Œuvres complètes de Béranger/Le Voyage Imaginaire
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LE VOYAGE IMAGINAIRE
L’Automne accourt, et sur son aile humide
M’apporte encor de nouvelles douleurs.
Toujours souffrant, toujours pauvre et timide,
De ma gaîté je vois pâlir les fleurs.
Arrachez-moi des fanges de Lutèce ;
Sous un beau ciel mes yeux devaient s’ouvrir.
Tout jeune aussi, je rêvais à la Grèce ;
C’est là, c’est là que je voudrais mourir.
En vain faut-il qu’on me traduise Homère,
Oui, je fus Grec ; Pythagore a raison.
Sous Périclès j’eus Athènes pour mère ;
Je visitai Socrate en sa prison.
De Phidias j’encensai les merveilles ;
De l’Ilissus j’ai vu les bords fleurir.
J’ai sur l’Hymète éveillé les abeilles ;
C’est là, c’est là que je voudrais mourir.
Dieux ! qu’un seul jour, éblouissant ma vue,
Ce beau soleil me réchauffe le cœur !
La Liberté, que de loin je salue,
Me crie : Accours, Thrasybule est vainqueur.
Partons ! partons ! la barque est préparée.
Mer, en ton sein garde-moi de périr.
Laisse ma Muse aborder au Pirée ;
C’est là, c’est là que je voudrais mourir.
Il est bien doux le ciel de l’Italie,
Mais l’esclavage en obscurcit l’azur.
Vogue plus loin, nocher, je t’en supplie ;
Vogue où là-bas renaît un jour si pur.
Quels sont ces flots ? quel est ce roc sauvage ?
Quel sol brillant à mes yeux vient s’offrir ?
La tyrannie expire sur la plage ;
C’est là, c’est là que je voudrais mourir.
Daignez au port accueillir un barbare,
Vierges d’Athène ; encouragez ma voix.
Pour vos climats je quitte un ciel avare
Où le génie est l’esclave des rois.
Sauvez ma lyre, elle est persécutée ;
Et, si mes chants pouvaient vous attendrir,
Mêlez ma cendre aux cendres de Tyrtée :
Sous ce beau ciel je suis venu mourir.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
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