Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le carouge

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 660-661).

LE CAROUGE[1]

En général, les carouges[NdÉ 1] sont moins gros et ont le bec moins fort à proportion que les troupiales ; celui de cet article a le plumage peint de trois couleurs, distribuées par grandes masses. Ces couleurs sont : 1o le brun rougeâtre qui règne sur toute la partie antérieure de l’oiseau, c’est-à-dire la tête, le cou et la poitrine ; 2o le noir plus ou moins velouté sur le dos, les pennes de la queue, celles des ailes et sur leurs grandes couvertures, et même sur le bec et les pieds ; 3o enfin l’orangé foncé sur les petites couvertures des ailes, le croupion et les couvertures de la queue. Toutes ces couleurs sont plus ternes dans la femelle.

La longueur du carouge est de sept pouces ; celle du bec de dix lignes, celle de la queue de trois pouces et plus ; le vol de onze pouces, et les ailes dans leur état de repos s’étendent jusqu’à la moitié de la queue et par delà. Cet oiseau a été envoyé de la Martinique ; celui de Cayenne[NdÉ 2], représenté planche 607, fig. 1, en diffère parce qu’il est plus petit ; que l’espèce de coqueluchon qui couvre la tête, le cou, etc., est noir, égayé par quelques taches blanches sur les côtés du cou, et par de petites mouchetures rougeâtres sur le dos ; enfin, parce que les grandes couvertures et les pennes moyennes des ailes sont bordées de blanc ; mais ces différences ne sont pas, à mon avis, si considérables qu’on ne puisse regarder le carouge de Cayenne comme une variété dans l’espèce de la Martinique. On sait que celle-ci construit des nids tout à fait singuliers. Si l’on coupe un globe creux en quatre tranches égales, la forme de l’une de ces tranches sera celle du nid des carouges ; ils savent le coudre sous une feuille de bananier qui lui sert d’abri, et qui fait elle-même partie du nid ; le reste est composé de petites fibres de feuilles[2].

Il est difficile de reconnaître dans ce qui vient d’être dit le rossignol d’Espagne de M. Sloane[3][NdÉ 3], car cet oiseau est plus petit que le carouge selon toutes ses dimensions, n’ayant que six pouces anglais de longueur et neuf de vol ; il a le plumage différent et il construit son nid sur un tout autre modèle ; ce sont des espèces de sacs suspendus à l’extrémité des petites branches par un fil que ces oiseaux savent filer eux-mêmes avec une matière qu’ils tirent d’une plante parasite nommée barbe de vieillard ; fil que bien des gens ont pris mal à propos pour du crin de cheval. L’oiseau de M. Sloane avait la base du bec blanchâtre et entourée d’un filet noir ; le sommet de la tête, le cou, le dos et la queue d’un brun clair ou plutôt d’un gris rougeâtre ; les ailes d’un brun plus foncé, varié de quelques plumes blanches ; la partie inférieure du cou marquée dans son milieu d’une ligne noire ; les côtés du cou, la poitrine et le ventre de couleur feuille morte.

M. Sloane fait mention d’une variété d’âge ou de sexe qui ne différait de l’oiseau précédent que parce que le dos était plus jaune, la poitrine et le ventre d’un jaune plus vif, et qu’il y avait plus de noir sous le bec.

Ces oiseaux habitent les bois et chantent assez agréablement. Ils se nourrissent d’insectes et de vermisseaux, car on en a trouvé des débris dans leur estomac ou gésier, qui n’est point fort musculeux. Leur foie est partagé en un grand nombre de lobes et de couleur noirâtre.

J’ai vu une variété des carouges de Saint-Domingue, autrement des culsjaunes de Cayenne dont je vais parler, laquelle approchait fort de la femelle du carouge de la Martinique, excepté qu’elle avait la tête et le cou plus noirs. Cela me confirme dans l’idée que la plupart de ces espèces sont fort voisines, et que, malgré notre attention continuelle à en réduire le nombre, nous pourrions encore mériter le reproche de les avoir trop multipliées, surtout à l’égard des oiseaux étrangers, qui sont si peu observés et si peu connus.


Notes de l’éditeur
  1. Icterus bonana Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Icterus bonana Linnæus, vulgairement oriole de Martinique. Comme indiqué plus haut, la division traditionnelle entre troupiales, carouges et cassiques a été profondément remaniée, de sorte qu’il faut ramener chaque indication de cette article à l’espèce qu’il concerne, et non pas à l’ensemble des carouges.]
  2. Icterus varius (Oriolus varius Gmel.) [Note de Wikisource : probablement l’actuel Icterus spurius Linnæus, vulgairement oriole des vergers ; cf. l’article du siffleur].
  3. Oriolus nidipendulus Gmel. [Note de Wikisource : espèce mal déterminée ; ce pourrait bien n’être qu’une variété de la précédente].
  1. En latin, icterus minor, turdus minor varius, xanthornus minor ; en français, carouge ; quelques-uns lui ont donné le nom d’oiseau de Banana, comme au troupiale. M. Brisson le regarde, t. II, p. 116, comme le même oiseau que le xochitol altera de Fernandez, cap. cxxv, dont j’ai parlé plus haut ; cependant il construit son nid différemment dans le même pays, et d’ailleurs le plumage n’est point du tout le même, ce qui aurait dû être pour M. Brisson une raison décisive de ne point rapporter ces deux oiseaux à la même espèce.
  2. Voyez l’Ornithologie de M. Brisson, t. II, p. 117.
  3. Nat. History of Jamaïca, p. 299, nos 16 et 17. En anglais, spanish nightingale, watchy picket, american hang-nest.