Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le cabaret

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome VI, Histoire naturelle des oiseauxp. 160-161).

LE CABARET[1]

Lorsqu’il s’agit d’oiseaux en qui les couleurs sont aussi variables que dans ceux-ci, on s’exposerait à une infinité de méprises si l’on voulait prendre ces mêmes couleurs pour les marques distinctives des espèces. Nous avons vu que notre linotte ordinaire, dans l’état de liberté, avait du rouge sur la tête et sur la poitrine ; que la linotte captive n’en avait que sur la poitrine, encore était-il caché ; que la linotte de Strasbourg l’avait aux pieds ; que celle de montagne l’avait sur le croupion : M. Brisson dit que celle qu’il nomme petite linotte de vignes en a sur la tête et sur la poitrine, et Gessner ajoute sur le croupion ; Willughby fait mention d’une petite linotte qui n’avait de rouge que sur la tête, et ressemblait en cela à deux autres décrites par Aldrovande, mais qui en différait à d’autres égards. Enfin le cabaret de M. Brisson avait du rouge sur la tête et le croupion, et celui de M. Frisch n’en avait point sur la tête. Il est visible qu’une grande partie de ces variétés viennent du temps et des circonstances où ces oiseaux ont été vus : si c’est au milieu du printemps, ils avaient leurs plus belles couleurs ; si c’est pendant la mue, ils n’avaient plus de rouge ; si c’est d’abord après, ils n’en avaient pas encore ; si c’est après avoir été tenus plus ou moins de temps en cage, ils en avaient perdu plus ou moins ; et si les plumes des différentes parties tombent en des temps différents, c’est encore une source abondante de variétés. Dans cette incertitude, on est forcé d’avoir recours, pour déterminer les espèces, à des propriétés plus constantes : à la forme du corps, aux mœurs, aux habitudes. Faisant l’application de cette méthode, je trouve qu’il n’y a que deux espèces d’oiseaux à qui l’on ait donné le nom de petite linotte : l’un qui ne chante point, qui ne paraît que tous les six ou sept ans, arrive par troupes très nombreuses, ressemble au tarin, etc. ; c’est la petite linotte de vignes de M. Brisson ; l’autre est le cabaret de cet article[NdÉ 1].

M. Daubenton le jeune a eu pendant deux ou trois ans un de ces oiseaux qui avait été pris au filet ; il était d’abord très sauvage, mais il s’apprivoisa peu à peu et devint tout à fait familier. Le chènevis était la graine dont il paraissait le plus friand ; il avait la voix douce et mélodieuse, presque semblable à celle de la fauvette appelée traîne-buisson : il perdit tout son rouge dès la première année, et il ne le reprit point ; ses autres couleurs n’éprouvèrent aucune altération. On a remarqué que lorsqu’il était en mue, ou malade, son bec devenait aussitôt pâle et jaunâtre, puis reprenait par nuances sa couleur brune à mesure que l’oiseau se portait mieux. La femelle n’est pas entièrement dépourvue de belles couleurs ; elle a du rouge sur la tête, mais elle n’en a pas sur le croupion : quoique plus petite que la femelle de la linotte ordinaire, elle a la voix plus forte et plus variée. Cet oiseau est assez rare, soit en Allemagne, soit en France ; il a le vol rapide et ne va point par grandes troupes ; son bec est un peu plus fin, à proportion, que celui de la linotte.

Mesures. La longueur totale du cabaret est de quatre pouces et demi ; son vol a près de huit pouces ; son bec un peu plus de quatre lignes ; sa queue a deux pouces : elle est fourchue, et ne dépasse les ailes que de huit lignes.

Couleurs. Le dessus de la tête et le croupion rouges ; une bande roussâtre sur les yeux ; le dessus du corps varié de noir et de roux ; le dessous du corps roux, tacheté de noirâtre sous la gorge ; le ventre blanc ; les pieds bruns, quelquefois noirs. Les ongles sont fort allongés, et celui du doigt postérieur est plus long que ce doigt.


Notes de Buffon
  1. « Passer supernè nigricante et rufescente varius, infernè rufescens ; ventre albido ; tæniâ supra oculos rufescente ; maculis rostrum inter et oculos, et sub gutture fusconigricantibus (vertice et uropygio rubris Mas) ; (vertice rubro Fœmina), tæniâ in alis transversâ alborufescente ; rectricibus fuscis, oris in totâ circumferentiâ rufescentibus… Linaria minima », la petite linotte ou le cabaret. Brisson, t. III, p. 142. An fanello dell’ Aquila Olinæ, p. 8. Brisson, ibid.Picaveret. Belon, Nature des oiseaux, p. 356. La petite linotte, twite, Albin, Hist. nat., t. III, p. 31. Linaria pectore subluteo, Gelbkehlige Henffling, Quitter. Linotte à gorge jaunâtre. Frisch, t. Ier, class. 1, art. 3, no 10. — Il est difficile de reconnaître notre cabaret dans la description que fait Olina de son Fanello dell’ Aquila, overo della Marca, p. 45, dans lequel il ne paraît pas qu’il y ait une seule plume rouge, et qui semble plus grand que notre cabaret. Je doute aussi que la linotte à gorge jaunâtre de M. Frisch soit exactement de la même espèce, s’il est bien vrai comme il le dit, classe 1, division 3e, art. 3, que cette linotte ne chante point ; car nous sommes sûrs que le cabaret a un ramage fort agréable.
Notes de l’éditeur
  1. Fringilla linaria L. [Note de Wikisource : actuellement Acanthis cabaret Statius Müller (parfois considéré comme une sous-espèce de Acanthis flammea Linnæus, ici appelé sizerin), vulgairement sizerin cabaret ; les sizerins, du genre Acanthis, sont avec les becs-croisés les oiseaux les plus apparentés aux linottes.].