Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le cassique jaune du Brésil ou l’yapou

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 656-658).

LE CASSIQUE JAUNE DU BRÉSIL OU L’YAPOU[1]

En comparant les cassiques[NdÉ 1] aux troupiales, aux carouges et aux baltimores, avec lesquels ils ont beaucoup de choses communes, on s’apercevra qu’ils sont plus gros, qu’ils ont le bec plus fort et les pieds plus courts à proportion, sans parler du caractère de leur physionomie, aussi facile à saisir par le coup d’œil, ou même à exprimer dans une figure, que difficile à rendre avec le seul pinceau de la parole.

Plusieurs auteurs ont donné la description et la figure du cassique jaune sous différents noms, et il y a à peine deux de ces figures ou de ces descriptions qui s’accordent parfaitement. Mais, avant d’entrer dans le détail de ces variétés, il est bon d’écarter tout à fait un oiseau qui me paraît avoir des différences trop caractérisées pour appartenir, même de loin, à l’espèce de l’yapou : c’est la pie de Perse d’Aldrovande[2] ; ce naturaliste ne l’a décrite que d’après un dessin qui lui avait été envoyé de Venise ; il la juge de la grosseur de notre pie ; sa couleur dominante n’est pas le noir, elle est seulement rembrunie (subfuscum) : elle a le bec fort épais, un peu court (breviusculum) et blanchâtre, les yeux blancs et les ongles petits ; tandis que notre yapou n’est guère plus gros que le merle, que tout ce qui est noir dans son plumage est d’un noir décidé, que son bec est assez long et de couleur de soufre, l’iris de ses yeux couleur de saphir, et ses ongles assez forts, selon M. Edwards, et même bien forts et crochus, selon Belon. On ne peut guère douter que des oiseaux si différents n’appartiennent à des espèces différentes, surtout si celui d’Aldrovande était réellement originaire de Perse, comme on le lui avait dit, car l’yapou est certainement d’Amérique.

Les couleurs principales de ce dernier sont constamment le noir et le jaune, mais la distribution de ces couleurs n’est pas la même dans tous les individus observés : par exemple, dans celui que nous avons fait dessiner, tout est noir, excepté le bec et l’iris des yeux, comme nous venons de le dire, et encore les grandes couvertures des ailes les plus voisines du corps, qui sont jaunes, ainsi que toute la partie supérieure du corps, tant dessus que dessous, depuis et compris les cuisses jusque et par delà la moitié de la queue.

Dans un autre individu venant de Cayenne, qui est au cabinet du Roi, et qui est plus gros que le précédent, il y a moins de jaune sur les ailes, et point du tout au bas de la jambe : enfin les pieds paraissent plus forts à proportion : ce peut être le mâle.

Dans la pie noire et jaune de M. Edwards, qui est évidemment le même oiseau que le nôtre, il y a sur quatre ou cinq des couvertures jaunes des ailes une tache noire près de leur extrémité : outre cela, le noir du plumage a des reflets couleur de pourpre, et l’oiseau paraît être un peu plus gros.

Dans l’yapou ou le jupujuba de Marcgrave[3], la queue n’est mi-partie de noir et de jaune que par-dessous, car sa face supérieure est toute noire, excepté la penne la plus extérieure de chaque côté, qui est jaune jusqu’à la moitié de sa longueur.

Il suit de toutes ces diversités que les couleurs du plumage ne sont rien moins que fixes et constantes dans cette espèce, et c’est ce qui me ferait pencher à croire avec Marcgrave que l’oiseau appelé par M. Brisson cassique rouge est encore une variété dans cette espèce[4] : j’en dirai les raisons plus bas[NdÉ 2].

Variété de l’yapou.

Le cassique rouge du Brésil ou le jupuba.[5]

Ce nom[NdÉ 3] est l’un de ceux que Marcgrave donne à l’yapou, et je l’applique au cassique rouge de M. Brisson, parce qu’il lui ressemble exactement dans les points essentiels : mêmes proportions, même grosseur, même physionomie, même bec, mêmes pieds, même noir foncé sur la plus grande partie du plumage ; il est vrai que la moitié inférieure du dos est rouge au lieu d’être jaune, et que le dessous du corps et de la queue est noir en entier ; mais cette différence ne peut guère être un caractère spécifique dans une espèce surtout où les couleurs sont très variables, comme nous avons eu occasion de le remarquer plus haut ; d’ailleurs, le jaune et le rouge sont des couleurs voisines, analogues, sujettes à se mêler, à se fondre ensemble dans l’orangé, qui est la couleur intermédiaire, ou à se remplacer réciproquement, et cela par la seule différence du sexe, de l’âge, du climat ou de la saison.

