Œuvres complètes de André Chénier, 1819/Ode XI

Pour les autres éditions de ce texte, voir La Jeune Captive.

Odes, Texte établi par Henri de Latouche (p. 216-218).
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ODE XI.


LA JEUNE CAPTIVE.


L’Épi naissant mûrit de la faux respecté ;
Sans crainte du pressoir, le pampre tout l’été
Boit les doux présens de l’aurore ;
Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,
Quoique l’heure présente ait de trouble et d’ennui,
Je ne veux point mourir encore.

Qu’un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort,
Moi je pleure et j’espère ; au noir souffle du Nord
Je plie et relève ma tête.
S’il est des jours amers, il en est de si doux !
Hélas ! quel miel jamais n’a laissé de dégoûts ?
Quelle mer n’a point de tempête ?

L’illusion féconde habite dans mon sein.
D’une prison sur moi les murs pèsent en vain,
J’ai les ailes de l’espérance :
Échappée aux réseaux de l’oiseleur Cruel,
Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel
Philomèle chante et s’élance.

Est-ce à moi de mourir ! Tranquille je m’endors,
Et tranquille je veille ; et ma veille aux remords
Ni mon sommeil ne sont en proie.
Ma bien-venue au jour me rit dans tous les yeux ;
Sur des fronts abattus, mon aspect dans ces lieux
Ranime presque de la joie.

Mon beau voyage encore est si loin de sa fin !
Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin
J’ai passé les premiers à peine.
Au banquet de la vie à peine commencé,
Un instant seulement mes lèvres ont pressé
La coupe en mes mains encor pleine.

Je ne suis qu’au printemps, je veux voir la moisson ;
Et comme le soleil, de saison en saison,
Je veux achever mon année.
Brillante sur ma tige et l’honneur du jardin,
Je n’ai vu luire encor que les feux du matin,
Je veux achever ma journée.

Ô mort ! tu peux attendre ; éloigne, éloigne-toi ;
Va consoler les cœurs que la honte, l’effroi
Le pâle désespoir dévore.
Pour moi Palès encore a des asiles verts ;
Les amours des baisers, les Muses des concerts ;
Je ne veux pas mourir encore.

Ainsi, triste et captif, ma lyre, toutefois
S’éveillait ; écoutant ces plaintes, cette voix,

Ces vœux d’une jeune captive ;
Et secouant le joug de mes jours languissans,
Aux douces lois des vers je pliais les accens
De sa bouche aimable et naïve.

Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,
Feront à quelque amant des loisirs studieux
Chercher quelle fut cette belle :
La grâce décorait son front et ses discours,
Et comme elle craindront de voir finir leurs jours
Ceux qui les passeront près d’elle.