Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/L’oiseau saint-martin

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome V, Histoire naturelle des oiseauxp. 115-116).

L’OISEAU SAINT-MARTIN

Les naturalistes modernes ont donné à cet oiseau[1] le nom de faucon-lanier ou lanier cendré[NdÉ 1] ; mais il nous paraît être non seulement d’une espèce, mais d’un genre différent de ceux du faucon et du lanier. Il est un peu plus gros qu’une corneille ordinaire, et il a proportionnellement le corps plus mince et plus dégagé ; il a les jambes longues et menues, en quoi il diffère des faucons qui les ont robustes et courtes, et encore du lanier que Belon dit être plus court empiété qu’aucun faucon ; mais, par ce caractère des longues jambes, il ressemble au jean-le-blanc et à la soubuse ; il n’a donc d’autre rapport au lanier que l’habitude de déchirer avec le bec tous les petits animaux qu’il saisit, et qu’il n’avale pas entiers, comme le font les autres gros oiseaux de proie. Il faut, dit M. Edwards, le ranger dans la classe des faucons à longues ailes : ce serait, à mon avis, plutôt avec les buses qu’avec les faucons que cet oiseau devrait être rangé, ou plutôt il faut lui laisser sa place auprès de la soubuse, à laquelle il ressemble par un grand nombre de caractères et par les habitudes naturelles.

Au reste, cet oiseau se trouve assez communément en France, aussi bien qu’en Allemagne et en Angleterre. M. Frisch a donné deux planches de ce même oiseau, nos 79 et 80, qui ne diffèrent pas assez l’une de l’autre pour qu’on doive les regarder avec lui comme étant d’espèce différente ; car les variétés qu’il remarque entre ces deux oiseaux sont trop légères, pour ne les pas attribuer au sexe ou à l’âge. M. Edwards, qui a aussi donné la figure de cet oiseau, dit que celui de sa planche enluminée a été tué près de Londres, et il ajoute que, quand on l’aperçut, il voltigeait autour du pied de quelques vieux arbres, dont il paraissait quelquefois frapper le tronc avec le bec et les serres, en continuant cependant à voltiger, ce dont on ne put découvrir la raison qu’après l’avoir tué et ouvert ; car on lui trouva dans l’estomac une vingtaine de petits lézards, déchirés ou coupés en deux ou trois morceaux.

En comparant cet oiseau avec ce que dit Belon de son second oiseau saint-martin, on ne pourra douter que ce ne soit le même, et indépendamment des rapports de grandeur, de figure et de couleur, ces habitudes naturelles de voler bas et de chercher avec avidité et constance les petits reptiles, appartiennent moins aux faucons et aux autres oiseaux nobles qu’à la buse, à la harpaye et aux autres oiseaux de ce genre, dont les mœurs sont plus ignobles et approchent de celles des milans. Cet oiseau, bien décrit et très bien représenté par M. Edwards, n’est pas, comme le disent les auteurs de la Zoologie britannique, le henharrier, dont ils ont donné la figure. Ce sont des oiseaux différents, dont le premier, que nous appelons, d’après Belon, l’oiseau saint-martin, a, comme je l’ai dit, été indiqué par MM. Frisch et Brisson, sous le nom de faucon-lanier et lanier cendré ; le second de ces oiseaux, qui est le subbuteo de Gessner, et que nous appelons soubuse, a été nommé aigle à queue blanche par Albin, et faucon à collier par M. Brisson. Au reste, les fauconniers nomment cet oiseau saint-martin : la harpaye-épervier. Harpaye est parmi eux un nom générique qu’ils donnent non seulement à l’oiseau saint-martin, mais encore à la soubuse et au busard roux ou rousseau, dont nous parlerons dans la suite.


Notes de Buffon
  1. Belon n’hésite pas à dire qu’il est de la même espèce que le jean-le-blanc, et en même temps il convient qu’il approche beaucoup du milan : « Il est, dit-il, encore une autre espèce de jean-le-blanc ou oiseau saint-martin, semblablement nommée blanche queue, de même espèce que le susdit ; mais il ressemble beaucoup mieux à la couleur d’un milan royal, n’était qu’il est de moindre corpulence… Il ressemble au milan royal de si près qu’on n’y trouverait différence, n’était qu’il est plus petit et plus blanc sous le ventre, ayant les plumes qui touchent le croupion en la queue, tant dessus que dessous, de couleur blanche ; aussi est-ce de cela qu’il est nommé queue blanche. » Hist. nat. des Oiseaux, p. 104.
Notes de l’éditeur
  1. C’est le Strigiceps cineraceus [Note de Wikisource : actuellement Circus pygargus Linnæus, vulgairement busard cendré ou busard de Montagu]. La variété décrite ici par Buffon ne serait, d’après Cuvier, que le mâle de la seconde année. Voyez l’article suivant : la Soubuse. Les Strigiceps sont des Rapaces de la famille des Accipitridés et de la sous-famille des Circiens. Certains auteurs les confondent avec les Circus.