Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le bruant de France

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome VI, Histoire naturelle des oiseauxp. 282-285).

LE BRUANT DE FRANCE[1]

Le tubercule osseux ou grain d’orge que cet oiseau[NdÉ 1] a dans le palais est le titre incontestable par lequel il prouve sa parenté avec les ortolans : il a encore avec eux plusieurs autres traits de conformité, soit dans la forme extérieure du bec et de la queue, soit dans la proportion des autres parties et dans le bon goût de sa chair[2]. M. Salerne remarque que son cri est à peu près le même, et que c’est d’après ce cri, semblable, dit-il, à celui de l’ortolan, qu’on l’appelle dans l’Orléanais binery.

Le bruant fait plusieurs pontes, la dernière en septembre : il pose son nid à terre, sous une motte, dans un buisson, sur une touffe d’herbe, et dans tous ces cas il le fait assez négligemment ; quelquefois il l’établit sur les basses branches des arbustes, mais alors il le construit avec un peu plus de soin ; la paille, la mousse et les feuilles sèches sont les matériaux qu’il emploie pour le dehors ; les racines et la paille plus menue, le crin et la laine, sont ceux dont il se sert pour matelasser le dedans ; ses œufs, le plus souvent au nombre de quatre ou cinq, sont tachetés de brun de différentes nuances, sur un fond blanc, mais les taches sont plus fréquentes au gros bout. La femelle couve avec tant d’affection, que souvent elle se laisse prendre à la main en plein jour. Ces oiseaux nourrissent leurs petits de graines, d’insectes et même de hannetons, ayant la précaution d’ôter à ceux-ci les enveloppes de leurs ailes, qui seraient trop dures. Ils sont granivores, mais on sait bien que cette qualité ne leur interdit pas les insectes : le millet et le chènevis sont les graines qu’ils aiment le mieux. On les prend au lacet avec un épi d’avoine pour tout appât, mais ils ne se prennent pas, dit-on, à la pipée ; ils se tiennent l’été autour des bois, le long des haies et des buissons, quelquefois dans les vignes, mais presque jamais dans l’intérieur des forêts : l’hiver, une partie change de climat ; ceux qui restent se rassemblant entre eux, et se réunissant avec les pinsons, les moineaux, etc., forment des troupes très nombreuses, surtout dans les jours pluvieux : ils s’approchent des fermes, et même des villes et des grands chemins, où ils trouvent leur nourriture sur les buissons et jusque dans la fiente des chevaux, etc. : dans cette saison ils sont presque aussi familiers que les moineaux[3]. Leur vol est rapide, ils se posent au moment où on s’y attend le moins, et presque toujours dans le plus épais du feuillage, rarement sur une branche isolée. Leur cri ordinaire est composé de sept notes, dont les six premières égales et sur le même ton, et la dernière plus aiguë et plus traînée : ti, ti, ti, ti, ti, ti, ti[4].

Les bruants sont répandus dans toute l’Europe, depuis la Suède jusqu’à l’Italie inclusivement, et par conséquent peuvent s’accoutumer à des températures très différentes : c’est ce qui arrive à la plupart des oiseaux qui se familiarisent plus ou moins avec l’homme, et savent tirer parti de sa société.

Le mâle est remarquable par l’éclat des plumes jaunes qu’il a sur la tête et sur la partie inférieure du corps ; mais, sur la tête, cette couleur est variée de brun ; elle est pure sur les côtés de la tête, sous la gorge, sous le ventre et sur les couvertures du dessous des ailes, et elle est mêlée de marron clair sur tout le reste de la partie inférieure ; l’olivâtre règne sur le cou et les petites couvertures supérieures des ailes ; le noirâtre mêlé de gris et de marron clair sur les moyennes et les plus grandes, sur le dos, et même sur les quatre premières pennes de l’aile : les autres sont brunes et bordées, les grandes de jaunâtre, les moyennes de gris ; les pennes de la queue sont brunes aussi et bordées, les deux extérieures de blanc, et les dix autres de gris-blanc : enfin leurs couvertures supérieures sont d’un marron clair, terminées de gris-blanc. La femelle a moins de jaune que le mâle, et elle est plus tachetée sur le cou, la poitrine et le ventre : tous deux ont les bords du bec inférieur rentrants et reçus dans le supérieur ; les bords de celui-ci échancrés près de la pointe, la langue divisée en filets déliés par le bout ; enfin l’ongle postérieur est le plus long de tous. L’oiseau pèse cinq à six gros, il a sept pouces et demi de tube intestinal, des vestiges de cæcum, l’œsophage long de deux pouces et demi, se dilatant près du gésier ; le gésier musculeux, la vésicule du fiel très petite. Dans l’ovaire de toutes les femelles que j’ai disséquées, il s’est trouvé des œufs de grosseur inégale.

