Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Stalactites calcaires

STALACTITES CALCAIRES

Les stalactites des substances calcaires, comme celles des matières vitreuses, se présentent en concrétions opaques ou transparentes : les albâtres et les marbres de seconde formation sont les plus grandes masses de ces concrétions opaques ; les spaths qui, comme les pierres calcaires, peuvent se réduire en chaux par l’action du feu, en sont les stalactites transparentes ; la substance de ces spaths est composée, comme celle des cristaux vitreux, de lames triangulaires presque infiniment minces ; mais la figure de ces lames triangulaires du spath diffère néanmoins de celle des lames triangulaires du cristal ; ce sont des triangles dont les côtés sont obliques, en sorte que ces lames triangulaires qui ne s’unissent que par la tranche forment des losanges et des rhombes, au lieu que, quand ce sont des triangles rectangles, elles forment des carrés et des solides à angles droits. Cette obliquité, dans la situation des lames, se trouve constamment et généralement dans tous les spaths, et dépend, ce me semble, de la nature même des matières calcaires, qui ne sont jamais simples ni parfaitement homogènes, mais toujours composées de couches ou lames de différente densité ; en sorte que entre chaque lame il se trouve une couche moins dense, dont la puissance d’attraction, se combinant avec celle de la lame plus dense, produit un mouvement composé qui suit la diagonale et rend oblique la position de toutes les lames et couches alternatives et successives, en sorte que tous les spaths calcaires, au lieu d’être cubiques ou parallélipipèdes rectangles, sont rhomboïdaux ou parallélipipèdes obliquangles, dans lesquels les faces parallèles et les angles opposés sont égaux ; il est même nécessaire, pour produire cette obliquité de position, que les lames et les couches intermédiaires soient d’une densité fort différente, et l’on peut juger de cette différence par le rapport des deux réfractions. Toutes les matières transparentes qui, comme le diamant ou le verre, sont parfaitement homogènes, n’opèrent sur la lumière qu’une simple réfraction, tandis que toutes les matières transparentes, qui sont composées de couches alternatives de différente densité, produisent une double réfraction ; et lorsqu’il n’y a que peu de différence dans la densité de ces couches, les deux réfractions ne diffèrent que peu, comme dans le cristal de roche dont les réfractions ne s’éloignent que d’un dix-neuvième, et dont par conséquent la densité des couches alternatives ne diffère que très peu, tandis que, dans le spath appelé cristal d’Islande, les deux réfractions, qui diffèrent entre elles de plus d’un tiers, nous démontrent que la différence de la densité respective des couches alternatives de ce spath est six fois plus grande que dans les couches alternatives du cristal de roche : il en est de même du gypse transparent, qui n’est qu’un spath calcaire imprégné d’acide vitriolique ; sa double réfraction est à la vérité moindre que celle du cristal d’Islande, mais cependant plus forte que celle du cristal de roche, et l’on ne peut douter qu’il ne soit également composé de couches alternatives de différente densité : or, ces couches dont les densités ne sont pas fort différentes et dont les réfractions, comme dans le cristal de roche, ne diffèrent que d’un dix-neuvième, ont aussi à très peu près la même puissance d’attraction, et dès lors le mouvement qui les unit est presque simple, ou si peu composé que les couches se superposent sans obliquité sensible les unes sur les autres ; au lieu que, quand les couches alternatives sont de densité très différente, et que leurs réfractions, comme dans le cristal d’Islande, diffèrent de plus d’un tiers, leur, puissance d’attraction diffère en même raison, et ces deux attractions agissant à la fois, il en résulte un mouvement composé qui, s’exerçant dans la diagonale, produit l’obliquité des couches, et par conséquent celle des faces et des angles dans ce cristal d’Islande, ainsi que dans tous les autres spaths calcaires.

Et, comme cette différence de densité se trouve plus ou moins grande dans les différents spaths calcaires, leur forme de cristallisation, quoique toujours oblique, ne laisse pas d’être sujette à des variétés qui ont été bien observées par M. le docteur Demeste : je me dispenserai de les rapporter ici[1], parce que ces variétés ne me paraissent être que des formes accidentelles dont on ne peut tirer aucun caractère réel et général ; il nous suffira, pour juger de tous les spaths calcaires, d’examiner le spath d’Islande, dont la forme et les propriétés se retrouvent plus ou moins dans tous les autres spaths calcaires.


Notes de Buffon
  1. Lettres de M. Demeste, t. Ier, p. 264 et suiv.