Œuvres complètes de Bernard Palissy/Discours admirables de la Nature des eaux et fontaines, etc./Des Pierres

DES PIERRES.


Theorique.


J e suis fort aise d’auoir entendu ce discours du sel commun : car ie ne pensois pas qu’il se fit auec tant de labeur, et cela meriteroit bien d’estre mis en lumiere. Car ie croy fermement que nul des Cosmographes n’en ont iamais parlé. Maintenant ie te prie de me parler des pierres : d’autant que tu m’as dit qu’en parlant d’icelles ie connoistrois de beaux secrets. Ie voudrois bien sçauoir que tu en veux dire : car les vns disent qu’elles ont esté formées dés la creation du monde, et les autres disent qu’elles croissent tous les iours.

Practique.

D’autant que ie t’ay veu si fort attaché à l’alchimie, ie suis content de te parler des pierres : car peut estre qu’en parlant de la formation et essence d’icelles, tu pourras te reduire à mon opinion. Ceux qui disent que les pierres sont formées dés la creation du monde errent, et ceux qui disent qu’elles croissent errent aussi. Or il faut que tu rememores ce que i’ay dit plusieurs fois en parlant des fontaines et de l’alchimie, qu’il n’y a nulle chose sous le ciel en repos, et que toutes choses se trauaillent en se formant, et en se deformant tournent bien souuent de nature à autre, et de couleur à autre. S’il estoit ainsi que les pierres eussent esté creées dés la fondation du monde, et qu’il ne s’en fit plus l’on n’en pourroit plus trouuer à present. Considere la grande quantité de pierres qui est consumée tous les iours : vne partie par les gelées qui la font venir menue comme cendres : une autre partie par les fours à chaux : autre partie par les maçons et tailleurs de pierres. C’est chose certaine qu’en faisant vn logis de pierre de taille la moitié s’en ira en poussiere à coups de marteau, aussi tu sçais que les cheuaux, chariots et charrettes, en passant et repassant en dissipent vne grande quantité. Si tu as bien regardé les rochers qui sont le long de la mer, tu as veu comment ses flots impetueux ont ruiné vne bonne partie desdits rochers. D’autre part, le vent d’Est et de Sus, cause vne dissolution du sel qui entretient la pierre en son estre, tellement qu’elles tombent en poussiere : et de là vient qu’aucuns disent que telles pierres sont gelisses ou venteuses. À la verité les pierres, desquelles l’eau est sortie au parauant que leur decoction fut faite, si estant abreuuées d’eau, la gelée vient là dessus, elles ne faudront à se reduire en poudre : et voila comment les pierres sont suiettes à la dissolution des vents et des gelées. Si tu consideres toutes choses tu connoistras que si les pierres eussent esté faites dés la fondation du monde, et qu’il ne s’en fit plus depuis, il y a long temps que l’on n’en sçauroit trouuer vne seule. Ie ne di pas que Dieu n’ait créé dés le commencement et montaignes et vallées, lesquelles montaignes ne sont causées que des rochers, comme ie t’ay dit en parlant des fontaines.

Theorique.

Et pourquoy m’as tu donc nié que les pierres croissent ?

Practique.

Ie te le nie bien encores : car les pierres n’ont point d’ame vegetatiue, mais insensible ; parquoy elles ne peuuent croistre par action vegetatiue : mais par vne augmentation congelatiue[1] ?

Theorique.

Et qu’appelles-tu augmentation congelatiue ?

Practique.

C’est vn traict qui te pourra beaucoup servir à connoistre la generation des metaux. I’appelle augmentation congelatiue comme qui ietteroit de la cire fondue sur vne masse de cire desia congelée, et qu’icelle se vint congeler auec ladite masse, laquelle seroit augmentée d’autant que l’addition y auroit esté mise. En cas pareil, les rochers des montaignes sont augmentez par quelque cheute de pluye qui auroit amené auec soy vne matiere pierreuse. Mais la vraye addition des pierres et la plus certaine, est celle qui se fait és pierres qui sont encores dans le ventre de la terre. Car tout ainsi que i’ay dit des metaux, qu’ils ne peuuent estre generez hors la matrice de la terre, et qu’il estoit besoing qu’ils fussent enclos dans lieux humides et aqueux, comme se fait la formation de nature humaine : Aussi semblablement les pierres des carrieres ne peuuent estre engendrées sinon és lieux creux et cachez dans la matrice de la terre, et là elles reçoiuent tous les iours vne augmentation congelatiue, et cela se fait par le moyen que i’ay plusieurs fois dit, et qui est le fondement principal de mes arguments : à sçauoir que dèslors que Dieu crea la terre, il la remplit de toutes substances. Or par ce que les substances pierreuses et metalliques sont inconneües parmi la terre, et consequemment parmi les eaux, les pluyes qui passent au trauers des terres prennent les sels qui sont aussi inconnus, lesquels sels ou matieres metalliques sont fluentes et se laissent couler auec les eaux qui entrent dans la terre iusques à ce qu’elles ayent trouué quelque fonds pour s’arrester : et si elles s’arrestent sus vne carriere, ou miniere de pierre, lesdites matieres estant liquides passent au trauers des terres, et ayans trouué lieu pour s’arrester, se viennent à congeler et endurcir et faire vn corps et vne masse auec l’autre pierre. Voila pourquoy ie t’ay dit que les pierres ne croissent point, mais bien qu’elles peuuent augmenter par vne addition congelatiue : et cela fait que toutes carrieres contigues ont les sins, veines et assemblages de trauers, et non point descendantes du haut en bas, qui est vne vraye attestation que la congelation desdites pierres n’a pas esté faitte tout en vn coup : autrement elle ne se pourroit iamais fendre, ains seroit autant dure en l’vn endroit comme en l’autre. Et quand l’on la veut fendre, l’on trouue communement certaines ioinctures que l’on nomme sins, et bien à propos : parce que c’est la fin d’vne congelation faite en vn temps, suiuant ce que i’ay dit que les congelations des rochers ou carrieres contigues, n’ont pas esté faites tout en vn coup.

Theorique.

Et où est ce que tu as trouué cela par escript, ou bien di moy en quelle escole as tu esté, où tu puisses auoir entendu ce que tu dis ?

Practique.

Ie n’ay point eu d’autre liure que le ciel et la terre, lequel est conneu de tous, et est donné à tous de connoistre et lire ce beau liure. Or, ayant leu en iceluy, i’ay consideré les matieres terrestres, par ce que ie n’auois point estudié en l’astrologie pour contempler les astres[2]. Et ayant de bien pres regardé les natures, i’ay conneu en la forme de plusieurs pierres, qui estoyent faites comme des glaçons qui pendent aux goutieres des maisons quand il gele, que les pierres estoyent faites et engendrées de quelques matieres liquides et distilantes comme eau ; i’ay esté l’espace de dix ans en opinion que les eaux communes se reduisoyent en pierre par quelque vertu congelatiue, et singulierement le cristal, lequel ie ne trouuois en rien different à l’eau commune. Toutesfois comme les sciences se manifestent à ceux qui les cherchent, depuis quelque temps i’ay conneu que le cristal se congeloit dedans l’eau ; et ayant trouué plusieurs pieces de cristal formées en pointes de diamants, ie me suis mis à penser qui pourroit estre la cause de ce : et estant en telle resuerie, i’ay consideré le salpestre, lequel estant dissoult dedans l’eau chaude, il se congele au milieu ou aux extremitez du vaisseau où elle aura bouilli : et encores qu’il soit couuert de laditte eau, il ne laisse à se congeler. Par tel moyen i’ay conneu que l’eau qui se congele en pierres, ou metaux n’est pas eau commune. Car si c’estoit eau commune elle se congeleroit egalement par tout, comme elle fait par les gelées. Ainsi donc i’ay conneu par la congelation du salpestre que le cristal ne se congele point sur la superficie, ains au milieu des eaux communes, tellement que toutes pierres portans forme quarrée, triangulaire ou pentagone, sont congelées dedans l’eau. Depuis que ie suis en telle connoissance, i’ay trouué plusieurs mines de fer, d’estain et d’argent, qui auoyent les formes de cristal, qui m’a fait croire que toutes ces choses estoyent congelées dedans l’eau, comme i’ay dit en parlant de l’alchimie[3]. Et pour confirmation de ce que ie dis, i’ay veu vn lapidaire (nommé Pierre Seguin) qui auoit trouué vne pierre de cristal au dedans de laquelle il y auoit de l’eau qui n’estoit pas congelée, et dedans ladite eau y auoit vne petite ordure noire qui estoit plus legere que l’eau : car quand il tournoit la pierre de quelque costé, ladite ordure se tenoit tousiours dessus. Et d’autant que ledit lapidaire l’auoit fait tailler et enchasser en vn anneau, aucuns croyoyent fermement que c’estoit un esprit enclos dedans icelle, ne se doutant du secret de ceste philosophie. Il y auoit vn nommé de Trois rieux, homme curieux et de bon iugement, lequel auoit vne autre pierre de cristal en laquelle y auoit de l’eau enclose comme en la susdite : Mais il fust bien trompé : car l’ayant baillé à vn lapidaire pour tailler vne larme, en la taillant trouua vne petite veine par laquelle l’eau (qui n’estoit pas congelée) s’enfuit. I’ay trouué aussi plusieurs cailloux cornuz, qui estoyent creuz dedans, et auoyent plusieurs pointes comme de diamants : cela m’a fait connoistre que quand lesdits cailloux se formoyent, ils estoyent pleins d’eau, et que depuis l’eau commune s’est exhalée et a laissé la matiere congelatiue en forme d’vn caillou creux. Voila les liures de mon estude.

Theorique.

Et cuides tu que ie croye que l’eau se puisse reduire en pierre ?

Practique.

Ie t’ay dit que i’ay esté long temps en ceste opinion. Mais à present ie te di que ce n’est pas l’eau commune, ains vne eau de sel, laquelle tu ne sçaurois distinguer d’auec la commune ; toutesfois elle est fluide et autant candide que l’eau commune. Et de cela i’ay bon tesmoignage : car moy estant à Paris, l’année passée 1575. il y eust vn medecin nommé Monsieur Choysnin, duquel la compagnie et frequentation m’estoit vne grande consolation, qui apres m’auoir entendu parler ainsi des natures, et connoissant qu’il estoit amateur de philosophie, ie le priay de venir auec moy dans les carrieres pres sainct Marceau, afin de luy oster toute doute de ce que ie luy auois dit de la generation des pierres. Et iceluy, meu de bon zele et sans espargner sa peine, fit soudain apporter des flambeaux de cire, et amenant auec luy vn escolier Medecin, nommé Milon, nous allasmes pres d’vne lieüe dans lesdites carrieres, estants conduits par deux carriers : Et là nous vismes ce que long temps au parauant i’auois conneu par les formes des pierres faites comme des glaces pendantes : Aussi que i’auois veu vn nombre de telles pierres, qui auoyent esté apportées de Marseille par le commandement de la Royne, mere du Roy, d’vne cauerne qui s’appelle la Mauue louviere, laquelle a pris son nom par ce que les loups y vont souuent manger les cheures et brebis qu’ils ont desrobees. I’auois aussi veu grande quantité de telles pierres à la grotte de Meudon, qui ont esté apportées des parties maritimes. I’en ay aussi veu és rochers qui sont du long de la riuiere de Loire : Mais quand nous fusmes és carrieres de Paris nous vismes distiller l’eau qui se congeloit en nostre presence. Parquoy tu ne me peux nier ce poinct : car i’ay bon tesmoignage.

