Œuvres complètes de Béranger/L’Épée de Damoclès
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L’ÉPÉE DE DAMOCLÈS
De Damoclès l’épée est bien connue ;
En songe, à table, il m’a semblé la voir.
Sous cette épée et menaçante et nue
Denys l’ancien me forçait à m’asseoir. (bis.)
Je m’écriais : Que mon destin s’achève,
La coupe en main, au doux bruit des concerts ! (bis.)
Ô vieux Denys ! je me ris de ton glaive[1],
Je bois, je chante, et je siffle tes vers. (bis.)
Servez, disais-je, à messieurs de la bouche ;
Versez, versez, messieurs du gobelet.
Malheur d’autrui n’est point ce qui te touche,
Denys ; sur moi fais donc vite un couplet.
Ton Apollon à nos larmes fait trêve ;
Il nous égaie au sein d’affreux revers ;
Ô vieux Denys ! je me ris de ton glaive,
Je bois, je chante, et je siffle tes vers.
Puisqu’à rimer sans remords tu t’amuses,
De la patrie écoute un peu la voix :
Elle est, crois-moi, la première des Muses ;
Mais rarement elle inspire les rois.
Du frêle arbuste où bout sa noble sève,
La moindre fleur parfume au loin les airs.
Ô vieux Denys ! je me ris de ton glaive,
Je bois, je chante, et je siffle tes vers.
Tu crois du Pinde avoir conquis la gloire,
Quand ses lauriers, de ta foudre encor chauds,
Vont à prix d’or te cacher à l’histoire,
Ou balayer la fange des cachots.
Mais, à ton nom, Clio, qui se soulève,
Sur ton cercueil viendra peser nos fers.
Ô vieux Denys ! je me ris de ton glaive,
Je bois, je chante, et je siffle tes vers.
Que du mépris la haine au moins me sauve !
Dit ce bon roi, qui rompt un fil léger.
Le fer pesant tombe sur mon front chauve ;
J’entends ces mots : Denys sait se venger.
Me voilà mort ; et poursuivant mon rêve,
La coupe en main, je répète aux enfers :
Ô vieux Denys ! je me ris de ton glaive,
Je bois, je chante, et je siffle tes vers.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
↑ Haut
- ↑ Denys l’ancien, tyran de Syracuse, était, comme on sait, un métromane déterminé ; il envoyait en prison ceux qui ne trouvaient pas ses vers bons. Nous avons eu aussi en France des rois qui se mêlaient d’écrire et de faire des vers. Quant à l’histoire du festin de Damoclès, elle est trop connus pour qu’il soit besoin de la rapporter ici.
Cette chanson appartient au règne de Louis XVIII, qui, de même que Denys, avait la manie d’écrire et a fait beaucoup de petits vers.