Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le merle bleu

LE MERLE BLEU[1][NdÉ 1]

On retrouve dans ce merle le même fond de couleur que dans le merle de roche, c’est-à-dire le cendré bleu (mais sans aucun mélange d’orangé) ; la même taille, à peu près les mêmes proportions, le goût des mêmes nourritures, le même ramage, la même habitude de se tenir sur les sommets des montagnes et de poser son nid sur les rochers les plus escarpés, en sorte qu’on serait tenté de le regarder comme une race appartenant à la même espèce que le merle de roche : aussi plusieurs ornithologistes les ont pris l’un pour l’autre. Les couleurs de son plumage varient un peu dans les descriptions et sont probablement sujettes à des variations réelles d’un individu à l’autre, selon l’âge, le sexe, le climat, etc. Le mâle que M. Edwards a représenté planche xviii n’était pas d’un bleu uniforme partout ; la teinte de la partie supérieure du corps était plus foncée que la teinte de la partie inférieure ; il avait les pennes de la queue noirâtres, celles des ailes brunes, ainsi que leurs grandes couvertures, et celles-ci terminées de blanc ; les yeux entourés d’un cercle jaune, le dedans de la bouche orangé, le bec et les pieds d’un brun presque noir. Il paraît qu’il y a plus d’uniformité dans le plumage de la femelle.

Belon, qui a vu de ces oiseaux à Raguse, en Dalmatie, nous dit qu’il y en a aussi dans les îles de Négrepont, de Candie, de Zante, de Corfou, etc., et qu’on les recherche beaucoup à cause de leur chant ; mais il ajoute qu’il ne s’en trouve point naturellement en France, ni en Italie ; cependant le bras de mer qui sépare la Dalmatie de l’Italie n’est point une barrière insurmontable, surtout pour ces oiseaux, qui, suivant Belon lui-même, volent beaucoup mieux que le merle ordinaire, et qui, au pis-aller, pourraient faire le tour et pénétrer en Italie en passant par l’État de Venise. D’ailleurs, c’est un fait que ces merles se trouvent en Italie ; celui que M. Brisson a décrit et celui que nous avons fait représenter no 250 ont été tous deux envoyés de ce pays. M. Edwards avait appris par la voix publique qu’ils y nichaient sur les rochers inaccessibles ou dans les vieilles tours abandonnées[2], et de plus il en a vu quelques-uns qui avaient été tués aux environs de Gibraltar, d’où il conclut avec assez de fondement qu’ils sont répandus dans tout le midi de l’Europe ; mais cela doit s’entendre seulement des montagnes, car il est rare qu’on rencontre de ces oiseaux dans la plaine ; leur ponte est ordinairement de quatre ou cinq œufs, et leur chair, surtout celle des jeunes, passe pour un fort bon manger[3].


Notes de Buffon
  1. C’est la trente-septième grive de M. Brisson, t. II, p. 282. Je doute fort que ce soit le Κυανός d’Aristote (Hist. anim., lib. ix, cap. xxi), qui avait le bec long, le pied grand et le tarse court, ce qui ne convient guère au merle bleu ; en grec moderne, Πετροκόσσυφος ; en latin, cyanus, cæruleus, etc. ; en italien, merlo biavo ; en allemand, blau-vogel, blau-stein-amsel, klein blau-zimmer. On lui a aussi appliqué les noms qui conviennent au merle de roche, et même ceux de moineau ou passereau solitaire.
  2. M. Lottinger me parle d’un merle plombé qui passe dans les montagnes de Lorraine aux mois de septembre et d’octobre, qui est alors beaucoup plus gras et de meilleur goût que nos merles ordinaires, mais qui ne ressemble ni au mâle ni à la femelle de cette dernière espèce. Comme la notice que j’ai reçue de cet oiseau n’était point accompagnée de description, je ne puis décider s’il doit être rapporté comme variété à l’espèce du merle bleu dont il semble se rapprocher par le plumage et par les mœurs.
  3. Belon, Nature des Oiseaux, p. 317.
Notes de l’éditeur
  1. Merula cyana [Note de Wikisource : actuellement Monticola solitarius Linnæus, vulgairement monticole merle-bleu ; c’est le même oiseau que le suivant].