Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Bols

BOLS

On pourra toujours distinguer aisément les bols et terres bolaires des argiles pures, et même des terres glaiseuses, par des propriétés évidentes : les bols et terres bolaires se gonflent très sensiblement dans l’eau, tandis que les argiles s’imbibent sans gonflement apparent ; ils se boursouflent et augmentent de volume au feu ; l’argile, au contraire, fait retraite et diminue dans toutes ses dimensions ; les bols enfin se fondent et se convertissent en verre au même degré de feu qui ne fait que cuire et durcir les argiles. Ce sont là les différences essentielles qui distinguent les terres limoneuses des terres argileuses ; leurs autres caractères pourraient être équivoques, car les bols se pétrissent dans l’eau comme les argiles ; ils sont de même composés de molécules spongieuses ; leur cassure et leur grain, lorsqu’ils sont desséchés, sont aussi les mêmes, leur ductilité est à peu près égale, et tout ceci doit s’entendre des bols comparés aux argiles pures et fines. Les glaises ou argiles grossières ne peuvent être confondues avec les bols dont le grain est toujours très fin ; mais ces ressemblances des argiles avec les bols n’empêchent pas que leur origine et leur nature ne soient réellement et essentiellement différentes ; les argiles, les glaises, les schistes, les ardoises ne sont que les détriments des matières vitreuses décomposées et plus ou moins humides ou desséchées, au lieu que les bols sont les produits ultérieurs de la destruction des animaux et des végétaux dont la substance désorganisée fait le fond de la terre végétale, qui peu à peu se convertit en limon dont les parties les plus atténuées et les plus ductiles forment les bols.

Comme cette terre végétale et limoneuse couvre la surface entière du globe, les bols sont assez communs dans toutes les parties du monde ; ils sont tous de la même essence et ne diffèrent que par les couleurs ou la finesse du grain. Le bol blanc paraît être le plus pur de tous[1] ; on peut mettre au nombre de ces bols blancs la terre de Patna, dont on fait au Mogol des vases très minces et très légers[2] : il y a même en Europe de ces bols blancs assez chargés de particules organiques et nutritives pour en faire du pain en les mêlant avec de la farine[3] ; enfin, l’on peut mettre au nombre de ces bols blancs plusieurs sortes de terres qui nous sont indiquées sous différents noms, la plupart anciens, et que souvent on confond les unes avec les autres[4].

Le bol rouge tire sa couleur du fer en rouille dont il est plus ou moins mélangé ; c’est avec ce bol qu’on prépare la terre sigillée, si fameuse chez les anciens et de laquelle on faisait grand usage dans la médecine. Cette terre sigillée nous vient aujourd’hui des pays orientaux en pastilles ou en pains convexes d’un côté et aplatis de l’autre, avec l’empreinte d’un cachet que chaque souverain du lieu où il se trouve aujourd’hui de ces sortes de terres y fait apposer moyennant un tribut, ce qui leur a fait donner le nom de terres scellées ou sigillées : on leur a aussi donné les noms de terres de Lemnos, terre bénite de Saint-Paul, terre de Malte, terre de Constantinople. On peut voir, dans les anciens historiens, avec quelles cérémonies superstitieuses on tirait ces bols de leurs minières du temps d’Homère, d’Hérodote, de Dioscoride et de Galien[5] ; on peut voir, dans les observations de Belon, les différences de ces terres sigillées, et ce qui se pratiquait de son temps pour les extraire et les travailler[6].

La terre de Guatimala, dont on fait des vases en Amérique[7], est aussi un bol rougeâtre ; il est assez commun dans plusieurs contrées de ce continent, dont les anciens habitants en avaient fait des poteries de toutes sortes. Les Espagnols ont donné à cette terre le nom de boucaro ; il en est de même du bol d’Arménie et de la terre étrusque, dont on a fait anciennement de beaux ouvrages en Italie. On trouve aussi de ces bols plus ou moins colorés de rouge en Allemagne[8] ; il y en a même en France[9] qu’on pourrait peut-être également travailler.