Ces oiseaux ont environ douze pouces de longueur, dix-sept pouces de vol, la langue fourchue et bleuâtre, les deux pièces du bec recourbées également en bas, la première phalange du doigt extérieur de chaque pied unie et comme soudée à celle du doigt du milieu, la queue composée de douze pennes, et le fond des plumes blanc, tant sous le noir que sous le jaune du plumage.

Ils construisent leurs nids de feuilles de gramen entrelacées avec des crins de cheval et des soies de cochon, ou avec des productions végétales qu’on a prises pour des crins d’animaux ; ils leur donnent la forme d’une cucurbite étroite surmontée de son alambic : ces nids sont bruns au dehors, leur longueur totale est d’environ dix-huit pouces, mais la cavité intérieure n’est que d’un pied ; la partie supérieure est pleine et massive sur la longueur d’un demi-pied, et c’est par là que ces oiseaux les suspendent à l’extrémité des petites branches. On a vu quelquefois quatre cents de ces nids sur un seul arbre, de ceux que les Brésiliens appellent uti ; et comme les yapous pondent trois fois l’année, on peut juger de leur prodigieuse multiplication. Cette habitude de nicher ainsi en société sur un même arbre est un trait de conformité qu’ils ont avec nos choucas.


Notes de Buffon
  1. C’est un oiseau fort approchant du cassique jaune de M. Brisson, t. II, p. 100, et de la pie du Brésil de Belon, Nature des Oiseaux, p. 292. On lui a donné plusieurs noms latins : pica, picus minor, cissa nigra, etc. En italien, gazza ou zalla di Terra-Nuova. En anglais, black and yellow daw of Brasil. En français, cul-jaune. Barrère ajoute, de la petite espèce (France équinoxiale, p. 142) ; mais il est évident que ce sont ceux dont j’ai parlé ci-dessus qui sont les petits culs-jaunes, ayant à peu près la grosseur de l’alouette.
  2. Tome Ier, p. 793.
  3. Historia Brasiliæ, p. 193.
  4. « Vidi quoque totaliter nigras, dorso sanguinei coloris. » Marcgrave, loco citato.
  5. Voyez l’Ornithologie de Brisson, t. II, p. 98.
Notes de l’éditeur
  1. Les Cassiques (Cassicus) se distinguent par un bec à base très large, muni d’une arête terminée en arrière par un disque osseux.

    Le Yapou est le Cassicus cristatus [Note de Wikisource : actuellement Cacicus cela Linnæus, vulgairement cassique cul-jaune] des ornithologistes modernes, oiseau indigène non pas de la Perse, comme le ferait croire le nom de Pie de Perse que lui donnait Aldrovande, mais de l’Amérique du Sud.

    [Note de Wikisource : Dans cette article sont confondues plusieurs espèces d’ictéridés ; l’oiseau vu par Guéneau et représenté dans les planches illuminés est très certainement un cassique cul-jaune, de même que l’oiseau d’Edwards ; mais le cassique rouge de Brisson appartient à une autre espèce du même genre Cacicus (cf. plus bas), et l’oiseau de Marcgrave est plus probablement un cassique huppé, du genre Psarocolius (décrit plus loin sous le nom de cassique huppé de Cayenne). En particulier, le nom d’yapou (en portugais japu) est réservé au Brésil aux oiseaux du genre Psarocolius, et ne s’applique donc pas au cassique cul-jaune.]

  2. Le Cassique est un des plus curieux oiseaux de l’Amérique du Sud dont il habite les grands bois, ne s’approchant que des habitations voisines des forêts. Il vit toujours en bandes nombreuses, et l’on trouve leurs nids réunis en très grand nombre sur les Tillandsia.
  3. Cassicus hæmorrhous Daud. [Note de Wikisource : actuellement Cacicus haemorrhous Linnæus, vulgairement cassique cul-rouge].