqu’elles sont pliées, jusqu’à l’extrémité de la queue, qui n’a pas huit pouces de longueur ; le bec, qui est assez fort et épais, est d’abord droit et direct et ne devient crochu qu’au bout ; dans quelques-uns, il est entièrement rouge, et dans d’autres il ne l’est qu’à son extrémité, et noir dans son milieu ; la base du bec est environnée et couverte d’une peau de couleur orangée, large, et s’élevant de chaque côté jusqu’au haut de la tête, et c’est dans cette peau que sont placées les narines, de forme oblongue, et entre lesquelles cette peau s’élève comme une crête dentelée et mobile, et qui tombe indifféremment d’un côté ou de l’autre, selon le mouvement de tête que fait l’oiseau ; les yeux sont entourés d’une peau rouge écarlate, et l’iris a la couleur et l’éclat des perles ; la tête et le cou sont dénués de plumes et couverts d’une peau de couleur de chair sur le haut de la tête, et d’un rouge plus vif sur le derrière et plus terne sur le devant ; au-dessous du derrière de la tête s’élève une petite touffe de duvet noir, de laquelle sort et s’étend de chaque côté, sous la gorge, une peau ridée, de couleur brunâtre, mêlée de bleu et de rouge dans sa partie postérieure. Cette peau est rayée de petites lignes de duvet noir ; les joues ou côtés de la tête sont couverts d’un duvet noir, et entre le bec et les yeux, derrière les coins du bec, il y a de chaque côté une tache d’un pourpre brun ; à la partie supérieure du haut du cou, il y a de chaque côté une petite ligne longitudinale de duvet noir, et l’espace contenu entre ces deux lignes est d’un jaune terne ; les côtés du haut du cou sont d’une couleur rouge, qui se change en descendant par nuances en jaune ; au-dessous de la partie nue du cou est une espèce de collier ou de fraise, formée par des plumes douces assez longues et d’un cendré foncé ; ce collier, qui entoure le cou entier et descend sur la poitrine, est assez ample pour que l’oiseau puisse, en se resserrant, y cacher son cou et partie de sa tête, comme dans un capuchon, et c’est ce qui a fait donner à cet oiseau le nom de moine[4] par quelques naturalistes ; les plumes de la poitrine, du ventre, des cuisses, des jambes, et celles du dessous de la queue sont blanches et teintes d’un peu d’aurore ; celles du croupion et du dessus de la queue varient, étant noires dans quelques individus et blanches dans d’autres ; les autres plumes de la queue sont toujours noires, aussi bien que les grandes plumes des ailes, lesquelles sont ordinairement bordées de gris ; la couleur des pieds et des ongles n’est pas la même dans tous ces oiseaux ; les uns ont les pieds d’un blanc sale ou jaunâtre et les ongles noirâtres ; d’autres ont les pieds et les ongles rougeâtres, les ongles sont fort courts et peu crochus.

Cet oiseau est de l’Amérique méridionale, et non pas des Indes orientales, comme quelques auteurs l’ont écrit[5] : celui que nous avons au Cabinet du roi a été envoyé de Cayenne. Navarette, en parlant de cet oiseau, dit[6] : « J’ai vu à Acapulco le roi des zopilotes ou vautours ; c’est un des plus beaux oiseaux qu’on puisse voir, etc. » Le sieur Perry, qui fait à Londres commerce d’animaux étrangers, a assuré à M. Edwards que cet oiseau vient uniquement de l’Amérique : Hernandès, dans son Histoire de la Nouvelle-Espagne, le décrit de manière à ne pouvoir s’y méprendre ; Fernandès, Nieremberg et de Laët[7], qui tous ont copié la description de Hernandès, s’accordent à dire que cet oiseau est commun dans les terres du Mexique et de la Nouvelle-Espagne ; et comme, dans le dépouillement que j’ai fait des ouvrages des voyageurs, je n’ai pas trouvé la plus légère indication de cet oiseau dans ceux de l’Afrique et de l’Asie, je pense qu’on peut assurer qu’il est propre et particulier aux terres méridionales du nouveau continent, et qu’il ne se trouve pas dans l’ancien ; on pourrait m’objecter que puisque l’ouroutaran ou aigle du Brésil se trouve, de mon aveu, également en Afrique et en Amérique, je ne dois pas assurer que le roi des vautours ne s’y trouve pas aussi ; la distance entre les deux continents est égale pour ces deux oiseaux, mais probablement la puissance du vol est inégale[8], et les aigles en général volent beaucoup mieux que les vautours : quoi qu’il en soit, il paraît que celui-ci est confiné dans les terres où il est né, et qui s’étendent du Brésil à la Nouvelle-Espagne, car on ne le trouve plus dans les pays moins chauds, il craint le froid ; ainsi, ne pouvant traverser la mer au vol entre le Brésil et la Guinée, et ne pouvant passer par les terres du Nord, cette espèce est demeurée en propre au nouveau monde et doit être ajoutée à la liste de celles qui n’appartiennent point à l’ancien continent.