Ces bols blancs, rouges et jaunes, sont les plus communs ; mais il y a aussi des bols verdâtres, tels que la terre de Vérone, qui paraissent avoir reçu du cuivre cette teinture verte : il s’en trouve de cette même couleur en Allemagne, dans le margraviat de Bareith, et les voyageurs en ont rencontré de toutes couleurs en Perse et en Turquie[10].

La terre de Lemnos[11], si célèbre chez les anciens peuples du Levant par ses propriétés et vertus médicinales, n’était, comme nous venons de l’indiquer, qu’un bol d’un rouge assez foncé et d’un grain très fin ; et l’on peut croire qu’ils l’épuraient encore et le travaillaient avant d’en faire usage. Le bol qu’on nous envoie sous la dénomination de bol d’Arménie ressemble assez à cette terre de Lemnos[12]. Il se trouve aussi en Perse des bols blancs et gris, et l’on en fait des vases pour rafraîchir les liqueurs qu’ils contiennent[13] ; enfin les voyageurs ont aussi reconnu des bols de différentes couleurs à Madagascar[14], et je suis persuadé que partout où la terre limoneuse se trouve accumulée et en repos pendant plusieurs siècles, ses parties les plus fines forment en se rassemblant des bols dont les couleurs ne sont dues qu’au fer dissous dans cette terre, et c’est à mon avis de la concrétion endurcie de ces bols que se forment les matières pierreuses dont nous allons parler.


Notes de Buffon
  1. Il y a des bols blancs qui se trouvent en Moscovie, à Striegaw ; d’autres en Allemagne, à Goldberg ; en Italie, à Florence, etc. Ce bol est le plus pur et d’autant meilleur qu’il est plus blanc : on l’appelle bol occidental ; on en fait quelquefois des vases et des figures. Minéralogie de Bomare, t. Ier, p. 63.
  2. La terre de Patna est une terre admirable dont on fait, dans le Mogol, des espèces de pots, de vases, de bouteilles et de carafes, si minces et d’une légèreté si grande, que le vent les emporte facilement : ces vases n’ont pas plus d’épaisseur qu’une carte à jouer ; on ne saurait rien voir en ce genre où la dextérité et l’adresse de l’ouvrier paraissent davantage. J’en ai apporté plusieurs des Indes, et surtout de ces bouteilles qu’on appelle gargoulettes ; et nos curieux sont ravis d’étonnement de voir des bouteilles de terre, qui tiennent une pinte de Paris, qu’on pourrait presque souffler comme les bouteilles de savon que font les petits enfants. On se sert de la gargoulette pour mettre rafraîchir l’eau : quand l’eau y a été un peu de temps, elle prend le goût et l’odeur de la terre de Patna, et devient délicieuse à boire ; et ce qui est le plus ravissant, c’est que le vase s’humecte, et qu’après avoir bu l’eau, on mange avec plaisir la bouteille. Les femmes des Indes, quand elles sont grosses, n’y apportent pas tant de façon ; elles aiment à la fureur cette terre de Patna, et si on ne les observait pas là-dessus, il n’y a point de femme grosse qui, en peu de jours, ne grugeât tous les pots, plats, coupes, etc., tant elles sont friandes de cette terre. Curiosités de la Nature et de l’Art ; Paris, 1703, p. 69 et 70.

  3. On trouve dans la seigneurie de Moscau, en la haute Lusace, une sorte de terre blanche dont les pauvres font du pain : on la prend dans un grand coteau où l’on travaillait autrefois du salpêtre. Quand le soleil a un peu échauffé cette terre, elle se fend, et il en sort de petites boules blanches comme de la farine. Cette terre ne fermente point seule, mais elle fermente lorsqu’elle est mêlée avec de la farine. M. de Sarlitz, gentilhomme saxon, a vu des personnes qui s’en sont nourries pendant quelque temps : il a fait faire du pain de cette terre seule, et de différents mélanges de terre et de farine ; il a même conservé ce pain pendant six ans. Un Espagnol lui a dit qu’on trouvait aussi de cette terre près de Gironne en Catalogne. Collection académique, t. Ier, partie étrangère, p. 278.
  4. Il y a deux sortes de terres appelées eritria, l’une très blanche et l’autre cendrée ; la dernière est la meilleure, on l’éprouve en la frottant sur du cuivre poli, où elle laisse une tache violette. Cette terre est astringente et rafraîchissante, et a la vertu de réunir les plaies récentes.