Theorique.

Voila vne chose bien estrange de dire qu’il se forme des pierres tous les iours.

Practique.

Ie ne dis pas des pierres seulement, mais aussi des metaux, et te dis que le bois et les herbes se peuuent reduire en pierre.

Theorique.

Si tu dis cela, gueres de gens ne le voudront croire, et te conseille de ne tenir iamais vn propos si esloigné de verité.

Practique.

I’ay trouué autrefois des asnes comme toy, qui trouuoyent fort estranges mes propos, et crioyent apres moy comme au renard, que bien souuent i’en estois honteux : toutefois ie faisois tousiours mon compte que la science n’a plus grand ennemi que l’ignorance. À présent l’on n’a garde de m’en faire rougir : ie suis trop asseuré en mon affaire. Et di que non seulement le bois se peut reduire en pierre, ains aussi le corps de l’homme et de la beste.

Theorique.

Voila vne chose plus qu’estrange, que l’homme, la beste et le bois se puissent reduire en pierre.

Practique.

Quant est du bois ie t’en monstreray plus de cent pieces reduites en pierre et en cailloux : quant est de l’homme ie n’en ay pas veu ; mais i’ay bon tesmoignage d’vn homme de bien, medecin, qui dit auoir veu dans le cabinet d’vn seigneur, le pied d’vn homme petrifié. Et vn autre medecin m’a asseuré auoir veu la teste d’vn homme aussi petrifiée. Vn Monsieur Iulles, demourant à Paris, m’a asseuré qu’il y a vn prince en Alemagne, lequel a en son cabinet le corps d’vn homme la plus part petrifié. Ie me tiens tout asseuré que si vn corps estoit enterré dans vn lieu où il y eust quelque eau dormante, parmi laquelle y eust de l’eau congelatiue, de laquelle se forme le cristal et autres matieres metalliques et pierreuses, que ledit corps se petrifieroit : par ce que la semence congelatiue est d’vne nature salsitiue, et que le sel du corps de l’homme attireroit à soy la matiere congelatiue, qui est aussi salsitiue, à cause de l’affinité que les especes ont, elles viendroyent à congeler, endurcir et petrifier le corps mort, et cela ie preuue par le bois de hetre, qui est le plus salé, et de quoy l’on fait plus aisement du verre.

Theorique.

Voila encores vn propos plus esloigné de verité que tous les autres, selon mon iugement, et ne crois point que le corps de l’homme se puisse reduire en pierre.

Practique.

Ie ne dis pas seulement en pierre, mais ie dis qu’il se peut reduire en metal, et l’homme, et le bois, et les herbes. Et cela se peut faire quand vn homme seroit enterré en quelque lieu aquatique, où la terre seroit pleine d’vne semence de vitriol, ou coperose. Car ladite semence n’est autre chose qu’vn sel qui n’est iamais oysif. Et, comme i’ay desia dit, les sels ont quelque affinité ensemble. Le sel du corps mort estant en la terre fait atraction de l’autre sel, lequel sera d’vn autre genre, et les deux sels ensemble pourront endurcir et reduire le corps de l’homme en matieres metalliques[4] : d’autant que la nature du sel nommé coperose, ou vitriol, ne peut faire autre chose que conuertir en airain les choses qu’il treuue au lieu où il fait sa demeurance. Ie te donne ce trait pour vn poinct inuincible et bien asseuré.

Theorique.

Tu le dis que c’est un poinct bien asseuré. Ouy si ie te veux croire. Voila toute l’asseurance que ie sçaurois auoir de toy.

Practique.

Ie ne t’ay pas mis ces poincts en auant sans que i’en feusse bien asseuré. Il y a long temps qu’on m’a asseuré qu’il y a vn personnage de qualité, au pays d’Auuergne, qui a un pal, lequel a esté arraché d’un estang, lequel s’est trouué partie en bois, partie en pierre, et l’autre partie en fer. Sçauoir est, la partie qui estoit dans terre estoit conuertie en fer, et la partie qui estoit dans l’eau conuertie en pierre, et la partie qui restoit hors de l’eau, est encores bois. Quand i’eus entendu vne telle chose, ie me mis en deuoir d’en sçauoir la cause : Et quelque iour en cerchant de la terre argileuse, ie trouuay plusieurs pieces de bois reduites en metal : Et i’apperceu que dedans ladite terre y auoit grande quantité de vitriol : Lors ie conneus que ainsi que le bois se putrifioit en la terre il s’abbreuoit de ceste matiere salsitiue ou vitriolique, qui causa la congelation et transmutation de la nature du bois, en matiere metallique : et par ce que ie sçauois bien que le bois le plus salé estoit le plus prompt à se reduire en pierre, ie mis peine de connoistre de quelle espece de bois estoyent ces pieces metalliques, et le conneus par la forme d’icelle : car ayant consideré qu’autrefois le lieu où ie les auois trouuees, auoit esté planté de vignes, lesquelles auoyent esté arrachées, pour tirer de la terre d’argile et faire des tuilles, ie vis que lesdites pieces de bois metallisées estoyent semblables aux iambes et pieds des vignes qui auoyent esté arrachées dudit lieu. Lors ie ne doutay plus que ce ne fut lesdits pieds de vignes, qui auoyent esté transmuez de bois en metal : non pas par le moyen du feu, comme les alchimistes cherchent à faire, hors la matrice de la terre. Car ie trouuay et contemplay de bien pres que ces choses auoyent esté transmuées dans ladite terre d’argile, qui est de ceste nature froide : dont quelques vns ont dit que pour ceste cause elle restreint le flus de sang, estans mise sus les temples auec du vinaigre. Apres que ie fus bien certain que ladite vigne se congeloit et transmuoit en matiere metallique, par la vertu de la coperose, ie conneus qu’il y auoit encores vne autre cause operante et aidante à ladite coperose : Et tout ainsi que le sel d’vn corps mort estant couvert dans la terre és lieux aqueux peut tirer à soy autres sels par l’affinité qu’ils ont l’vn à l’autre : Aussi les sels de la vigne peuuent auoir aidé à la congelation et transmutation dudit bois, et de cela ie m’en tiens pour tout asseuré, sçachant bien que le sel de la vigne, que l’on nomme tartare, a grande vertu enuers les metaux. Ie scay que plusieurs alchimistes en blanchissent le cuiure, qui a causé que plusieurs en ont abusé. Aucuns font vn tire-poil dudit tartare, que ie n’ose dire, craignant que tu m’estimes menteur : par ce que la chose semble impossible. Parquoy ayant conneu telles choses à la verité, et en estant bien asseuré, i’ay consideré que i’auois beaucoup employé de temps à la connaissance des terres, pierres, eaux et metaux, et que la vieillesse me presse de multiplier les talens que Dieu m’a donnez, et partant qu’il seroit bon de mettre en lumieres tous ces beaux secrets, pour laisser à la posterité. Mais d’autant que ce sont matieres hautes et connues de peu d’hommes, ie n’ay osé me hazarder, que premierement ie n’eusse senti si les Latins en auoyent plus de connoissance que moy : Et i’estois en grand peine, par ce que ie n’auois iamais veu l’opinion des philosophes, pour sçauoir s’ils auoyent escrit des choses susdictes. I’eusse esté fort aise d’entendre le Latin, et lire les liures desdits philosophes, pour apprendre des vns et contredire aux autres : Et estant en ce debat d’esprit ; ie m’auisay de faire mettre des affiches par les carrefours de Paris, afin d’assembler les plus doctes medecins et autres, ausquels ie promettois monstrer en trois leçons tout ce que i’auois conneu des fontaines, pierres, metaux et autres natures. Et afin qu’il ne si trouuast que des plus doctes et des plus curieux, ie mis en mes affiches que nul ni entroit qu’il ne baillast vn escu à l’entrée desdites leçons, et cela faisoy-ie en partie pour voir si par le moyen de mes auditeurs ie pourrois tirer quelque contradiction, qui eust plus d’asseurance de verité que non pas les preuues que ie mettois en auant : sçachant bien que si ie mentois, il y en auroit de Grecs et Latins qui me resisteroyent en face, et qui ne m’espargneroyent point, tant à cause de l’escu que i’auois pris de chascun, que pour le temps que ie les eusse ameusez : car il y auoit bien peu de mes auditeurs qui n’eussent profité de quelque chose, pendant le temps qu’ils estoyent à mes leçons. Voila pourquoy ie dis que s’ils m’eussent trouué menteur, ils m’eussent bien rembarré : Car i’auois mis par mes affiches que partant que les choses promises en icelles ne fussent veritables, ie leur rendrois le quadruple. Mais graces à mon Dieu, iamais homme ne me contredit d’vn seul mot. Quoy consideré, et voyant que ie ne pouuois auoir de plus fidelles tesmoings, ne plus asseurez en sçauoir qu’iceux, i’ay pris hardiesse de te discourir toutes ces choses bien tesmoignées, afin que tu ne doutes qu’elles ne soyent veritables. Et pour te les rendre encores mieux asseurées, ie te feray icy vn catalogue des gens de bien, honorables et doctissimes, qui ont assisté à mesdites leçons (lesquelles ie fis le caresme de l’an mil cinq cens septante cinq) au moins de ceux desquels ie pouray sçauoir le nom et la qualité : lesquels m’ont asseuré qu’ils seront tousiours prests à rendre tesmoignage de la verité de toutes ces choses, et qu’ils ont veu toutes les pierres minerales et formes monstreuses, lesquelles tu as veuës à mes dernieres leçons de l’an mil cinq cens septante six, lesquelles i’ay continué, afin d’auoir plus grand nombre de tesmoings.


S’ensuit le catalogue desdits tesmoins qui ont veu les choses susdites au parauant l’impression du liure[5].


Et premierement, Maistre François Choisnyn, et Monsieur de la Magdalene, tous deux Medecins de la Royne de Nauarre.

Alexandre de Campege[6], Medecin de Monsieur le Frere du Roy.

Monsieur Milon[7], Medecin.

Guillaume Pacard, Medecin de S. Amour, en la Comté de Bourgongne, Diocese de Lyon.

Philibert Gilles, Medecin, natif de Muy, en la Duché de Bourgongne.

Monsieur Drouyn, Medecin, natif de Bretaigne.

Monsieur Clement, Medecin de Dieppe.

Iean du Pont, au Diocese d’Aire, Medecin.

Monsieur Misere, Medecin Poiteuin,

Iean de la Salle, Medecin du Mont de Marsan.

Monsieur de Pena, Medecin.

Monsieur Courtin, Medecin.

Tous ceux cy sus nommez, sont Medecins Doctes.

Monsieur Paré, premier Chirurgien du Roy[8].