Longueur totale, six pouces un tiers ; bec, cinq lignes ; pieds, huit à neuf lignes ; doigt du milieu, presque aussi long ; vol, neuf pouces un quart ; queue, deux pouces trois quarts ; composée de douze pennes, un peu fourchue, non seulement parce que les pennes intermédiaires sont plus courtes que les latérales, mais aussi parce que les six pennes de chaque côté se tournent naturellement en dehors ; elle dépasse les ailes de vingt et une lignes.


VARIÉTÉS DU BRUANT

On peut bien s’imaginer que le jaune et les autres couleurs propres à cette espèce varient dans différents individus, dans différents climats, etc., soit pour la teinte, soit pour la distribution ; quelquefois le jaune s’étend sur toute la tête, sur le cou, etc. ; d’autres individus ont la tête d’un cendré jaunâtre ; le cou cendré tacheté de noir ; le ventre, les jambes et les pieds d’un jaune de safran ; la queue brune bordée de jaune, etc.[5].


Notes de l’auteur
  1. Cirlus, zivolo pagliato, de son cri qui est zi, zi. Olina, Uccelleria, p. 50. — Lutea, luteola, chloris ; asarandos, en grec vulgaire ; serrant, au pays du Maine ; verdier. Belon, Nat. des oiseaux, p. 364 et 365. — Chloreus, seu lutea Aristotelis. Turner. Emberiza flava ; Italis, cid megliarina, verzero, paierizo, spaiarda ; Illyriis, strnad ; Helvetiis, emmeritz, embritz, emmering, emmerling, hemmerling ; Germanis, gaelgen-ficken, gilbling, gilberschen, gilwertsch, kom-vogel, geelgorst ; Brabantiis, jasine ; Anglis, yellow-ham, youlring ; en français, bruant, verdun, verdier, verdereule, verdere. Gessner, De Avibus, p. 653. Passeris species ; en allemand, gaul-ammer. Gessner, Icon. av., p. 42. — « Hortulanus flavus, totus flavescens, colore propemodum paleari. » Aldrov., p. 179. « Anthus, seu florus Gessneri ; gaulammer, geel-vinck ; paglierizo, » ibid., p. 752. — Lutea, cia palearis (sans doute par onomatopée, car ils font entendre souvent ce petit cri ci, ci, et en volant et arrêtés). Italis, cirlo, ibid., p. 855. — Aureola, anthus seu florus Ornithologi ; lagopus crocea Eberi et Peuceri ; chloreus, Longolii ; galbula, galgulus, icterus, ἰκτερός ; en allemand, gaul-ammen. Schwenckfeld, Av. Siles., p. 228. — Aureola, lutea Jonstoni (seu potius Aldrovandi) ; en polonais, trznadel. Rzaczynski, Auct. Polon., p. 368. Lutea altera Jonstoni (seu potius Aldrovandi) a colore paleari dicta ; cia pagaria ; en anglais, gelgorsta, ibid., p. 392. On voit bien que Rzaczynski se trompe, gelgorsta ne fut jamais un mot anglais ; aussi Aldrovande, qui est ici copié par Rzaczynski, dit simplement que l’oiseau appelé geelgorst par quelques-uns, s’appelle en anglais yellow-ham, suivant Turner, p. 856. — Citrinella ; en anglais, the yellow youlring : R. Sibbalde, Atl. Scot., pars secunda, lib. iii, p. 18. M. Brisson croit que c’est le luteola de ce même Sibbalde qui est notre bruant ; mais deux raisons s’y opposent, la première c’est que le nom anglais, yellow youlrig qu’il donne au citrinella, est le nom que Gessner donne à notre bruant ; la seconde, c’est