    La terre de Samos est blanche, légère, friable et onctueuse, ce qui fait qu’elle s’attache aisément à la langue : il y en a une espèce appelée aster, qui est couverte d’une croûte et dure comme une pierre.

    La terre de Chio est blanche, tirant un peu sur le cendré : elle ressemble à celle de Samos ; mais entre autres vertus, elle a celle d’ôter les rides du visage et de lui donner en même temps beaucoup de fraîcheur et d’éclat.

    La terre selinusa fait le même effet : la meilleure est celle qui est fort brillante, blanche et friable, et qui se dissout promptement dans l’eau.

    La terre pingite est presque de la couleur de la terre eritria ; mais on la tire de la mine en plus grands morceaux ; elle est froide au toucher et s’attache à la langue.

    La terre melia ressemble beaucoup par sa couleur cendrée à l’eritria ; elle est rude au toucher, et fait du bruit entre les doigts comme la pierre ponce ; elle tient quelque chose de la vertu de l’alun, comme on le reconnaît au goût. Métallurgie d’Alphonse Barba, traduite de l’espagnol, t. Ier, p. 13 et 14.

  5. Minéralogie de Bomare, t. Ier, p. 64.
  6. Après avoir retiré plusieurs sceaux et différentes espèces de terres scellées que nous pûmes recouvrer, nous nous proposâmes de passer en Lemnos pour en savoir la vérité et pour apprendre à discerner les vraies des fausses, et les décrivîmes comme s’ensuit : Le plus antique sceau, au récit des Grecs et des Turcs, est d’une sorte qui n’est guère plus large que le pouce, et n’a que quatre lettres en tout, dont celles qui sont à côté sont comme deux crochets, et les autres lettres du milieu fort entortillées, comme serait le caractère qui vaut autant à dire comme une once médicinale ; et par le milieu du sceau, entre toutes les lettres, il n’y a que quatre points, duquel sceau la terre est si grasse qu’elle semble être du suif, et obéit aux dents quand on la mâche, et n’est guère sablonneuse, sa couleur est de pâle en rougissant sur l’obscur ; il y en a encore d’une autre sorte qui est en petits pains de la grandeur de la susdite ; mais les caractères du sceau sont un peu plus grands, et il n’y a que trois lettres en tout avec sept petits points, dont la terre est un peu plus rougissante que la première, et a quelque aigreur au goût, et quand on la mâche, on y trouve quelques petites pierres sablonneuses ; elle est plus maigre que la susdite, mais est autant estimée en bonté. Il y a encore une autre sorte de petits grains ou pastilles de terre scellée de la même grandeur des susdites, mais les lettres sont différentes, car elle a comme un crochet ressemblant à un haim à prendre le poisson, qui est entre les deux autres lettres ressemblant au chiffre d’une once qui est le ; et sa couleur est différente aux deux autres des susdites, car elle est mouchetée de petites taches de terre blanche mêlée avec la rouge ; la quatrième espèce est plus claire en rougeur, et plus pâle que nulle des autres, de laquelle nous avons observé trois différences de sceaux en même terre. La terre scellée, plus commune à Constantinople, est pour la plupart falsifiée et est formée de plus grands tourteaux que ne le sont les autres, aussi est d’autre couleur, car les autres tirent sur le rouge, mais celle-là est de jaune paillé, et ainsi comme elle est fausse, aussi l’on en trouve en plus grande quantité ; encore en trouve-t-on de deux autres espèces différentes, tant en forme qu’en lettres, lesquelles on estime être du nombre des plus vraies, et n’ont différence, sinon que l’une est plus chargée de sablon que n’est l’autre, et ont quasi une même saveur ; aussi sont-elles rares. L’on en trouve encore une autre espèce qui est falsifiée avec du bolus armenius détrempé, et puis scellée, et d’un sceau de caractères différents aux deux derniers, mais de même grandeur, et n’a que deux lettres en tout qui sont fort retorses. Il y en a encore d’une autre sorte, formée en pains mal bâtis, qui sont plus ronds que nuls des autres, et sont de la grosseur d’une noix, qui serait quasi comme le jarret, n’était qu’ils sont quelque peu aplatis en les scellant ; nous les avons trouvés être des plus nets que nuls autres. Encore est une autre espèce de sceau peu commun par les boutiques, lequel avons seulement trouvé en deux boutiques à Constantinople ; aussi son prix est plus haut que nul des autres, et est de saveur plus aromatique, tellement qu’on dirait, à l’éprouver au goût, que l’on y ait ajouté quelque chose qui lui donne telle saveur, mais c’est le naturel de la terre qui est telle, c’est l’un des sceaux où il y a le plus de caractères en l’impression ; la terre en est quelque peu sablonneuse, de couleur rougissante en obscur.