Au reste, ce bel oiseau n’est ni propre, ni noble, ni généreux ; il n’attaque que les animaux les plus faibles, et ne se nourrit que de rats, de lézards, de serpents et même des excréments des animaux et des hommes : aussi a-t-il une très mauvaise odeur, et les sauvages mêmes ne peuvent manger de sa chair.

IV. — L’oiseau appelé ouroua ou aura[NdÉ 3] par les Indiens de Cayenne, urubu[NdÉ 4] (ouroubou) par ceux du Brésil, zopilotl par ceux du Mexique, et auquel nos Français de Saint-Domingue et nos voyageurs ont donné le surnom de marchand. C’est encore une espèce qu’on doit rapporter au genre des vautours, parce qu’il est du même naturel, et qu’il a, comme eux, le bec crochu et la tête et le cou dénués de plumes ; quoique par d’autres caractères il ressemble au dindon, ce qui lui a fait donner par les Espagnols et les Portugais le nom de gallinaça ou gallinaço ; il n’est guère que de la grandeur d’une oie sauvage ; il paraît avoir la tête petite, parce qu’elle n’est couverte, ainsi que le cou, que de la peau nue, et semée seulement de quelques poils noirs assez rares ; cette peau est raboteuse et variée de bleu, de blanc et de rougeâtre ; les ailes, lorsqu’elles sont pliées, s’étendent au delà de la queue, qui cependant est elle-même assez longue ; le bec est d’un blanc jaunâtre, et n’est crochu qu’à l’extrémité ; la peau nue qui en recouvre la base s’étend presque au milieu du bec, et elle est d’un jaune rougeâtre ; l’iris de l’œil est orangé, et les paupières sont blanches ; les plumes de tout le corps sont brunes et noirâtres, avec un reflet de couleur changeante de vert et de pourpre obscurs ; les pieds sont d’une couleur livide, et les ongles sont noirs ; cet oiseau a les narines encore plus longues à proportion que les autres vautours[9] ; il est aussi plus lâche, plus sale et plus vorace qu’aucun d’eux, se nourrissant plutôt de chair morte et de vidanges que de chair vivante ; il a néanmoins le vol élevé et assez rapide pour poursuivre une proie s’il en avait le courage, mais il n’attaque guère que les cadavres ; et s’il chasse quelquefois, c’est, en se réunissant en grandes troupes, pour tomber en grand nombre sur quelque animal endormi ou blessé.

Le marchand est le même oiseau que celui qu’a décrit Kolbe sous le nom d’aigle du Cap[NdÉ 5] ; il se trouve donc également dans le continent de l’Afrique et dans celui de l’Amérique méridionale, et comme on ne le voit pas fréquenter les terres du Nord, il paraît qu’il a traversé la mer entre le Brésil et la Guinée. Hans Sloane, qui a vu et observé plusieurs de ces oiseaux en Amérique, dit qu’ils volent comme les milans, qu’ils sont toujours maigres. Il est donc très possible qu’étant aussi légers de vol et de corps, ils aient franchi l’intervalle de mer qui sépare les deux continents. Hernandès dit qu’ils ne se nourrissent que de cadavres d’animaux et même d’excréments humains ; qu’ils se rassemblent sur de grands arbres d’où ils descendent en troupes pour dévorer les charognes ; il ajoute que leur chair a une mauvaise odeur, plus forte que celle de la chair du corbeau. Nieremberg dit aussi qu’ils volent très haut et en grandes troupes ; qu’ils passent la nuit sur des arbres ou des rochers très élevés d’où ils partent le matin pour venir autour des lieux habités ; qu’ils ont la vue très perçante, et qu’ils voient de très haut et de très loin les animaux morts qui peuvent leur servir de pâture ; qu’ils sont très silencieux, ne criant ni ne chantant jamais, et qu’on ne les entend que par un murmure peu fréquent ; qu’ils sont très communs dans les terres de l’Amérique méridionale, et que leurs petits sont blancs dans le premier âge, et deviennent ensuite bruns ou noirâtres en grandissant. Marcgrave, dans la description qu’il donne de cet oiseau, dit qu’il a les pieds blanchâtres, les yeux beaux, et pour ainsi dire couleur de rubis ; la langue en gouttière et en scie sur les côtés. Ximenès assure que ces oiseaux ne volent