Monsieur Richard, aussi Chirurgien du Roy.

Messieurs Paiot et Guerin, Apoticaires à Paris.

Messire Lordin, Marc de Saligny en Bourbonnois, Cheualier de l’Ordre du Roy.

Monsieur d’Albene et l’Abbé d’Albene son frère.

Iacques de Narbonne, presenteur de l’Eglise Cathedrale de Narbonne.

Monsieur de Camas, Gentilhomme Prouençal.

Noble homme Iacques de la Primaudaye, du pays de Vendomois.

La Roche Larier, Gentil homme de Touraine.

Monsieur Bergeron, Aduocat au Parlement de Paris, homme docte et expert aux mathematiques.

Maistre Iean du Clony, Diocese de Renes en Bretaigne, aussi Aduocat en Parlement de Paris.

Brunel de Saint Iacques Bearnois, des Salies, Diocese de Dax, licentié és loix.

Iean Poirier, escolier en droit, Normand.

Monsieur Brachet d’Orleans et Monsieur du Mont.

Maistre Philippe Oliuin, gouuerneur du Seigneur du Chasteau-bresi, homme docte és lettres.

Maistre Bertolome, prieur, homme experimenté és ars.

Maistre Michel Saget, homme de iugement et de bon engin.

Maistre Iean Viret, homme expert aux arts et mathematique.


Or i’ay veu autrefois un liure que Cardan avoit fait imprimer des subtilitez, où il traite de la cause pourquoy il se trouue grand nombre de coquilles petrifiées iusques au sommet des montagnes et mesme dans les rochers : ie fus fort aise de voir vne faute si lourde pour auoir occasion de contredire vn homme tant estimé : d’autre costé i’estois fasché de ce que les liures des autres philosophes n’estoyent traduits en François, comme cestuy là, pour voir si d’auenture i’eusse peu contredire comme ie contredis à Cardan sur le fait des coquilles lapifiées[9].

Theorique.

Et comment ? voudrois tu contredire à vn tel sçavant personnage, toy qui n’es rien ? Nous sçauons que Cardan est vn medecin fameux, lequel a regenté à Tolette, et qui a composé plusieurs liures en langue Latine : et toy qui n’as que la langue de ta mere, en quoy est ce que tu le voudrois contredire ?

Practique.

En ce qu’il a dit que les coquilles petrifiées qui estoyent esparses par l’vniuers, estoyent venues de la mer és iours du deluge, lors que les eaux surmonterent les plus hautes montagnes, et comme les eaux couuroyent toute la terre, les poissons de la mer se dilatoyent par tout l’vniuers, et que la mer estant retiree en ses limites, elle laissa les poissons : et les poissons portans coquilles se sont reduits en pierre sans changer de forme. Voila la sentence et l’opinion de monsieur Cardan.

Theorique.

Pour certain voila vne fort belle raison, et ie ne sçauroi croire que la verité ne soit telle.

Practique.

Si est ce que tu n’as garde de me faire croire vne telle bauasse. Car il est certain que toutes especes d’ames ont quelque connoissance du courroux de Dieu et des mouuements des astres, foudres et tempestes : et cela se voit tous les iours és parties maritimes. Il y a plusieurs especes de volailles qui auparauant les tempestes adueneus en la mer se retirent és riuieres douces en attendant que les tourmentes soyent pacifiées, et apres s’en retournent en la mer comme auparauant. Entre lesquels oyseaux il y en a vn genre qui sont blancs et grands comme pigeons, que l’on appelle goilants (goëlands), qui au temps de tempestes se sçauent retirer és eaux douces. L’on voit communement les porcilles, qui est vn grand poisson, venir és costes de la mer auparauant la tempeste, qui est vn signe qui donne à connoistre aux habitans du pays que la tempeste est prochaine. Et quant est du poisson portant coquille, au temps de la tourmente ils s’attachent contre les rochers en telle sorte que les vagues ne les sçauroyent arracher, et plusieurs autres poissons se cachent au fond de la mer, auquel lieu les vents n’ont aucune puissance d’esbranler ny l’eau ny le poisson. Voila vne preuue suffisante pour nier que les poissons de la mer se soyent espandus par la terre és iours du Deluge. Si Cardanus eust regardé le liure de Genese il eust parlé autrement : car là, Moyse rend tesmoignage qu’és iours du Deluge, les abymes et ventailles du ciel furent ouuertes, et pleut l’espace de quarante iours, lesquelles pluyes et abymes amenerent les eaux sus la terre, et non pas le desbordement de la mer.

Theorique.

Mais d’où voudrois tu donc dire la cause de ces coquilles dedans les pierres, si ce n’est par le moyen que Cardanus a escrit ?

Practique.

Si tu auois bien consideré le grand nombre de coquilles petrifiées, qui se trouuent en la terre, tu connoistrois que la terre ne produit gueres moins de poissons portans coquilles, que la mer : comprenant en icelle les riuieres, fontaines et ruisseaux. L’on voit aux estangs et ruisseaux plusieurs especes de moules et autres poissons portants coquilles, que quand lesdites coquilles sont ietées en terre, si en icelle il y a quelque semence salsitiue elles se viendront à petrifier.

Theorique.

Ie ne croiray iamais qu’en la terre se trouue presque autant de poissons portans coquilles que dans la mer, et l’on sçait bien qu’il n’y a endroit en la mer qui n’en soit tout remply, et que dans la terre ou és riuieres il n’y en peut auoir qu’en certains lieux bien rarement.

Practique.

Tu t’abuses de penser que par toutes les parties de la mer, il y ait des poissons portans coquilles : car tout ainsi que la terre produit des plantes qui ne sçauroient venir en vn pays comme en l’autre, ainsi que les orangers, figuiers, palmiers, amandiers, et grenadiers, ne peuuent venir en tous pays : aussi en la mer, il y a certaines contrées où l’on pesche des maqueraux, autres contrées où l’on peche des harans, autres contrées des seiches, autres des maigres, et mesmes nous sommes contrains aller querir des moluës (morues) és terres neuues. Tous poissons portants coquilles se tiennent pres des limites de la terre, et viennent en partie des matieres salsitiues, qui sont amenées des bords de la terre prochaine de la mer. Et encores ne faut penser trouuer desdits poissons par tous les endroits des bordures de la mer. Il faut donc conclure qu’il y a quelques endroits où les semences des poissons peuuent prendre nourriture, et autres non. Tout ainsi comme des vegetatifs. Ie n’entends pas dire qu’il y a à présent aussi grand nombre de poissons armez en la terre comme il y eut autre fois. Car pour le certain les bestes et poissons qui sont bons à manger, les hommes les poursuyuent de si pres qu’en fin ils en font perdre la semence. I’ay veu plusieurs ruisseaux où l’on prenoit grand nombre de lamproyons, qu’à present l’on n’y en trouue plus. I’ay veu aussi autres ruisseaux où l’on prenoit des escreuisses par milliers, là où l’on n’en trouue plus. I’ay veu des rivieres où l’on prenoit du saumon, et à present ne s’y en trouue plus. Et que la terre ou riuieres d’icelle ne produisent aussi bien des poissons armez comme la mer, ie le prouue par des coquilles petrifiées, lesquelles on trouue en plusieurs endroits par milliers et millions, desquelles i’ay vn grand nombre qui sont petrifiées, dont la semence en est perdue, pour les auoir trop poursuyuis. Et est vne chose qui se void tous les iours, que les hommes mangent des viandes desquelles anciennement l’on n’en eust mangé pour rien du monde. Et de mon temps i’ay veu qu’il se fut trouué bien peu d’hommes qui eussent voulu manger ny tortues ny grenouïlles, et à présent ils mangent toutes choses qu’ils n’auoyent accoustumé de manger. I’ay veu aussi de mon temps qu’ils n’eussent voulu manger les pieds, la teste, ny le ventre d’un mouton, et à présent c’est ce qu’ils estiment le meilleur. Parquoy ie maintiens que les poissons armez, et lesquels sont petrifiez en plusieurs carrieres, ont esté engendrez sur le lieu mesme, pendant que les rochers n’estoyent que de l’eau et de la vase, lesquels depuis ont esté petrifiez auec lesdits poissons, comme tu entendras plus amplement cy apres, en parlant des rochers des Ardennes[10].

Theorique.

Par ce propos tu n’as rien fait contre l’opinion de Cardan : car tu n’as pas dit la cause de la petrification des coquilles.

Practique.

