Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le cap-more

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 652-654).

LE CAP-MORE[NdÉ 1]

Les deux individus, représentés dans les planches 375 et 376, ont été apportés par un capitaine de vaisseau qui avait ramassé une quarantaine d’oiseaux de différents pays, entre autres du Sénégal, de Madagascar, etc., et qui avait nommé ceux-ci pinsons du Sénégal. Je leur ai donné le nom de cap-more à cause de leur capuchon mordoré, et j’ai substitué ce nom, qui exprime l’accident le plus remarquable de leur plumage, à la dénomination impropre de troupiales du Sénégal : elle m’a paru impropre, cette dénomination, soit à raison du climat indiqué, qui n’est point celui des troupiales, soit à raison même de l’espèce désignée ; car le cap-more s’éloigne assez de l’espèce des troupiales et par les proportions du bec, de la queue et des ailes, et par la manière dont il travaille son nid, pour qu’on doive l’en distinguer par un nom particulier ; et il pourrait se faire que, sans être un véritable troupiale, il fût en Afrique le représentant de cette espèce américaine. Les deux dont il s’agit ici ont appartenu à une personne d’un haut rang, qui nous a permis de les faire dessiner chez elle ; et cette personne ayant jeté un coup d’œil sur leurs façons de faire, et ayant bien voulu nous communiquer ce qu’elle avait vu, elle nous a appris sur l’histoire de cette espèce étrangère et nouvelle tout ce que nous en savons.

Le plus vieux avait une sorte de capuchon brun qui paraissait mordoré au soleil : ce capuchon s’effaça à la mue de l’arrière-saison, laissant à la tête une couleur jaune ; mais il reparut au printemps, ce qui se renouvela constamment les années suivantes. La couleur principale du reste du corps était le jaune plus ou moins orangé ; cette couleur régnait sur le dos comme sur la partie inférieure du corps, et elle bordait les couvertures des ailes, leurs pennes et celles de la queue, lesquelles avaient toutes le fond noirâtre

Le jeune fut deux ans sans avoir le capuchon, et même sans changer de couleurs, ce qui fut cause qu’on le prit d’abord pour une femelle, et qu’on le dessina sous cette dénomination, no 376. La méprise était excusable, puisque dans la plupart des animaux le premier âge fait presque disparaître les différences qui distinguent les mâles des femelles, et qu’un des principaux caractères de ces dernières consiste à conserver très longtemps les attributs de la jeunesse ; mais, enfin, lorsqu’au bout de deux ans le jeune troupiale eut pris le capuchon mordoré et toutes les couleurs du vieux, on ne put s’empêcher de le reconnaître pour un mâle.

Avant ce changement de couleurs, le jaune de son plumage était d’une teinte plus faible que dans le vieux : il régnait sur la gorge, le cou, la poitrine, et bordait, comme dans le vieux, toutes les plumes de la queue et des ailes. Le dos était d’un brun olivâtre, qui s’étendait derrière le cou et jusque sur la tête. Dans l’un et l’autre, l’iris des yeux était orange, le bec couleur de corne, plus épais et moins long que celui du troupiale, et les pieds rougeâtres.

Ces deux oiseaux vécurent d’abord en assez bonne intelligence dans la même cage ; le plus jeune était ordinairement sur le bâton le plus bas, ayant le bec fort près de l’autre ; il lui répondait toujours en battant des ailes et avec l’air de la subordination.

Comme on s’aperçut dans l’été qu’ils entrelaçaient des tiges de mouron dans la grille de leur cage, on prit cela pour l’indice d’une disposition prochaine à nicher, et on leur donna de petits brins de joncs dont ils eurent bientôt construit un nid, lequel avait assez de capacité pour que l’un des deux y fût caché tout entier. L’année suivante ils recommencèrent, mais alors le vieux chassa le jeune qui prenait déjà la livrée de son sexe, et celui-ci fut obligé de travailler à part à l’autre bout de la cage. Nonobstant une conduite si soumise, il était souvent battu et quelquefois si rudement qu’il restait sur la place : on fut obligé de les séparer tout à fait, et depuis ce temps ils ont travaillé chacun de leur côté, mais sans suite ; l’ouvrage du jour était ordinairement défait le lendemain : un nid n’est pas l’ouvrage d’un seul.

Ils avaient tous deux un chant singulier, un peu aigre, mais fort gai : le plus vieux est mort subitement, et le plus jeune à la suite de quelques attaques d’épilepsie. Leur grosseur était un peu au-dessous de celle de notre premier troupiale ; ils avaient aussi les ailes et la queue un peu plus courtes à proportion.


Notes de l’éditeur
  1. Oriolus textor Gmel. [Note de Wikisource : actuellement Ploceus cucullatus Statius Müller, vulgairement tisserin gendarme, de la famille des Plocéidés].