jamais qu’en grandes troupes et toujours très haut ; qu’ils tombent tous ensemble sur la même proie qu’ils dévorent jusqu’aux os, et sans aucun débat entre eux, et qu’ils se remplissent au point de ne pouvoir reprendre leur vol : ce sont de ces mêmes oiseaux dont Acosta fait mention sous le nom de poullazes[10], « qui sont, dit-il, d’une admirable légèreté, ont la vue très perçante, et qui sont fort propres pour nettoyer les cités, d’autant qu’ils n’y laissent aucunes charognes ni choses mortes ; ils passent la nuit sur les arbres ou sur les rochers, et au matin viennent aux cités, se mettent sur le sommet des plus hauts édifices, d’où ils épient et attendent leur prise ; leurs petits ont le plumage blanc, qui change ensuite en noir avec l’âge. » « Je crois, dit Desmarchais, que ces oiseaux, appelés gallinaches par les Portugais, et marchands par les Français de Saint-Domingue, sont une espèce de coqs d’Inde[11], qui au lieu de vivre de grains, de fruits et d’herbes comme les autres, se sont accoutumés à être nourris de corps morts et de charognes ; ils suivent les chasseurs, surtout ceux qui ne vont à la chasse que pour la peau des bêtes ; ces gens abandonnent les chairs, qui pourriraient sur les lieux et infecteraient l’air sans le secours de ces oiseaux, qui ne voient pas plus tôt un corps écorché, qu’ils s’appellent les uns les autres, et fondent dessus comme des vautours, et en moins de rien en dévorent la chair et laissent les os aussi nets que s’ils avaient été raclés avec un couteau. Les Espagnols des grandes îles et de la terre ferme, aussi bien que les Portugais, habitants des lieux où l’on fait des cuirs, ont un soin tout particulier de ces oiseaux, à cause du service qu’ils leur rendent en dévorant les corps morts et empêchant ainsi qu’ils ne corrompent l’air ; ils condamnent à une amende les chasseurs qui tombent dans cette méprise ; cette protection a extrêmement multiplié cette vilaine espèce de coqs d’Inde : on en trouve en bien des endroits de la Guyane, aussi bien que du Brésil, de la Nouvelle-Espagne et des grandes îles ; ils ont une odeur de charogne que rien ne peut ôter ; on a beau leur arracher le croupion dès qu’on les a tués, leur ôter les entrailles, tous ces soins sont inutiles : leur chair dure, coriace, filasseuse, a contracté une mauvaise odeur insupportable. »

« Ces oiseaux, dit Kolbe, se nourrissent d’animaux morts ; j’ai moi-même vu plusieurs fois des squelettes de vaches, de bœufs et d’animaux sauvages qu’ils avaient dévorés ; j’appelle ces restes des squelettes, et ce n’est pas sans fondement, puisque ces oiseaux séparent avec tant d’art les chairs d’avec les os et la peau, que ce qui reste est un squelette parfait, couvert encore de la peau, sans qu’il y ait rien de dérangé ; on ne saurait même s’apercevoir que ce cadavre est vide que lorsqu’on en est tout près ; pour cela, voici comment ils s’y prennent : d’abord ils font une ouverture au ventre de l’animal, d’où ils arrachent les entrailles, qu’ils mangent, et entrant dans le vide qu’ils viennent de faire ils séparent les chairs ; les Hollandais du Cap appellent ces aigles stront-vogels ou strontjagers[12], c’est-à-dire oiseaux de fiente, ou qui vont à la chasse de la fiente ; il arrive souvent qu’un bœuf qu’on laisse retourner seul à son étable, après l’avoir ôté de la charrue, se couche sur le chemin pour se reposer ; si ces aigles l’aperçoivent elles tombent immanquablement sur lui et le dévorent ; lorsqu’elles veulent attaquer une vache ou un bœuf, elles se rassemblent et viennent fondre dessus au nombre de cent, et quelquefois même davantage ; elles ont l’œil si excellent qu’elles découvrent leur proie à une extrême hauteur, et dans le temps qu’elles-mêmes échappent à la vue la plus perçante, et aussitôt qu’elles voient le moment favorable, elles tombent perpendiculairement sur l’animal qu’elles guettent ; ces aigles sont un peu plus grosses que les oies sauvages, leurs plumes sont en partie noires, et en partie d’un gris clair, mais la partie noire est la plus grande ; elles ont le bec gros, crochu et fort pointu ; leurs serres sont grosses et aiguës[13]. »