Aucunes ont esté iettées en la terre, apres auoir mangé le poisson, et estant en terre, par leur vertu salsitiue ont fait atraction d’vn sel generatif, qui estant ioinct auec celuy de la coquille en quelque lieu aqueux ou humide, l’affinité desdites matieres estants iointes à ce corps mixte ont endurcy et petrifié la masse principalle. Voila la raison, et ne faut pas que tu en cherches d’autres. Et quant est des pierres où il y a plusieurs especes de coquilles, ou bien qu’en vne mesme pierre il y en a grande quantité, d’vn mesme genre, comme celles du fauxbourg sainct Marceau lés Paris, elles là sont formées en la maniere qui s’ensuit, sçauoir est, qu’il y auoit quelque grand receptacle d’eau, auquel estoit vn nombre infini de poissons armez de coquilles, faites en limace piramidale[11]. Et lesdits poissons ont esté engendrez dans les eaux dudit receptacle, par vne lente chaleur, soit qu’elle soit prouenue par le soleil au descouuert, ou bien par vne lente chaleur qui se trouue soubs la terre, comme i’ay apperceu estant dans lesdites carrieres. Ie mets ceste difficulté en auant, par ce qu’il y a vne veine de pierre esdites carrieres, laquelle n’est que cinq ou six pieds de profond au dessous de la terre, laquelle veine contient autant que toutes les terres de ceste contrée là, et icelle n’a gueres qu’vn pied et demy d’espoisseur, mais elle a grande estendue. La cause que ie pense estre la plus certaine est, qu’il y a eu autrefois quelque grand lac, auquel lesdits poissons estoyent en aussi grand nombre que l’on y trouue leurs coquilles : Et parce que ledit lac estoit remply de quelque semence salsitiue et generatiue, iceluy depuis s’est congelé, à sçauoir l’eau, la terre et les poissons. Tu l’entendras mieux cy apres quand ie te parleray des pierres des deserts des Ardennes. Et voila pourquoy l’on trouue communement és rochers de la mer, de toutes especes de poissons portans coquilles. Il s’ensuit donc que apres que l’eau a deffailly ausdits poissons, et que la terre et vase où ils habitoyent s’est petrifiée par la mesme vertu generatiue des poissons, il se trouue autant de coquilles petrifiées dedans la pierre qui a esté congelée desdits vases, comme il y auoit de poissons en icelle, et la vase et les coquilles ont changé de nature, par vne mesme vertu, et par vne mesme cause efficiente. I’ay prouue ce poinct deuant mes auditeurs, en leur faisant monstre d’vne grande pierre que i’auois fait couper à vn rocher pres de Soubize, ville limitrophe de la mer : Lequel rocher auoit esté autrefois couuert de l’eau de la mer, et au parauant qu’il fut reduit en pierre, il y auoit vn grand nombre de plusieurs especes de poissons armez, lesquels estants morts dedans la vase, apres que la mer a esté retirée de ceste partie là, la vase et les poissons se sont petrifiez. La chose est certaine que la mer s’est retirée de ceste partie là, comme i’ay verifié, du temps qu’il y auoit sedition au pays de Xaintonge, lors qu’on y vouloit eriger la gabelle. Car en ces iours là ie fus commis pour figurer le pays des marez sallans ; et estant en l’isle de Brouë, laquelle fait vne pointe vers le costé de la mer, où il y a encores vne tour ruinée, les habitans du pays m’ont attesté que autrefois ils auoient veu le canal du haure de Brouage venir iusques au pied de ladite tour, et que l’on auoit edifié ladite tour, pour garder d’entrer les pirattes et brigands de mer, qui en temps de guerre venoyent bien souuent rafraichir leurs eaux à vne fontaine qui estoit pres de ladite tour, et ladite tour s’appelle la tour de Brouë à cause de l’isle où elle est assise, laquelle se nomme Brouë, dont le haure de Brouage a pris son nom. Et pour autant qu’il est auiourd’huy impossible d’aller le long du canal pour aprocher de ladite tour, l’on connoist par là que la mer s’est retirée de celle contrée, et qu’elle peut auoir autant gaigné en vn autre endroit : comme ainsi soit, que pres la coste d’Aluert, gueres loing du passage de Maumusson, qui est si fort dangereux, les habitans du pays disent auoir passé autrefois de liesse d’Aluert en l’isle d’Oleron, en ayant mis seulement vne teste de cheual ou de bœuf à vn petit fossé, ou autrement petit bras de mer, qui se ioignoit des deux bouts à la grand mer. Et aujourd’huy les nauires de quelque grandeur qu’elles soyent, passent par là pour le plus court chemin de Bordeaux à la Rochelle, ou en Bretaigne, en Flandres et en Angleterre : et au parauant il falloit tourner alentour de l’isle d’Oleron. Voila vn tesmoignage comment la mer se diminuant d’vne part, accroist d’autre part. Dont i’ay pris tesmoignage que le rocher qui est tout plein de diuerses especes de coquilles a esté autrefois vases marins, produisans poissons. Si aucuns ne le veulent croire, ie leur monstreray ladite pierre, pour couper broche à toutes disputes. Et par ce qu’il se trouue aussi des pierres remplies de coquilles, iusques au sommet des plus hautes montagnes, il ne faut que tu penses que lesdites coquilles soyent formées, comme aucuns disent que nature se iouë à faire quelque chose de nouueau. Quand i’ay eu de bien pres regardé aux formes des pierres, i’ay trouué que nulle d’icelles ne peut prendre forme de coquille ny d’autre animal, si l’animal mesme n’a basti sa forme : parquoy te faut croire qu’il y a eu iusques au plus haut des montaignes des poissons armez et autres, qui se sont engendrez dedans certains cassars ou receptacles d’eau, laquelle eau meslee de terre et d’vn sel congelatif et generatif, le tout s’est reduit en pierre auec l’armure du poisson, laquelle est demeurée en sa forme. Et ne faut pas que tu m’allegues qu’il faudroit donc que l’eau des pluyes eust auec soy quelque substance salsitiue et generatiue, et ne faut point que tu doutes de ce : car si autrement estoit, les crapaux et grenouilles, qui tombent bien souuent auec les pluyes ne pourroient estre engendrez en l’air ; d’autre part tu vois souuent des murailles bien hautes, où il y aura des arbrisseaux et herbages, qui n’auront esté produits ny engendrez sinon des semences et humeurs apportées par les pluyes, et si les pluyes n’apportent auec elles quelque substance generatiue, elles ne pourroient aider à l’accroissement des semences, et mesmes les fruits arrousez d’vne eau qui ne fut point salée, viendroyent soudain en pourriture. C’est la raison, pourquoy ie t’ay dit que le sel est la tenue et mastiq generatif et conseruatif de toutes choses : ie n’ay pas pourtant dit que tous sels fussent poignans et mordicatifs : tu trouueras que toutes coquilles petrifiées sont plus dures que non pas la masse de la pierre où elles sont, et ce pour cause qu’il y a plus de matiere salsitiue. Or combien que par cy deuant i’aye assez desconfit l’opinion de Cardan, sur le fait des pierres monstreuses, si est ce que ie suis deliberé de donner plus amples preuues de mon opinion contraire à la sienne, et ce d’autant qu’il y a bien peu d’hommes qui ne disent auec luy que les coquilles des poissons petrifiez, tant és montagnes qu’és vallées, sont du temps du Deluge, pour à quoy résister et prouuer le contraire, i’ay fait plusieurs figures de coquilles petrifiées, qui se trouuent par milliers és montagnes des Ardennes, et non seulement des coquilles, ains aussi des poissons, qui ont esté petrifiez auec leurs coquilles. Et pour mieux faire entendre que la mer n’a point amené lesdittes coquilles au temps du Deluge, ie te monstreray présentement la figure d’vn rocher qui est esdites Ardennes, près la ville de Sedan, auquel rocher et en plusieurs autres, il se trouue des coquilles de toutes les especes figurées en ce papier : depuis le sommet de la montagne iusques au pied d’icelle, combien que ladite montagne soit plus haute que nulle des maisons ny mesme le clocher dudit Sedan, et les habitans dudit lieu coupent iournellement de la pierre de ladite montagne, pour bastir, et en ce faisant il se trouue desdites coquilles aussi bien au plus bas comme au plus haut, voire encloses dedans les pierres les plus contiguës ; ie puis asseurer en auoir veu d’vn genre qui contenoit seize poulces de diametre. Ie demande maintenant à celuy qui tient l’opinion dudit Cardanus, par quelle porte entra la mer pour apporter lesdites coquilles au dedans des rochers les plus contigus ? Ie t’ay cy dessus donné à entendre que lesdits poissons ont esté engendrez au lieu mesme où ils ont changé de nature, tenans la mesme forme qu’ils auoyent estans viuans. Parquoy ie repeteray le mesme propos, disant que dedans les rochers susdits se trouuent plusieurs fosses, concauitez, et receptacles d’eau, qui entrent par les fentes desdits rochers, descendant du haut en bas, et en descendant l’on connoist euidemment qu’elles se petrifient en la forme des eaux glacées, qui coulent du haut des montagnes en bas. Il faut donc conclure que auparauant que cesdites coquilles fussent petrifiées, les poissons qui les ont formées estoyent viuans dedans l’eau qui reposoit dans les receptacles desdites montagnes, et que depuis l’eau et les poissons se sont petrifiez en vn mesme temps, et de ce ne faut douter. És montagnes desdites Ardennes se trouue par milliers des moules petrifiées, toutes semblables à celles qui sont viuantes dans la riuiere de Meuse, qui passe pres desdites montagnes. I’ay contemplé autrefois les habitations des huistres de la mer Oceane : mais ie ne vis onques les huistres naturelles ne leurs coquilles en plus grande quantité qu’il s’en trouue en plusieurs des rochers d’Ardenne : lesquelles combien qu’elles soyent petrifiées, si est-ce qu’elles ont esté animées, et cela nous doit faire croire qu’en plusieurs contrées de la terre les eaux sont salées, non si fort comme celles de la mer : mais elles le sont assez pour produire de toutes espèces de poissons armez. Et faut croire ce que i’ay dit cy deuant, que tout ainsi comme la terre produit des arbres et des plantes, d’vne espece en vne contrée, et en l’autre contrée elle en produit d’vne autre espece : et comme aucuns champs produisent de la feuchere, et autres des yebles, et autres chardons et espines : aussi la mer produit des genres de poissons en vn endroit qui ne pourroyent viure en l’autre. Il est certain que les huistres, les moules, auaillons, petoncles et sourdons et toutes especes de burgaulx, qui ont leurs coquilles en façon de limace, toutes ces especes, dy-ie, se tiennent és rochers limitrophes de la mer, ce que les autres especes de poissons ne font pas. Ceux qui vont pescher les moules à trois ou quatre cents lieuës me seront tesmoings de ce que i’ay dit. Et comme les orangers, figuiers, oliuiers et espiceries ne pourroyent viure és pays froids, en cas pareil les poissons ne viuent sinon és lieux là où il a pleu à Dieu de ietter la semence de leur generation et nourriture, comme ainsi soit que i’ay dit cy deuant qu’il a fait des semences des metaux et de tous mineraux, et des vegetatifs. Iusques icy ie n’ay parlé que des coquilles petrifiées, et ainsi que ie cherchois et m’enquerois de toutes parts des lieux où i’en pourrois recouurer pour le tesmoignage de mes conclusions, il me fut dit qu’au pays de Valois, pres d’un lieu nommé Venteul, il y auoit grande quantité de coquilles petrifiées, qui me causa me transporter sur ledit lieu, pres d’un hermitage joignant la montaigne dudit lieu, auquel ie trouuay grand nombre de diuerses especes de coquilles de poissons semblables à celles de la mer Oceane et autres. Car parmi icelles coquilles s’en treuue de pourpres et de bucines de diuerses grandeurs, bien souuent d’aussi longues que les iambes d’un homme, lesquelles coquilles n’ont point esté petrifiées, ains sont encores telles comme elles estoyent quand le poisson estoit dedans ; qui te doit faire croire qu’il y a autrefois eu des eaux en ce lieu là, qui produisoyent les poissons qui ont formé les dites coquilles : mais d’autant qu’il y a eu faute d’eau commune et d’eau generatiue, la montagne ne s’est peu lapifier, ains est demeurée en sable, et si ladite montagne se fut petrifiée comme celle des Ardennes et plusieurs autres, lesdites coquilles se fussent aussi petrifiées, et en quelque endroit que la roche eust esté coupée, icelles se fussent trouuées incastrées au dedans d’icelle roche, en pareille forme que tu voids celles des carrieres de sainct Marceau lés Paris. Depuis auoir veu ladite montagne i’ay treuué vne autre montagne, pres la ville de Soissons, où il y a par milliers de diuerses especes de coquilles petrifiées, si pres à pres l’vne de l’autre que l’on ne sçauroit rompre le roc d’icelle montagne en nul endroit, que l’on ne trouue grande quantité desdites coquilles, lesquelles nous rendent tesmoignage que elles ne sont venues de la mer, ains ont generé sur le lieu, et ont esté petrifiées en mesme temps que la terre et les eaux où elles habitoient furent aussi petrifiées. Quelque temps apres que i’eus recouuert plusieurs coquilles et poissons petrifiez, ie fus d’auis de reduire ou mettre en pourtraiture ceux que i’auois trouué lapifiez, pour les distinguer d’auec les vulgaires, desquels l’vsage est à présent commun : mais à cause que le temps ne m’a voulu permettre mettre en execution mon dessein lors que i’estois en telle deliberation, ayant differé quelques années le dessein susdit, et ayant tousiours cherché en mon pouuoir de plus en plus les choses petrifiées, enfin i’ay trouué plus d’especes de poissons ou coquilles d’iceux, petrifiées en la terre, que non pas des genres modernes, qui habitent en la mer Oceane. Et combien que i’aye trouué des coquilles petrifiées d’huistres, sourdons, auaillons, iables, mondes, d’alles, couteleux, petoncles, chastaignes de mer, escreuices, burgaulx, et de toutes especes de limaces, qui habitent en ladite mer Oceane, si est-ce que i’en ay trouué en plusieurs lieux, tant és terres douces de Xaintonge que des Ardennes, et au pays de Champagne d’aucunes especes, desquelles le genre est hors de nostre connoissance, et ne s’en trouue point qui ne soyent lapifiées : parquoy i’ay osé dire à mes disciples que Monsieur Belon et Rondelet auoyent pris peine à descrire et figurer les poissons qu’ils auoyent trouuez en faisant leur voyage de Venise, et que ie trouuois estrange qu’ils ne s’estoyent estudiez à connoistre les poissons qui ont autrefois habité et generé abondamment en des regions, desquels les pierres où ils ont esté petrifiez en mesme temps qu’elles ont esté congelées, nous seruent à présent de registre ou original des formes desdits poissons. Il s’en treuue en la Champagne et aux Ardennes de semblables à quelque espece d’aucuns genres de pourpres, de buccines, et autres grandes limaces, desquels genres ne s’en trouue point en la mer Oceane, et n’en void on sinon par le moyen des Nautonniers, qui en apportent bien souvent des Indes et de la Guinee. Voila pourquoy i’ay conneu qu’en plusieurs et diuers endroits des terres douces il y a eu autrefois habitation et generation desdits poissons, et ce d’autant, comme i’ay dit, qu’il s’en trouue aucuns qui ne sont encores petrifiez, parce qu’ils ne le peuuent auoir esté à cause que la terre où ils viuoyent est encores terre, ou pour mieux dire sable. Mais les autres qui se trouuent dedans les pierres des montagnes se sont petrifiez lors que le lieu où ils habitoyent s’est conglacé, sçauoir est, l’eau et la vase, et tout ce qui y estoit, comme ie t’ay dict tant de fois, pour te le mieux faire entendre. Tu verras en mon cabinet, que i’ay dressé pour cela, plusieurs formes desdits poissons, de ceux qui sont armez : par ce qu’il s’en trouue bien peu d’autres de petrifiez : à cause que les parties plus tendres se putrifient au parauant estre petrifiez : et qu’ainsi ne soit i’ay trouué plusieurs escailles ou armures de locustes et escreuices petrifiées, qui estoyent separées l’vne d’auec l’autre, pour cause de la putrefaction qui estoit suruenue en la chair, auparauant la petrification : toutesfois i’ay trouué aux montagnes des Ardennes de ces grands moules, qui habitent communement es estangs, que le poisson estoit aussi bien petrifié comme la coquille.

