Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Pierres à aiguiser

PIERRES À AIGUISER

Les anciens donnaient le nom de cos à toutes les pierres propres à aiguiser le fer. La substance de ces pierres est composée des détriments du quartz souvent mêlés de quelque autre matière vitreuse ou calcaire. On peut aiguiser les instruments de fer et des autres métaux avec tous ces grès, mais il y en a quelques-uns de bien plus propres que les autres à cet usage : par exemple, on trouve dans les mines de charbon, à Newcastle en Angleterre, une sorte de grès dont on fait de petites meules et d’excellentes pierres à aiguiser. L’un de nos plus savants naturalistes, M. Guettard, a observé et décrit plusieurs sortes de ces mêmes pierres qui se trouvent aux environs de Paris, le long des bords de la Seine, et il les croit aussi propres à cet usage que celles qu’on tire d’Angleterre[1], et dont les carrières sont situées à deux ou trois milles au sud de Newcastle, sur la rivière de Durham. M. Jars dit que, quoiqu’on emploie beaucoup de ces pierres dans le pays, on en exporte une très grande quantité[2]. Il se trouve aussi en Allemagne, en Suède, et particulièrement dans la province de Dalécarlie, des cos de plusieurs sortes et de différentes couleurs : on assure que quelques-unes de ces pierres sont d’un assez beau blanc et d’un grain assez fin pour en faire des vases luisants et polis.

La pierre à aiguiser, que l’on connaît sous le nom de grès de Turquie, est d’un grain fin et presque aussi serré que celui de la pierre à fusil ; cependant elle n’est pas dure, surtout au sortir de la carrière : l’huile dont on l’humecte semble lui donner plus de dureté. Il y a toute apparence que ce grès, qui se trouve en Turquie, se rencontre aussi dans quelques-unes des îles de l’Archipel ; car l’île de Candie fournissait autrefois, et probablement fournit encore de très bonnes pierres à aiguiser[3] : en général, on trouve des cos ou pierres à aiguiser dans presque toutes les parties du monde, et jusqu’en Groenland[4].


Notes de Buffon
  1. « Il se trouve, dit M. Guettard, des cos sur les bords de la Seine, depuis Saint-Ouen jusque assez près de Saint-Denis, ou plutôt vis-à-vis l’île qui porte le même nom ; le bas des berges, dans cet endroit, est de pierre de taille semblable à celle qu’on emploie à Paris ; cette pierre est précédée par des lits de terres marneuses, blanchâtres ou grises ; des bandes de cos coupent les lits de ces terres ; la couleur de ce cos varie de même que sa dureté ; il y en a de plus ou moins durs, de plus ou moins blancs ou bruns ; leur dureté est quelquefois telle qu’elle approche de celle de la pierre à fusil lorsqu’elle n’est pas taillée.

    » On en trouve des morceaux qui sont cos ordinaire dans une partie, cos dur, brillant et luisant dans une autre, et dans d’autres pierres à fusil semblables à la commune. Il s’en rencontre encore qui sont très légers, quoiqu’à la vérité ils aient une couche mince de cos luisant ; ces morceaux commencent apparemment à se durcir ; la légèreté de ceux-ci a de quoi surprendre, si on les compare aux autres morceaux qui sont très lourds proportionnellement à leur masse : pour tout dire en un mot, on trouve de ces pierres depuis l’état de mollesse jusqu’à celui d’une très grande dureté.

    » De quelque endroit au reste que ce cos soit tiré, il ne varie guère que par la couleur, qui elle-même ne souffre pas beaucoup de variétés : communément il est d’un jaunâtre clair ; on en voit de laiteux, de bleuâtres, et souvent d’un brun plus ou moins foncé ; quelquefois il a extérieurement une teinte très légère d’un gris de lin très pâle, et il est assez blanc intérieurement.

    » L’action de l’eau-forte sur celles de ces pierres qui sont près de Saint-Ouen n’est pas considérable, elle est même nulle sur celles qui sont devenues pierres à fusil ; plus elles sont tendres et légères, et plus elles jettent de bulles dans cet acide ; mais ces bulles cessent au bout d’une minute ou deux, lors même qu’elles sont le plus abondantes, et le morceau de pierre qu’on a jeté dans l’acide reste sans se déformer, quelque temps qu’on l’y laisse après la cessation de ces bulles.

    » Au reste, quels que soient ces cos, ils me paraissent très propres à faire des pierres à aiguiser aussi bonnes que celles qu’on nous apporte d’Allemagne ; elles ont un grain aussi fin, elles sont aussi douces, et elles ont une consistance égale. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1762, p. 172 jusqu’à 195.

  2. Voyages métallurgiques de M. Jars.
  3. La ville de Naxos, dans l’île de Crète, appelée aujourd’hui Candie, était renommée parmi les anciens, à cause des queues (cos) ou pierres à aiguiser qu’on en tirait ; car on tient que celles qu’on trouvait aux environs de cette ville étaient estimées les meilleures de toutes. Description de l’Archipel, traduit du flamand d’O. Dapper ; Amsterdam, 1703, p. 402.
  4. Dans le Groenland, on trouve ces pierres à aiguiser très fines, de couleur rouge ou jaune. Il y a une pierre de cette espèce qui contient des grains brillants, et qui se coupe en tranches comme l’ardoise. Les Groenlandais tirent du midi de leur pays une sorte de pierre à aiguiser, d’un sable ou gravier rouge et fin avec des taches blanches : elle se polit comme le marbre, et peut s’employer dans les édifices. Histoire générale des Voyages, t. XIX, p. 28.