que le luteola de Sibbalde est d’un jaune brillant dessus et dessous (back and belly), ce qui ne peut convenir à notre bruant. — « Emberiza flava Gessneri ; hortulanus Bellonii ; luteæ alterum genus Aldrovandi. » Willughby, p. 196. — The yellow hammer… Ray, Synops., p. 93. — Albin, t. Ier, pl. 58. Le traducteur a rendu mal à propos yellow hammer par loriot et verdore. — Emberiza flava Gessneri ; en allemand, gaal-ammer ; gruenfing de Frisch. Klein, Ordo Av., p. 92. — Miliaria lutea ; passer croceus quorumdam ; en allemand, gold-ammer, gerst-ammer (parce qu’il mange de l’orge) ; gruenzting, bruant doré. Frisch, class. 1, div. 2, art. 2, no 5. — « Citrinella rectricibus nigricantibus, extimis duabus latere interiore maculâ albâ acutâ ; en suédois, groening ; en smoland., golspinck. » Linnæus, Fauna Suec., no 205, Syst. nat., édit. XIII, p. 309. — Muller, Zoologia Danica, p. 31 ; en danois, gulspury, gulvesling ; en norwégien, skur. — « Passer ex cinereo flavus, hortulano congener Jonstoni. » Barrère, Ornithol., p. 56. — « Emberiza gulâ pectoreque flavis… Gursa vel ameringa Alberti… » Kramer, Elenchus, p. 370. — « Emberiza supernè nigricante rufescente et griseo albo varia ; infernè lutea ; pectore dilutè castaneo, luteo et olivaceo variegato ; capite luteo, maculis fuscis vario ; tæniâ ponè oculos fuscâ ; rectricibus binis utrimque extimis interiùs maculâ albâ notatis… » Emberiza, le bruant. Brisson, t. III, p. 258. — Verdier ou chic jaune ; en Provence, verdelat ; en Sologne, verdat ; en Languedoc, verdale ; en Poitou, verdoie ; en Périgord, verdange ; ailleurs, vert-montant, verdier-buissonnier, verdin, verdon, roussette ; dans l’Orléanais, binery ; en Guienne, bardeaut, etc., en italien, verdone. Salerne, page 293.
  2. Sa chair est jaune, et l’on n’a pas manqué de dire que c’était un remède contre la jaunisse, et même que pour guérir de ce mal, il ne fallait que regarder l’oiseau, lequel prenait la jaunisse du regardant et mourait. Voyez Schwenckfeld.
  3. Frisch dérive leur nom allemand ammer ou hammer du mot ham qui signifie maison ; ammer dans cette hypothèse signifierait domestique.
  4. Selon quelques-uns ils ont encore un autre cri, vignerot, vignerot, vignerot, titchye : Olina dit qu’ils imitent en partie le ramage des pinsons, avec lesquels ils volent en troupes Frisch dit qu’ils prennent aussi quelque chose du chant du canari lorsqu’ils l’entendent étant jeunes, et il ajoute que le métis provenant du mâle bruant et de la femelle canari, chante mieux que son père. Enfin M. Guys assure que le chant du mâle bruant devient agréable à l’approche du mois d’août ; Aldrovande parle aussi de son beau ramage.
  5. Hortulano congener. Aldrovande, p. 179. M. Brisson croit que c’est la femelle bruant ; mais ce jaune safran ne peut guère appartenir à la femelle, ni même au mâle ; en tout cas ce serait une variété de femelle.
Notes de l’éditeur
  1. Emberiza citrinella L. [Note de Wikisource : actuellement Emberiza citrinella Linnæus, vulgairement bruant de France].