Œuvres complètes de Béranger/Treize à Table
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TREIZE À TABLE
Dieu ! mes amis, nous sommes treize à table,
Et devant moi le sel est répandu.
Nombre fatal ! présage épouvantable !
La mort accourt ; je frissonne éperdu. (ter.)
Elle apparaît, esprit, fée ou déesse ;
Mais, belle et jeune, elle sourit d’abord. (bis.)
De vos chansons ranimez l’allégresse ;
Non, mes amis, je ne crains plus la Mort.
Bien qu’elle semble invitée à la fête,
Qu’elle ait aussi sa couronne de fleurs,
Seul je la vois, seul je vois sur sa tête
D’un arc-en-ciel resplendir les couleurs.
Elle me montre une chaîne brisée,
Et sur son sein un enfant qui s’endort.
Calmez la soif de ma coupe épuisée ;
Non, mes amis, je ne crains plus la Mort.
« Vois, me dit-elle ; est-ce moi qu’il faut craindre ?
« Fille du ciel, l’Espérance est ma sœur.
« Dis-moi, l’esclave a-t-il droit de se plaindre
« De qui l’arrache aux fers d’un oppresseur ?
« Ange déchu, je te rendrai les ailes
« Dont ici-bas te dépouilla le Sort. »
Enivrons-nous des baisers de nos belles ;
Non, mes amis, je ne crains plus la Mort.
« Je reviendrai, poursuit-elle, et ton âme
« Ira franchir tous ces mondes flottants,
« Tout cet azur, tous ces globes de flamme
« Que Dieu sema sur la route du Temps.
« Mais, tant qu’au joug elle rampe asservie,
« Goûte sans crainte un bonheur sans remord. »
Que le Plaisir use en paix notre vie ;
Non, mes amis, je ne crains plus la Mort.
Ma vision passe et fuit tout entière
Aux cris d’un chien hurlant sur notre seuil.
Ah ! l’homme en vain se rejette en arrière
Lorsque son pied sent le froid du cercueil.
Gais passagers, au flot inévitable
Livrons l’esquif qu’il doit conduire au port.
Si Dieu nous compte, ah ! restons treize à table ;
Non, mes amis, je ne crains plus la Mort.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
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