Et par ce que nous sommes sur le propos des pierres, il faut poursuyure premierement les formes d’icelles, et en cherchant la cause i’ay trouué que le cristal prend sa forme dedans l’eau, et que autrement il n’y auroit aucunes formes de pointes ny faces, comme l’on void qu’il se trouue audit cristal. Ie trouue aussi que toutes marcassites et mineraux ayant quelque forme pentagone, triangulaire, quadrangulaire, ou hexagone, sont toutes formees au dedans de l’eau, comme i’ay dit cy dessus, qu’il se trouue des pierres de mine de fer formées à pointes. Au dedans des carrieres où l’on tire l’ardoise aux pays d’Ardennes, il se trouue dedans l’eau, parmy les ardoises, vne grande quantité de marcassites quarrées naturellement, formées à quatre quarres, ou faces polies et egales en grandeur, et lesdites marcassites sont de couleur de fer ou de plomb, assez uisantes. I’en ay veu des autres qui ont sept ou huit faces formées naturellement comme les susdites. Il y a vn certain personnage qui m’a asseuré qu’il s’en trouue au pays de Languedoc et de Prouence, que chacune desdites marcassites portoit en soy trente six faces diuisées par esgales parties. Or toutes ces formes ne se font ny ne se peuuent faire sinon dedans l’eau. Nous voyons aussi que le sel qui est congelé dedans l’eau, si on le laisse congeler sans le mouuoir, il prendra quelque forme pentagone ou quadrangulaire ; comme i’ay dit du salpestre. Mais quand est des cailloux et autres pierres particulieres, qui n’ont aucune forme diuisée, elles prennent leur forme selon la forme du trou ou receptacle où les matieres seront arrestées, et où elles se congelent : Et de ce genre de pierre et cailloux, il s’en forme tous les iours : car quand ce vient sur la fin de l’esté, que les herbes, pailles et foins, et autres herbages commencent à pourrir par les champs, les eaux des pluyes ramassent et font decouler le sel vegetatif, qui est esdites pailles et herbes, et en tous vegetatifs qui seront consumez és chaleurs, et estant ainsi dissoult et liquide en la terre, iceluy mesme cause la generation de nouuelles plantes et de pierres. Et ce genre de pierres se font communement selon la grandeur de la matiere, par fois grandes et par fois petites, et par fois aussi menues que le sable selon le peu de matiere qui se présentera. Quant est des grandes pierres contigues i’en ay assez parlé dés le commencement, il y a vne autre espece de pierres desquelles on fait des meules pour aiguiser toutes especes de tranchans. Si tu regardes de bien pres, et consideres la rudesse de ces pierres, tu trouueras qu’elles estoyent premierement formées en sable, et apres que le sable a demeuré quelque temps en la terre, il est aduenu que par l’action des pluyes, ledit sable s’est embibé d’eaux et sels congelatifs, qui ont rassemblé et ioinct ensemble tous ces petits grains de sable en vne grande pierre, et d’autant que le sable est d’vne eau plus pure que non pas la seconde generation de la pierre, c’est la cause pourquoy il est plus dur que non pas la masse seconde, et de là vient que la dite masse estant plus tendre, se mine et gaste en aiguisant les ferremens : ainsi les grains de sable demeurent tousiours plus hauts, et les concauitez qui sont entre lesdits grains, causent vne aigreur et rudesse à la meule, d’où vient sa puissance et action d’aiguiser les outils. Et ce qui m’a donné connoissance de ces choses est qu’vn iour i’achetay vn plein muy de sablon d’Estampes, et en le tamissant ou sassant ie trouuois plusieurs pierres formées dudit sablon, en telle sorte attachées l’vne à l’autre par la liqueur seconde qui auoit mastiqué ledit sable que l’on voyoit euidemment que lesdites pierres estoyent formées dudit sablon. Voila comment de degré en degré ie suis paruenu à la connoissance de ces choses. Il y a vn autre genre de pierres qui ne tiennent aucune forme, ains sont contigues comme les pierres des carrieres, et ce genre là ne peut estre engendré qu’il ne soit pour le moins aussi dur que marbre. Ce sont les pierres qui sont engendrées des terres argileuses lesquelles sont bien souuent reduittes en marbre, iaspe, et en cassidoine, et autres telles pierres dures. Mais parce que i’ay vouloir de traiter à part les duretez, pesanteurs et couleurs, ie garderay ce propos pour en traiter quand le temps se présentera, et poursuiuray à parler des formes, desquelles i’ay bonne connoissance.

Quant est du bois petrifié, il tient sa forme comme auparauant : il y a plusieurs especes de fruicts lesquels estans lapifiez tiennent la mesme forme qu’au parauant : i’ay perdu vne poire petrifiée autant bien formée qu’elle estoit deuant avoir changé sa substance. I’ay encores dans mon cabinet vne pomme de coing, vne figue, et vn naueau petrifiez, tenant la mesme forme qu’ils auoyent auant qu’estre lapifiez. Monsieur Race, Chirurgien fameux et excellent m’a monstre vn cancre tout entier petrifié, il m’a aussi monstré vn poisson petrifié, et plusieurs plantes d’vne certaine herbe, aussi petrifiée. I’ay veu aussi plusieurs chastaignes marines petrifiées sans auoir rien perdu de leur forme. Il y a en la ville d’Angers vn maistre Orfeure, nommé Marc Thomaseau, lequel m’a monstré une fleur reduite en pierre chose fort admirable, d’autant que l’on voit en icelle le dessous et dessus des parties de la fleur les plus tenues et deliées. I’ay trouué vne miniere de terre argileuse en laquelle y a vn nombre infiny de pierres de marcassites metalliques de plusieurs grandeurs, les vnes grandes comme la palme de la main, les autres comme iocondales et testons, lesquelles m’ont instruit en la philosophie beaucoup plus que non pas Aristote : Et c’est d’autant que ie ne puis lire en Aristote et i’ay bien leu ausdites marcasites, et ay entendu par icelles que les matieres generatiues des metaux estoyent fluides, liquides et aqueuses, et cela ay-ie conneu en contemplant leurs formes : d’autant qu’elles sont formées en telle sorte que si quelqu’vn auoit ietté de la cire fondue en bas en assez bonne quantité, et comme la premiere seroit iettée en plus grande abondance que la seconde, et estant iettée tousiours en diminuant le premier iet, en se conglaçant feroit vne forme plus euasée que le second, et le second plus euasée que le tiers, et cela se feroit à cause de la diminution de la matiere. Car ie voyois euidemment dedans lesdites marcassites que les goutes qui tomboyent les dernieres monstroyent vn signe de defaillance de matiere : Cela ne se peut aisement entendre sans voir la chose mesme : parquoy tu la pourras venir voir en mon cabinet. Il y a beaucoup d’autres pierres qui sont formées selon le suiet qu’ils ont pris, comme quelques autres pierres que i’ay veuës que l’on nomme Pierre d’Aigle. Quelque chose que l’on en die, ie croy que ce n’est autre chose qu’vn fruit lapifié, et ce qui iouë dedans est le noyau, qui estant amoindry quand on secoue ladite pierre, ledit noyau frappe des deux costez d’icelle. Voila comment les pierres peuuent auoir diuerses formes par diuers suiets : lesquelles choses nous sont inconnues par faute d’y regarder. Plusieurs m’ont certifié qu’il y a vn lac à Rome nommé Thioli, duquel les eaux qui passent par les riuages d’iceluy s’attachent et congelent contre les herbages et autres choses pendantes sur les bords desdits riuages, i’ay veu plusieurs desdites pierres, qui ont esté apportées du lac susdit, qui sont fort blanches et belles, à cause des pores et concauitez percées et spongieuses et embrouillées par diuerses formes, que les herbes leur ont causé. Ie feray fin au propos des formes, et parleray de la cause des couleurs.