« Cet oiseau, dit Catesby, pèse quatre livres et demie ; il a la tête et une partie du cou rouges, chauves et charnues comme celui d’un dindon, clairement semées de poils noirs ; le bec de deux pouces et demi de long, moitié couvert de chair, et dont le bout, qui est blanc, est crochu comme celui d’un faucon ; mais il n’a point de crochets aux côtés de la mandibule supérieure ; les narines sont très grandes et très ouvertes, placées en avant à une distance extraordinaire des yeux ; les plumes de tout le corps ont un mélange de pourpre foncé et de vert ; ses jambes sont courtes et de couleur de chair, ses doigts longs comme ceux des coqs domestiques, et ses ongles, qui sont noirs, ne sont pas si crochus que ceux des faucons ; ils se nourrissent de charognes et volent sans cesse pour tâcher d’en découvrir ; ils se tiennent longtemps sur l’aile, et montent et descendent d’un vol aisé, sans qu’on puisse s’apercevoir du mouvement de leurs ailes ; une charogne attire un grand nombre de ces oiseaux, et il y a du plaisir à être présent aux disputes qu’ils ont entre eux en mangeant[14] : un aigle préside souvent au festin et les fait tenir à l’écart pendant qu’il se repaît ; ces oiseaux ont un odorat merveilleux : il n’y a pas plus tôt une charogne, qu’on les voit venir de toutes parts en tournant toujours, et descendant peu à peu jusqu’à ce qu’ils tombent sur leur proie ; on croit généralement qu’ils ne mangent rien qui ait vie, mais je sais qu’il y en a qui ont tué des agneaux, et que les serpents sont leur nourriture ordinaire. La coutume de ces oiseaux est de se jucher plusieurs ensemble sur des vieux pins et des cyprès, où ils restent le matin pendant plusieurs heures les ailes déployées[15] : ils ne craignent guère le danger et se laissent approcher de près, surtout lorsqu’ils mangent. »

Nous avons cru devoir rapporter au long tout ce que l’on sait d’historique au sujet de cet oiseau, parce que c’est souvent des pays étrangers, et surtout des déserts, qu’il faut tirer les mœurs de la nature : nos animaux, et même nos oiseaux, continuellement fugitifs devant nous, n’ont pu conserver leurs véritables habitudes naturelles, et c’est dans celles de ce vautour des déserts de l’Amérique que nous devons voir ce que seraient celles de nos vautours s’ils n’étaient pas sans cesse inquiétés dans nos contrées, trop habitées pour les laisser se rassembler, se multiplier et se nourrir en si grand nombre ; ce sont là leurs mœurs primitives : partout ils sont voraces, lâches, dégoûtants, odieux, et, comme les loups, aussi nuisibles pendant leur vie qu’inutiles après leur mort.


Notes de Buffon
  1. Belon, Hist. nat. des Oiseaux, p. 110 et 111, avec figure, dans laquelle on peut remarquer que le bec ressemble beaucoup plus à celui d’un aigle ou d’un épervier qu’à celui d’un vautour ; mais on doit présumer que cette partie est mal représentée dans la figure, puisque l’auteur dit dans sa description que le bec est entre celui du corbeau et celui d’un oiseau de proie, et crochu par l’extrémité, ce qui exprime assez bien la forme du bec d’un vautour.
  2. Voyage de M. Shaw, t. II, p. 9 et 92.
  3. Voyage de Paul Lucas, t. III, p. 204.
  4. « Vultur monachus. Monck. Rex Warwarum. Avem Moritzburgi vidi cujus figura in aviario picto Bareithano. Calvitium quasi rasum habet. Collum nudum in vaginâ cutaneâ, plumis cinereis lanatis simbriatâ recondere potest. » Klein, Ordo Avi., p. 46.
  5. Albin dit que celui qu’il a dessiné était venu des Indes orientales par un vaisseau hollandais appelé le Pallampanck, part. iii, p. 2, no 4. M. Edwards dit aussi que les gens qui montraient ces oiseaux à la foire de Londres assuraient qu’ils venaient des Indes orientales ; mais que néanmoins il croit qu’ils sont de l’Amérique.