    Voilà donc que toutes les terres scellées ne sont pas d’une même couleur ; car souvent advient qu’on les trouve dès sa veine de plus blanche couleur, l’autre fois plus rouge, et quelquefois mêlée des deux. Ceux qui éprouvent la terre scellée au goût en ont plus certain jugement, la trouvant aromatique en la bouche et quelque peu sablonneuse, que les autres qui essaient de la faire prendre à la langue ; toutes lesquelles différences écrivîmes et mîmes en peinture étant à Constantinople, et les portâmes en l’île de Lemnos, où est le lieu et veine d’où l’on tire icelle terre. Mais l’on n’a point accoutumé d’en tirer, sinon à un seul jour de l’année, qui est le sixième jour du mois d’août : or, avant que de partir de Constantinople, nous enquîmes de tous les mariniers d’une barque qui était arrivée de Lemnos, s’ils avaient apporté de la terre ; tous répondirent qu’il était impossible d’en recouvrer, sinon par les mains de celui qui est soubachi de Lemnos, et que si nous voulions l’avoir naturelle, il convenait d’y aller en personne, car il est défendu aux habitants, sous peine de perdre la tôle, d’en transporter ; ils disaient davantage, que si quelqu’un des habitants en avait seulement vendu un petit tourtelet, ou qu’il fût trouvé en avoir en sa maison sans le sceau de son gouverneur, il serait jugé à payer une grande somme d’argent ; car il n’est permis d’en départir, sinon audit soubachi qui tient l’arrangement de l’île et en paie le tribut au Turc. Observations de Pierre Belon ; Paris, 1555, liv. Ier, chap. xxiii, p. 23 et 24.

  7. Thomas Gage parle d’une terre qui se trouve au village de Mixco, près de Guatimala, de laquelle on fait de fort beaux vases et toutes sortes de vaisselles, comme des cruches, des pots à l’eau, des plats, des assiettes et autres ustensiles de ménage, en quoi les Indiens montrent, dit-il, « qu’ils ont beaucoup d’esprit, et les savent fort bien peindre ou vernir de rouge, de blanc et d’autres couleurs mêlées, et les envoient vendre à Guatimala et ailleurs, dans les villages voisins.

    » Les femmes créoles mangent de cette terre à pleines mains, sans se soucier d’altérer leur santé et de mettre leur vie en danger, pourvu que par ce moyen-là elles puissent paraître blanches et pâles de visage. » Voyages de Thomas Gage, traduit de l’anglais ; Paris, 1676, t. 111, p. 58.