Il y a un grand nombre de matieres qui causent les couleurs des pierres, et plusieurs d’icelles sont inconnues aux hommes : Toutefois l’experience, qui de tout temps est maistresse des ars, m’a fait connoistre que le fer, le plomb, l’argent et l’antimoine, ne peuuent faire autres couleurs que iaune. Ayant donc vne telle certitude ie puis asseurement dire, que plusieurs pierres iaunes ont pris leurs teintures de l’vn d’iceux mineraux : I’entens quand les eaux passent par des terres esquelles y a de la semence desdits mineraux, ayans apporté auec elles de laditte substance, laquelle aura actionné en la couleur et en la congelation ; parce que toutes ces matieres metalliques sont salsitiues, et comme i’ay tant de fois dit, il ne se fait point de congelation sans sel ; aussi laditte teinture à esté faite dés le temps de l’essence de la pierre, au parauant que les matieres fussent endurcies. Ie comprens entre les pierres iaunes, les pierres rares aussi bien que les communes, comme la Topasse. Ie mets aussi au rang d’icelles le sablon, duquel il se trouue grande quantité de couleur iaune. Voilà l’vne des causes des pierres iaunes. Il y a vne autre cause bien fort certaine et veritable, que les bois qui sont pourriz en terre, ayans rendu par dissolution et putrefaction le sel qui estoit en eux, et que les eaux et les matieres congelatiues (par vne defluxion qui se fait és temps de pluyes, le sel dudit bois amenant auec soy sa teinture) causent la congelation et la couleur de quelque pierre, qui sera formée au premier receptacle, là où telle matiere fluide se viendra reposer : et de ce n’en faut douter, car ie scay que le verre iaune, que l’on fait en Lorraine, pour les vitriers, n’est fait d’autre chose que d’vn bois pourry, qui est vn tesmoignage de ce que ie dy, que le bois peut teindre le bois en iaune ; si tu as regardé autrefois des ais, ou du plancher et autres pieces, et que le bois soit verd, et qu’ils soyent fraischement siez, s’ils vient à pleuuoir dessus, tu verras que l’eau qui degoute vers la partie pendante sera jaune. Il y a aussi plusieurs especes d’herbes et plantes qui peuuent teindre les matieres desquelles les pierres sont formées : entre les autres la paille d’auoine a auec soy vne teinture fort iaune. L’Absinthe Xaintonnique a sa teinture fort iaune : l’on sçait aussi que les teinturiers se servent d’vne herbe qu’ils appellent Gaude, de laquelle ils font leurs iaunes.

Ie ne connois ny plante, ny minerai, ny aucune matiere qui puisse teindre les pierres bleües ou azurées, que le saphre, qui est vne terre minerale, extraite de l’or, argent et cuiure, lequel a bien peu de couleur autre que grise, tirant vn peu sur le violet : toutesfois quand ledit saphre est fait vn corps auecques les matieres vitreuses, il fait vn azur merueilleusement beau : par là peut on connoistre que toutes pierres ayans couleur d’azur, ont pris leur teinture dudit saphre. Et afin que tu ayes asseurance certaine de ce que ie di, considere vn peu les pierres que l’on nomme lapis lazuli, lesquelles sont d’vne couleur d’azur, autant viue qu’il en est point au monde, et parmy lesdites pierres se treuuent plusieurs veines et petites estincelles d’or ; aussi se treuue en plusieurs endroits d’icelle du verd ressemblant au chrysocolla des anciens, que nous appelons auiourd’huy borras (borax). Ceux qui font auiourd’huy ledit borras le font blanc par quelque industrie qu’ils tiennent bien secrette. Le borras des anciens qu’ils nomment chrysocolla, estoit pris és canaux d’eau qui distiloit des minieres de cuiure et de saphre. Et d’autant que ie t’ay dit tant de fois qu’il y auoit du sel és metaux, et que leur congelation estoit faite par la vertu dudit sel, tu as à présent à noter ce poinct sur tous les autres, qui est que le chrysocolla ou borras n’estoit autre chose qu’vn sel que les eaux auoyent pris en passant par les minieres d’airain : et les eaux douces des pluyes estant sorties et acheminées hors des minieres ayant attiré ledit sel, s’exaloyent, et s’estant exalees le fixe demeuroit, qui estoit le sel lequel se congeloit le long des canaux exterieurs, là où les eaux l’auoyent amené : estant ainsi congelé on s’en seruoit à souder l’or et l’argent et le cuiure. Or note donc que ce chrysocolla n’estoit verd sinon à l’occasion du sel coperose, qui auoit engendré la miniere de cuiure. Ce n’estoit pas mon propos de parler en cest endroit des couleurs erdes, ains de celles d’azur : mais d’autant que dedans le lapis lazuli, il se trouue du verd, ie ne pouuois eschaper que ie ne parlasse des deux ensemble. Par là tu peux connoistre que le saphre se prend dedans les minieres d’or et de cuyure : Car s’il n’y auoit de l’or en la miniere dudit saphre, il ne se trouueroit pas dedans le lapis, et s’il n’y auoit du cuiure, il ne s’y trouueroit pas du verd. Voila comment les matieres sont colligées et comment de degré en degré les occasions se presentent de produire tousiours la vertu des sels.

Theorique.

Il me semble que ton propos est fort loing de verité, et ce d’autant que tu dis que le saphre cause vne tant belle couleur au lapis, et toutesfois tu dis que ledit saphre n’a point la couleur viue ny belle : comment donques se pourroit faire cela ? le saphre pourroit il bien donner ce qu’il n’a point ?

Practique.

Pour certain ton argument est assez bien fondé : toutesfois ie suis bien certain que le verre d’azur se fait de saphre, et sçay bien aussi qu’auparauant qu’il soit fondu auec les matieres vitreuses il n’a point de couleur : Aussi ie sçay bien que l’herbe salicor luy baille sa viue couleur : combien qu’il n’aye nulle couleur, non plus que le sel commun, c’est à dire il le fait fondre ou liquefier auecques le caillou ou sable : et sçay bien aussi que les trois matieres ensemble font vn fort bel azur, ie di apres que les matieres sont liquefiées, et de rechef endurcies, et formées en telles formes des vaisseaux de verre qu’on les veut employer.

Theorique.

I’ay ici deux arguments à te proposer à l’encontre de ton dire, en premier lieu tu dis que le sel de salicor cause de faire deuenir le saphre en couleur d’azur, et puis tu dis que cela se fait à force de feu. Voila donc comment le lapis lazuli ne peut prendre sa couleur par ces deux moyens, d’autant qu’au lieu où ledit lapis est trouué il n’y a ny feu ny salicor.

Practique.

À ce ie respond, que le sel de vitriol fait en la terre, ce que le salicor fait au feu des verriers. Quant à la decoction ce n’est pas chose estrange de voir faire plusieurs decoctions en la matrice de la terre. Car elle se fait en toutes especes de pierres et metaux, et mesmes és terres argileuses, celles qui sont noires en vn temps deuiennent blanches en vn autre temps.

Theorique.

Et veux tu conclure par là qu’il n’y a aucune matiere qui puisse faire la couleur d’azur que le saphre ?

Practique.

le n’en connois point d’autre.

Theorique.

Tu n’y entends doncques rien : car on void bien que le lapis et le saphir sont de couleur d’azur bien viue, et toutesfois la Turquoise tire plus sur l’azur que nulle autre couleur : ce neantmoins il y a grande difference : car elle tient vn peu de la couleur verde : d’autre part le saphir a vn corps diafane, et la Turquoise et le lapis ont vn corps tenebreux. Ie prouue par là que ces couleurs differentes ne se peuuent trouuer en vn mesme suiet.

Practique.

Tu t’abuses : car la cause que le saphir est transparent et diafane, c’est parce qu’il a esté formé de matieres aqueuses, pures et nettes mais il n’est pas ainsi du lapis : Car auec les matieres d’iceluy, il y a de la terre entremeslée, laquelle luy rend sa couleur obscure. Aussi ledit lapis en est beaucoup plus foible, comme l’on peut voir qu’il y a plusieurs veines, à l’endroit desquelles il ne peut prendre si beau pollissement a l’vn endroit comme à l’autre : les petites veines d’or et les parties verdes qui y sont rendent tesmoignage que les matieres de son essence estoyent mal entremeslées. Quant est de la Turquoise, il faut prendre le mesme argument, sçauoir est qu’il y a de la terre qui luy rend son corps tenebreux, et ce qui luy cause vn peu de verdeur n’est autre chose que quelque substance de cuiure entre-meslée auec les autres matieres. Voila comment il faut tousiours donner l’honneur de toutes couleurs d’azur au saphre, comme principal fondement, les pierres qui tiennent ue couleur de pourpre sont de semblables matieres, sauf qu’il y a quelque espece de matiere rouge, qui fait tourner l’azur en couleur purpurée.

Theorique.

Tu dis ne connoistre aucune matiere qui puisse faire l’azur que le saphre, et toutesfois il y a quelques vns qui en font auec du cuiure.

Practique.

Ce n’est pas selon nature s’ils le font, c’est par accident.

Theorique.

Et comment pourrois tu soustenir qu’il n’y aye que le saphre qui puisse faire l’azur, attendu que nous voyons tant de milliers de fleurs bleuës, et entre les autres la flambe (l’iris), de laquelle on fait de la couleur bleue ?

Practique.

Tu responds mal à propos : car ie te parle des couleurs des pierres, et tu me responds des couleurs des peintres. Il a bien à dire des couleurs mineralles aux couleurs qui se font d’herbes : Car toutes celles qui se font d’herbes sont de peu de durée, comme le saphran, le verd de vessie, le tournesol, et autres telles couleurs. Mais celles des pierres qui viennent des minieres, ou qui sont faites des metaux calcinez ne peuuent perdre leur couleur.

Theorique.

Quelque beau argumenteur que tu sois, si est ce que tu t’es pris à ce coup, en telle sorte que tu ne te sçaurois iustifier : d’autant que par cy deuant tu m’as dit que les pierres iaunes pouuoyent prendre leur teinture des bois pourris et de diuerses especes d’herbes et à présent tu dis tout le contraire.

Practique.