  6. Voyez le Recueil des voyages, par Purchas, p. 753.
  7. Il y a dans la Nouvelle-Espagne une incroyable abondance et variété de beaux oiseaux, entre lesquels on estime exceller le cosquauhtli ou aura, comme les Mexicains le nomment, de la grandeur d’une poule d’Égypte, qui a les plumes noires par tout le corps, excepté au cou et autour de la poitrine où elles sont d’un noir rougissant ; les ailes sont noires et mêlées de couleur cendrée, pourpre et fauve au reste ; les ongles sont recourbés, le bec, semblable au papagais, rouge au bout, les trous des narines ouverts, les yeux noirs, les prunelles fauves, les paupières de couleur rouge, et le front d’un rouge de sang et rempli de plusieurs rides, lesquelles il fronce et ouvre à la façon des coqs d’Inde, où il y a quelque peu de poil crépu comme celui des nègres ; la queue est semblable à celle d’un aigle, noire dessus et cendrée dessous… Il y a un autre oiseau de même espèce que les Mexicains nomment tzopilotl. De Laët, Hist. du Nouveau-Monde, liv. v, chap. iv, p. 143 et 144. — Nota. Ce second oiseau, appelé tzopilotl par les Mexicains, est un vautour ; car celui qu’on appelle roi des vautours a été aussi nommé roi des zopilotls.
  8. Hernandès dit néanmoins que cet oiseau s’élève fort haut, en tenant les ailes très étendues, et que son vol est si ferme qu’il résiste aux plus grands vents. On pourrait croire que Nieremberg l’a appelé regina aurarum parce qu’il surmonte la force du vent par celle de son vol ; mais ce nom aura n’est pas dérivé du latin ; il vient par contraction d’ouroua, qui est le nom indien d’un autre vautour dont nous parlerons dans l’article suivant.
  9. J’ai cru devoir donner une courte description de cet oiseau, parce que j’ai trouvé que celles des autres auteurs ne s’accordent pas parfaitement avec ce que j’ai vu ; cependant, comme il n’y a que de légères différences, il est a présumer que ce sont des variétés individuelles, et par conséquent leurs descriptions peuvent être aussi bonnes que la mienne.
  10. Histoire des Indes, par Joseph Acosta, p. 196.
  11. Quoique cet oiseau ressemble au coq d’Inde par la tête, le cou et la grandeur du corps, il n’est pas de ce genre ; mais de celui du vautour, dont il a non seulement le naturel et les mœurs, mais encore le bec crochu et les serres.
  12. Cette espèce d’aigle est appelée turkey buzzard, dindon-buse, par Catesby, Hist. nat. Carol., tab. vi ; et par Hans Sloane, Hist. nat. Jamaïc. etc. Note de l’éditeur de Kolbe.
  13. Description du cap de Bonne-Espérance, par Kolbe, t. III, p. 158 et 159.
  14. Ce fait est contraire à ce que disent Nieremberg, Marcgrave et Desmarchais, du silence et de la concorde de ces oiseaux en mangeant.
  15. Par cette habitude des ailes déployées, il paraît encore que ces oiseaux sont du genre des vautours, qui tous tiennent leurs ailes étendues lorsqu’ils sont posés.
Notes de l’éditeur
  1. Le Neophron Percnopterus Sav. [Note de Wikisource : actuellement, Neophron Percnopterus Linnæus, vulgairement percnoptère], que Buffon nomme vautour brun, est beaucoup plus répandu qu’il ne le dit. On le trouve dans diverses régions de l’Europe, notamment en Suède et en Norvège, en Espagne, en Sardaigne, à Malte, en Grèce, etc., mais il existe aussi dans diverses parties de l’Asie et de l’Afrique. On le trouve en France, dans les environs d’Arles et de Nîmes.
  2. C’est le Sarcorhamphus Papa Dum. [Note de Wikisource : actuellement Sarcoramphus Papa Linnæus, vulgairement vautour pape]. Les Sarcorhamphus Dum. se distinguent des Vultur par la présence, à la base du bec, d’une cire et d’un lobe cutané souvent très développés.
  3. C’est le Vultur aura L. [Note de Wikisource : actuellement Cathartes aura Linnæus, vulgairement vautour aura ou urubu à tête rouge].
  4. Buffon confond à tort l’Aura et l’Urubu ; ce dernier est le Vultur jota de Ch. Bonaparte. [Note de Wikisource : Le nom d’urubu est aujourd’hui donné à quatre espèces d’oiseaux répartis entre deux genres. L’urubu de Buffon est actuellement nommé Cathartes aura jota Molina, et est donc considéré comme une sous-espèce du vautour aura]
  5. L’aigle du Cap est le Vultur ou Gyps Kolbii de Daudin [Note de Wikisource : actuellement Gyps coprotheres Forster], nommé vulgairement chassefiente.