Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Cuir et liège de montagne

CUIR ET LIÈGE DE MONTAGNE

Dans l’amiante et l’asbeste, les parties constituantes sont disposées en filaments souvent parallèles, quelquefois divergents ou mêlés confusément ; dans le cuir de montagne, ces mêmes parties talqueuses ou micacées qui en composent la substance sont disposées par couches et en feuillets minces et légers, plus ou moins souples, et dans lesquels on n’aperçoit aucun filament, aucune fibre : ce sont des paillettes ou petites lames de talc ou de mica, réunies et superposées horizontalement, plus ou moins adhérentes entre elles, et qui forment une masse mince comme du papier, ou épaisse comme un cuir et toujours légère, parce que ces petites couches ne sont pas réunies dans tous les points de leur surface, et qu’elles laissent entre elles tant de vide que cette substance acquiert presque le double de son poids par son imbibition dans l’eau[1].

Le liège de montagne, quoiqu’en apparence encore plus poreux, et même troué et caverneux, est cependant plus dur et d’une substance plus dense que le cuir de montagne, et il tire beaucoup moins d’eau par l’imbibition[2]. Les parties constituantes de ce liège de montagne ne sont pas disposées par couches ou par feuillets appliqués horizontalement les uns sur les autres, comme dans le cuir de montagne, mais elles sont contournées en forme de petits cornets qui laissent d’assez grands intervalles entre eux, et la substance de ce liège est plus compacte et plus dure que celle du cuir auquel nous le comparons ; mais l’essence de l’un et de l’autre est la même, et ils tirent également leur origine et leur formation de l’assemblage et de la réunion des particules du mica moins atténuées que dans les talcs ou les amiantes.

Ce cuir et ce liège sont ordinairement blancs, et quelquefois jaunâtres ; on en a trouvé de ces deux couleurs en Suède, à Sahlberg et à Danemora. M. Montet a donné une bonne description du liège qu’il a découvert le long du chemin de Mandagout à Vigan, diocèse d’Alais : cet habile minéralogiste dit avec raison « que cette substance est fort analogue à l’amiante[3], et que les mines en sont très rares en France ». Celle qu’il décrit se présentait à la surface du terrain et était en couches continues à quatre pieds de profondeur[4] ; elle gisait dans une terre ocreuse qui donnait une couleur jaune à ce liège, mais il devenait d’un blanc mat en le lavant. « Ce liège, dit M. Montet, se présente sous différentes formes, et toutes peu régulières ; il y a de ces lièges qui sont tout à fait plats, et qui n’ont en certains endroits pas plus de deux ou trois lignes d’épaisseur ; ils ressemblent à certains fungus qui viennent sur les châtaigniers, ou à de la bourre desséchée ; d’autres sont fort épais et de figure oblongue ; il y en a aussi en petits morceaux détachés, irréguliers comme sont les cailloux, etc., la plupart sont raboteux ayant beaucoup de petites éminences ; on n’en voit point d’unis sur aucune de leurs surfaces… Lorsque ce liège de montagne est bien nettoyé de la terre qui l’enduit et que, dans cet état de netteté, on le ramollit en le pressant et frottant entre les doigts, il ressemble parfaitement à du papier mâché.

» Les gros morceaux de ce liège et ceux qui sont fort épais sont ordinairement fort pesants, eu égard aux autres qui sont peu pénétrés par la terre et par les sucs pétrifiants ; ceux-ci ont la légèreté et la mollesse du liège ordinaire ; voilà sans doute ce qui a fait donner à cette substance le nom de liège de montagne ; on pourrait donner encore à ceux qui sont bien blancs et minces le nom de papier de montagne ; les fibres qui les composent sont d’un tissu très lâche, tandis que la plupart des autres ont presque la pesanteur des pierres ; on peut rendre à ces derniers la légèreté qui leur est propre en les coupant en petits morceaux minces, et leur ôtant toute la partie terreuse ou pétrifiante…

» J’ai trouvé quelques morceaux de cette substance qui, partagée en deux, ne pouvait se séparer qu’en laissant apercevoir des filets soyeux parallèles, couchés en grande partie perpendiculairement les uns contre les autres, ne se séparant que par filaments, et se tenant d’un bout jusqu’à l’autre, comme les fibres d’un muscle : il me semble que ceux-ci doivent être une espèce d’amiante ; ils sont aussi fort légers. J’en ai mis quelques morceaux dans des creusets que j’ai exposés à un feu fort ardent pendant deux heures ; je les ai tirés sans aucune apparence de vitrification, seulement ils avaient perdu de leur poids, mais ils étaient toujours inattaquables aux acides…

» On voit sur le sol du terrain où se trouve ce liège de montagne : 1o une espèce d’ardoise grossière ; 2o beaucoup de quartz en assez petits morceaux détachés, isolés à la surface de la terre, et dont plusieurs sont pénétrés, par leurs côtés, de cette pierre talqueuse qui est la pierre dominante de ce terrain[5]. »

Il me paraît qu’on doit conclure de ces faits réunis et comparés que le cuir et le liège de montagne sont formés des parcelles micacées qui se trouvent en grande quantité dans ce terrain ; que ces particules s’y réunissent sous la forme d’amiante, de cuir et de liège, suivant le degré de leur atténuation, et qu’enfin elles forment des talcs lorsqu’elles sont encore plus atténuées, en sorte que les talcs, les amiantes et toutes les autres concrétions talqueuses dont nous venons de présenter les principales variétés tirent également leur origine du mica primitif, qui lui-même a été produit, comme nous l’avons dit, par les exfoliations du quartz et des trois autres verres de nature.


Notes de Buffon
  1. La pesanteur spécifique du cuir fossile ou de montagne est de 6 806 ; et celle de ce même cuir pénétré d’eau est de 13 492. Voyez les Tables de M. Brisson.
  2. La pesanteur spécifique du liège de montagne est de 9 933, c’est-à-dire de près d’un tiers plus grande que celle du cuir de montagne, et lorsqu’il est pénétré d’eau, sa pesanteur spécifique n’est que de 12 492, c’est-à-dire moindre que celle du cuir imbibé d’eau. Idem, ibidem.
  3. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1762, p. 632 et suiv.
  4. M. Montet ajoute à ce qu’il a dit sur le liège de montagne en 1762 que quelques gens, ayant fait planter des châtaigniers dans cette partie des Cévennes, avaient rencontré, en faisant le creux à trois ou quatre pieds de profondeur, la mine de liège de montagne ; et que, comme il n’avait fait fouiller qu’à deux pieds, il n’en avait pas trouvé à cette profondeur. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1777, p. 640.
  5. Mémoires de l’Académie des sciences, année 1762, p. 632 et suiv.