Ce que i’ay dit est bien dit, et ne suis pas prest de m’en desdire. Quand ie t’ay dit que les pierres pouuoyent estre teintes quelquefois de bois pourris et des herbes, ie ne t’ay pas dit que la pierre pouuoit estre teinte apres que les matieres sont endurcies : Mais bien t’ay-ie dit que lors que les matieres sont liquides et fluentes qu’elles peuuent estre teintes de quelque bois ou espece d’herbes, et les matieres apres estants endurcies peuuent retenir lesdites couleurs : et la cause pourquoy elles ne peuuent perdre leur couleur, comme celles des peintres, c’est parce qu’elles sont encloses en la masse, et d’autant que l’aër ny le vent ne peuvent penetrer ladite masse, les couleurs y sont conseruées. Si tu interroges les peintres sur le fait des couleurs qui sont faites d’herbes, ils te diront qu’elles sont suiectes à s’esuenter ; et pour mieux entendre ce fait, considere vn doublet, tu trouueras aucuns lapidaires qui feront de fort belle couleur de ruby et de grenad, de quelque sang de dragon ou autre matiere, et ayant taillé deux pieces de cristal ils en teindront vne de ceste couleur rouge, et puis mastiqueront l’autre dessus icelle, et ainsi ce rouge sera conserué en sa beauté entre les deux pierres : autrement il ne pourroit garder sa couleur. En pareille sorte les pierres naturelles gardent leurs couleurs encloses en icelles. J’ay encores à te proposer deux arguments sur ce fait, l’vn est quand ie t’ay dit que les couleurs des pierres se peuuent prendre quelquefois des bois et des plantes, ie ne t’ay pas parlé des fleurs, car les couleurs des fleurs sont de peu de durée, comme l’on voit que les roses, les œillets et autres fleurs perdent leurs couleurs en vn instant ; Mais il n’est pas ainsi des couleurs qui procedent des bois pourris : Car ie t’ay dit cy dessus que le bois pourry sert à faire du verre iaune. C’est autant que si ie disois que la teinture du bois s’est fixée en sa putrefaction et ne se peut perdre pour ceste cause, à l’extreme chaleur du fourneau, chose admirable. Semblablement il y peut auoir plusieurs simples, desquels la teinture se peut fixer. Or voicy à present le second argument qui est fort notable. Si tu me mets en auant que les teintures des vegetatifs ne peuuent estre fixes, ie t’allegueray ce que dessus, que le bois pourry fait le verre iaune. Et partant que tu ne te veuilles contenter d’vne telle preuue, ie te diray qu’entre toutes les pierres de couleur, il s’en trouuera bien peu desquelles la teinture soit fixe. I’ay fait calciner plusieurs fois du marbre noir, des cailloux, et pierres noires, et autres de diuerses couleurs, comme iaspe, cassidoine, et marbre figurez : Mais ie n’en trouuay iamais que les couleurs ne se perdissent au feu : et combien que l’agate et cassidoine ne se peuuent calciner, ains se vitrifient, si est ce qu’estans examinées par le feu, elles perdent toutes leurs couleurs : parquoy il ne faut plus douter que les vegetatifs ne puissent donner quelque couleur en la matiere des pierres, au parauant qu’elles soyent endurcies, comme i’ay dit vne autrefois. Quant est des emeraudes, il ne faut point douter que les couleurs d’icelles ne soyent causées de la coperoze, c’est à dire de quelque eau pure, qui a passé par les minieres du cuiure et de coperoze. Quant est des pierres noires, leur teinture peut estre causée par diuers moyens et de plusieurs sortes. Nous auons plusieurs arbres desquels la teinture est noire, aussi bien comme des noix de galle, entre autres les noires, les aulnes ou vergnes apportent teinture noire ; estant pourris en terre leur teinture peut estre retenue pour seruir quelquefois à la generation des pierres : pour le moins la terre là où ils pourriront en sera teinte de noir. I’ay aussi plusieurs fois contemplé que les pierres sont bien souuent de la couleur de la terre où elles ont esté engendrées, et celles qui sont dedans les sables sont aussi bien souuent de la couleur des sables où elles sont trouuées : Toutesfois il se trouue bien souuent des pierres blanches dedans les terres noires, et cela vient à cause que les matieres d’où elles ont esté formées, ont changé de couleur en leur decoction, ce qui aduient bien souuent à plusieurs mineraux, et generalement à tous les fruits de la terre, lesquels ont autre couleur à leur maturité que non pas à leur commencement. Quant est des couleurs des marbres figurez, iaspes, porphyres, serpentins, et autres telles especes, leurs couleurs sont causées par diuers egousts d’eau qui tombent du haut de la terre, iusques au lieu où lesdites pierres se forment : les eaux venant de plusieurs et diuers endroits de la terre, en descendant elles apportent auec elles ces diuerses couleurs, qui sont esdittes pierres. Car ainsi qu’une partie de l’eau, en passant, trouuera quelque miniere d’airain ou de copperoze, elle fera des taches verdes sus la pierre, tombant goutte à goutte sus icelle. Autres gouttes tomberont à mesme instant qui passeront par quelques minieres de fer, et tombans (comme i’ay dit) sur le receptacle où laditte pierre se formera, lesdittes gouttes se congeleront en iaune. Autres gouttes porteront autres couleurs diuerses, qui causeront plusieurs figures ausdites pierres.

Theorique.

Si ainsi estoit comme tu dis, les figures seroyent toutes rondes, comme le porphyre : mais quoy, nous voyons aux iaspes, marbres, et pierres mixtes, des figures faites par idees estranges : cela monstre bien qu’elles ne se font pas par vne eau desgouttante, comme tu dis.

Practique.

Si tu eusses esté à mes leçons, tu eusses bien conneu que ce que ie te dy est vray : car il y auoit plusieurs hommes vn peu plus sçauans que toy, ce neantmoins ie leur fis connoistre que la verité est telle que ie te dy, et n’y eust iamais homme qui me sçeut contredire. Vray est que pour leur faire entendre mon dire i’en fis vne figure en leur présence. Il est vray que si les gouttes qui tombent du haut en bas se congeloyent soudain quelles sont tombées, elles ne seroyent autre figure que ronde, selon la grosseur de la goutte qui tomberoit : mais d’autant que la matiere qui se conglaçant fait quelques bosses, les matieres qui tombent de plusieurs endroits tout en vn coup, trouuant la place bossuë, sont contraints de se couler en la vallée : et ainsi que trois ou quatre pisseures d’eau diuerses en couleurs, tomberont sur vne bosse ou petite montagne, elles seront contraintes se couler en bas, et en coulant feront chascune d’elles vne veine de la couleur qu’elles apporteront : et outre cela ainsi qu’elles descendront de vitesse, par la violence de leurs descentes, elles s’entremesleront en tournoyant comme deux riuieres, qui se rencontrent, auec ce qu’vne autre descente, ou deux ou trois, se pourront faire tout à vn coup en ce mesme lieu, qui en se combattant ou contrepoussant l’vne l’autre, ne faudront à faire des figures confuses. Quant est du porphyre ou autres pierres qui ont les figures rondes, elles se peuuent faire à la cheute des eaux, comme les gouttes tombent, et en tombant il y a plusieurs petites gouttes qui se separent d’auec les grandes, comme l’on voit audit porphyre. I’ay veu aussi du porphyre qui auoit esté fait par vn autre moyen, qui est que quelque terre sableuse s’estoit congelée, et auec elle le sable qui y estoit, et quand on tailloit ledit porphyre les grains de sable qui estoyent plus blans seruoyent de moucheture. Pour connoistre comment le cassidoine et plusieurs especes de iaspes ont prins leurs couleurs, il faut chercher les terres argileuses, et l’on trouuera que plusieurs d’icelles ont les mesmes couleurs que le cassidoine. Il y en a aussi qui ont des figures semblables à l’agate, le laisseray le reste à dire lors que ie parleray d’icelles.

Theorique.

Tu m’as promis cy deuant de me dire la cause pourquoy les pierres sont plus dures les vnes que les autres, tu me ferois plaisir de m’en parler.

Practique.

C’est vn point bien aisé à prouuer : et pour ce faire ne t’enuoyeray sinon és carrieres de Paris, desquelles les pierres sont tendres dessus, enuiron de dix ou douze pieds de profondeur, et lesdites pierres tendres sont appelées moilons, à cause qu’elles sont mal condensées : mais au dessouz dudit moilon il se trouue de la pierre que l’on appelle liais, laquelle est tellement condensée que l’on en peut tirer des pierres de telle grandeur que l’on veut, et sont lesdites pierres fort dures, et en fait on communement des marches pour les escalliers, et aussi l’on en fait des couuertures sus les monuments, Ceste preuue te deuroit suffire : par ce que tu pourras contempler esdittes pierres que la cause pourquoy elles sont plus dures dessous que dessus, n’est autre sinon que les eaux, qui passent au trauers des terres, descendent en bas, et ayant trouué le bas foncé de quelque terre argileuse, au trauers de laquelle les eaux n’ont sçeu passer si promptement comme elles faisoyent en haut, elles ont este arrestées ; et quand le premier lict a esté congelé il a seruy de vaisseau pour retenir les autres eaux, qui descendoyent au trauers des terres, et par ce moyen lesdites pierres ont tousiours eu abondance d’eau, qui a causé qu’elles sont beaucoup plus dures que celles de dessus. Et te faut noter que celles de dessus ne sont tendres sinon par ce que les eaux n’y peuuent demeurer iusques à ce que la congelation soit paracheuée. Et ce defaillement d’eau est pour deux causes principalles, l’vne est celle que i’ay dit, que les eaux descendent tousiours et delaissent la partie haute, l’autre est que la terre est alterée en esté, par la vertu du soleil, et de là vient qu’elle ne peut produire les pierres en leur perfection : et telles pierres superieures se pourroient appeller marcassites, par ce que au dessus des minieres metalliques, et en plusieurs autres lieux, se treuue des metaux imparfaits, que l’on appelle marcassites, à cause de leur imperfection. Et tout ainsi comme les pierres congelées es parties les plus basses et plus aqueuses, sont plus parfaictes que les autres, aussi voit on que les metaux les plus parfaits se treuuent bien souuent dedans les eaux, lesquelles il faut pomper auec grand labeur. Il faut donc tenir pour chose certaine qu’il y a deux causes qui donnent la dureté aux pierres, l’une est abondance d’eau, l’autre est la longue decoction : car plusieurs pierres peuuent estre engendrées d’eau, qui toutesfois ne seront pas dures. Nous en auons vn fort bel exemple aux plastrieres de Montmartre, pres Paris, car parmy icelles il se treuue certaines veines d’vn piastre qu’ils appellent hif, ou miroirs, lequel se fend comme ardoise, aussi tenuë que feuilles de papier, et est aussi clair que verre. Il est comme vne espece de talc ; sa diafanité ou transparence nous donne bien à connoistre que la plus grand part de son essence n’est autre chose que de l’eau : toutesfois il se calcine, et l’on en besongne tout ainsi que de l’autre plastre. Il faut donc conclure par là, que la trop hastiue congelation ne peut souffrir endurcir les pierres : Et cela peut on connoistre és lieux là où ledit plastre se treuue. Car c’est vn pays sableux, et les terres sont alterées, et en ce mesme endroit et ioignant lesdites plastrieres, il y a certains rochers desquels les pierres sont fort legeres, tendres et tenantes à la langue, comme du boliarmeny (bol d’Arménie), et lesdits rochers sont fort mal condensez. Voila comment ie prouue que les pierres ausquelles l’eau defaut trop tost, ne peuuent estre dures. Pour bien connoistre vne pierre qui a eu faute d’eau en sa formation : au pays de Bigorre ne se trouue point de pierres, ains sont tous cailloux durs : le pays est froid et fort pluuieux ; et y a grande quantité de riuieres, à cause qu’il est fort prés des montagnes : Parquoy en la formation des pierres dudit pays il n’y peut auoir faute d’eau : aussi sont ils contrains de defaire leurs maçonneries de cailloux, qui ne se peuuent tailler, à cause de leur dureté. Aux Ardennes les terres sont fort sableuses, et leurs pierrieres ne sont d’autres matieres que d’icelles terres : Mais par ce que le pays est fort pluuieux, les pierres sont fort dures, aigres et mal plaisantes : tellement que ceux qui bastissent sont contrains aller querir de la pierre tendre en France, pour tailler leurs iambages de cheminées, croisées, corniches, frises et architraves : car ils ne pourroyent former leurs moulures de la pierre du pays. Les pierriers qui la tirent font tout au contraire de ceux de Paris, car ils ne prennent que le dessus, et quand ils ont osté la moins contiguë, et qu’ils commencent à trouuer celle que les Parisiens nomment liais, ils sont contrains la laisser, à cause qu’elle est trop dure. Les pierrieres dequoy ie parle sont formées d’vne sorte que l’on n’en voit gueres de semblables. Car apres que l’on a trouué vn lict de pierre de l’espesseur d’un pied et demi ou deux pieds, l’on trouue vn autre lict de sable, et toutes les pierres de ladite contrée sont ainsi faites, et le sable qui fait la separation entre les lits des pierres, est aussi dur et aussi bien condensé que la pierre blanche qu’ils vont querir en France, pour tailler leurs fenestrages : ce que ie trouue fort estrange, et ne puis croire autre chose sinon que ledit sable est commencé à petrifier. Dedans les forests desdites Ardennes il y a vn grand nombre de cailloux de plusieurs grosseurs et couleurs, lesquels se trouuent en plus grande quantité le long des ruisseaux qui passent par les vallées, par ce que les eaux des pluyes qui descendent des montagnes amenent le sel des bois pourris aux ruisseaux desdites vallées, qui est encores vne preuue que les pierres et cailloux ne peuuent estre dures sans qu’il y ait abondance d’eau. Et communement les plus dures se trouuent és pays froids et pluuieux, comme l’on voit par exemples aux monts Pyrenées, où il se trouue de beau marbre. Il s’en trouue aussi à Dynan qui est pays froid et pluuieux. Aux montagnes d’Auuergne il se trouue du cristal, et tout cela ne se fait que par abondance d’eau et de froidure. L’on sçait bien que à Fribourg en Briscot, le beau cristal se trouue és montagnes ausquelles il y a de la nege presque en tout temps : et suyuant ce que i’ay dit du pays de Bigorre, qu’il ne s’y trouue que des cailloux, parce que le pays est pluuieux et froid, l’on peut dire le semblable d’vne grande partie des contrées limitrophes des Ardennes, et principalement sur le chemin allant de Messieres à Anuers : chose plus merueilleuse que i’aye encore veuë. Car le long de la riuiere de Meuse au pays du Liege, ladite riuiere passe entre des montagnes lesquelles sont d’vne merueilleuse hauteur, elles sont formées la plus grande partie de matiere semblable aux cailloux blancs, et autre partie de gris, et afin que tu n’entendes que la montagne soit de diuers cailloux, ie dy qu’vne grande montagne ne sera qu’vn caillou. Et te dy encores qu’il y en a plusieurs qui ne produisent ny arbres ny plantes ; à cause de leur grande dureté elles sont inutiles : par ce que l’on ne les sçauroit couper pour s’en seruir en bastiments, et au dessous d’icelles bien auant souz terre, se trouue des carrieres d’ardoises : semblablement les maisons de Bigorre sont couuertes d’ardoises, comme celles des Ardennes : car elles se prennent communement és pays frais.