  8. Le bol rouge s’appelle aussi bol d’Arménie et se trouve en Bohême, près d’Annaberg et d’Eisleben, et dans le Wurtemberg. On n’appelle bol de Cappadoce ou d’Arménie que celui dont la couleur est d’un rouge safrané, quelquefois gras, luisant, très poreux, toujours compact, pesant et happant fortement à la langue ; on s’en sert pour nettoyer des étoffes rouges gâtées de suif. On peut travailler cette espèce de terre avec de l’eau, et en former sur le tour des ustensiles qui, mis à cuire dans un four de potier de terre, n’imitent pas mal les terres de Boucaro. C’est aussi avec cette terre qu’on fait ces vases si communs dans l’Amérique espagnole. Minéralogie de Bomare, t. Ier, p. 64.
  9. Bol jaune. Celui qui se rencontre en France, près de Blois et de Saumur, et qui sert aux doreurs à faire leur assiette, est de cette espèce ; il est quelquefois un peu plus coloré. Idem, ibidem.
  10. Je vous envoie de trois sortes de terres qui se trouvent dans Bagdad, et dont on fait une lessive qui sert à polir et embellir le teint et les cheveux, ayant à peu près la même vertu que celles que les Latins appellent terra chia et terre de cheveux, de laquelle Belon fait mention, quoiqu’il avoue néanmoins n’en avoir vu que d’une seule espèce. La première de ces trois dont je vous fais part et que l’on estime davantage ici est celle de Basra, d’une couleur qui tire sur le vert ; la seconde espèce, de moindre valeur que cette première, est celle de couleur rougeâtre, à peu près comme le bol d’Arménie ou la terre sigillée. Elle vient du pays des Curdes, que les Turcs nomment Curdistan ; et comme c’est leur coutume de donner à plusieurs choses les noms des lieux d’où elles viennent, ils appellent cette espèce de terre Curdistan Ghili, c’est-à-dire terre de Curdistan, qui a, aussi bien que la première, la vertu d’embellir et d’adoucir le teint et les cheveux ; outre cela elle a encore, comme je l’ai éprouvé, un effet particulier qui me plaît davantage, c’est qu’étant appliquée aux endroits du corps où l’on a fait passer le dépilatoire pour en ôter le poil, elle adoucit extrêmement la peau, et si l’instrument y avait fait quelque excoriation, elle y sert d’un souverain remède.

    Les personnes de condition ne vont jamais au bain sans porter de ces deux espèces de terre, et certainement on les y emploie avec satisfaction. Pour se servir de l’une et de l’autre, il suffit de les faire dissoudre dans l’eau chaude ; mais ceux qui veulent quelque chose de mieux et de plus galant, en font faire une pâte avec des roses pulvérisées, un mélange d’autres parfums et d’eaux de senteur dont on façonne de petites boules comme des savonnettes, et quand elles sont assez desséchées, on les fait dissoudre pour l’usage du bain, qui en devient très agréable : la troisième, qui est la moindre, se tire du territoire de Bagdad même, vers les bords du Tigre, à cause de quoi elle s’appelle, en arabe, tout simplement tin essciat, c’est-à-dire terre de rivière ; son usage est semblable à celui des deux autres. Voyages de Pietro della Valle en Turquie, etc ; Rouen, 1745, t. II, p. 308 et suiv.

  11. L’île de Lemnos, appelée aujourd’hui Stalimène ou Limio, est encore estimée, comme elle l’a été de tout temps parmi les médecins, à cause d’une certaine terre sigillée qu’on en retire.

    On pratiquait anciennement diverses cérémonies pour aller tirer des entrailles de la terre, et pour former cette terre sigillée de Lemnos, sur laquelle on a imprimé diverses marques et figures, suivant les différentes circonstances des siècles où on en a vu paraître dans le monde. Du temps de Dioscoride, qui a vécu longtemps avant Galien, on avait accoutumé de mêler du sang de bouc dans les petits pains qu’on en formait, et d’imprimer dessus la figure d’une chèvre ; mais cette coutume n’était plus en usage du temps de Galien, comme il l’éprouva lui-même lorsqu’il alla à Lemnos pour s’en éclaircir : on avait alors une autre manière de préparer cette terre, et d’en former de petits pains ; car, avant toutes choses, le prêtre montait sur une colline où, après avoir épandu une certaine mesure de blé et d’orge, et pratiqué quelques autres cérémonies suivant la coutume du pays, il chargeait un plein chariot de cette terre qu’il faisait conduire à la ville d’Hephæstia, où on la préparait ensuite d’une manière bien différente de la précédente. Cependant il y a plusieurs siècles que ces cérémonies ne sont plus en usage, et qu’elles ont été entièrement abolies, mais en leur place on en a introduit d’autres qui sont les suivantes.

