Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Ampélite

AMPÉLITE

La première de ces concrétions est l’ampélite, crayon noir ou pierre noire dont se servent les ouvriers pour tracer des lignes sur les bois et les pierres qu’ils travaillent : son nom n’a nul rapport à cet usage, mais il vient de celui qu’en faisaient les anciens contre les insectes et les vers qui rongeaient les feuilles et fruits naissants des vignes[1] ; ils la pulvérisaient, la mêlaient avec de l’huile, et en frottaient la tige et les bourgeons des vignes qu’ils voulaient préserver ; ils en faisaient aussi une pommade dont ils se servaient pour noircir les sourcils et les cheveux[2].

Le fond de cette pierre est une argile noire ou un schiste plus ou moins dur, mais elle est toujours mélangée d’une assez grande quantité de parties pyriteuses, car elle s’effleurit à l’air ; elle contient aussi une certaine quantité de bitume, puisqu’on en sent l’odeur lorsqu’on jette la poudre de cette pierre sur des charbons ardents.

Quelques-uns de nos minéralogistes récents ont prétendu que l’ampélite était mêlée de sable quartzeux[3] ; mais ce qui prouve que ce sable, toujours aigre et rude au toucher, n’entre pas en quantité sensible dans cette pierre, c’est qu’elle est douce au toucher, qu’elle ne présente pas des grains dans sa cassure, et qu’elle tache de noir les doigts sans les offenser ; on peut même s’en servir sur le papier comme l’on se sert de la sanguine ou crayon rouge. L’ampélite fait un peu d’effervescence avec les acides, et elle contient certainement plus de fer que de quartz ; c’est de la décomposition des parties ferrugineuses que provient sa couleur noire ; on peut faire de l’encre avec cette pierre, car elle noircit profondément la décoction de noix de galle.

Au reste, l’ampélite ne se trouve pas dans tous les schistes ou argiles desséchées ; elle paraît, comme l’ardoise, affecter des lieux particuliers : il y en a des minières en France, près d’Alençon, d’autres en Champagne, dans le Maine, etc., mais les ampélites de ces provinces, dont on ne laisse pas de faire usage, ne sont pas aussi bonnes que celles qui nous viennent de l’Italie et du Portugal. Cependant on a découvert depuis peu une très belle minière près du bourg d’Oisan en Dauphiné, dans laquelle il se trouve des veines d’ampélite de la même qualité que celle d’Italie, sous le nom de laquelle on la fait souvent passer dans le commerce.


Notes de Buffon
  1. On trouvait, dans l’île de Rhodes, une terre bitumineuse appelée par les anciens ampélites, qui était fort propre à faire mourir les vers qui rongeaient les vignes, en la détrempant avec de l’huile dont on frottait ensuite les ceps ; ce qui tuait ces vers avant qu’ils fussent montés de la racine jusqu’aux bourgeons ou pampres. Description des îles de l’Archipel, traduite du flamand d’O. Dapper ; Amsterdam, 1703, p. 128.
  2. Dictionnaire encyclopédique de Chambers, article Ampélite.
  3. La pierre noire de Charpentier ou le crayon n’est qu’une argile colorée ou un smectis noir. La texture dépend du plus ou moins de sable quartzeux qui s’y trouve : il faut cependant qu’il y en entre une certaine quantité pour que cette substance ait une consistance pierreuse, sans cela elle ne serait qu’une argile tendre ordinaire ; il faut encore que ce quartz y soit d’une grande finesse, sans cela cette substance serait rude au toucher : quand on la calcine, elle devient rougeâtre, selon la proportion de la chaux de fer qu’elle contient. Mémoires sur la carrière de schiste de la Ferrière-Bechet en Normandie, par M. Monnet. Journal de physique, mois de septembre 1777, p. 215 et 216.