Theorique.

Et dy moy ie te prie la cause des pesanteurs diuerses.

Practique.

Un homme de bon iugement l’entendra assez par les causes que i’ay dit cy dessus, car la mesme chose qui cause la dureté, cause la pesanteur des pierres : parquoy tu peux conoistre que ce n’est autre chose que l’eau : car toutes pierres legeres, comme la craye, et certaines pierres blanches, ne sont legeres sinon à cause que l’eau leur a deffailli en leur formation, et a laissé lesdites pierres spongieuses et pleines de pores. Et qu’ainsi ne soit, prens vne pierre de craye et la mets tremper dans l’eau, apres l’auoir pesée, et estant trempée repese la, tu trouueras par la pesanteur qu’elle est spongieuse, qui luy a causé boire beaucoup de ladite eau. Si tu mets tremper vn caillou ou quelque piece de cristal, tu trouueras qu’il ne boira pas l’eau comme la pierre legere, car il en a beu son saoul en sa congelation.

Theorique.

Ie te prie de me dire la cause de la fixation des pierres. Car i’en voy aucunes qui sont suiettes à se calciner, et estans calcinées sont plus legeres que elles n’estoient au parauant, et soudain que l’on y met l’eau elles se rendent en poussiere, et autres se blanchissent et candident et liquifient, se tenans tousiours en vne mesme masse.

Practique.

Il y a deux effets qui causent la fixation de plusieurs pierres, l’vn est l’abondance d’eau, et l’autre la longue decoction, et faut noter que toutes pierres qui se calcinent sont imparfaites en leur decoction. Voila en peu de paroles tout ce que ie te peux dire de la fixation des pierres. Il y a quelques contrées ou climats, là où la malice du temps et vents impetueux, gelées et froidures, causent quelque aigreur aux pierres et aux bois, comme nous voyons par les minieres de fer qui sont aux Ardennes és terres du Duc de Bouillon. Car tout ainsi que i’ay dit que les pierres dudit lieu sont aigres, rudes et mal plaisantes, semblablement le fer qui se fait és forges dudit pays est fort aigre, rude et frayable : et non seulement le fer se resent de l’air mal plaisant, mais aussi les bois qui sont és riues et limites des forests sont rudes, durs, suiets à gauchir, mal aisez à mettre en besogne. Aussi les vignes ne peuuent croistre audit pays, par ce qu’il y a bien peu d’esté. Les terres du Duc de Bouillon sont bien pourueuës de mine de fer, mais ladite mine a les grains fort menus, et la faut chercher bas en terre, qui est tousiours confirmation de ce que i’ay dit des metaux, qui ne se peuuent generer par feu. Tout ainsi qu’aucunes plantes et fruicts viennent en une contrée qui ne peuuent venir en vne autre, aussi en aucuns climats les pierres ne sont point semblables à celles d’vn autre climat : comme aussi ne sont les terres argileuses.

Theorique.

Tu m’as baillé beaucoup de raisons des formes, couleurs, duretez et pesanteurs des pierres, lesquelles choses m’estoient aisées à entendre, lors que tu en faisois la montre, Mais s’il me falloit à présent instruire vn autre de ce que tu m’as monstré, ie serois fort empesché, n’ayant aucunes preuues, comme tu auois, lors que tu faisois les demonstrations : parquoy ie voudrois que tu m’eusses baillé en peu de paroles, quelque belle conclusion, comme tu as fait des metaux et de l’eau generatiue.

Practique.

S’il te souuient des points que ie t’ay enseignez, tu te rememoreras que pour la derniere conclusion de l’effet des pierres, ie prouuois deuant mes auditeurs que la matiere principale de toutes pierres n’estoit autre que l’eau congelatiue, de laquelle le cristal et diamant et toutes pierres diafanes sont composées. Et s’il te souuient, ne te montrois-ie pas certaines pierres d’agate et autres, qui estoyent candides sur la partie superieure, et tenebreuses en la partie inferieure ? ne disois-ie pas, auec preuues, que toutes les pierres tenebreuses et coulourées de quelque couleur que ce soit ne sont tenebreuses, ny coulourées, sinon par accident ? qui est que les pierres desquelles sont les meules pour aiguiser les ferremens, sont rendues tenebreuses à cause d’vn sable qui est meslé parmy l’eau congelatiue. Autres pierres sont rendues tenebreuses à cause de la terre qui est entre meslee parmy ladite eau ; tu peux assez auoir entendu la cause de ce, quand i’ay parlé des couleurs des pierres : et pour te rememorer les preuues que i’ay alleguées en mes leçons, il te faut souuenir de ce que ie te dis lors. Considere le cristal qui est en la roche, et tu connoistras que durant sa congelation la matiere d’iceluy estoit dedans les eaux, comme i’ay dit plusieurs fois : et quand les eaux sont troublées à cause des terres, la terre cherche tousiours le bas comme la lie dans vn poinson de vin : et de là vient que l’eau pure et l’impure se congelent toutes deux : mais la partie superieure sera de cristal pur et net, et l’inferieure sera d’vn cristal trouble. Autant en est-il comme ie t’ay dit des matieres metalliques, lesquelles apportent tousiours auec elles quelque chose qui cause leur impureté.

  1. La science moderne exprime precisement la même pensée, en d’autres termes, lorsqu’elle pose en principe que les corps organiques s’accroissent par intussusception et les corps inorganiques par juxtaposition.
  2. Voilà une de ces réponses énergiques qui caractérisent l’homme supérieur. Palissy n’avait aucune littérature acquise, mais il avait l’éloquence naturelle d’un esprit élevé ; il n’avait pas étudié les anciens, mais il avait observé la nature ; il n’avait pas contemplé les astres, mais scruté les entrailles de la terre.
  3. C’est la première théorie rationnelle qui ait été établie sur la cristallisation. C’était aussi la première fois que l’on observait la forme des cristaux, que l’on assimilait la formation des pierres cristallisées à la cristallisation des sels au milieu d’un liquide, enfin que l’on distinguait la cristallisation des sels de la formation de la glace. Il y a dans ce court paragraphe les éléments de toute une révolution dans les idées de l’époque sur cette matière.
  4. On voit que Palissy était assez près de la vérité, relativement à la théorie des pétrifications. Il pense que des causes analogues pourraient réussir à pétrifier des os humains ; mais il n’en a pas vu : ce qui montre sa bonne foi et son scrupule scientifique. Du reste, il est digne de remarque que dans ce peu de mots il fasse preuve de vues chimiques très-élevées pour son époque ; et qu’il aille même jusqu’à se servir des termes d’affinité et d’attraction, dont, avant lui, on ne trouve l’emploi nulle part, dans le sens qu’il leur attribue.
  5. Voilà un grand nombre d’habiles médecins, plusieurs chirurgiens célèbres, des grands seigneurs, des gentilshommes, des ecclésiastiques en dignité, des gens de loi, etc., réunis par le goût des connaissances. Voilà, en un mot, le premier Lycée français ouvert ; et c’est un potier de terre qui y préside, qui y donne des leçons, qui s’y fait admirer !… (G.)
  6. Ou plutôt Champier (Campesius), l’un des descendants de Symphorien Champier, naturaliste célèbre, médecin des rois Charles VIII et Louis XII ; mort à Lyon en 1539.
  7. Devenu premier médecin de Henri IV.
  8. Ambroisé Paré, premier chirurgien de Henri II, de François II, de Charles IX et de Henri III. On sait qu’il était huguenot et qu’il échappa comme Palissy au massacre de la Saint-Barthélemy.
  9. Faujas de Saint-Fond remarque que Jérôme Cardan mourait à Rome la même année où Palissy réfutait ses opinions par des démonstrations publiques, à Paris (1575). Des biographes ont prétendu que Cardan s’était laissé mourir de faim pour accomplir ce qu’il avait prédit, qu’il ne passerait pas l’âge de 75 ans.
  10. C’est là l’opinion contre laquelle on s’éleva avec tant de légèreté au dix-septième et au dix-huitième siècle ; mais que la science a fini par adopter, comme la plus rationnelle et la mieux fondée. Cuvier va jusqu’à regarder ce seul résultat des recherches et des vues ingénieuses de Palissy, comme le premier fondement de la géologie moderne.
  11. Ce sont des bélemnites ou pierres de Lynx.