    Tous les principaux de l’île, tant Turcs qu’ecclésiastiques ou prêtres grecs, qu’on nomme communément des caloyers, s’assemblent précisément le sixième jour du mois d’août, dans la chapelle de Sotira, où étant arrivés, les Grecs, après avoir lu leur liturgie et fait des prières, montent tous ensemble, accompagnés des Turcs, vers la colline susmentionnée (où l’on va par des degrés qu’on a faits pour y monter plus commodément, et qui est située à la portée de deux traits de la chapelle) ; étant parvenus au plus haut, cinquante ou soixante hommes se mettent à creuser jusqu’à ce qu’ils aient découvert la veine de terre qu’ils cherchent, dont les caloyers remplissent quelques sacs faits de poil de bête, et les baillent aux principaux des Turcs établis pour le gouvernement de l’île, comme sont les soubachi ou le waivode qui sont là présents.

    Quand ils ont tiré de cette terre autant qu’ils jugent suffisant pour toute l’année, ils en font recouvrir la veine par les mêmes ouvriers qui la referment avec d’autre terre : cependant le soubachi fait porter à Constantinople, et présenter au Grand-Seigneur, une grande partie de ce qu’on a tiré, et vend le reste à des marchands.

    Suivant le rapport des plus anciens habitants de l’île, cette coutume de choisir un certain jour de l’année pour tirer cette terre de sa veine a été introduite par les Vénitiens, qui commencèrent à la mettre en pratique lorsqu’ils étaient en possession de cette île.

    Quand cette terre est hors de sa veine, on en fait de petits pains ronds du poids d’environ deux drachmes, les uns plus, les autres moins, sur lesquels on voit seulement ces deux mots turcs et arabes, tin imachton, c’est-à-dire terre sigillée : cependant ces lettres et ces caractères ne sont pas semblables dans tous les petits pains de cette terre…

    Autrement la terre sigillée n’est pas toujours d’une même couleur, car il arrive souvent que dans une même veine elle est plus blanche, quelquefois un peu plus rouge, et d’autres fois d’une couleur qui participe également du rouge et du blanc. Description de l’Archipel, etc., par Dapper ; Amsterdam, 1703, p. 246 et suiv.

  12. Le bol d’Arménie, ainsi nommé parce qu’on croit qu’il vient d’Arménie, ressemble à la terre de Lemnos, et sa couleur est rougeâtre ; il y en a de fort bon et en grande quantité dans les mines du Pérou, particulièrement dans les riches collines du Potosi et dans la mine d’Éruto. Plusieurs naturalistes croient que ce bol est la rubrica synopica de Dioscoride, et que le bol arménien d’Orient est la vraie terre de Lemnos. Métallurgie d’Alphonse Barba.
  13. On trouve à Com, ville de Perse, une terre blanche dont on fait des vases où l’eau se rafraîchit merveilleusement en passant à travers ; un quarteau d’eau, mis dans un de ces vases, passe en six heures. Il genio vagante del conte Aurelio degli Anzi in Parma, 1661, t. Ier, p. 177.
  14. Il y a à Madagascar diverses sortes d’excellent bol ou de la vraie terre sigillée, aussi bonne que celle de l’île de Lemnos, et le bol est aussi fin que celui d’Arménie.

    Il y a une terre blanche comme de la craie, qui est très excellente à dégraisser et savonner le linge, elle est aussi bonne que le savon ; elle est grasse et argileuse, et semblable à la terre de Malte que l’on vend en France. Voyages de Flacourt ; Paris, 1666, p. 149.